Réflexions post électorales

 

2007

 

          Nous avons vécu récemment des élections présidentielles qui ont mobilisé toutes les spéculations de France pendant largement plus de six mois.

          J’ai laissé un peu refroidir les esprits mais maintenant, je pense qu’il est temps de m’exprimer un peu sur ce que je pense de la chose. 

      On peut considérer que sur le plan des convictions politiques, sociales, sociologiques ou autre, la population d’un pays se partage en trois groupes. L’ordre dans lequel je les présente n’a pas pour moi une quelconque valeur sentimentale. C’est uniquement pour pouvoir exprimer mieux mes explications que je choisis cet ordre.

          Nous avons en premier lieu ceux qui souhaitent que les choses évoluent vers ce qu’ils pensent être un mieux. Bah ! oui, sans eux, l’individu humain n’évoluant pas, nous en serions toujours à vivre comme des animaux. J’appellerai ceux-ci les progressistes. Entendons-nous bien. Progresser, cela veut dire se déplacer. On peut se déplacer vers l’arrière. Dans ce cas, on progresse aussi. Toutefois, dans l’idée de progrès, il y a une notion de mieux. La chose est souvent ambiguë. Donc, il y a des gens qui voulant progresser accolent à cette volonté un sentiment très fort d’amélioration. Bon, appelons-les les progressistes et n’en parlons plus. 

Ensuite, il y a des gens qui, considérant qu’on sait ce qu’on perd mais qu’on ne sait pas ce qu’on trouve, préfèrent garder un statu quo. On sait que souvent des choses qui étaient imaginées comme de grands progrès se sont révélées, à terme, comme des fiasco catastrophiques. On comprend donc que bien des personnes n’aient pas envie de tenter certaines expériences. On peut considérer qu’ils sont un peu « frileux » et un peu veules. Mais on doit reconnaître aussi chez eux une forme de prudence et de sagesses. Ceux-là, ceux qui préfèrent continuer sans changements caractérisés, appelons les conservateurs.

          Enfin, il y a des gens qui, non seulement, fuient les aventures douteuses, mais, de plus, aimeraient revenir à une situation du passé. A mon avis, c’est un peu l’illusion de l’âge d’or. 

Mais ils en ont le droit. Du reste, dans bien des domaines, cela n’est pas perçu comme une tare profonde. Certains regrettent l’école de Jules Ferry et de la troisième république (les enfants savaient lire, écrire et compter, etc.…). De même, on peut regretter des situations économiques qui font éclater la cellule familiale ou inversement qui obligent des enfants à rester chez les parents trop longtemps par incapacité à se loger. Bref, vouloir revenir à une situation antérieure n’est pas forcément entaché de mauvais sentiments. Dans tous ces cas, disons que, ces intentions étant générées par une réaction à une situation actuelle désagréable, on peut appeler cette disposition d’esprit réactionnaire. D’une façon générique on pourra dire les réactionnaires et ceci sans y attacher de sens péjoratif. On peut toutefois noter que revenir au passé, retrouver sa jeunesse, c’est, sans doute, un peu illusoire. La situation historique s’est transformée ; la technologie, la médecine, la connaissance ont évolué et on ne peut plus revenir en mille neuf cent vingt cinq.

          Résumons. Ceux qui veulent aller vers un avenir qu’ils imaginent meilleur (les progressistes), ceux qui, par prudence, ne veulent surtout rien changer (les conservateurs) et ceux qui veulent revenir à des dispositions passées qu’ils regrettent (les réactionnaires) se partagent les populations en n’oubliant pas que des personnes peuvent, selon les questions, soutenir des positions appartenant aux trois modes de pensée.

          On peut constater, de plus, deux choses.

D’abord, les conservateurs et les réactionnaires on en commun qu’ils veulent à tout prix éviter un aventurisme inquiétant.

Et puis les progressistes se scindent en deux groupes. Ceux qui envisagent de tout modifier progressivement. Un jour ci, un jour ça, au fur et à mesure des possibilités, on fera des réformes qui au fil des années modifieront la société tout entière. On a souvent caractérisé ces individualités en les qualifiant d’opportunistes. Ce sont les réformistes. En revanche, il y a ceux qui sont persuadés qu’il faut transformer la société de façon drastique. Ceux-ci considèrent qu’il y a un seuil minimum nécessaire au-dessous duquel rien n’est significatif, donc, tout reste réversible. Pour ces derniers, il ne suffit pas de repeindre le mur, il faut le reconstruire, éventuellement en lui donnant une autre forme et une autre fonction. Ce sont les révolutionnaires.

          De cela il résulte que lors d’élections importantes, théoriquement, on pourrait s’attendre à retrouver ces différentes dispositions mentales. En apparence, c’est plus ou moins le cas. En caricaturant un peu, on peut dire qu’en France, la gauche est progressiste, le centre est conservateur et la droite est réactionnaire. Théoriquement. Mais non. Ce serait trop simple. 

Parmi les trois principaux candidats, le seul qui corresponde strictement à son étiquette, c’est Monsieur Bayrou. Pour lui, les problèmes de la société française ne sont liés qu’au fait que l’on a pas choisi les bons ministres. Il suffit de trouver les hommes compétents et de les mettre au bon endroit. En même temps, il nie les divergences ci dessus décrites. Personnellement, j’ai du mal à imaginer l’étroite collaboration dans un même ministère entre un progressiste (même pas forcément très révolutionnaire) et un réactionnaire convaincu. Nous y reviendrons. 

Nous avons ensuite un autre personnage très complexe et paradoxal : Monsieur Sarkozy. La première chose que l’on peut dire, c’est que ce n’est pas un conservateur. Il nous a dit et redit tout ce qu’il voulait modifier. C’est donc un progressiste. En revanche, il illustre parfaitement ce que nous disions plus haut, d’une part sur la notion de progression en arrière et, d’autre part sur le fait qu’une même personne peut soutenir des positions à la fois réactionnaires et  novatrices. Il s’engage à reconnaître la valeur des hommes et en même temps abolit la semaine de trente cinq heures. Il s’oppose au système qui accorde de véritables fortunes à des gens qui ont mal géré des entreprises, mais en même temps, il rêve d’une entreprise où l’actionnaire trouve des pouvoirs accrus. Il dit que la lutte contre une immigration abusive passe par une aide importante aux pays du tiers monde mais en même temps soutient une immigration choisie. Il parle de rendre à l’école le respect qu’on lui doit, mais en même temps veut diminuer ses effectifs. Il veut âprement relancer la marche en avant de l’Europe mais ne tiendra pas compte de l’avis de la population. Je suis persuadé qu’au moment où il annonce une position ferme, il est parfaitement sincère. Il tentera des innovations. Hélas, pour lui, il ne faudrait pas qu’il oublie qu’il ne suffit pas de décider une chose pour qu’elle devienne vraie. Il risque d’être confronté à des difficultés dans la pratique. Enfin, malgré tout, rien qu’à voir la personne, ce n’est pas un immobiliste ni un « mollasson ». Que lui réservera l’avenir ? On verra. 

Et puis, il y a Madame Royal. Théoriquement, vue l’étiquette sous laquelle elle est inscrite, vu le drapeau qu’elle agite, on devrait s’attendre à trouver une progressiste pugnace. Bah non. Eh ! Vous en connaissez beaucoup, vous, des novateurs qui n’ont pas de projets ? Des progressistes qui ne proposent rien ? Elle nous a dit qu’elle pense aux personnes âgées, aux infirmières, et en les énumérant toutes, à toutes les catégories sociales. Pour leur proposer quoi ? Rien. Non, elle pense à eux, c’est tout. Bah ! Manquerait plus que ça qu’elle n’y pense pas ! Vous imaginez un candidat qui dirait je ne pense pas aux personnes âgées, je ne pense pas aux infirmières ! Le succès serait assuré. Non, Madame Royal ne fait rien de plus que d’affirmer qu’elle a une grande âme. Enfin, c’est elle qui le dit. Madame Royal est strictement une conservatrice. Elle utilise à des fins personnelles un courant de pensée important de la population qu’elle se promet de dévoyer, de tromper et de bafouer honteusement. Sa plus grande novation consiste à vouloir proroger l’existant en ravaudant les façades décrépites. Dans le fond, c’est la même que Monsieur Bayrou. Surtout, on n’invente rien. On se contente de changer les chefs de services. On peut noter du reste que les transfuges d’un camp à l’autre sont nombreux.

Tiens, Madame Royal, qui voulait tellement se faire passer pour grande progressiste, elle me fait penser à une fable de ce cher vieux Jean de La Fontaine. Le rapport est un peu lointain, sans doute, mais quand même ça m’amuse. Je vous la livre. 

Le Geai paré des plumes du Paon.


          Un Paon muait : un geai prit son plumage ;

                    Puis après se l’accommoda ;

          Puis parmi d’autres Paon tout fier se panada,

                    Croyant être un grand personnage.

          Quelqu’un le reconnut : il se vit bafoué,

                    Berné, sifflé, moqué, joué,

          Et par Messieurs les Paons plumé d’étrange sorte ;

                    Même vers ses pareils s’étant réfugié,

                    Il fut par eux mis à la porte.

 

          Il est assez de geais à deux pieds comme lui,

          Qui souvent se parent des dépouilles d’autrui,

                    Et que l’on nomme plagiaires

          Je m’en tais, et ne veux leur causer nul ennui :

                    Ce ne sont pas là mes affaires.

Du coup, quand Monsieur Bayrou parlait d’ouverture à tous les camps en présence, cela voulait dire aux divers conservateurs des différents partis. Les conservateurs du parti de Monsieur Sarkozy et des conservateurs du parti de Madame Royal. Il ne faut pas rêver, quand même. Monsieur Bayrou n’a jamais imaginé de s’allier avec des progressistes vrais ; pas plus réformistes que révolutionnaires.

En résumé, nous avions deux conservateurs, et un progressiste oscillant entre positions réactionnaires et volontés novatrices.

Le soir du deuxième tour, il y avait des gens qui pleuraient. J’ai envie de sécher leurs larmes. Je voudrais les persuader qu’ils n’on pas perdu grand chose. D’autres pensaient devoir faire leurs valises et fuir sous des cieux meilleurs. Ils sont bien naïfs ! Les conservateurs (bon teint) n’ayant rien à opposer au programme de Monsieur Sarkozy se sont attachés à en faire un dévoreur de petits enfants tout crus et eux, ils les ont cru. Ils les ont cru d’autant plus volontiers que ces conservateurs se travestissaient pour faire croire qu’ils étaient progressiste. Je voudrais les rassurer. Il n’y a pas plus péril que si les choses avaient été inversées. En revanche, d’autres criaient victoire. Pour eux, je voudrais dire : « Attention ! Nous ne venons pas d’entrer dans le paradis ! »

Monsieur Sarkozy a été élu. Je ne pense pas que ce soit le meilleur. Mais parmi ces trois là, c’est certainement le moins pire.

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