QUELLE EDUCATION ?

 

 

 

 

          Il y a quelques jours, j’ai rédigé deux articles sur la scolarité. Une correspondante sur le NET m’a répondu ceci (comme elle n’est pas francophone, je corrige un peu sa syntaxe).

          Il est fort possible que les nouvelles méthodes qui, semblent laisser les enfants libres de choisir leur programme si jeunes, feront des enfants qui n’auront aucuns complexes et qui se sentiront à la hauteur de toutes situations dans la vie (ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose) mais ce qu’ils perdront, dans le futur, je crois, ce sera la qualité et le souci de la perfection.

          Si les enfants ne sont plus corrigés avec une mesure de base pour mieux se comparer et avancer et se pousser à produire le meilleur d’eux même, ils seront des adultes qui ne chercheront pas à accomplir le meilleur d’eux même très tôt. Ils ne trouveront leur vocation que beaucoup plus tard lorsqu’ils seront obligés de gagner leur vie et de se rendre compte que la compétition existe……. Il faut développer la volonté de réussir chez l’enfant, le « drive » comme on dit ici.

          Je remercie, évidemment, ma correspondante et amie pour son apport à ma réflexion. Ce qu’elle dit me conduit à une autre question celle de la permissivité ou de l’autorité dans l’éducation de l’enfant.

          Il est de bon ton de déclarer « Il faut laisser l’enfant libre. Il doit comprendre par lui-même ce qu’il peut faire ou ne pas faire ». Toute personne qui tient ce langage est, d’emblée, considérée comme une personne libertaire, démocrate, généreuse et progressiste. C’est une personne moderne, tournée vers l’avenir et débarrassée des scories contraignantes du passé.

          Je pense que c’est une ânerie.

          L’éducation doit elle être coercitive ou permissive ?

          Voici un sujet qui revient régulièrement dans les débats.

          Ajoutons-y nos convictions.

 

          La question revient à dire dans la vie de l’enfant, l’adulte doit-il imposer des limites ? Lesquelles ? Et de quelle façon ?

          Je pense, en premier lieu, que la chose ne peut pas être traitée en une seule fois. Il y a en effet deux parties là dedans.

          Il y a les aspects physiques et les aspects socio moraux.

          Refuser à l’adulte la mission de désigner à l’enfant les interdits environnants et d’exiger qu’il en tienne compte, c’est placer cet enfant dans une bulle coupée de la vie. L’enfant remis dans un contexte normal sera confronté, et avec quelle brutalité, aux éléments de la réalité. N’y étant pas habitué, il risque d’avoir des réactions de refus et de violence, le conduisant à une associalisation dangereuse.

          L’idée soutenue par les tenants de ces théories est celle du respect de la liberté de l’enfant. On a lâché le grand mot : Liberté. Il est entendu que la liberté est une entité qui ne se conteste pas. Quiconque envisage d’enfreindre la liberté est un réactionnaire inepte que l’on doit honnir de toutes ses forces.

          Oui, mais… Tout le monde connaît ce sujet de philosophie à l’usage des classes de terminale : « Pouvons-nous être totalement libres ? » Le plus benêt des élèves de cette classe, rêvant à toutes fins d’échapper à quelque loi que ce soit, doit se ranger à cette idée qu’il y en a au moins une qu’il doit respecter : Celle de la gravitation universelle édictée par Newton (Sir Isaac 1642 1727). Sinon, dès qu’il va tenter de marcher au plafond, comme les mouches, il tombera et se fera mal. La physique est brutale. Même, quand les lois de la physique sont transgressées, celle-ci se charge de rappeler le contrevenant à l’ordre sans ménagement. Le monde est rempli de limites.

          Il y a quelques années, un neveu est venu chez moi. C’est un enfant libéré ayant une notion forte de ses droits à l’initiative. Un jour, je lui montrais des choses dans le jardin et je lui signalais qu’il y a de certaines plantes qu’il vaut mieux éviter de tripoter. Je lui montrais les orties. Fort de sa liberté individuelle et me regardant droit dans les yeux avec provocation il prit la tige à pleine main. La sanction a été immédiate. Il a de plus obscurément compris qu’il n’était pas toujours malin de mettre mes conseils en doute.

          Quand ma fille aînée était toute petite, il lui est arrivé une mésaventure du même ordre avec un résultat double. Etant encore très jeune, elle avait cette manie de quitter sa culotte que nous retrouvions n’importe où dans la maison. Nous avions un poêle dans la salle de séjour. J’avais toujours peur qu’elle ne se brûle en passant trop près. Un jour, ce qui devait arriver est arrivé. Elle a frôlé l’engin et s’est un peu chauffé la fesse. J’ai eu d’abord peur, mais dès que j’ai vu que la chose était bénigne, je lui ai dit : Tu vois, si tu avais eu ta culotte, ce ne serait pas arrivé. J’ai gagné sur deux tableaux. L’éloignement du poêle et le port de la culotte.

          Une autre fois, je devais garder une nièce qui était encore petite. On lui avait dit et répété un nombre de fois incroyable qu’il ne fallait pas toucher aux prises de courant. Et puis voila que j’entends un cri. Je me précipite et elle me dit en reproduisant le tremblement dans son bras du à une décharge électrique« Là… Ça fait priiiiiz ! »Le soir même, elle a dit la même chose à sa grand-mère avec le même geste. Non seulement, elle n’avait plus envie d’y toucher, mais visiblement, elle se rappelait du nom de la chose.

          Dans ces trois anecdotes, les choses se sont bien terminées. Mais faut-il attendre une catastrophe pour informer l’enfant des dangers qu’il court ? N’y a-t-il pas des cas où il est exclu de laisser l’enfant faire son expérience lui-même ? Faire des pâtés de sable sur une voie de chemin de fer… Glisser une bassine d’huile bouillante sur la cuisinière… Sucer le produit que l’on utilise pour éliminer les rats.

          Dans ce cas, il faut avoir suffisamment d’ascendant sur l’enfant pour qu’il obéisse même sans comprendre. Bien sûr, si l’on peut, il faut lui expliquer ou lui montrer la dangerosité de la chose…

          Encore une anecdote. Quand j’étais petit, je devais comme tous les enfants laisser traîner mes doigts n’importe où et particulièrement dans les embrasures de portes. Un jour, ma mère m’appelle. Elle avait pris un bâtonnet un peu plus mince qu’un crayon, met le bout de ce morceau de bois entre la porte et le chambranle et doucement ferme la porte. Le bâton a été sectionné net. Elle me dit. « Tu imagines si c’était ton doigt » ; et pour bien me montrer qu’une porte peut se fermer inopinément, elle a fait un courant d’air. J’ai été très impressionné. Je le suis encore du reste. Et quand quelqu’un laisse ses doigts dans une porte, je revois le bâtonnet sectionné.

          Ma mère n’a pas attendu que la nature se charge de me corriger, elle m’a montré que cette même nature peut être parfois cruelle.

          Il existe donc des interdits que l’on ne doit pas transgresser. L’enfant à besoin de les connaître il aime savoir ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. Le sachant, cela lui permet d’imaginer des situations magiques qui envisagent de passer outre, de régner sur la nature et ses forces. L’enfant aspire à maîtriser les lois de l’univers, à en posséder les clefs. Il aspire à connaître les limites du possible pour jouir de la totalité du monde.

          Il existe aussi des interdits moraux.

          Le plus souvent, en cas de dépassement des limites, aucune loi physique ne viendra sanctionner.

          Il faut alors que l’adulte se substitue à la physique défaillante.

          Je me souviens, un jour, mon fils était petit. Nous étions chez mon père. Nous étions à table. Mon fils jouait avec la salière. Son grand père, que cela agaçait lui dit : « Ambroise, laisse cette salière ».  L’autre s’arrête puis, tout doucement avance sa main en regardant fixement son grand père. Il voulait savoir jusqu’à quelle distance de la salière il pouvait laisser traîner ses doigts avec la bénédiction des « grands ». Il a vu. Je me suis levé ; j’ai fait le tour de la table ; je l’ai empoigné ; je l’ai mis sous mon bras et je lui ai flanqué trois ou quatre tapes sur les fesses. Ensuite, je l’ai replacé sur sa chaise. Il a compris qu’à une certaine distance de la salière, la nature devenait franchement hostile. Il a compris aussi que ne pas écouter les demandes de son grand père pouvait présenter des inconvénients non négligeables. 

          Je me souviens aussi d’une image que m’a donnée un ami. Si vous devez franchir une passerelle branlante sur un ravin, vous allez la traverser en rampant et en vous cramponnant comme vous pouvez. S’il y a de chaque côté une main courante. Ce sont des limites à votre liberté mais aussi des protections. De ce fait, vous passerez plus vite et plus en sécurité. Les limites peuvent être aussi des guides pour avancer plus facilement dans la vie.

          Bien sûr, il ne s’agit pas de martyriser les enfants. Il faut juste leur montrer que l’environnement social présente, lui aussi des limites abruptes à ne pas franchir.

          Evidemment, un adolescent jamais mis en faces des règles de la société aura du mal à les accepter si brusquement on veut les lui imposer. Mais, quand l’enfant a été, dès l’enfance confronté aux règles de la vie en groupe, il y est habitué et n’en éprouve pas une gêne immodérée. Il sera même plus apte à y réfléchir et à les remettre en cause.

          L’enfant pour se mouvoir dans ce qui l’entoure aime en connaître les contours. L’enfant à envie de savoir comment se délimite son environnement. L’enfant, pour se mouvoir aisément aime avoir un cadre, des références et un statut clair.

          Montrer à l’enfant que, s’il se comporte de façon cohérente avec ce qui est autour de lui, il ne peut en retirer qu’un certain confort de vie. Il faut qu’il sache que s’il tient compte des éléments extérieurs, il peut en attendre une certaine justice. Il est remarquable, à ce titre que les évènements naturels sont parfaitement fiables. Plus que les hommes, il faut le souligner.

          Je repense une expression horticole qui m’amuse. Eduquer un pommier ou un poirier, c’est le tailler, le palisser, l’ébourgeonner afin de lui faire prendre une forme lui permettant une production plus belle et plus riche. Eduquer, c’est contraindre.

          Appliquer une éducation dirigiste à l’enfant n’est pas lui retirer sa liberté. C’est lui apporter les armes pour maîtriser un cosmos inflexible. C’est donc lui offrir un monde qu’il pourra conquérir en toute liberté.

          Terminons avec cette remarque forte du « Sapeur Camember » (Œuvre profonde s’il en est) :

« Quand on dépasse les bornes,

alors, il n’y a plus de limites ! ».

 

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