Le Monothéisme I

 

 

Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire un cours de théologie. Je ne vais pas me lancer dans des spéculations métaphysiques sur l’existence ou la non-existence d’un ou plusieurs Dieux. Non, non, non ! Je veux juste vous parler du monothéisme. 

Et pourquoi justement le monothéisme ? Parce que je pense que toutes les variantes de monothéisme ont une caractéristique commune qui les oppose à toutes les autres dispositions d’esprit religieuses. D’un côté les monothéismes et de l’autre côté les polythéismes, les animismes et l’athéisme. Vous avez vu, hein. Plein de mots en « isme », comme ça, ça fait tout de suite sérieux. Il va de soi que pour vous parler du monothéisme, il va falloir que je vous parle un peu, avant, des animismes et des polythéismes. Pour ce qui est de l’athéisme, cela ne presse pas. On verra plus tard.

L’approche du monde magique la plus archaïque, la plus ancienne est l’animisme. En même temps, l’animisme est encore en vigueur dans de nombreuses populations de la planète et présente également des prolongements dans l’homme moderne et occidental fier de sa haute technologie. Je vous le montrerai en temps utile.  

L’animisme consiste, pour l’individu humain,  à accorder une volonté, un esprit, une âme à tout ce qui l’entoure. Pour le monde animal, cela semble pertinent. Le chien qui grogne en nous regardant derrière sa clôture a effectivement une intention agressive envers nous. Si une mouche voltige autour de nous et nous agace, nous lui parlons : Tu vas t’en aller, toi ? (Comme si elle allait tenir compte de notre demande). Dans nombre de populations, lorsqu’on tue un animal domestique, on commence par lui expliquer que ce n’est pas par mauvaise volonté à son égard qu’on en arrive là mais que nous n’avons pas le choix et que nous devons bien nourrir la famille. Et, on s’excuse auprès de lui. Puis, la chose s’élargit au monde végétal. Avant d’abattre un arbre, on respecte quelques rites pour exorciser ce que celui-ci pourrait comprendre comme de la méchanceté gratuite.

D’autre part, si en marchant, on se cogne la tête contre une branche, on n’hésite pas à lui en faire le reproche : Hé toi, pourquoi m’empêches tu de passer ? Et enfin, on en arrive à prêter une âme aux éléments du monde non vivant. L’homme qui trébuche sur une pierre l’insulte copieusement en lui reprochant de l’avoir fait tomber. Hé ! Je ne tai rien fait ! Je ne t’ai même pas piétinée. 

Le petit enfant qui se cogne la tête à la table est fâché contre elle et, pour la punir d’avoir été méchante lui flanque un coup de pied. Moyennant quoi, en plus, il a mal aux orteils. La table s’est défendue. Elle est vraiment méchante cette table. Et toi, lecteur incrédule, lorsque tu veux enfiler une aiguille et que le fil se tortille, se dédouble et n’entre pas dans le chas, tu t’énerves et tu grommelles entre tes dents : tu vas y aller, oui ? Tu parles au fil comme si tu voulais persuader l’âme du fil à accéder à la volonté de la tienne. Et je ne te dis pas quand le matin ta voiture « refuse » de démarrer (si, si ! Parce que son libre arbitre refuse), tu lui parles. Selon les cas tu prends un ton suppliant ou bien carrément, tu l’engueules : Allez démarres, je n’ai pas le temps ! Tu vois que tu es animiste ! Réfléchissez au nombre de fois où vous vous adressez à un objet soi pour lui reprocher votre propre incompétence ou pour conjurer par anticipation un hypothétique échec de votre part. 

Vous parlez à la serrure qui se coince (parce que vous ne l’avez pas huilée), vous parlez à l’eau des nouilles qui ne bout pas encore (parce que vous êtes impatient), Vous parlez au bouchon qui ne « veut » pas sortir (parce que vous n’êtes pas assez costaud) etc. . L’homme est foncièrement animiste.

Par la suite, l’animisme s’enrichit d’âmes abstraites. Dans ce cas on use volontiers d’un autre mot. On ne dit plus des âmes, mais des esprits. Vous m’accorderez qu’entre âme et esprit il n’y a pas une grande différence. Simplement, un objet vivant ou inerte possède une âme (vous savez, la phrase de Lamartine : objets inanimés, avez-vous donc une âme ?) A l’opposé, un esprit n’a pas besoin d’un support matériel pour exister. C’est un pur esprit. Il y aura les esprits de la maison, du champ, de la sècheresse, de la germination, de la maladie, de la souffrance et de la mort. 

Pour certains, on les incitera à agir, pour d’autres, on les suppliera de ne pas intervenir. Pour ce faire, on leur adressera des prières ou des reproches. « Allons, tu n’es pas sérieux ! On ne peut pas compter sur toi ! Je t’avais demandé d’écarter la pluie pendant la cérémonie et tu ne m’as pas aidé. Je suis très fâché contre toi ». Ou bien on leur apportera des offrandes. Ne serait-ce que pour acheter leurs faveurs ou pour pouvoir, par la suite les accuser de ne pas être reconnaissants. 

Il y a des esprits auxquels on a accordé un corps physique. Ce sont tous les farfadets, korrigans, elfes trolls et autres fées ou enchanteurs.

Bien sûr, il y a les esprits des morts. Les esprits des ancêtres qui veillent sur l’équilibre des choses et sur le bien être de la famille ou du quartier.

Enfin, il y a une multitude d’esprits pas déterminés mais dont il faut bien tenir compte.

Tenez, je vais vous raconter deux anecdotes que j’ai vécues en Afrique. Il y a quelques mois, comme il se trouve que j’y ai de la famille, j’étais en pays Bamiléké. Le chef de famille, ou chef de clan, ou chef de  quartier (on l’appelle le Grand-père), vient m’informer qu’il allait  pratiquer un sacrifice. Comme il me considère un peu comme un notable, il souhaitait que j’y assistasse. Je m’y suis donc rendu. C’était à cent cinquante mètres de la maison au bord du chemin. Il y avait une trentaine de personnes.

          A cet endroit, il y a une grosse pierre. On m’expliqua que cette pierre marquait le lieu où était enterré un ancêtre et qu’on officiait ici pour honorer cet ancien. On sacrifia un jeune bouc que l’on fit cuire sur de la braise en le couvrant de divers feuillages. Puis, une fois cuit, il fut débité en petits morceaux que nous avons mangés pour partager avec l’âme de l’ancêtre et les esprits locaux de la forêt. 

Remarquez, les esprits en question n’étaient pas difficiles à satisfaire parce que nous ne leur avons laissé que les os et un peu de tripaille. Les femmes avaient préparé du pilé de haricot. Ce sont des haricots noirs vaguement écrasés et mélangés à de la purée de pomme de terre,  arrosés d’huile de palme, et agrémentés de diverses épices locales, le tout avec un morceau de manioc. Le Grand père aidé d’un officiant spécialisé distribuaient les morceaux de viande sur un carré de feuille de bananier et les femmes ajoutaient les légumes. Il y avait à côté une caisse de bière et des jus de fruits pour les enfants mais le but était plus de manger que de boire. Il est entendu que tout passant occasionnel est naturellement convié à participer au sacrifice et surtout au « banquet » qui s’en suit. Cela entraîne que certaines personnes ayant eu bruit du projet se débrouillent pour être justement, incidemment, de passage ce jour là. Mais dans un pays où la famine est endémique, les accueillir est considéré comme une chose normale et une bonne action. A un moment, un oncle, vaguement conscient de l’incongruité de la situation tenta, pour justifier la chose, de me laisser penser que la cérémonie avait pour but de réitérer le geste d’Abraham. Je l’ai écouté avec beaucoup de respect mais comme, visiblement, il n’avait pas l’air très convaincu lui-même, je n’ai pas insisté. Le plus amusant de l’histoire, c’est que, tous les organisateurs et la plupart des présents, affirment avec une grande sincérité être catholiques et sont effectivement pratiquants. 

L’autre histoire se passe au même endroit mais une dizaine d’années avant. C’était la première fois que j’allais à Baham. On m’avait dit à plusieurs reprises qu’il fallait que j’aille au sanctuaire. Le sanctuaire, c’est, géologiquement, un reste de coulée volcanique qui s’étend sur une centaine d’hectares. Comme les sols de décomposition volcanique sont très riches, chaque parcelle cultivable est utilisée et il pousse des ignames ou des haricots. Pourquoi est-ce un sanctuaire ? Parce que là, les esprits sont très nombreux et très influents. De ce fait, on me déconseilla d’y aller seul. En effet, les esprits ne me connaissant pas, cela n’aurait pas été bon. Un matin, Jacques, un parent proche mais non biologique (famille polygamique),  décide de nous conduire. Il possédait un terrain dans le sanctuaire et était donc bien connu des esprits et de plus, étant un notable, il pouvait sans inconvénient  me présenter aux esprits. 

Nous voici six ou sept dans la Toyota Corolla. Chemin faisant, il y avait plusieurs kilomètres à parcourir, pour que je comprenne bien ce qui se passe dans un sanctuaire, et à titre d’exemple on me raconte ceci. Dans un autre sanctuaire, un peu plus éloigné, il y a des abeilles. Si tu y vas avec pureté, il n’y a pas de problèmes. Mais, si tu as l’esprit compliqué (traduisez par si tu as des arrières pensées ou des idées retorses ou de mauvaises intentions) les abeilles t’attaquent. Egalement, on m’informe que dans le sanctuaire, je peux faire des photographies, mais pas partout. Il y a des endroits où les esprits ne veulent pas. Certains ont essayé, mais dans ce cas, les photos ont toujours été troubles. Comme je n’avais pas l’intention de contrarier les esprits j’ai affirmé que je ne photographierais que les endroits autorisés par eux. Nous arrivons. Nous descendons de voiture et nous commençons à nous engager dans le chemin. Jacques, qui n’était pas un sot puisque, de son métier, il était médecin et qui d’autre part était très sincèrement catholique, nous rappelle. Attendez, revenez ! Avant d’entrer, il faut consentir un sacrifice. Nous revenons. Dans le coffre de sa voiture, il avait un sac en papier d’une dizaine de kilo de gros sel. Il en  prend deux bonnes poignées, s’avance vers l’entrée du sanctuaire et jette son sel à la volée comme un semeur de blé et ajoute : Ça va, maintenant, nous pouvons entrer. C’était magnifique. A un endroit, coule un ruisseau qui par endroits disparait sous les rochers. Une des femmes présente nous dit : Cette eau, il faut s’en laver les mains et le visage et en boire. Après ça va mieux. Qu’est- ce qui va mieux ? On ne sait pas. Mais ça va mieux. Jacques, par un reflexe d’hygiène médicale nous suggère quand même de boire l’eau plus haut, plus près de la source. Nous remontons donc le cours d’eau sur quelques centaines de mètres et nous suivons la prescription. Un cornet de feuille de bananier et hop, nous buvons. Mon épouse, pour rire, boit et se redresse en disant : Ah oui ! Je vois mieux, maintenant. Pourquoi ? Tu voyais mal avant ? Et elle : Si, je voyais très bien, mais maintenant, je vois encore mieux. Ils sont comme ça, les esprits. On peut les plaisanter et les prendre très au sérieux. 

Nous rentrons à la maison. J’avais une belle sœur qui vivait en Allemagne depuis plusieurs  années. Comme elle avait perdu ses immunités naturelles, elle ne buvait que de l’eau en bouteille. Souvent, pour me faire remarquer des choses discrètement ou bien moi, pour essayer de comprendre un évènement qui m’échappait, entre nous, nous parlions en allemand. Donc, l’après midi, Célestine me glisse en allemand : Tu vois, cette eau, ce matin, je n’aurais pas du en boire parce que maintenant, j’ai mal au ventre. Il est vrai qu’elle était un peu fragile de ce côté-là. Mais moi, très haut et en français : Ah bon ? Tout le monde a bu cette eau et je pense, pour ma part, être au moins autant européen que toi et je n’ai rien. Je pense que tu dois avoir l’esprit compliqué.

Aussitôt, sa mère sur un ton très réprobateur : Ah oui ! Il a raison. Ce n’est pas bien ça ! Si elle avait osé, la Célestine, je crois bien qu’elle m’aurait giflé.

Quand j’y suis retourné, à Baham, il y a quelques mois, je suis retourné au sanctuaire. Un Oncle qui était avec nous, à un moment nous a demandé de nous taire et, tourné vers une cavité où l’eau s’engouffrait, il a adressé une prière. Nous avons adopté une position et un silence respectueux. Comme il parlait en Bamiléké, je n’ai pas tout compris, mais au ton persuasif et conciliant qu’il employait, il était clair qu’il essayait d’intercéder auprès des esprits pour que ceux-ci accordent leur soutien à l’ensemble de la famille. Il y a toujours des endroits où il ne faut pas photographier, mais allez savoir pourquoi, ce ne sont plus les mêmes. Les esprits doivent avoir changé d’avis.

Bon, j’espère que vous avez compris ce que c’est que l’animisme. 

Dans le fond, à des degrés divers, tout le monde, croyants ou incroyants, adeptes de telle ou telle religion, est plus ou moins animiste.

Est-ce plus sot de demander aux esprits de la grotte qu’ils soient favorables au bien être de tous les membres du clan que d’engueuler le fil qui se tortille et se dédouble au lieu d’entrer avec obéissance dans le chas de l’aiguille ?

Maintenant que nous avons mesuré notre animisme, nous allons pouvoir évoquer, dans un premier temps, le polythéisme.

Mais ça, ce sera pour la semaine prochaine.

 

 

 

Le monothéisme II

 

  

   L’animal humain a toujours cette sale manie de vouloir toujours tout expliquer : tout comprendre. Je ne dis pas qu’il est le seul, non ! Un chien qui a déjà reçu des coups de bâton est parfaitement capable de faire un grand détour s’il voit que son maître porte à la main une bonne trique… Surtout si préalablement, il vient juste de dévorer une chaussure toute neuve. Il est donc tout à fait apte à établir des liens de cause à effet.

Pour l’animal humain, cela va beaucoup plus loin. L’homme est capable de transmettre à sa descendance ses constatations personnelles (qu’elles soient justifiées ou non). Ainsi, l’homme a été capable, par exemple, en additionnant ses constatations successives, de comprendre le pourquoi de certaines maladies et, éventuellement de les combattre. Il a su maitriser les phénomènes électriques et, voire, les structures infimes de la matière. Ceci est lié à sa capacité de comprendre et d’expliquer ce qui l’entoure. Alors, et c’est là que je voulais en venir (vous voyez comme je suis retors !), parfois, il se trouve devant une situation extrêmement déstabilisante. Il y a des phénomènes qu’il comprend très bien et dont le mécanisme n’a plus, pour lui, de secrets (il sait allumer du feu et l’entretenir) et dans le même temps, il y en a d’autres qui le dépassent complètement (il ne sait pas d’où vient l’univers). Ceci est très débilitant, se rendre compte qu’il y a des choses que l’on sait expliquer et d’autres qui sont incompréhensibles. Devant les choses qui échappent à son intelligence, l’homme se sent en échec. Il vit cela comme une petitesse, une incapacité, une situation d’impuissance quasi castratrice. Ça, c’est très désagréable, voire insupportable. Il faut comprendre. Il faut expliquer. Il faut expliquer l’inexplicable. Il faut tout expliquer. Cela rassure. Si, j’insiste, cela rassure. Cela donne même une sérénité d’esprit dont vous n’imaginez même pas le confort.

Tenez, à ce sujet, cela me rappelle une anecdote que je vais vous raconter. L’histoire se passe au Groenland. Un technicien en mission scientifique devait passer un chargement de matériel assez lourd de l’autre côté d’un bras de mer encore pris par les glaces. Comme la saison était un peu avancée, il avait des doutes quant à la solidité de celles-là. Rencontrant un Inuit, il lui demande son avis sur la dangerosité de son projet. L’autre, avec le plus grand sérieux lui affirme qu’il passera sans encombres si les esprits sont avec lui. Notre technicien plus inquiété qu’apaisé part en reconnaissance sur la banquise, prend des mesures, opère des sondages et analyse la qualité de la glace. A peu près rassuré, il décide, en divisant son chargement, et avec moultes précautions de passer. Il passe. Quelques jours après, il retrouve son Inuit. Pour lui montrer la puissance intellectuelle et technique du monde scientifique moderne, il lui relate comment il s’y est pris et comment il a eu la capacité d’arriver à bon port. L’autre l’écoute avec attention et finit par conclure : Tu es passé ; c’est bien. C’est que les esprits étaient avec toi. Et hop ! Deux bons siècles de pragmatisme scientifique balayés par le bon gros bon sens animiste.

S’il n’y a pas d’autres solutions, les esprits interviennent. Si le fleuve déborde, ce sont les esprits qui l’habitent qui l’ont gonflé de façon abusive. Si la pluie tombe, ce sont les esprits des nuages qui en ont voulu ainsi. Parfois ils ne veulent pas et le nuage passe sans laisser tomber de pluie. Ah ces esprits ! Ils n’en font vraiment qu’à leur tête ! C’est même pour cela qu’il est pertinent de s’adresser à eux en tentant, par des rites adaptés, d’influer sur leur volonté première.

Si nous avons demandé quelque chose aux esprits et que nous sommes exaucés, c’est que nous avons su trouver les mots, les gestes, les actions aptes à les persuader et à infléchir leur volonté. Inversement, si nous ne sommes pas exaucés, c’est que nous n’avons pas persuadés les esprits ; et si nous n’avons pas su les persuader, c’est qu’ils n’étaient pas persuadables ou que nous nous y sommes mal pris. Dans tous les cas, le résultat devient parfaitement logique : Donc rassurant. Si je tape sur quelque chose avec un bâton et que le bâton se cassant m’envoie le bout cassé sur le tibia, je ne dois pas m’en étonner ; l’esprit du bâton s’est vengé contre moi parce que je l’ai cassé. Ce n’est que justice. En tout bon sens, je dois m’excuser auprès du bâton pour l’avoir cassé.

A force d’avoir une multitude d’esprits variés, il faut bien se rendre à l’évidence que certains sont plus importants que d’autres. Il va de soi que les esprits qui ont fait que, me servant d’un bâton (j’utilise beaucoup les bâtons) j’ai une ampoule dans la main sont des esprits mineurs. Si, si ! Il y en a plusieurs ! Il y a celui qui est entré dans ma main et que je dois prier de sortir de moi et celui du bâton qui aurait sans doute préféré que je le laisse tranquille dans la forêt. Ce sont des esprits largement plus mineurs que ceux qui règnent sur la foudre, la maladie, la mort, ou au contraire la naissance ou la germination.

Il n’est donc pas aberrant de considérer que chez les esprits, il y a aussi une hiérarchie. Il doit bien y avoir des esprits subalternes et des esprits chefs. S’il y a des esprits chefs, il doit bien y avoir des esprits chef en chef. En définitive, il n’est pas très surprenant qu’on en arrive à un esprit suprême… Le roi des esprits, quoi. Celui qui régit un peu tout le reste. Celui que les Indiens d’Amérique du Nord appellent le grand esprit : le grand Manitou. Pour les Algonquins (c’est à eux que le nom de Manitou est emprunté), Manitou est l’esprit des esprits.

  En faisant un tout petit saut, si on s’intéresse aux religions antiques, les esprits  supérieurs sont appelés des dieux. Chez les Grecs, par exemple, il y a trois dieux supérieurs qui se partagent l’ensemble du monde. 

Zeus : la terre, Poséidon la mer et Hadès les enfers. Mais ils ont une multiplicité d’adjoints : La beauté, la sagesse, la germination, la vigne, la guerre sans compter une multiplicité d’autres encore plus inférieurs. Chaque source est habitée par une nymphe (les naïades). Certaines de ces nymphes ne sont même pas immortelles. Les hamadryades qui vivent dans les arbres n’ont de durée de vie que la vie de cet arbre. Les vagues de la mer sont les océanes. Vous pensez bien qui s’il faut répertorier chaque nymphe, la chose est infaisable et n’a pas de sens. En revanche, des gens très érudits se sont amusés à tenter de faire l’inventaire de tous les dieux qui ont un nom. Ils en ont trouvé plus de trois mille. C’est ce qu’on appelle le polythéisme. Vous remarquerez que dans le fond, nous sommes très proches du système animiste. La différence réside dans le fait de la présence de dieux majeurs qui règnent sur l’ensemble du monde. Ces dieux supérieurs ont, par essence, des rapports sociaux et familiaux qui impliquent une hiérarchie (que certains tentent de bafouer, du reste).

Pour les Romains, tout était divinisé. La porte, le toit, les murs de la maison étaient divinisés. Les lares et les pénates, divinités différentes restaient centrées sur le foyer et ceci sans parler du ou des dieux de la maison dans son ensemble des dieux de la famille et de la présence des ancêtres.

Du coup, si on allait prendre l’apéro chez le voisin, il était entendu qu’il était hors de question de contrarier tous les dieux inhérents à la maison et à la famille du voisin. Pour tout individu, respecter les divinités du voisin ne pouvait être qu’un minimum de savoir vivre et aussi, il faut bien le reconnaître un minimum de précaution et de prudence. Chaque cité possédait ses dieux tutélaires. En Grèce, on trouve Athéna et Zeus à Athènes, Apollon à Delphes, Aphrodite à Corinthe ou Thébé à Thèbes. Pour un voyageur qui arrive dans une cité étrangère, respecter les divinités locales revient à la même chose que respecter les divinités domestiques de son voisin. Lorsqu’on voyage, on risque de rencontrer des cités qui pratiquent des rites particuliers à des dieux différents. Si la cité visitée est dans une contrée proche, on peut s’attendre à ce que ces dieux soient connus. Mais si l’on voyage en contrées lointaines, cela peut ne pas être le cas. Un Grec ou un Latin qui voyage en Egypte ou en Perse va découvrir des divinités qui lui étaient étrangères. Puisque les dieux sont quasi innombrables, pourquoi pas celui-ci en plus. Ainsi, un voyageur de retour à sa patrie peut rapporter avec lui des rites et des pratiques qui peuvent s’implanter dans des lieux inattendus. Le culte de Mithra, plus ou moins parti de Grèce, se développe ainsi bien en Perse qu’à Rome et même en Gaule. Pour l’individu, outre les innombrables divinités secondaires, le choix d’une ou plusieurs divinités majeures, dont il se sent le protégé, n’exclut pas la révérence portée aux autres dieux grands ou petits. Dans un système polythéiste, tous les dieux appartiennent à tout le monde et tout le monde appartient à tous les dieux.

A quelques exceptions près, on peut considérer que le polythéisme porte en lui-même une forme de tolérance fondamentale. Ajoutons à cela que, souvent, des rapprochements sauvages sont effectués pour tenter d’assimiler certaines divinités majeures ou non. Une nymphe de source ou de fontaine, d’une région à l’autre, ne fait en définitive que changer de nom et Zeus, Jupiter, Amon Ra ou Ahura Mazda, sont parfois présentés comme assez voisins. Le Teutatès celtique est souvent assimilé au Mars romain. Voisins, certes, mais avec des variantes parfaitement acceptées par tous les voyageurs. Ce qui est important pour un polythéiste, par simple bon sens et un peu de prudence, c’est de savoir vénérer correctement tous les dieux.

Je réitère, le polythéisme ne peut être, par essence, que tolérance et ouverture d’esprit vers d’autres divinités inconnues et donc source de découvertes pour les hommes enclins à comprendre le monde et les autres humains.

Dans le polythéisme, il faut nécessairement que je vous parle un peu de ce qu’on appelle le dualisme.

Prenons les choses par le bon bout. Il y a une multiplicité de divinités plus ou moins importantes. Parmi celles-ci, tout évènement métaphysique peut être rangé de façon dichotomique selon deux critères opposés sans notion de prééminence de l’un sur l’autre : Le chaud et le froid, le jour et la nuit, le masculin et le féminin, la guerre et la paix, la vie et la mort, l’avant et l’après, etc. Les deux choses sont, du reste, souvent mal dissociables. Dans un premier temps, la foison d’esprits inférieurs et de dieux secondaires persiste mais peu à peu, seuls deux grandes entités surnagent et se partagent  l’univers soi sous forme de répartition des tâches soi sous forme plus ou moins conflictuelle. 

Le Mazdéisme, apparu vers le deuxième millénaire avant notre ère, est de ce type. Deux grandes entités majeures complémentaires (Ahura Mazda : globalement maître de la lumière et Ahriman : non moins globalement maître de l’ombre) sont assistés d’un nombre non négligeable d’ « adjoints » plus ou moins créés par eux. Nous sommes encore dans un système polythéiste, mais largement tourné vers une vision dualiste de la métaphysique. 

Cela va durer environ un millénaire et demi mais aux environs du sixième siècle avant notre ère un philosophe prophète (Zoroastre ou Zarathoustra) va instiguer une réforme profonde dans laquelle tous les dieux secondaires vont, plus ou moins, disparaître. Nous sommes dans le dualisme. Plus tard, au troisième siècle de notre ère, un nouveau prédicateur (Mani) va séparer les deux puissances de façon encore plus drastique en y ajoutant la notion de bien et de mal qui jusque là n’existait pas. Ahura Mazda, avec tout ce qui l’entoure, c’est le bien intégral et Ahriman, avec tout ce qui l’entoure, c’est le mal intégral. C’est une dichotomie stricte et sans nuances. De cette vision du monde, nous avons gardé, en faisant référence à son prédicateur (Mani), la notion de manichéisme. Le zoroastrisme, avant l’introduction de l’idée de bien et de mal manichéenne peut être rapproché de la philosophie extrême orientale du yin et du yang.

Il est à noter que, plus tard, les Maîtres de la pensée monothéiste ont tenté, abusivement, de décrire le dualisme comme une forme du monothéisme. Ils cherchaient, d’une part, à s’auto justifier en voyant dans le mazdéisme comme un esprit précurseur (les premiers écrits bibliques n’apparaissant que vers le huitième ou septième siècle avant notre ère ; d’autre part, surtout les musulmans, ils souhaitaient récupérer ainsi un prophète (Zarathoustra) arien et non sémite pour prouver l’universalité du monothéisme.

Maintenant que nous avons parlé de l’animisme et du polythéisme, nous allons pouvoir, dans le prochain chapitre, justifier le titre de cette réflexion en abordant, enfin, la notion de monothéisme.

 

Le monothéisme III

 

Un seul dieu tu aimeras et adoreras parfaitement.

                     Tu n’auras pas d’autre dieu que moi.

Je témoigne qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu.



Vers les huitième et septième siècle avant notre ère apparaissent les premiers textes bibliques. A l’heure actuelle, à ma connaissance, seules, quatre grandes religions se réclament du monothéisme (le Judaïsme, le Christianisme avec toutes ses variantes, l’Islam avec toutes ses variantes et le Sikhisme) et dérivent de près ou de loin de ces textes bibliques.

Ces religions sont, et se déclarent véhémentement, monothéistes. Dieu est le créateur unique de toutes choses (il n’y a pas d’autre dieu que dieu). 

Je signale au passage un détail embarrassant. Dieu a tout créé. Certes. Mais lui, qui l’a créé.  Je dis cela parce que dans les religions hindoues dérivant du Veda, Brahman se crée lui-même en créant l’univers. Il ne fait que ça du reste. Il est un souffle qui s’éveille en s’exhalant comme un son, ou un cri rauque. Dans la mythologie grecque, c’est assez voisin. En suivant les légendes orphiques et selon la cosmogonie d’Hésiode, Chaos s’éveille aussi dans un cri. Vous voyez que la chose n’est pas si simple !

Bon, ne tergiversons pas. Dieu crée le monde et il est seul.   Quand je dis qu’il est seul, c’est, du reste, façon de parler parce qu’il reste d’une part un fond de dualisme avec la notion de Satan et, d’autre part, un fond de polythéisme avec la « trinité » et le culte porté à Marie (pour les catholiques) sans compter tous les saints (pour les mêmes catholiques). Toujours chez les chrétiens, les protestants ont bien senti cette contradiction et ont   expurgé leur pratique de tout cela. 

Ce qui est curieux, c’est que l’église romaine c’est dressée férocement contre des tendances qui tendaient à ré officialiser un dualisme. La répression contre les cathares et les bogomiles a été sanglante. Il est à noter que les musulmans s’en tirent beaucoup mieux avec Satan. Voici comment l’Islam comprend et explique la chose. Lorsque Dieu eut créé Adam, il demanda aux anges qui étaient autour de lui de s’incliner devant l’homme. Satan, considérant qu’il avait été créé avant Adam, et de ce fait supérieur hiérarchiquement à lui, refusa de s’incliner. Dieu, très en colère, le menaça, s’il ne s’exécutait pas de le détruire. Alors, Satan lui répondit : Je préfère que tu me détruises. Je ne te demande qu’une seule chose, c’est que tu ne me détruises que quand l’homme aura disparu. Dieu accepta le marché et le précipita hors de l’Eden. Depuis, Satan, plein de haine et de rancœur envers les humains, déploie toute son énergie à pousser ceux-ci à des actes répréhensibles et impies. Et voila. L’affaire est tranchée. Satan n’est pas un anti Dieu. Il n’est qu’une créature de Dieu qui étanche sa colère, avec l’accord de Dieu, en poussant les humains au mal. Nous sommes donc bien dans un monothéisme.

Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu.

Je présume que toi, lecteur, tu possèdes un certain nombre de connaissances du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam souvent d’une manière pas très fiable, d’ailleurs. Nous y reviendrons si le besoin s’en fait sentir. En revanche, je crains que tu soies moins informé sur quelques autres grandes religions. Rassures toi, je ne vais pas t’en faire des descriptions exhaustives.

J’en suis fichtrement incapable et il existe d’excellents livres pour cela. Je veux te parler de quelques grandes religions monistes. Le monismeest une notion philosophique métaphysique. C'est la doctrine fondée sur la thèse selon laquelle tout ce qui existe (l'univers, le cosmos, le monde) est essentiellement une unicité, et donc, notamment, que cela est constitué d'une seule substance (réalité fondamentale qui n'a besoin que d'elle-même pour exister). Le monisme s'oppose à toutes les philosophies dualistes, qui séparent, de plus, le monde matériel et le monde spirituel, le monde connu et l'au-delà. 

Le Taoïsme (religion traditionnelle de la Chine) est une religion moniste. C’est vrai. Cependant, elle conduit à une division bipartite de l’univers : le yin et le yang. Je vous accorde que cette séparation est plus dialectique que dualiste. Il n’en reste pas moins vrai que le monde est coupé en deux par une dichotomie totale. Je me refuse donc (de façon parfaitement arbitraire) à considérer le Taoïsme comme une image stricte du monothéisme. 

Ce serait pour moi comme un monothéisme coupé en deux et, je ne voudrais faire de la peine à personne, mais c’est précisément cela que j’entends par dualisme.

Les grandes religions de l’Inde, l’Indouisme et le bouddhisme se veulent aussi monistes. C’est vrai. Mais le dieu central est triple (Brahma, Vishnou et Shiva). Brahma est l’origine, Vishnou le repos et la continuité et Shiva le mouvement et la rupture. Si l’on ajoute que dans la vision héritée des Veda on retrouve deux notions antagonistes : Le Dharma (l’équilibre du monde) et l’Adharma (qui est au contraire le déséquilibre du monde), on se retrouve une nouvelle fois dans une vision dualiste.

De ces trois exemples, on peut conclure que le monisme n’est pas un gage de monothéisme.

Le Sikhisme est une religion du Nord Ouest de l’Inde apparue vers le XVème siècle. Elle a été prêchée par le gurû Nanak (1469 1539). Pour les sikhs, chaque être, chaque objet, chaque atome n’est qu’une étincelle de la suprême lumière. Le sikhisme s’élève contre les discriminations (Hommes femmes, castes, hindous et musulmans, etc.). Il prêche une tolérance totale. Nanak disait : il n’y a ni Hindous ni Musulmans, il n’y a que des disciples. Disciple se dit dans la langue locale « sikh » ; d’où l’appellation. Le sikhisme est donc strictement monothéiste. J’irai même jusqu’à penser que c’est la religion la plus effectivement monothéiste.

En résumé, disons qu’il n’y a que quatre grandes religions monothéistes : Le judaïsme, le christianisme, l’islam et le sikhisme.

Comment ces religions se répandent-elles ? 

Pour les Israelites, les juifs sont le peuple élu. Le Judaïsme est une religion révélée. Parmi tous les peuples de la terre, Dieu en a choisi un et lui a accordé la bonne parole. Si Dieu a choisi ce peuple là, c’est qu’il avait ses raisons. On ne va tout de même pas s’élever contre son choix et sa décision suprême ! Si Dieu n’a pas choisi qu’un individu naisse dans le peuple élu, pourquoi voudriez vous que ce quidam, par sa propre petite décision d’humain non reconnu par Dieu, puisse entrer dans la communauté choisie par le très haut ? Un homme blanc ne peut pas devenir noir. Il s’en suit que le peuple élu ne peut se répandre que par sa prolificité propre et éventuellement en éradiquant (ou, à la rigueur en maintenant en main d’œuvre servile) tous les peuples inférieurs non élus. Il est à noter que la qualité de juif se transmet par la mère. Lorsqu’un enfant nait, On est certain de qui est la mère. Pour le père, c’est plus discutable. Je vous accorde que de manière récente, avec la multiplication des mariages mixtes, des enfants nés de père juif et de mère non juive peuvent être réintégrés dans le peuple élu.

 Lorsque le Christ prophétise, il apporte une immense révolution humaniste. Pour lui, celui qui veut entrer dans le royaume de Dieu le peut par sa simple adhésion. Il suffit qu’il vienne avec une âme pure d’enfant. Tout le monde connait la parabole : « Laissez les enfants venir à moi » (Marc 10 13-15). Du coup, l’expansion du Christianisme va se faire par la parole. Le prosélytisme est un devoir de tout bon chrétien. Il doit aider ceux qui n’ont pas reçu la bonne nouvelle. Le chrétien a pour mission d’évangéliser les incroyants. Un chrétien, en toutes circonstances, c’est un missionnaire. Alors, je sais… Quand le christianisme devient religion officielle puis religion d’état, emporté par sa piété, quand la persuasion ne suffisait plus, à eu un peu tendance à remplacer la parole par l’épée. Croisades, inquisition… Les seuls bons incroyants qui existent sont les incroyants morts. Cette pratique n’a pas duré plus d’un millénaire. Depuis deux bons siècles, on ne voit plus de bûchers d’auto da fe. Il n’en reste pas moins que tout bon chrétien, en toutes circonstances, en toutes réunions se reconnaît la mission d’apporter la parole divine de la foi.

Pour ce qui est de l’Islam, la situation est assez comparable. Cependant, on ne constate pas de vraies croisades ni de vraies répression du type de l’inquisition. Attention ! Je ne dis pas que les musulmans ont toujours été des angelots mais il faut reconnaître que l’expansion de l’Islam, du moyen orient jusqu’en Espagne s’est faite sans trop de heurts. Les musulmans étant très pragmatiques, ils utilisèrent un système qui peut surprendre. Les non musulmans, comme ils ne participaient pas à la part religieuse de l’état, en compensation, devaient payer une taxe. Là, il y a deux situations. Ou bien on préfère toucher de l’argent, ou on veut obtenir des conversions. Si les taxes sont trop élevées les gens vont se convertir et on ne touchera plus rien. Si les taxes sont supportables, beaucoup préfèreront payer et garder leur foi et leur pratique. C’est le procéder généralement utilisé par les Turcs pour obtenir l’islamisation dans les Balkans. Il faut avouer que la « guerre sainte », au début est une guerre fort peu belliqueuse. C’est surtout une guerre intellectuelle. Il est entendu qu’il ne faut pas non plus leur chercher des poux dans la tête. Quand les croisés viennent chez eux leur chercher la bagarre, ils la trouvent. Et là, la guerre, c’est la guerre. Tout en étant aussi prosélytes que les chrétiens, on peut dire que les musulmans ont une plus grande capacité de tolérance. Pour étayer mes dires, je vais vous évoquer deux choses.

La première est dans le Coran. Le prophète légifère assez longuement sur la façon dont un musulman doit agir lorsqu’il a une épouse d’une autre religion du livre. Il doit veiller à ce que son épouse profite pleinement des possibilités matérielles et morales de pratiquer sa religion. Il faut dire que Mahomet était directement concerné puisque sa troisième femme, Myriam, était juive. Donc, le musulman doit respecter la foi de l’autre.

La seconde histoire est plus personnelle. Il y a une vingtaine d’années, je traînais en Tunisie. J’étais à une soixantaine de kilomètres au sud de Foum Tataouine. Je voulais voir un village troglodyte taillé à flanc de falaise dont j’ai oublié le nom. Je descends de voiture. Un jeune homme m’aborde. Il me propose de me montrer un lieu qui me plaira. Comme je ne suis pas idiot, je comprends tout de suite qu’il veut surtout m’offrir ses services comme guide. Comme, précisément je me disais que cela serait bien pratique, je lui donne cinq dinars et nous voila partis. Dans un premier temps, pour m’épater, il se met à courir comme une chèvre dans les escarpements rocheux. Je le suis. A un moment, il se retourne. Il me regarde d’un air ahuri de me voir là. Alors, je lui explique, avec mon mauvais arabe, qu’en France, il y a aussi des montagnes et que moi aussi, j’habite dans la montagne. Alors, il rit et nous continuons notre chemin. Au bout d’un quart d’heure ou vingt minutes, nous arrivons dans une grotte aménagée gardée par un vieux Monsieur. Nous entrons. La grotte avait un diamètre d’une dizaine de mètres avec un plafond de trois mètres. Sur les parois, il y avait deux niches bien différenciées. Quand on était au centre de la grotte, c’est deux niches formaient un angle d’une trentaine de degrés. Celle de droite, tournée vers la Mecque présentait les deux colonnes typique du mihrab. L’autre, tournée vers Jérusalem était un autel chrétien. Le jeune homme m’a dit avec triomphalisme : Tu vois, ici, nous pouvons prier tous les deux. Je présume que cette grotte avait été une église chrétienne et au moment de l’islamisation de la région qui a du être progressive, on a rajouté le mihrab sans supprimer l’autel. Puis, au fil des siècles, la chose est restée. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais je ne suis pas d’une piété fracassante. Il n’empêche que j’ai été ému de cette tolérance creusée dans la pierre.

Cela dit, le prosélytisme musulman est aussi très présent. Mais, il est différent. Tenez, encore deux épanchements de souvenirs.

Un Jour, en Tunisie, nous étions allés manger chez des amis. Nous devions être une quinzaine de personnes. Comme c’était très bon, je me suis gavé comme un goinfre. A un moment, la maîtresse de maison me représente un plat de gâteaux. Comme je n’en pouvais plus, je la remercie. Elle me demande : Ils ne sont pas bons les makhrouts ? Et moi, spontanément, sans réfléchir, je lui réponds par une expression souvent dite par chez moi : Si ! Ils sont très bon, mais les makhrouts, c’est quand même un peu étouffe chrétien. J’ai eu beaucoup de succès. Par la suite, Sahla, la femme de mon ami, en fin de repas me demandait en riant : alors ? Ce n’était pas trop étouffe chrétien ? 

L’autre histoire se passe au même endroit, mais pas lors du même voyage. J’étais arrivé lors de la troisième semaine du Ramadan. Bien sûr, si j’avais voulu, j’aurais pu, aller à la cuisine et me préparer un repas. Même, je suis persuadé qu’une des Dames présentes s’en serait chargée. Mais, comme je suis bien élevé, je faisais comme tout le monde. Un jour, Mounia, la sœur de mon ami, qui était une femme très pieuse, me dit avec le plus grand sérieux : Dans le fond, Jean, toi, tu es un bon musulman. Un peu surpris, je lui demande en souriant comment elle en était arrivée à cette conclusion. Elle : Tu as dit la profession de foi ? Comme il se trouve que j’ai étudié la langue arabe, je dois bien reconnaitre que je suis tombé dessus et que pour l’exercice, je me suis appliqué à la prononcer correctement même si je ne suis pas très sûr d’avoir eu la conviction requise. Je lui réponds donc (hypocritement) que oui. Je rappelle pour la compréhension de la suite quels sont les cinq piliers de l’Islam : Avoir dit au moins une fois dans sa vie la profession de foi, être charitable, respecter le Ramadan, pratiquer la prière et accomplir le pèlerinage à la Mecque. Seul, le premier est obligatoire. Tous les autres sont facultatifs. Alors, Mounia ajoute : Tu vois ! Tu as dit la profession de foi. Tu es un homme charitable puisque tu travailles dans un hôpital. Je lui fais remarquer que j’accomplis ce travail surtout pour être payé à la fin du mois. Elle balaie ma réponse en ajoutant que si j’ai choisi ce métier plutôt qu’un autre, c’est par charité et elle termine en me faisant remarquer qu’en plus, je respecte le Ramadan. Elle venait donc de m’apprendre que j’étais un bon musulman.

Pour ce qui est du prosélytisme, les Sikh sont, je pense les meilleurs virtuoses. Souvenez-vous cette idée de Gurû Nanak il n’y a ni musulmans ni hindouistes, il n’y a que des disciples. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’hérétiques, il n’y a que des oreilles à convaincre. De plus, pour les Sikhs, il n’y a pas à proprement parler de lieu de culte. Le seul temple est la parole. Alors, plus prosélyte que ça je ne sais pas si on peut imaginer.

Maintenant que nous avons émis quelques considérations générales sur le monothéisme, nous allons pouvoir, dans le prochain chapitre, envisager quelques conséquences dans la vie pratique de la société. 




  Le Monothéisme IV

 

 

Des conséquences de la foi monothéiste, j’en vois essentiellement trois grandes familles (qui sont évidemment très intriquées entre elles).  

D’abord, il y a tout ce qui tourne autour du prosélytisme. Ensuite, il faudra considérer ce qui est lié à la charité et enfin tout ce qui tient au respect de la volonté divine.

 Nous avons déjà parlé dans le chapitre précédent du prosélytisme. Mais nous allons en redire deux mots. 

Le prosélytisme, rappelons-le, cela consiste à susciter, à produire des prosélytes, c'est-à-dire de nouveaux adeptes. Tout le monde a déjà subi des gens qui viennent, dans les domiciles, sonner pour apporter la bonne parole. Toutefois, le prosélytisme, cela peut être plus sournois, plus larvé, plus souterrain. Cela peut consister, dans toutes assemblées, à soutenir le discours de la religion. Il est entendu que je trouve normal que tout individu puisse exprimer sa pensée. Où cela devient encombrant, c’est quand quelques personnes bien organisées, qui se sont plus ou moins cooptées entre elles, qui se donnent un aspect plus ou moins officiel, en arrivent à polluer une réunion en tentant d’imposer leur discours religieux sous des aspects faussement humanitaires. Il est à noter que les comités d’éthique médicale sont largement aux mains, en France, des chrétiens de l’église catholique. 

Du coup, les réflexions sur les problèmes de contraception, d’interruption volontaire de grossesse, d’approche de la mort sont complètement faussés. On ne réfléchit pas sur la question, mais on tente d’imposer la position de l’église romaine. L’idée est d’imposer la position religieuse comme si c’était une chose normale et naturelle. Comme s’il était évident et irréfutable que tout le monde est en accord avec la dite position religieuse.

Remarquez, ils ont raison, ces croyants de demander des choses qui sont en concordance avec leur certitudes religieuses… Si personne ne s’y oppose.

         Tenez, un exemple. Dans mon village, il y a une foire annuelle qui se tient un Dimanche du mois d’Août. Oh ! Pas une grosse foire, hein ! Non, une petite foire de village où quelques centaines  de personnes viennent s’amuser et se rencontrer. Il y a quelques années, Une brave Dame a demandé, sans rire, que pendant la durée de la messe, on arrête la foire. Pas à cause du bruit, non, entre le lieu où se tient la foire et celui où se pratique le rite, il y a plusieurs centaines de mètres. 

Non, juste pour le principe. L’austérité de l’office doit être respectée. Des gens se sont posé des questions sur le bien fondé de la chose. Bien sûr, dès que j’ai eu vent de la demande, j’ai vigoureusement abondé dans le sens de la demandeuse. J’ai même suggéré que pour que la chose soit plus efficacement respectée, on attrape les contrevenants, ces misérables qui osaient continuer de rigoler en buvant des verres de vin blanc pendant l’Eucharistie, et que, à la sortie de la Sainte Messe, publiquement, on les brûle pour l’exemple et pour expier les fautes de la communauté. Cela ne s’est pas fait.

Le prosélytisme, cela consiste, bien sûr, à initier des non croyants et en faire des prosélytes, mais aussi à inciter et habituer le peuple à respecter des pratique conformes à la religion.

Le deuxième aspect est lié à la charité.

La charité chrétienne est une expression bien connue et la charité est aussi le deuxième pilier de l’Islam. Alors là, je te vois, oh mon lecteur chéri, mon disciple respecté, mon zélateur fidèle, te dresser de ta chaise et t’écrier : Ah non ! Pas toi ! Pas ça ! Tu ne vas tout de même pas dire du mal de la charité ! Bah non. Bien sûr. Encore que, si, un peu quand même. Tout dépend de ce qu’on entend par charité. 

Si, par exemple, dans la rue, à côté de moi, un brave vieux laisse tomber sa canne. Je vais me baisser, la ramasser et la lui rendre. Je suis donc charitable. La charité, cela consiste à aider une personne momentanément en situation de détresse et ceci sans en attendre de contre partie. La charité me paraît, par essence désintéressée. Dans ce cas, être charitable me semble une simple question de bon sens.

En revanche, pour un monothéiste, la charité est une obligation. Le monothéiste doit être charitable. Il n’a pas le choix. Il en va de son accession au paradis des justes. Pour le monothéiste, la charité devient un investissement. Il faut être charitable. Il faut accomplir de bonnes actions. Tenez, cela me rappelle cette histoire qui se passe dans une classe d’une école chrétienne. Un matin, la maîtresse demande : Qui a fait une bonne action, hier ? Jojo lève la main et dit : Moi, Madame. Hier soir, j’ai aidé une vieille Dame à traverser la rue. C’est bien Jojo. Tu as fait une bonne action. Vous voyez, tous Jojo à accompli une bonne action. Et toi, Lulu ? Moi, Madame, j’ai aidé Jojo à aider la vieille Dame à traverser la rue. La Maîtresse : Ah oui ? C’est bien aussi. Et toi Gégé ? Moi, Madame ? J’ai aidé Jojo et Lulu à aider la vieille Dame à traverser la rue. La maîtresse. Bon. Bah c’est bien aussi. Alors, Mimile lève la main et déclare : Moi aussi, Madame j’ai aidé Jojo, Lulu et Gégé à aider la vieille Dame à traverser la rue. La maîtresse commence à marquer des signes d’agacement. Puis, Momo, Phiphi, Nono, Gégène et tout le monde affirme sa participation à l’œuvre collective. La Maîtresse éclate : Mais enfin, il ne faut pas être vingt cinq pour aider une vieille Dame à traverser la rue. Alors, Nénesse, le cancre de la classe, ajoute : Oh si Madame. Si vous aviez vu comme elle se débattait ! Hé, c’est qu’elle ne voulait pas, elle !

Les monothéistes ont ce talent remarquable de vous imposer leurs bonnes actions contre votre gré.

Vous ne me croyez pas ? Tenez, dans mon village, la municipalité organise chaque année un repas pour les personnes âgées. C’est une très bonne chose. Cela permet à des gens qui n’ont plus l’occasion de se rencontrer de se retrouver. Cela permet à des hommes et des femmes, qui ont tendance à se replier sur eux-mêmes dans leur maison, de sortir et de renouer le contact avec le monde extérieur. C’est donc une excellente initiative. C’est une bonne chose. C’est une bonne action. Comme il se trouve que je suis déjà d’un âge avancé, chaque année, je reçois une information sur la tenue de ce repas des anciens. Cependant, j’ai la capacité mentale et physique de sortir de chez moi, je suis capable d’aller voir des amis, d’aller traîner mes savates en ville, d’aller manger où bon me semble, j’en déduis que je ne suis pas vraiment concerné par la chose… Surtout si l’on considère que je n’ai pas forcément envie de me retrouver avec des gens avec qui je n’ai pas spécialement d’affinités. Donc, je n’y vais pas. Je préfère aller voir mes comparses individuellement quand la fantaisie m’en prend. Et bien, croyez moi ou ne me croyez pas, des édiles municipaux, à deux reprises, sont venus m’en faire le reproche. Vous vous rendez compte ? Je ne veux pas que l’on me donne la main pour m’obliger à traverser la rue. Je suis donc un affreux empêcheur de pratiquer des bonnes actions. Si tout le monde était comme moi, comment pourrait-on pratiquer la charité ?

Je vous rappelle que, pour un monothéiste, ne pas pratiquer la charité, c’est risquer d’être précipité dans la Géhenne. Par ma mauvaise volonté, je suis donc celui qui va pousser le gentil monothéiste vers les flammes sulfureuses de l’enfer.

Un autre exemple : La ceinture de sécurité dans les voitures. La ceinture, c’est une très bonne chose. Cela diminue notoirement la gravité des blessures en cas d’accident. Inciter les gens à l’utiliser, c’est aussi une bonne croisade. Même, que les assurances refusent d’indemniser une personne s’il est patent qu’avec la ceinture elle n’aurait pas subi d’aussi graves atteintes, c’est normal. Mais de là à verbaliser un individu qui ne la porte pas, je trouve cela à la fois absurde et intrusif. Un passager d’un véhicule automobile qui ne boucle pas sa ceinture ne fait prendre de risque qu’à lui-même. Il n’est pas dangereux pour la société. 

J’ai connu une Vieille Dame qui refusait de porter cette fameuse ceinture. Une fois, elle était dans ma voiture, comme je le lui conseillais, elle a fait semblant. Elle l’a mise devant elle, l’a maintenue avec son coude, pour ne pas avoir d’ennuis avec la maréchaussée, mais ne l’a pas accrochée. Considérant qu’elle ne faisait de tord potentiel à personne d’autre qu’à elle, j’ai souri et je n’ai pas insisté.

 Allez, un dernier exemple. Les passages pour piétons.

C’est bien les passages pour piétons. C’est utile. Cela permet aux piétons de traverser la rue même si le flot des voitures est ininterrompu. Mais quand il n’y a pas de voiture ? Si, si ! Il faut emprunter le passage pour piétons. C’est obligatoire. Un jour, j’étais à Hambourg. J’étais allé à une fête avec ma belle sœur. Nous rentrions vers quatre heures du matin par le premier métro. Il nous restait quelques hectomètres à parcourir à pied. Le jour venait de se lever et comme c’était un dimanche matin, tout était désert. Nous traversions les rues en suivant de vastes diagonales et en riant comme des imbéciles à l’idée que les Allemands, eux, auraient fait un détour de cent cinquante mètres pour aller utiliser le passage réservé et traverser bien à angle droit. Nous étions de grands rebelles !

Bon, vous avez compris ? La charité, cela n’est pas toujours très charitable. Le monothéiste doit être charitable. Il se sent la mission de sauver l’humanité.

Il doit secourir son prochain. Même quand le prochain n’a pas envie d’être secouru. Souvent, j’aimerais que les gens charitables aient la charité de ne pas m’imposer leur charité. Cela me rappelle un petit opuscule de Schiller (Johann Christoph Friedrich von 1759 1805) qui s’appelle : « De la grâce et de la Dignité » (même si c’est quasi introuvable, vous devriez le lire). Il explique ce qu’il entend par la grâce, puis par la dignité et il en arrive à dire que lorsqu’on fait un don, il faut le faire avec grâce afin que l’autre puisse recevoir sans perdre sa dignité. Je présume que nos amis monothéistes n’ont pas du le lire. En imposant leur charité, ils ne se rendent pas compte qu’ils dégradent la dignité des autres.

Il y a aussi un autre travers à la charité. C’est l’ostentation. Je me souviens d’un vieux Monsieur, en Tunisie qui me disait : si tu donnes quelque chose à un malheureux, il faut que personne ne s’en rende compte. Si cela se voit, tu risques d’humilier celui que tu aides et du coup de lui retirer la valeur de ce que tu lui donnes. Je vous rappelle l’image archaïque, celle des bonnes bourgeoises qui autrefois, à la sortie de l’église, affectaient de faire l’aumône aux pauvres. Nous avons aussi l’expression qui brocarde le même genre de personne en disant « elle tricote des chaussettes pour les pauvres. ». Mais sans vouloir caricaturer, nous connaissons des gens qui sont connus pour leurs innombrables et permanentes bonnes actions. Sont-ils vraiment charitables ou bien plutôt, ne cherchent-ils pas surtout à ce que tout le monde le sache ? Qui veulent-ils surtout persuader de leur charité ? La foule ou eux même ? Ne rêvent-ils pas de se justifier et se valoriser à leurs propres yeux? Ne souhaitent-ils pas surtout persuader Dieu qu’il aurait bien tord de ne pas les recevoir au sein de son paradis ? Celui qui se fait de la charité un devoir n'est-il pas en définitive que charitable envers lui même? Alors, j’en reviens à ce que je disais. La charité doit être désintéressée. Pour le monothéiste, ce n’est pas le cas. Pour lui, la charité n’est elle pas, bien souvent, qu’un investissement ? Et même si ce n’est pas le cas, Je ne peux pas m’empêcher de penser que la charité de celui qui n’a pas de paradis à gagner est bien plus crédible.

Vous voyez que je n’avais pas que du bien à dire de la charité. Je ne fais pas exprès, hein, je suis comme ça.

La charité, je n’en ai pas fait le tour. Je devrai y revenir encore. Mais préalablement, il faut que je vous parle d’autre chose. Le monothéiste ne peut pas envisager de remettre en cause la volonté divine. Je ne pouvais pas y réfléchir avant d’avoir parlé de la charité. Mais quand j’aurai évoqué ce problème, vous verrez que revenir à la charité sera une nécessité et une explication. 

 

  Le Monothéisme V

 

Il y a une chose qui est une évidence pour tout le monde. Il est hors de question et il serait absurde pour le croyant monothéiste de remettre en cause la parole ou la volonté divine. Je sais, cela à l’air d’une vérité première. C’en est une. Mais justement, c’est là que le bat blesse.

Attendez, pour que vos cervelles nuageuses s’y retrouvent, je commence par prendre le problème à l’envers. J’espère que vous notez ma sollicitude à votre endroit.

Pour un polythéiste, il est normal et logique que l’on vive des situations paradoxales : tantôt le mouvement et l’agitation quand Shiva triomphe et s’exacerbe et tantôt le marasme de la morosité quand Vishnou s’impose. L’équilibre du monde se réalise (le dharma) quand l’un et l’autre agissent d’une force égale. Si l’on veut voire un changement, on peut prier l’un et si l’on préfère une continuité, s’adresser à l’autre. On peut même dans les deux cas s’adresser aux deux en priant l’un de se tenir tranquille et l’autre de se remuer un peu. Et je n’ai choisi qu’un cas où ils ne sont que deux. Alors, vous pensez, s’ils sont plusieurs milliers, on fait bien ce qu’on veut.

De toutes façons, si les dieux influent d’une manière ou d’une autre, c’est qu’ils ont leurs raisons. Cependant, on peut prendre fait et cause pour l’un plus que pour l’autre selon son choix personnel.

Si un dieu est unique. Il est la source, la cause et l’aboutissement de toutes choses. Lui aussi, s’il décide quoi que ce soit, c’est qu’il a bien ses raisons. S’il a choisi ruines, épidémies, sécheresse, conflits, tremblements de terre, misères spoliations et autres joyeusetés, c’est qu’il avait ses raisons. Il serait donc de la dernière impiété de vouloir aller contre. Si le dieu choisit des horreurs pour les humains, ce ne peut être qu’en représailles à de mauvaises actions des hommes. Il les punit de leur méchanceté ou de leurs dévoiements.

Si les dieux sont multiples, ils sont par essence différents et agissent de façon contradictoire, voire opposée. Il appartient, alors, aux hommes de louvoyer entre toutes les possibilités et de parcourir leur chemin propre.

En revanche, si le dieu est unique. Il ne peut être que la sagesse suprême et n’agir qu’avec la plus extrême intelligence. S’élever contre les agissements divins, ne peut être qu’une action impie, hérétique et blasphématoire.

Je rappelle que pour un polythéiste, l’impiété consiste à refuser de révérer un dieu quelconque. Pour le monothéiste, l’impiété, c’est en révérer un autre. C’est du reste cela qui à conduit aux persécutions des chrétiens à Rome. Ce qui leur était reproché, ce n’était pas qu’ils soient chrétiens et qu’ils aient leur dieu à eux. Ce qui leur était reproché, c’était qu’ils refusent de vénérer un dieu particulier. Ce dieu particulier, c’était l’Empereur qui, étant divinisé, devait recevoir culte. Les chrétiens refusant de vénérer un dieu (parmi tant d’autres) étaient donc impies.

Pour un monothéiste, il est entendu que le dieu ayant tout créé, celui-ci ne peut avoir que tout créé bien. En effet, si le dieu unique avait, dans un seul domaine commis une erreur même insignifiante, il ne serait plus un dieu total et absolu. Il n’est pas pensable que le dieu unique se trompe. Le dieu unique a tout créé et a tout créé bien. D’autre part, un dieu unique ne peut être que bon. Imaginez un dieu unique mauvais, méchant, dévastateur. Ce serait absurde. Puisque il a tout créé, s’il était destructeur, cela reviendrait à détruire son œuvre, donc à s’auto détruire. Vous vous rendez compte ? Hé ! Le dieu unique n’est quand même pas suicidaire ! Dans le fond, le dieu unique ne peut être que bon. Il n’a pas le choix. Donc le dieu unique a tout créé bien et il est bon. Souvent, les gens, du reste disent le « Bon dieu ». Les deux choses fonctionnent d’ailleurs ensemble. Il est parfait et a bien créé tout parce qu’il est bon ; et il est bon parce qu’il a bien tout créé. Suis-je clair ? Le dieu unique est parfait et bon. Il est parfaitement bon.

Il s’en suit que le monothéiste ne peut pas remettre en cause une situation d’origine divine sans dénoncer la nature parfaite et bonne du dieu unique. Toutes les décisions du dieu unique ne peuvent être que parfaites et bonnes. Comme le dieu unique à tout créé et que étant bon, il a tout créé bien, rien de ce qui existe ne peut être que parfait et rien de doit être dénié. La totalité de l’univers étant l’œuvre du dieu unique, rien de sa création ne peut être transgressé. L’ensemble du cosmos étant lié à la volonté divine,  imaginer d’y changer quoi que ce soit ne pourrait être que menées impies et hérétiques.

Il se trouve que, accessoirement, les hommes sont créés (comme tout le reste) par le dieu unique. Il s’en suit que la société humaine est aussi une création divine.

Vouloir modifier la société humaine (création divine) ne peut être que blasphématoire.

Il s’en suit que le monothéiste convaincu ne peut pas admettre que l’on change quelque chose à l’organisation de la société humaine. Vous savez, quand vous tenez des propos sur le fonctionnement social qui laisse entendre que vous trouvez que tout n’est pas que justice, le monothéiste convaincu vous attrape le bras gentiment et vous dit sur un ton goguenard : Allons, tu sais bien que cela a toujours été comme ça et que ce le sera toujours !

Disant cela, il se trompe.

Il se trompe même deux fois.

Premièrement, il est faut d’affirmer que cela a toujours été comme ça. Chez les chasseurs cueilleurs primitif, vu que l’on na pas la capacité d’emmagasiner, il est absurde de thésauriser et donc, un individu seul ne peut pas accaparer démesurément la richesse collective. Un magnat du pétrole peut gagner mille fois plus qu’un de ses salariés. Un bushman ne peut pas manger mille fois plus que son compagnon de chasse.

Deuxièmement, il se retrompe, mais cette fois-ci de façon sémantique. Il dit : « et ce sera toujours comme ça ». Non ! Il devrait dire : et, refusant de m’élever contre la volonté divine, je ne souhaite pas faire quelque chose pour que cela change.

 Le monothéiste respectueux de la puissance créatrice ne peut que vouloir conserver la création divine.

Lorsqu’on est enclin à vouloir conserver une situation existante, cela s’appelle, en bon français, être conservateur.

Le monothéiste, cohérent avec lui même, ne peut être que conservateur.

Il est à noter que pendant tout le dix neuvième siècle et une bonne partie du vingtième, en France, la position de l’Eglise, et donc de ses fidèles, était un retour vers un système monarchique. Les rois de France étaient, c’est bien connu, rois de France par la grâce de Dieu. Pas la république. Au même titre, lors de la révolution de 1789, les régions les plus antirépublicaines se confondaient avec les provinces les plus marquées par la foi.

Si l’inégalité parmi les hommes est le choix de la puissance divine, vouloir diminuer cette inégalité est vouloir diminuer la puissance supérieure et est donc une œuvre condamnablement impie.

Bon, ça va ? Vous avez compris jusque là ? 

Parce que c’est maintenant que les choses se compliquent.

 Il y a d’abord une chose qui me surprend toujours, c’est la casuistique des choses, toutes créations divines, que l’on peut modifier et d’autres pas. Par exemple, transformer une immense prairie en terre à blé (comme le middle west américain), modifier le cours d’un fleuve, créer d’immenses lacs artificiels, ça, on peut. Modifier génétiquement certaines plantes comme le maïs (pourtant création divine), ça, on peut aussi. Mais modifier le fonctionnement de la société humaine, ça, non. C’est impie.

Il va de soi que le monothéiste ne va pas vous dire, comme ça, en pleine figure : je suis croyant en un dieu unique, donc, je suis contre le progrès social. Il ne va, de plus, pas vous le dire parce que, confusément, il ne s’en rend pas compte lui-même. Il peut se sentir bon, noble et généreux et par-dessus le marché, être, réellement, foncièrement bon noble et généreux, et ne pas mesurer à quel point il tient des positions immobilistes.

Le monothéiste qui, obscurément se rend bien compte que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes  voudrait, paradoxalement, œuvrer pour un monde meilleur mais en ne touchant surtout pas ce qui, précisément, le rend mauvais.

Vous ne me croyez pas ? Pourtant, n’avez-vous jamais entendu dire lors d’élections municipales : Oh ! Dans les petits villages, comme chez nous, une élection municipale, ce ne peut pas être politique. Il ne s’agit que de gestion. Bah voyons ! C’est absurde. La politique, au sens premier du terme, cela veut dire l’organisation de la ville (Polis, en grec, cela veut dire ville). Lorsqu’on veut organiser une ville (polis) ou une commune, cela ne peut pas ne pas être politique ! Cela voudrait dire vouloir organiser une commune sans organiser la commune. Je vous dis, c’est absurde. C’est aussi absurde que le boulanger qui dirait : Oh vous savez, dans un petit village comme le notre, le rôle du boulanger n’est pas de faire du pain. Cette absurdité serait risible si elle ne cachait pas autre chose. En fait, les gens qui disent cela veulent affirmer que s’ils sont élus, ils s’engagent à ne surtout rien changer à ce qui existe. Ils seront de bons exécutants, ils se comporteront strictement comme de bons fonctionnaires dévoués aux consignes d’une hypothétique hiérarchie. En rien, ils ne seront les porte-parole du peuple qui les a élus. Avec eux, nulle revendication. Avec eux, juste une obéissance dévouée à la parole du très haut. Je me souviens d’un maire dont la maîtresse parole était lorsqu’on lui suggérait de réclamer quelque chose : Oh ! Il ne faut pas se mettre mal avec ces gens là. Autrement dit : surtout ne nous faisons pas remarquer : soyons respectueux de l’ordre établi, ne demandons rien et ne refusons rien. Soyons de sages petits enfants qui font bien leurs devoirs et qui acceptent tout avec une soumission servile. En fait, il ne voulait pas être plus qu’un super secrétaire de mairie. Un fonctionnaire zélé, quoi.

L’individu monothéiste ne peut être que conservateur.

Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Je ne dis pas que le monothéiste est un personnage déplorable, méchant et volontairement désagréable. Non ! Et justement c’est là qu’il se trouve en situation contradictoire avec lui-même. 

Le monothéiste convaincu et voire même pratiquant est très souvent, effectivement humaniste. Il est généreux et amical, altruiste et dévoué. Comme de plus, il n’est pas particulièrement sot, force lui est de constater que tout n’est pas tout rose. Les difficultés et les misères du monde sont évidentes à ses yeux. Il rêve de porter secours à ceux qui souffrent et pas seulement dans le strict but d’accomplir de bonnes actions intéressées. Non ! Il peut être sincère dans son rêve de secourir le monde. Mais voila. Il y a des tabous auxquels on ne doit pas toucher. Alors, il essaie d’utiliser des subterfuges. Il cherche des dérivatifs.

A de vrais besoins, on supplée par des actions qui, en elles mêmes ne sont pas négligeables et qui sont même souvent de bonnes initiatives mais ne résolvent pas la question.

Une commune, était desservie par une compagnie de transports en commun. Hélas, le nombre de véhicules par jour était largement insuffisant et les gens devaient attendre parfois fort longtemps le passage d’un autobus. Les habitants avaient donc demandé à la municipalité d’intercéder auprès de la compagnie (privée) pour améliorer la situation. La compagnie, considérant, sans doute à juste titre, qu’augmenter le nombre de navettes n’augmenterait pas fondamentalement le nombre de clients, avait refusé. Qu’a fait la municipalité ? Elle a rénové les abris de bus avec un joli bardage en bois leur donnant un air pimpant et alpestre que les vacanciers pouvaient, à la rigueur photographier.

Un autre grave problème : le chômage.

Oui, je sais, le chômage, ce n’est le problème de personne. A chaque grande élection nationale, on voit les hommes politiques qui, la main sur le cœur, déclarent que la lutte contre le chômage sera leur priorité première. Mais ensuite… Ensuite, l’état au nom de la décentralisation se décharge sur les régions et les régions oublient les promesses nationales. Il me semble qu’il serait pertinent que chaque commune ait à cœur de pouvoir annoncer qu’elle a un nombre d’emplois égal à son nombre de personnes actives. Je ne dis pas que chaque individu doit travailler dans sa commune. Non, je dis que si des gens habitant à « A » vont travailler à « B », ce n’est pas grave dans la mesure où des gens de « B » peuvent venir travailler à « A ». Si cet équilibre se fait au niveau du canton ou du département voire de la région, si chaque commune peut offrir à peu près autant d’emplois qu’elle a de personnes actives, au niveau national, la chose serait quasi résolue. J’habite une toute petite commune. Le nombre d’habitants est de quatre cent cinquante. Ce qui doit faire environ trois cent cinquante personnes actives. En cherchant bien, en comptant les employés municipaux, les travailleurs indépendant, les trois café restaurant, quelques femmes de ménages et deux ou trois hommes qui tondent les pelouses, un agriculteur et quatre ou cinq emplois saisonniers à la station de ski, on doit arriver aux environs de trente cinq emplois. Hé ! Trente cinq… Pour trois cent cinquante personnes actives. Cela fait environ dix pour cent ! Dix pour cent d’emplois… Vous réalisez ? Cela donne un taux de chômage de la peccadille de quatre vingt dix pour cent. Donc, vous en concluez que les édiles municipaux ont monstrueusement honte de la situation et que comme des malheureux ne cauchemardent que de cette tragédie ! Non, non. Ils se préoccupent essentiellement du cadre de vie. On fait repeindre les abris de poubelles, on les décore de bacs à fleurs et on balise les sentiers de promenades forestières ou montagnardes en ajoutant de cis de là de jolis panneaux en bois gravés au feu indiquant divers renseignements. Je ne dis pas que ce sont choses inutiles. Je me demande juste s’il n’y aurait pas plus urgent.

L’esprit monothéiste, avec une bonne volonté patente, ne peut que se voiler la face devant les problèmes qui remettraient en cause l’ordre établi.

Vous croyez que c’est tout ? Détrompez-vous ! Dans le prochain chapitre, je vous parlerai de la fuite écologiste et nous reviendrons comme promis à cette bonne sainte charité.

 

 

  Le Monothéisme VI

 

A la fin du chapitre précédent, je sais qu’une partie de mon lectorat chéri à hurlé d’horreur, de honte et de désarroi quand j’ai annoncé que j’allais parler de l’écologie. Hé si ! Il faut vous y résoudre. Je vous ai déjà dit que, pour le monothéiste sincère, il est impensable de s’en prendre à la cause première du mal de vivre des individus humains. Ceci est une remise en cause du dieu universel. Je vous ai déjà dit qu’à la place, il doit trouver des succédanés, des cibles de rechange, des dérivatifs. Je vous ai enfin déjà dit que les sujets de lutte du monothéiste ne sont pas, en eux même inintéressants, voire négligeables. Je réitère juste, qu’à mon avis, c’est voir un peu les choses par le petit bout de la lorgnette.

La planète est malade. Si, si ! La planète est malade. Il faut soigner la planète. Il faut guérir la planète. Que constate-t-on ? On constate essentiellement deux choses. D’une part, on constate qu’un bon cinquième de la planète meurt de faim, de misère et de manque de soins. En même temps, on constate aussi que la planète est empoisonnée par toutes sortes de déchets divers incontrôlés.   

Bon, commençons par les déchets.

Le problème, ce n’est pas que ce soit des déchets, ni qu’ils soient divers, mais surtout qu’ils soient incontrôlés.

Ha bon ? Pourquoi donc ? Parce que les contrôler, cela me demanderait du temps et du travail. Hors, comme je suis très paresseux, je n’ai pas envie ni de travailler ni de concéder de mon temps pour cela.

Je vous explique autrement. Lorsque je fais quelque chose, c’est pour en tirer un profit. Le profit peut être éventuellement de ne pas avoir trop d’ennuis. Si je remplis ma feuille de déclaration d’impôts, le profit que j’en tire, c’est surtout d’éviter des ennuis. Puisque je cherche une action qui m’est profitable, il va de soi que je préfère que ce profit soit maximum et, tant qu’à faire, immédiat. Si j’ai soif, je bois un verre de limonade et j’en tire profit. Je n’ai plus soif et je n’ai plus soif tout de suite.

Ça va jusque là ?

Bon. Extrapolons. J’effectue une vidange de l’huile du bloc moteur de ma voiture. Mon, intérêt, mon profit, est que ma voiture soit bien entretenue, qu’elle dure plus longtemps et qu’elle tombe moins en panne. Mais après. Après, j’ai une bassine d’huile de vidange dont je suis bien encombré. Pour bien faire, il faudrait que je mette tout cela dans des bidons et que j’aille vider ces bidons à un endroit où il y a des citernes faites exprès pour ça. Oui, mais c’est loin et je n’ai pas très envie. Je pourrais aussi les détruire. Il me faudrait alors un dispositif spécial pour brûler cette huile sans disperser dans l’atmosphère des fumées noirâtres de combustion incomplète. Ce dispositif, je ne le possède pas. C’est trop cher. Que faire ? Et si je me contentais de balancer le tout dans le fossé au bord de la départementale qui passe devant chez moi ? Hein ? Qu’est ce que vous en pensez ? Dans la cunette (comme on dit par chez moi) ? En plus, comme c’est un bon désherbant, cela ferait crever les mauvaises herbes qui l’obstruent et empêchent l’eau de s’écouler. Pas devant chez moi, hein ! Ni en amont, sinon, avec la pluie ça reviendrait à la maison. Non, juste en aval à deux ou trois cents mètres. Si des gens me voient, ils vont râler. Ils vont me dénoncer, me montrer du doigt, me conspuer. Bon, bah j’irai cette nuit quand tout le monde dormira et l’affaire sera entendue.

J’insiste : Si cela se sait, on va jaser sur mon compte. Je risque de subir des représailles de la part des écologistes. Tous les gens qui polluent sont stigmatisés par les écologistes qui veulent sauver la planète. Oui, tous ! Enfin, presque. Oui, presque seulement, parce que si vous êtes très puissant et que vous polluez avec de grandes entreprises qui distribuent de gras dividendes à des actionnaires nantis, là, on ne vous dira rien. Et si on vous dit quelque chose, vous agiterez l’épouvantail du prix de revient, de l’ombre de la faillite et du spectre du chômage. Vous, vous savez bien que ce n’est pas vrai et que cela ne ferait rien de plus que d’écorner un peu les dividendes versés aux actionnaires. Mais justement, le profit des actionnaires est précisément de recevoir les dividendes maxima dans les meilleurs délais. Mais, cela, il ne faut pas le dire.

Vous ne me croyez pas ? Alors, allez vous promener un beau Dimanche après midi sur les pentes du Vercors vers le col de l’Arc ou les pentes du Grand Veymont. Avec un peu de malchance, dans ces sites alpestres, vers dix sept cents mètres d’altitude, quand vous espérerez respirer avec volupté l’air pur des montagnes vertigineusement exalté, vous sentirez nettement l’odeur du chlore rejeté mille cinq cents mètres plus bas par les complexes chimiques du sud de l’agglomération grenobloise. Remarquez, ils réagissent les écologistes. Sur les bords de l’autoroute, ils actionnent des panneaux indiquant : Pic de pollution vitesse réduite à quatre vingt dix kilomètres par heure. Bien sûr, vous pensez immédiatement que, dans le même mouvement, ils ont téléphoné aux entreprises chimiques qui empoisonnent l’atmosphère, leur demandant de diminuer leur production de trente ou quarante pour cent. Hé vous plaisantez ? On ne remet pas en cause les hiérarchies sociales ! On diminue la pollution de l’air. On fait prendre conscience à l’automobiliste moyen de la gravité de la situation, de préférence en le culpabilisant un peu. C’est ta faute, c’est ta très grande faute ! Je ne dis pas que l’abus de circulation automobile ne pollue pas. Je ne dis pas non plus qu’il ne faut pas y être attentif. Non, je ne dis pas ça. Même si au col de l’Arc, cela ne sent pas du tout les gaz d’échappement mais très nettement le chlore.

Il faut sauver la planète ! Il faut sauver la planète ! Souvent, à la télévision on nous montre, en documentaires forts bien faits et circonstanciés des communautés humaines vivant de façon très archaïques en pratiquant la culture sur brûlis. On dénonce ces gens qui par méconnaissance détruisent le poumon de la planète. Nous, gens très civilisés savons, depuis déjà longtemps, que la forêt, les arbres, tout ce qui est vert, pour assumer sa fonction chlorophyllienne absorbe le dioxyde de carbone, fixe le carbone et rejette de l’oxygène. Mais eux, pauvres primitifs incultes, ne sont pas informés de cela. Alors, avec beaucoup de commisération, de pitié et un rien de sympathie voire de tendresse, des gentils monothéistes écologiques vont leur expliquer comment il faut vivre de façon moderne pour sauver la forêt. 

C’est une très bonne initiative. Cependant, on néglige plusieurs faits. Ces braves gens vivent de cette façon depuis un nombre respectable de millénaires et la forêt est toujours là. On oublie de remarquer que, ce faisant, ils ne déboisent que de petites parcelles souvent de moins d’un hectare et qu’ils y vivront trois ou quatre ans. Puis, ils recommenceront quelques kilomètres plus loin. S’ils reviennent à leur point de départ, longtemps après, la forêt par sa seule vitalité se sera reconstituée. On oublie juste de prendre en compte le rapport entre la densité de population et la taille de la forêt. On oublie seulement que, comme disait l’autre, si un individu pisse dans un fleuve, cela ne change pas fondamentalement la nature de l’eau.

Où cela devient plus grave, c’est quand une population nombreuse, pour se nourrir sur une surface limité déboise complètement des pans entiers de montagnes ou de collines. La terre arable n’est plus fixée. Les pluies délavent tout et des glissements de terrains, inconnus avant, mettent à jour des terres stériles. Alors, le brave écologiste arrive, fait des leçons de morale et, grâce à des quêtes effectuées dans les pays occidentaux, riches et avides de réaliser de bonnes actions, après avoir subi la pression des corruptions régionales, replante des arbres. C’est bien. C’est même très bien. Si, c’est la seule chose à faire. Sauf que, ce faisant, on retire, à des familles misérables, le lopin de terre sur lequel elles espéraient réaliser une petite culture autarcique leur permettant, grâce à quelques pieds de maïs, de résister à la malnutrition, à la famine, à la mort. Dans ce cas, ce contre quoi il faudrait lutter, c’est la surpopulation. Une vallée qui était luxuriante quand la population était peu nombreuse est devenue un bidonville de désolation quand cette population s’est accrue démesurément. Mais ça, non ! On n’en parle pas. Non, on n’en parle pas parce que ce n’est pas bien d’en parler. 

Vous vous rendez compte ? Il faudrait évoquer le contrôle des naissances, la contraception, les interruptions volontaires de grossesses. Il ne faut surtout pas se laisser aller à de telles horreurs ! Dieu a dit : Croissez et multipliez. Alors, vous pensez ! Aller là contre, ce serait bafouer la parole divine ! On sait très bien que l’on va pousser les gens vers des phénomènes ressemblant à la folie migratoire suicidaire des lemmings, ou, plus vraisemblablement, à une guerre d’auto-extermination comme dans l’île de Pâque Mais on ne remet pas en cause la volonté du ciel. Au lieu de tenter d’enrayer l’explosion démographique exponentielle délirante de la population planétaire, on plante par-ci par-là des arbres que les gens, pour survivre seront bien obligés d’arracher.

Enfin, pour ce qui est de la déforestation, il est entendu que l’on ne lèvera pas le petit doigt contre les grandes entreprises qui systématiquement dévastent les forêts équatoriales du Gabon et de l’Amazonie. Pourtant, là, il ne s’agit pas d’un petit jardin pour survivre. A ce propos, il faut que je vous informe que très fréquemment, les gens se trompent sur une expression. On parle souvent de faire des coupes sombres. On croit que cela veut dire sévère. C’est précisément le contraire. En exploitation forestière, une coupe sombre, c’est quand on coupe des arbres en suffisamment petite quantité pour que le sous bois reste sombre.

Si l’on coupe plus d’arbres et que le sol est très éclairé, on appelle cela une coupe claire. C’est un peu l’idée d’éclaircir comme un jardinier qui éclaircit son carré de carottes. Lorsqu’on coupe tout, cela s’appelle une coupe à blanc. Donc, désormais, quand vous vous dites métaphoriquement que dans votre tiroir de chaussettes vous allez en éliminer beaucoup, ne dites plus que vous allez faire une coupe sombre, mais une coupe claire. Pas à blanc, hein ! Il faut en garder un peu pour mettre autour de vos pieds. 

Il serait intelligent que les grandes compagnies forestières pratiquent des coupes sombres voire un peu claires pour que la forêt puisse se régénérer. Non, non ! On pratique des coupes à blanc pour que les engins forestiers puissent manœuvrer plus facilement et plus vite. L’intérêt des actionnaires est de produire beaucoup et vite. Ces immenses entreprises, elles ne sont pas si nombreuses ; il ne devrait être difficile de les repérer et de leur appliquer des mesures répressives afin de les obliger à agir de façon plus pertinente. Bah non. A la place, pour se donner bonne conscience, on va faire la morale aux villageois qui survivent en pratiquant la culture sur brûlis.

  Dans le fond, cette sale manie d’être dur au pauvre et doux au puissant, cela traduit bien la volonté déterminée de ne pas remettre en cause la nature divine de l’ordre établi. Je vais vous en redonner un exemple. 

Une Dame dont je tairai le nom mais que certains reconnaîtrons sans doute était le chef de file d’un parti écologiste. A ce titre, elle avait été candidate, en France à deux reprises à la présidence de la république. A l’en croire, si elle était élue, on allait voir ce que l’on allait voir. Elle allait bouleverser drastiquement l’approche écologique des choses et de ce fait, sauver le monde. A l’époque où l’histoire se passe, elle est ministre de l’environnement. 

Le 12 Décembre 1999, un navire poubelle en ruine (l’Erika) chargé de produits pétroliers et autres déchets (dont le transport est interdit dans ces conditions) vient se briser au large de la Bretagne en face de Penmarch. Le hasard veut qu’à ce moment, elle n’est pas en France. Vous croyez qu’elle aurait écourté son séjour ? Pensez donc ! A son retour, elle se contente de déclarer devant les gens épouvantés : « ce n’est pas la catastrophe du siècle ». Bah voyons… Pousser des cris de harpie devant le pauvre type qui a vidé sa cuvette d’huile de vidange dans la « cunette » oui, bien sûr. Mais de là à entrer en conflit avec une des plus grandes compagnies pétrolières mondiales il y a un abîme. Elle aurait même du ajouter comme le maire dont je vous parlais dans un chapitre précédent : il ne faut pas se mettre mal avec ces gens là.

En Nouvelle Calédonie, par mesure d’économie, les déchets de la plus grande exploitation de nickel au monde sont rejetés dans le lagon. Un lagon magnifique et immense. La même ministre y a-t-elle changé quelque chose ? Vous plaisantez, non ? Elle ne pouvait pas tout faire… Peut-être qu’il fallait commencer petit et comme dans mon village faire une journée de volontariat annuel pour ramasser les capsules de bouteilles et les papiers gras.

Il y a quelques temps, nous avons vu à la télévision un documentaire aux vues aériennes somptueuses sur la beauté ineffable de la planète. Le but était de montrer ce qu’il ne faudrait pas dégrader et bien sûr des images saisissantes de pollution tant en mer que sur les continents. Croyez-vous que l’on en a profité pour désigner nommément les coupables et les clouer au pilori ? Pensez donc ! Au contraire, au mieux tentait-on de répartir la faute sur l’ensemble des humains. Comme si le fait qu’une usine pollue une rivière était la faute des villageois qui vivent à côté. Une nouvelle fois, plutôt que de désigner la recherche du profit maximum immédiat, on préférait culpabiliser les petites gens qui ne sont responsables que très partiellement.

Après ce discours, d’aucun vont en conclure que je suis anti écologie. Ceux là, je pense que c’est parce qu’ils n’ont rien compris. Je suis d’un écologisme féroce mais d’un écologisme qui n’est pas un refuge pour les gens qui ne veulent pas remonter jusqu’à la racine du mal. Attention, je ne dis pas que tous les écologistes ont le travers que j’ai indiqué. Non, je dis que cette vision du monde est un asile bien doux pour les monothéistes qui, espérant participer à un mieux être des humains ne veulent pas douter de l’ordre du monde. Je vous ferai remarquer qu’aucun parti politique y compris les plus conservateurs voire réactionnaires ne prétend être anti écologie. Tout le monde est écologiste. Cela implique, s’il en était besoin, que l’écologie, en elle-même, ne prétend pas changer l’ordre des choses.

Je ne dis pas que tout individu présentant un fort sentiment de la préservation de l’environnement est forcément un monothéiste zélateur de l’immobilisme. Je dis que pour le monothéiste, la passion écologique est un dérivatif qui donne bonne conscience à condition de ne jamais rechercher la source du mal. Il faut lutter contre les rejets d’effluents dans les rivières, mais ne pas faire allusion à la recherche du profit maximum immédiat qui en est la source.

Comme dans les mouvements écologistes, les monothéistes se réfugient de façon massive, les autres y sont largement minoritaires et ne servent, le plus souvent, que de faire valoir.

Vouloir traiter la conséquence sans chercher la cause, cela a pour moi un petit côté métonymique qui me rappelle ces gens qui, ayant atrocement mal quelque part plutôt que de savoir pourquoi et de soigner leur mal à l’origine, se contente de prendre de l’aspirine.

Et ça, comme disait ma grand-mère :



C’est un cautère sur une jambe de bois.

 

 

 

 

  Le Monothéisme VII

 

Revenons à notre constatation première. Pour un monothéiste, il serait absurde de ne pas vouloir respecter la volonté de son dieu unique. Révérer un dieu unique sans respecter sa volonté, ce serait aussi absurde que celui qui voudrait attraper des poissons mais sans aller au bord de la rivière. En même temps, il doit être charitable. Il ne peut pas ne pas constater qu’autour de lui et de par le vaste monde la misère abonde. Les injustices sont criardes, la malnutrition côtoie une hygiène désastreuse et des discriminations révoltantes sans parler de l’analphabétisme. Le monothéiste, dont le dieu est parfait et bon, se doit d’agir, à l’image de son dieu avec perfection et bonté. Il doit agir pour remédier à toutes les horreurs, dont la seule existence, le font souffrir. Va-t-il constater que plus de quatre vingt dix huit pour cent des richesses de la terre sont détenues par moins de un pour cent des habitants de la planète et essayer d’y remédier ? Cela, non ? Il ne le peut pas. Et pourquoi, je vous prie ? Il ne le peut pas parce que c’est l’aboutissement normal du fonctionnement de la nature humaine. Et la nature humaine, c’est Dieu qui l’a créée.

Il est, au demeurant, curieux de constater que cette fidélité envers le dieu unique doit supporter, de temps à autre des coups de canif dans le contrat. Par exemple, les maladies, ce ne peut être que Dieu qui les a créées. Pourtant le monothéiste, parfois avec réticence, à tout de même inventé la médecine pour lutter contre la volonté divine. Je dis « parfois avec réticence » parce que souvent, le monothéiste à tendance à traîner les pieds. Je vous rappelle les problèmes de contrôle des naissances ou de greffes ou la procréation assistée. Il y a même des organisations religieuses qui, se réclamant du judéo christianisme, refusent carrément la médecine depuis la transfusion sanguine jusqu’au plus simple médicament et veulent y substituer la prière (ce qui est plus cohérent avec la foi).

Quoi qu’il en soit, dans le domaine socio économique, il va de soi qu’il faut laisser faire la volonté divine et la nature humaine. Ceci est tellement vrai que cela porte un nom. Cela s’appelle le libéralisme économique. Je souris tristement en pensant que j’avais écrit un petit texte d’une page en janvier 2006 sur cette notion de libéralisme économique. 

Cela s’appelait « le libéralisme… Drôle de mot ». Hélas, bien que j’en possède encore l’original, il y a longtemps que sur l’Internet, il a disparu dans les profondeurs du passé.

 Le monothéiste vit dans une situation paradoxale. Il souffre (si, si, il souffre profondément) d’une contradiction interne. D’une part, il est témoin de la misère du monde et d’autre part, il ne peut pas tenter d’y remédier. Alors, le plus simple pour lui, bien sûr, est de nier l’existence des choses. « La lutte des classes, c’est dépassé », ou bien, « il n’y a plus d’exploitation de l’homme par l’homme ». On peut aussi déclarer que l’on n’est pas directement concerné : « Nous ne sommes pas les plus malheureux », « Il y a plus malheureux que nous » « nous sommes en République, nous avons le droit de vote ». Cela ne résout rien et la misère du monde est toujours présente. Comme le monothéiste est bien obligé d’ouvrir les yeux, il va, de toutes ses forces, de toute son âme, de toute sa foi, s’engager dans le militantisme pour des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Il va faire le bien dans des pays lointains qui en ont bien plus besoin que nous. Cela faisant, sa conscience est en paix. Il œuvre pour le bien de l’humanité.

Est-ce suffisant ?

Pas vraiment parce que la souffrance est à sa porte.

Heureusement, il y a la charité.

L’idée de la charité, c’est que, comme on n’est pas parmi les plus malheureux, il faut aider ceux qui le sont davantage. 

Cela me rappelle dans le « Mère courage et ses enfants » de Berthold Brecht (1898 1956) le couplet du bon saint Martin

        L’bon saint Martin, comme chacun sait aidait les miséreux.

        Il vit un pauvre grelottant ;

Il fendit aussitôt son grand manteau sur le champ

Et ils moururent tous deux gelés !

Qu’il était bon l’bon saint Martin ! Et, bien avant la fin du jour,

Le monde en avait vu la suite,

Sa bonté lui jouait de mauvais tours.

Enviez ceux qui en sont quittes.

 La charité, c’est ce qui consiste à aider ceux qui sont plus dans le besoin que soi.

Bien. Alors, si on constate que certains sont très, très, très riches et que d’autres sont très, très, très pauvres, on se dit qu’il devrait suffire de rogner un peu sur la richesse de ceux qui sont très, très, très riches et comme ça, les très, très, très pauvres le seraient un peu moins.

On n’a jamais dit ça !

Non. Selon l’adage déjà évoqué que « ha ! Nous ne sommes pas les plus malheureux ! » C’est à nous qui ne sommes pas les plus malheureux d’aider ceux qui le sont plus que nous. C'est-à-dire que c’est aux moyennement pauvres d’aider les très pauvres. Les très riches n’ont rien à voir là dedans. Quand on est riche, on crée une fondation. Si on peut la faire un peu subventionner par les pouvoirs publics, ce n’est pas plus mal. Alors, oui, on a mis un peu la main à la poche. Mais ensuite, cela fonctionne par les dons divers et les quêtes auprès des petites gens. Cependant, c’est la statue ou la photographie du fondateur qu’on mettra dans le hall d’entrée ; pas celle de la multitude qui alimente la chose. Le fondateur en tirera gloire et notoriété avec en plus un certificat de charité en faisant financer leur grandeur par les braves gens.

Lorsque de gentils bénévoles quêtent dans la rue ou au porte à porte, pour ceci, pour cela, pour autre chose, la petite Mémé du troisième qui vit chichement avec ses mille euros donne dix euros en s’excusant timidement du peu dont elle est capable. Cela représente pourtant un pour cent de son revenu. Dans le même temps, le milliardaire dont le revenu mensuel est de trois millions d’euros (ce qui est très sous estimé) verse mille euros. Vue la somme, en valeur absolue, on se pâme devant la grandeur de sa générosité. On le photographie en train de signer son chèque. Mais en valeur relative, il n’a offert qu’un  trois millième de ses moyens. C’est pourtant sa photographie que l’on publiera dans les journaux et pas celle de la bonne Grand-mère qui a pourtant versé trente fois plus que lui.

Et même ! La susdite grand’mère s’extasiera sur la bonté des riches.

Vous voyez que ce n’est pas inutile la charité.

 La charité, cela consiste à culpabiliser les individus qui profitent d’une capacité vivrière à peu près satisfaisante afin qu’ils assument la survie de ceux qui n’en ont pas les moyens. Cela disculpe, en outre, les véritables responsables de la situation. Le monothéiste est ravi. Il n’a pas effleuré l’ordre du monde qui est une volonté divine. Plutôt que de chercher un moyen de rééquilibrer l’accession aux fruits de la créativité et du génie humain, on se contente de répartir la pénurie ; on se contente de gérer le manque.

Peu à peu, le système de la charité se généralise et s’institutionnalise. J’avais écrit il y a quelques temps des réflexions que je vous invite à compulser (ou à lire si vous ne l’avez pas déjà fait) sur les impôts. J’y explique, en substance, que l’homme étant un animal social, a la capacité d’unir ses efforts pour créer des biens communs. Ces efforts peuvent être financiers. Les citoyens cotisent volontairement pour créer des richesses collectives. Mais, il se trouve que pour une raison philosophico-économique, dont je réprouve le bien fondé, ces cotisations, ces contributions sont dévoyées et servent plus à permettre aux immensément riches de s’enrichir davantage qu’à subvenir aux besoins de la population cotisante. Il s’en suit que l’argent des impôts ne servant pas à assouvir les besoins que les contribuables espéraient couvrir, ces besoins restent présents. L’esprit monothéiste qui assimile l’état à l’ordre divin ne peut pas s’élever contre cette perversion. Alors, que fait- il ? Au nom de la charité, il s’empare de sa sébile et organise des quêtes afin que les nécessités soient un peu comblées. On ira quêter pour la santé (il y a tant de maladies à soigner), pour l’école, pour le centre aéré, pour le club de foot du village. Je sais que je suis très niais, mais je croyais que c’était justement pour cela que je payais des impôts. Et on vous invente des téléthons et on vous invente des Sidaction ! Et si vous refusez de verser votre obole, on vous montre du doigt comme un mauvais homme qui manque de charité. La charité devient obligatoire ! A la rigueur, j’accepterais bien de payer toutes les quêtes qui passent, mais alors, je n’ai pas envie de payer deux fois ! Qu’on me rembourse mes impôts !

Une nouvelle fois, on cherche à traiter non pas la cause, mais le symptôme.

Parfois, j’ai entendu cette constatation que quand une population vit dans un état de famine endémique, plutôt que de lui donner des pommes de terre, il est plus pertinent de lui fournir les moyens de les cultiver elle-même.

Je me demande pourquoi cet adage n’est pas plus souvent mis en œuvre. Faire la charité ne serait-il pas plus gratifiant que de créer une situation permettant de rendre la charité inutile ?

Avec la charité, on se donne bonne conscience en se disant qu’on agit contre la misère du monde et en même temps on masque l’immensité des injustices sociales. Je dois avoir mauvais esprit, mais je ne suis pas persuadé que ce soit la bonne solution pour en venir à bout.

          Allez, encore un exemple. De temps à autre, les enfants de mon village viennent frapper à ma porte pour me vendre un calendrier. Ils l’on fabriqué à l’école en imprimant leurs dessins. C’est au profit de la coopérative de leur classe. Comprenez que leur classe pour certaines activités ou pour un voyage scolaire manque de sous. Alors on apprend, et j’espère que vous saisirez pleinement la profondeur psychopédagogique de l’activité, on apprend aux enfants à pratiquer la mendicité. 

Je grince des dents, je serre les poings dans mes poches, mais, comme ce ne sont que des enfants et que je ne veux pas leur faire de la peine, comme de plus, ils ne sont pas responsables, je leur achète leur calendrier (que dès leur départ, je m’empresse de mettre dans la poubelle). Il y a quelques années, les maîtres ont inventé une nouvelle chose. Les enfants repassent au printemps dans les maisons en vendant, cette fois des petits pots de yaourt contenant un peu de terre et une pousse d’œillets d’Inde, de balsamine ou autre. Il est entendu que ce n’est pas une activité pédagogique.

Si c’était le cas, ils n’en auraient fait pousser que quelques pieds et il n’y en aurait largement pas eu assez pour aller les vendre. C’est une activité strictement, commerciale. On ne les semés que pour ça. Alors, là, c’est trop. Cela devient une charité obligatoire, comme les gens ne sont pas en situation de pouvoir refuser, cela confine au racket et, de plus, je croyais que l’exploitation du travail des enfants à des fins mercantiles était interdite en France. J’ai refusé d’acheter. J’ai aussi écrit une lettre à l’instituteur en expliquant la nature de mon refus. Bah, croyez moi ou ne me croyez pas, j’ai été mal vu.

Nous avons parlé dans un chapitre précédent du prosélytisme. Le monothéiste, veut imposer au monde sa façon de ne pas vouloir réformer une société, qu’il constate défaillante à bien des égards, en substituant, aux réformes des causes profondes du mal être qu’il perçoit, une charité consensuelle, stérile et larmoyante.

Suis-je contre toute forme de charité ? Bien sûr que non. Si un brave type, devant chez moi, suite à une mauvaise manœuvre a mis ses roues dans le fossé, il est évident que, pour l’aider, je vais pousser sa voiture afin de le sortir de ce mauvais pas.

Il n’en reste pas moins, que le monothéiste, parce qu’il est monothéiste et qu’il refuse de s’opposer à la volonté divine, ne peut que se réfugier dans une charité qui n’est, en définitive, pas charitable pour l’espèce humaine.

 

Commentaires: 1
  • #1

    djamal Amran (mercredi, 30 mars 2016 17:31)

    A force de dérouler la page sans en trouver la fin, j'ai craint de ne pouvoir faire ce commentaire ! D'abord, le bon point : le ton est plaisant et bien des informations souvent intéressantes. Et j'étais parti pour vous lire intégralement, quoique ce soit plutôt longuet. Mais voilà qu'arrivé au chapitre "islam" dans la maison duquel je suis enchainé depuis la (très) lointaine enfance, des inexactitudes dénotant une information incomplète me font sursauter et saisir mon stylo ! Voici donc quelques remarques à ce propos : 1 - Dans le coran, Satan (y dénommé, Iblis) résiste à l'ordre divin de se prosterner devant Adam tout frais sorti de sa glaise, sous prétexte que lui, Iblis avait été créé de feu et que donc, ce serait pour lui, déchoir que de rendre hommage à de la glaise. Et comme le Créateur n'admet pas du tout ce libre-arbitre cavalier, Il chasse, plein de divine colère le méchant récalcitrant. Ce bougre, impertinent jusqu'à la fin, lance au Maitre des deux mondes un défi "avec ta permission, je les induirai tous en tentation", ("les", ce sont Adam et sa descendance), afin de prouver qu'il avait raison de mépriser l'argileuse créature. Et il y réussit, grâce à ( ou par la faute de) de notre maman commune (cela, vous le savez déjà). Evidemment, bien qu'entiché de son nouveau hochet, le Très-Haut, fait évacuer tout ce beau monde, direction la 3° planète du système Sol.... 2 - Le soft power version musulmane ! Là, vos infos gagneraient à être enrichies : rappelez-vous, le chiffre qui se balade sur wiki, c'est 80 millions d'hindous trucidés avant d'islamiser enfin le nord de l'Inde. Dès Médine ce fut le coup de main, sabre levé contre tout contradicteur, tribus arabes polythéistes, chrétiennes, juives de la péninsule, nations chrétiennes du moyen-orient, mazdéennes d'Asie centrale, l'Egypte, l'Afrique et l'Espagne, toutes maisons de guerre (dar ul 'harb) conquises au prix de millions (oui,oui) de morts, de déportés (les auteurs musulmans parlent de caravanes de centaines de milliers de femmes et d'enfants captifs berbères vendus sur les marchés de Syrie et d'ailleurs)... 3 - la gestion "intelligente" de la ra'aya (populations assujetties) : le fisc sur les dhimmis (chrétiens et juifs "protégés") lourd et humiliant (kharaj sur les terres, djizya sur les "têtes") incitaient les plus faibles et les moins religieux à se convertir, ce qui parfois était très mal vu par le gouvernement (manque à gagner). Ce fut d'ailleurs l'une des principales raisons des révoltes berbères durant plus d'un demi siècle, que l'obstination du pouvoir à exiger le kharaj sur les terres des pourtant convertis. Et on refusa dans bien des lieux, comme l'Egypte, d'autoriser trop de conversions de fellahs (d'où, aujourd'hui, la persistance chrétienne copte)....4 - Les 5 piliers de l'Islam : non, c'est le cinquième seul (hajj) qui est facultatif, les autres sont en droit, des obligations (même si beaucoup ne les pratiquent pas tous, à leurs risques et périls). Ace sujet, notez que la zakat (dite aussi 'achour, ou dizième des biens acquis depuis une année pleine) 3° pilier, n'est pas de la "charité" comme vous l'écrivez, mais un impôt légal et que la dite-charité est appelée sadaqa, comme chez les juifs (tsedeka)....5 - la "grande tolérance" de la pratiques des autres cultes, notamment par les épousées dhimmiates (chrétiennes, juives) est une magistrale technique pour mettre la pression fiscale, maintenir dans l'infériorité sociale ces "protégés", auquel la loi interdit toute manifestation extérieure de leurs religions : ne pas construire, ni même réparer leurs lieux de culte (il y a des exceptions), pas de manifestation bruyante (cloches, chofar, procession), remettre l'impôt en position(physique) d'humilité, en recevant quelques coups protocolaires en signe d'agrément, vêtements ridicules obligatoirement différents de ceux des croyants, céder le passage (toujours passer à gauche des vrais croyants, comme en Angleterre).... 6 - le partage oecuménique des lieux de culte sont le premier pas vers la transformation en mosquée (analogue à ce qu'a accompli le christiannisme avec les anciens temples païens) et enfin, votre émotion devant la "tolérance" montrée par vos hôtes tunisiens et leur propension à vous considérer comme "converti" dès lors que vous avez déchiffré, donc prononcé quasi solennellement et de coeur, la profession de foi : il faut imputer cet état d'esprit, à la gentillesse proverbiale tunisienne, sincère certes, mais mise aussi au service de l'industrie touristique (un quasi réflexe dans le pays); mais un esprit soupçonneux y décèlerait un zeste d'approche prosélytique... Mais bon, j'ai un peu l'esprit mal tourné, ....

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