L’état

(premier chant)

          Je ne sais pas comment je m’y suis pris. J’avais écrit un début de chose qui me semblait très bien sur ce sujet mais allez savoir tous les mystères de l’informatique, c’est tombé au fond de l’ordinateur et j’ai eu beau le secouer dans tous les sens, ce n’est pas ressorti. Cela m’apprendra ; quand je travaillais avec un papier et un crayon, cela ne serait pas arrivé… Encore que, me connaissant…

          Bon, tant pis pour vous ! Ce sera moins bien, mais je vais m’y remettre.

          L’état… L’état ! Bah oui, tout le monde connaît l’état. L’état a fait ceci ; l’état a fait cela ; l’état va encore nous… C’est la faute de l’état… L’état ne devrait pas… L’état, il n’a qu’à…

          Parler de l’état, cela ne me semblait pas très compliqué. Cependant, par une vieille manie, pour être sûr de ne pas dire trop d’âneries, j’ai voulu regarder de quoi on parle quand on dit l’état. Donc je prends mon dictionnaire habituel et là, oh ! Surprise ! Il n’en parle pas. Je cherche donc dans plusieurs autres dictionnaires et je m’aperçois que c’est bien plus surprenant que je ne m’y attendais.

          Le mot, bien sûr qu’il y est mais on nous parle de la situation de certaines choses : l’état de santé, l’état de l’empire, l’état…

          Attendez, je ne raconte pas de blagues ! Quillet Flammarion : Situation, disposition dans laquelle se trouve une personne, une chose. Etat de santé, état de siège, état du ciel ou de la mer, hors d’état de faire, être dans tous ses états, etc. Je vous épargne état gazeux, état d’esclavage, chef de l’état. Puis on en arrive à états généraux, état français et état civil.

          J’aime bien le chef de l’état. Il y a donc une chose, on ne sait pas ce que c’est mais qui a un chef… Il y a aussi les états unis ils sont unis, mais les états, on ne dit pas à quoi cela correspond.

          Ensuite, on arrive à étatiser : Placer sous la régie de l’état. Bien sûr, étatisme, même remarque.

          Robert ? Même chose.

          Alors, aux grands maux, les grands remèdes. Je passe à l’étymologique.

          Bah ce n’est pas mieux.

          Dauzat : Latin status de stare, se tenir debout au sens figuré de position. En bas latin : état. Vous êtes contents, hein ?

          A tout hasard, je regarde dans l’encyclopédie multimédia Hachette qui est dans mon ordinateur et je retrouve le même genre de choses. Puis, par inadvertance, je vois au dessous « l’état ». Je clique et la je trouve un article fort intéressant de je ne sais pas combien de page qui me parle de tous les gens qui ont parlé de l’état. Cela commence avec Platon pour passer par Saint Augustin, Machiavel, Rousseau, Marx, Nietzsche, Popper, et quelques autres. Tous ces gens là parlent de l’état. Mais on ne sait toujours pas ce que ça veut dire.

          Bon, je site : Institution politique souveraine d'une communauté organisée, ayant un territoire déterminé et un gouvernement autonome, l'État a revêtu de multiples formes au cours de l'histoire: cité État ou État nation, État théocratique, totalitaire, démocratique... Dans tous les cas, l'État devait défendre et protéger ses membres, individus ou collectivités, et combattre ses ennemis, intérieurs et extérieurs. À cette vocation initiale se sont ajoutées, au fil des siècles, de nombreuses autres fonctions, économiques comme la redistribution des richesses parmi les membres de la société et la défense des intérêts des producteurs sur le marché international, mais aussi sociales, notamment la prise en charge de la santé publique et de l'éducation.

          Cela ne me paraît pas très clair. On nous dit le rôle de l’état, mais pas qui il est. On connaît la fonction, mais pas la nature. On confond le contenu et le contenant. Serait-ce une dérive métonymique ? Enfin, sous une autre entrée, je trouve ceci : Collectivité humaine régie par un gouvernement; le gouvernement lui-même et l'administration. État fédéral, centralisé. Guerre entre deux États. Le chef de l'État. C’est déjà mieux. Mais encore. Il semble qu’il y ait une ambiguïté entre deux choses. L’état : le mot désigne à la fois d’une part un pays et ses habitants et d’autre part son gouvernement avec son administration. C’est tout de même vaste. On peut donc dire, parlant du gouvernement d’un pays l’état de l’état. Si en plus, on veut exprimer comment est c’est état, on pourra dire l’état de l’état de l’état. « Qui trop embrasse mal étreint ». On dit couramment l’état bolivien, l’état algérien ou l’état hébreu voire l’état Français, de sinistre mémoire.

          Essayons d’être clair. Un état cela peut être un « pays » avec ses limites territoriales et sa population (les états unis), mais aussi l’ensemble du gouvernement et de son administration (le chef de l’état).

          Si je reviens à la lecture de l’article sur « l’état » en remplaçant mentalement le mot « état » par « gouvernement et son administration », cela devient plus clair. 

          Donc, si le mot « état » ne veut pas dire entité géographique, cela désigne un gouvernement. Singulièrement, dans les spéculations intellectuelles qui me préoccupent, cela désigne donc surtout cette notion de gouvernement agrémenté de son administration.

          Il y a une petite chose aussi à évoquer. C’est la notion de cité état. Dans l’antiquité, un état (entité territoriale) est constitué d’une unité géographique et de sa population. Dans ce secteur, il y a plus ou moins une couronne rurale et dedans une agglomération où s’installe le pouvoir central, c'est-à-dire l’état (gouvernement et administration centrale). On peut considérer qu’il existe encore des dispositions de ce type (Andorre, Singapour). Imaginez un peu une commune indépendante avec son chef lieu de village, ses élus municipaux décidant de l’organisation de la commune en toute liberté. A partir du moment où deux de ces cités état se trouvent réunies (quelles que soient les modalités de la réunion) on sort de ce phénomène et une des deux « capitales » devient satellite de l’autre. Plus la centralisation s’accentue, plus le pouvoir (l’état) s’éloigne de l’individu et plus l’individu se sent loin et exclu des décisions.

          J’ai parlé de la cité état surtout pour introduire le mot cité. 

       Du coup, on parle souvent de la cité en voulant dire l’état (Gouvernement et administration).

          En effet, dans ses réflexions, Saint Augustin parle de la cité des hommes qu’il oppose à la cité de Dieu. Babylone devant gérer les hommes avant qu’ils n’accèdent à la Jérusalem céleste. 

       Ceci est important. Dans les grandes religions monothéistes, il est difficile de concevoir un état qui ne soit pas d’essence divine. Le christianisme et l’islam se donnant pour mission de convertir tous les hommes à leur foi ne peuvent pas concevoir de ne pas gérer les actions terrestres (Babylone). Pour atteindre la société divine, il faut gérer la société des hommes que l’on appelle la société civile. Imaginer une constitution laïque est à la fois une rude tâche pour s’affranchir du joug d’une église (quelle qu’elle soit) et un effort intellectuel difficile pour penser uniquement à la gestion des humains. L’islam et le christianisme luttent de toutes leurs forces pour régner sur la cité des hommes.

          Alors, l’état. On se trouve devant une dichotomie : ceux qui sont pour son organisation et son renforcement et ceux qui le nient.         

          Pour essayer de comprendre les choses, j’ai envie de revenir à une situation d’origine. C’est, d’ailleurs, pour ça que je vous ai parlé de la cité état. Vous voyez comme je suis retors, hein ! Nous sommes donc dans un petit groupe humain dans lequel, un individu s’est donné, par la force, la qualité de chef. Si la force qui l’a promu à ce poste est suffisamment grande, croyez vous qu’il va légiférer pour le bien être des plus soumis de sa population ? Je crains plutôt qu’il ne prenne des dispositions en faveur de son plaisir personnel. Au nom de la grandeur de la nation, bien sûr ! C’est un potentat. Il décide et les autres obtempèrent. Evidemment, il va lui falloir favoriser un certain nombre d’individus pour mieux asseoir sa puissance : ses hommes de main, ses complices immédiats, ses commis et ses espions. Cela forme une petite caste qui s’auto entretient. Si le roitelet déçoit ses hommes liges sans en avoir la puissance nécessaire, ceux-ci fomentent un coup d’état et le remplacent. En aucun cas, l’intérêt de la population n’est pris en compte. Et puis la cité grandit. Et puis, on invente la démocratie… Comme à Athènes. Tu parles ! 

          A Athènes, à la grande époque, il y avait environ soixante mille habitants. Bien sûr, les esclaves n’ont pas voix au chapitre. Les barbares et les métèques non plus. Bien sûr, les enfants sont exclus et ne parlons pas des femmes. Il ne reste plus grand monde, hein ! Mais dans ce qui reste, c’est à dire les hommes adultes, libres, et citoyens. Vous croyez qu’ils sont sur un pied d’égalité ? Officiellement, oui. Mais dans la pratique… Hésiode, dans « Les travaux et les jours » se plaint des pratiques des chevaliers. Sur l’Agora, quand on discute un sujet grave, les citoyens peuvent débattre et voter. Oui, mais. Les citoyens ne sont pas tous aussi riches. Les plus pauvres ne peuvent pas passer plusieurs jours à attendre que le vote ait lieu. Leur travail les appelle. Quand comme Hésiode on n’habite pas en ville, cela veut dire se loger, se nourrir et laisser aller ses champs. Alors, les chevaliers (la haute aristocratie du moment) font traîner les débats. Et lorsqu’ils sont presque seuls entre eux, ils décident sans se préoccuper des désirs des autres citoyens (qu’ils méprisent profondément). En fait la démocratie athénienne n’est qu’une oligarchie restreinte. On sait utiliser le peuple pour prendre des décisions particulières donc, se donner un aval démocratique et populaire, mais parfaitement ignorer ce même peuple quand on veut prendre des décisions iniquement impopulaires. Ajoutez à cela, en profitant de l’inculture des gens, un solide sens de la démagogie (pratique qui consiste à promettre n’importe quoi en s’appuyant sur les bas instincts de la population) et le tour est joué.

          Il va de soi qu’à Rome, état qui n’est plus une « cité état », à l’époque de la république, les pratiques sont sensiblement les mêmes.

          Passés ces épisodes, on entre dans des époques où la notion d’état se confond avec l’idée de monarchie. Même les résidus de cité état qui se targuent du nom de « république » (Gènes, Venise) ne sont que des oligarchies.

Juste un mot en passant. Une monarchie, c’est la détention des pouvoirs politiques par un seul individu (mono) et une oligarchie, c’est la même chose mais avec un tout petit groupe (oligo) de personnes qui se sont cooptées ou bien dont aucune n’a réussi à évincer les autres. Le résultat est le même.

Il ressort de cela que jusqu’ici, l’état est un outil qui justifie la domination, par la force, d’une population par une caste privilégiée.

 

L’état

 

 

(deuxième chant)

 

 

 

Arrive la fin du dix huitième siècle. Le siècle des lumières. 

A ce moment là, deux choses vont arriver simultanément, choses qui sont indépendantes, mais en partie liées. 

D’une part, la caste dirigeante s’est progressivement discréditée. Elle avait deux origines, militaire et administrative. Or, sa fonction administrative a presque disparu et en même temps, un autre groupe s’est imposé sur le plan économique, c’est la grande bourgeoisie ; cette bourgeoisie  a du mal à admettre que, étant le moteur économique du pays, elle ne détienne pas aussi les rouages politiques.

D’autre part, des intellectuels du moment, et sans doute en observant la situation de fait, vont théoriser sur cette notion d’état.

Rousseau (Jean Jacques 1712 1778) rédige le « Contrat social ». Il faut reconnaître que les penseurs de l’époque se chamaillent un peu sur la forme qu’il faut donner à l’état, mais en gros, ils sont d’accord sur le fait que la monarchie autocratique a fait son temps. Ils ne disent pas que le pouvoir doit être donné au peuple, non, tant s’en faut ! En se contentant de retirer la décision à un Roi absolu qui est l’émanation de la noblesse (puissance des armes), cela permet à la bourgeoisie (puissance financière) qui a tenté vainement de pénétrer la noblesse en y payant sa place, d’envisager maintenant de la supplanter. Les tiraillements qui vont s’en suivre vont être le moteur des fluctuations politiques en Europe et aux Amériques jusque dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. 

          Avant d’aller plus loin, j’aimerais revenir à ce que je vous citais précédemment et l’étudier un peu. Comme je sais que vous l’avez oublié, je vais vous le redire. Vous n’êtes pas sérieux, non plus, vous manquez de concentration. Donc, nous constations que : l'État devait défendre et protéger ses membres, individus ou collectivités, et combattre ses ennemis, intérieurs et extérieurs. À cette vocation initiale se sont ajoutées, au fil des siècles, de nombreuses autres fonctions, économiques comme la redistribution des richesses parmi les membres de la société et la défense des intérêts des producteurs sur le marché international, mais aussi sociales, notamment la prise en charge de la santé publique et de l'éducation.

Dans ce texte, il y a nettement trois notions qui apparaissent successivement au fil de l’histoire.

      D’abord, un rôle de défense (extérieure et intérieure). Il va de soi que des les premières lueurs de la civilisation, il faut se défendre contre les pillards et les agresseurs de tous poils. 

          Nous avons vu dans un précédent article que la fonction de défense, la fonction militaire dérive directement de la capacité de surproduction et que la notion de chef (ou de roi) est basée sur la force d’abord individuelle puis sur une caste de soldats à plein temps sur laquelle règne le plus costaud, l’archétype de cela étant Gilgamesh. L’état à pour mission première de défendre la cité contre les incursions extérieures. En même temps, le potentat qui s’est auto proclamé peut avoir des ennemis de l’intérieur. En effet, le « roi » peut craindre des conspirations tendant à le renverser pour prendre sa place. Comme il considère qu’il est le seul habilité et le plus efficace pour régner sur la cité, il en conclut que ces individus sont des ennemis au même titre que les pillards extérieurs. Toute atteinte au pouvoir royal est une dégradation de la force de la cité. Il faut donc lutter aussi contre les conspirateurs divers qui s’en prennent à son autorité. L’état entretient donc une police dont le rôle premier est de maintenir l’autorité établie. Cette police est surtout constituée d’espions et d’indicateurs donnant leurs renseignements à une sorte de préfet. La police a donc en premier lieu un rôle politique.

Lorsque la police démasque une quelconque tentative de rébellion, la force utilisée pour réduire celle-ci est essentiellement l’unité spéciale de l’armée que constitue la garde personnelle du souverain. Les voleurs de poules ne sont pourchassés que dans un second temps parce que comme ils déstabilisent la société, celle-ci ne se sentant pas assez protégée par l’état risque de se mutiner contre lui et lui préférer un autre dirigeant. Donc, l’état a d’abord un rôle militaro-policier. On constate que cette situation se vérifie depuis des siècles voire des millénaires, en fait, depuis l’aube de la civilisation.

Le deuxième aspect est économique. Il est beaucoup plus tardif. Si on en constate des prémices à Athènes et à Rome, cette situation n’est pleinement vérifiée qu’après le moyen âge. Je vous redis la phrase (vous voyez, hein, je participe de mon mieux à l’économie de vos efforts intellectuels). « À cette vocation initiale se sont ajoutées, au fil des siècles, de nombreuses autres fonctions, économiques comme la redistribution des richesses parmi les membres de la société et la défense des intérêts des producteurs sur le marché international, ». Il y a là dedans deux notions : La défense des producteurs sur le marché international et la redistribution des richesses. 

          On comprend bien que tant que le marché n’est qu’un négoce localisé, il n’a pas besoin d’un soutien de l’état. En revanche, dès qu’il envisage de déborder de ses frontières, un appui étatique devient fort utile. Ah bon ? Fort utile ? Et pour quoi faire ? Ah ! Il faut que j’explique. Le commerce, ça fonctionne dans deux sens. Il y a les ventes et les achats, on a besoin de matières premières et on vend des produits élaborés. 

Alors, l’état, à quoi sert-il ? Pour obtenir des matières premières bon marché, le mieux c’est d’aller les piller chez les voisins. Bien sûr, ça, c’était autrefois ! De nos jours, on ne voit plus d’état qui vont piller les forêts d’Afrique ou qui vont faire des guerres dans les régions du monde riches en pétrole. C’est drôle, au passage, on retrouve la fonction militaire précédemment décrite. L’autre versant, c’est la vente. Vous n’en connaissez pas, vous des chefs d’état qui vont jouer les vendeurs représentants placiers, qui vont dans des pays lointains présenter des locomotives, des avions ou des centrales nucléaires ?

Vous voyez que l’état remplit bien son rôle !

Il y a aussi la redistribution des richesses.

Là, je me pose une question. Pourquoi faut-il redistribuer les richesses ? Seraient-elles mal distribuées par hasard ? Allez savoir ! En y repensant, je me dis que redistribuer les richesses, cela doit vouloir dire utilisation de l’impôt… Donc, collecte de celui-ci. L’impôt… vaste sujet. Il faudra que j’y réfléchisse un de ces jours. Malgré tout, j’ai l’impression, comme ça, qu’il s’agit de percevoir de l’argent à tout le monde pour en redistribuer à ceux qui en ont besoin… Je ne sais pas, moi… A ceux qui font du commerce international, par exemple. Mais ce n’est qu’un a priori. J’y reviendrai.

Quoi qu’il en soit, quand on dit que l’état à un rôle économique, Il faut bien comprendre que ce n’est pas pour voler au secours de l’épicier du coin ni a celui du « métalo » qui transpire dans une aciérie. Le rôle économique de l’état à pour mission d’être un soutien de la grande industrie.

       Et puis, il y a le troisième volet, l’aspect social. Il arrive encore plus tardivement dans le rôle de l’état. Les écoles, les hôpitaux, on n’y avait pas pensé avant. Le problème, c’est que les grandes industries ont eu besoin d’infrastructures. L’état a donc du y subvenir et les a présentées comme ses besoins propres. Des routes, des canaux, des lignes de chemin de fer, des télégraphes, la poste… On a expliqué au gens que c’était pour eux ; et que pour cela, il fallait payer des impôts. 

C’était en partie vrai, mais il faut bien reconnaître que, pendant longtemps, les premiers utilisateurs n’étaient ni les mineurs du nord ni les paysans de la Creuse. Seulement, les paysans de la Creuse et les mineurs du nord y ont cru. Ils ont demandé autre chose. Alors, par crainte des émeutes, il a bien fallu leur donner satisfaction. La santé, jusque là, c’était surtout une affaire de charité et faute de moyens, les hôpitaux ressemblaient surtout à des mouroirs. Pour l’école, le problème est un peu différent. Jusque là, un peuple quasi analphabète, pour accomplir des tâches parfaitement primaires, c’était tout à fait satisfaisant. Mais voilà, l’industrie avait besoin d’ouvriers qualifiés. Il a donc fallu les former et pour avoir des hommes sachant lire, écrire, compter et lire des plans, il a fallu créer l’école obligatoire. Au passage, former une multitude chauvine et revancharde, ce n’était pas inutile non plus. La suite l’a bien prouvé. 

Donc, si je résume, j’ai les trois fonctions suivantes.

L’état a : *un rôle militaro policier,

          *Un rôle économique de support des grandes industries,

                     *Un rôle social pour assurer une main d’œuvre efficace à l’industrie.

       Tout ceci me conduit à reposer la question de départ : quelle est la nature de l’état ?

Afin de pouvoir généraliser, essayons de voir au long des grands épisodes de l’humanité si nous pouvons trouver des constantes.

D’abord, juste un œil sur le chasseur cueilleur du paléolithique. Il va de soi que dans ce groupe humain de quelques individus (vraisemblablement pas moins de quatre ou cinq et pas plus d’une vingtaine) il y a nécessairement un dominant (ou une dominante) qui s’est imposé par la force (physique ou autre). Ce dominant influe lourdement sur les décisions du groupe mais ne peut pas vraiment décider à l’encontre du groupe sans risquer de se voir éliminé. D’autre part, il est le principal acteur des activités vivrières. Quoi qu’il en soit, s’il ne cherche pas à trop spolier les autres, ses volontés sont le, plus souvent, respectées. La hiérarchie du groupe est installée comme dans un groupe de lions ou de loups. Elle peut varier et un dominant peut se voir rétrogradé pour une raison quelconque comme une blessure ou le vieillissement.

Dès qu’arrive la civilisation et la capacité de surproduction, donc la séparation des tâches, la puissance du chef est augmentée. Il s’entoure d’une garde prétorienne et a la capacité matérielle d’imposer des exigences lourdes. En même temps, l’existence de nombreux esclaves réalise l’existence de castes différentes et justifie l’exploitation des dominants sur les dominés. A ce moment là, la société est répartie en trois groupes. Les esclaves sont les plus nombreux mais n’ont aucun droit ; les grands propriétaires (qui on souvent aussi une garde prétorienne) sont riches du travail de leurs esclaves et, des hommes libres mais plus ou moins pauvres qui, légalement,  se sentent plus proches des grands propriétaires que des esclaves. L’état, généralement cristallisé dans un seul individu est l’émanation du groupe des grands propriétaires (de terres et d’esclaves) et doit pérenniser la situation. Si un roi outrepasse ses prérogatives sans en avoir la puissance matérielle, il est renversé. Pour cela, le groupe des propriétaires fomente une conspiration en utilisant, si besoin est, la force et le nombre des hommes libres. Un nouveau roi est promu parmi les grands propriétaires. Le roi, donc l’état, est celui qui justifie et organise le mode de fonctionnement de la société au service des grands propriétaires. A travers toute l’antiquité, les révoltes de palais et les coups d’état sont suffisamment nombreux pour accréditer mes dires.

 

(A suivre)

 

L’état

(troisième chant)

Résumons ce que nous venons de dire. La société est constituée de trois groupes d’individus. D’un côté, un ensemble de propriétaires très riches mais peu nombreux, en face une foule d’esclaves et, entre les deux un nombre relativement important d’hommes libres mais pauvres (surtout en comparaison des propriétaires). L’état est l’organisme légal qui permet à cette situation de se proroger. En clair, l’état est le service qui permet aux propriétaires de continuer de jouir de la situation (voire, si possible, l’améliorer encore).

Mais ! Me direz-vous ! Si, si, allez, dites « mais » !

Mais oui ! Je sais, la démocratie, la république ! Athènes, Rome !

Et alors ? A Athènes, on sait les procédés utilisés pour manipuler les citoyens sur l’Agora. En fait, la démocratie officielle n’est qu’une oligarchie et cette oligarchie finit par être réunie dans les mains d’un seul homme qui devient « tyran » en Grèce et « dictateur » à Rome. Quoi qu’il en soit, même à l’époque de la démocratie, l’état a toujours été l’outil du groupe des grands propriétaires.

          Quand s’installe le système féodal, les esclaves peu à peu deviennent serfs. Sur le fond, cela ne change pas grand chose. Certains états (pays) s’agrandissent et se centralisent. 

          Les monarques donnent en remerciement à leurs capitaines des terres dont ils deviendront les seigneurs et, théoriquement, les administrateurs. Cette aristocratie est donc d’origine militaire et administrative mais assise sur la propriété foncière. Le pouvoir royal (donc, l’état) justifie son existence. Il est à noter que lors des révoltes diverses (la grande Jacquerie) le pouvoir central utilise toutes ses forces pour les réduire. Même si le statut de l’esclave a changé, nous retrouvons la même répartition des individus dans la société. Une aristocratie dominante, un servage dominé et entre les deux un nombre d’hommes libres qui ont tendance à se différencier selon leur richesse. Les plus riches tentent de se rapprocher du pouvoir et de l’état  grâce à la puissance de leur argent. Des banquiers peuvent prêter de l’argent à des rois et plus tard, des hommes libres riches achèteront des titres de noblesse. Cette tentative est d’ailleurs sans lendemain. L’aristocratie en place ne peut voir que d’un mauvais œil ses rangs grossir et surtout grossir de nouveaux plus riches qu’eux.

Cette nouvelle catégorie, on ne sait pas trop comment la nommer. On dit souvent la bourgeoisie. Mais ce terme est ambigu parce qu’il recouvre, en même temps, une petite bourgeoisie qui n’est pas concernée par la tentative d’intégration de l’aristocratie parce qu’elle n’est pas assez riche.

Les progrès technologiques du millénaire ont été tels que la richesse n’est plus liée strictement à la propriété foncière. Du coup, l’aristocratie se ruinant, à vendu leur liberté à de nombreux serfs et ceux ci sont allés grossir les rangs des hommes libres pauvres.

Nous avons donc le tableau suivant pour la France à la veille de la révolution de 1789 :

* Un roi assis sur une aristocratie en perte de vitesse.

* Une haute bourgeoisie détenant les rouages de l’économie mais sans pouvoir.

* Une population libre et pauvre souvent salariée augmentée d’un groupe résiduel de serfs.

L’état n’est donc plus aux mains du groupe dominant. C’est une situation de crise.

Comme nous l’avons déjà décrit pour un passé plus ancien, de même qu’en France lors des changements dynastiques, le groupe le plus puissant va s’emparer du pouvoir. Et, comme on l’a vu souvent aussi, en utilisant les forces et le nombre des hommes libres disponibles.

De ce qui précède, en caricaturant à peine et avec à peine un sourire entendu, on pourrait dire que la grande Révolution de 1789, si on ne tient pas compte des événements historiques qu’elle a entraîné, n’est rien de plus qu’un coup d’état de palais comme les autres. La seule différence, c’est qu’au lieu d’avoir un clan militaire et foncier remplacé par un autre clan militaire et foncier, nous avons un clan militaire et foncier remplacé par un clan industriel et financier. La grande différence, c’est que le nouveau clan, rencontrant les plus grandes difficultés à s’installer à du beaucoup s’appuyer sur les castes inférieures. Celles-ci en ont conçu de grandes espérances qu’il a été ensuite très difficile d’effacer. Il est à noter que dans d’autres pays, En Allemagne, en Angleterre, en Italie, cette passation de pouvoir s’est faite à peu près sans heurts. Ou tout au moins avec des heurts largement moins importants qu’en France.

Nous avons donc un nouveau portrait de la société avec des clivages différents.

D’abord, le servage a disparu. Il en reste par endroits le système du métayage, mais le métayer est officiellement libre. Il n’est plus lié à sa métairie. On peut, en conséquence affirmer, sans être excessif, que tous sont des hommes libres. Est-ce si vrai que ça ? Il est clair qu’ils ne sont pas tous devenus des travailleurs indépendants. Etre libre, ça ne veut pas dire être indépendant. Etre libre, cela veut dire avoir le droit de quitter son employeur et, être indépendant, cela implique ne dépendre de personne. En fait, depuis très longtemps, depuis l’antiquité, des hommes libres étaient dépendants. Leur nombre s’est accru. Il a grossi d’un côté par l’appauvrissement de travailleur indépendants qui ont du aller vendre leur force de travail à des entrepreneurs plus fortunés qu’eux et de l’autre côté par la disparition du servage.

Nous nous retrouvons désormais devant le schéma suivant :

          * Une haute bourgeoisie financière et industrielle qui détient les rouages de l’état.

          * Des hommes libres qui se subdivisent en deux groupes

                    à Ceux qui sont indépendants

à Ceux qui ne le sont pas.

 

Quelques mots sur chacun de ces groupes.

Il y a d’abord une difficulté pour cette haute bourgeoisie. Je ne sais pas trop comment la définir (comme quoi je ne suis pas infaillible). Pour entrer dans ce groupe, il faut que la bourgeoisie soit haute. Mais justement c’est le « haute » qui m’ennuie. Ça ne veut rien dire. A partir de quelle hauteur est-elle haute ? Et à partir de quelle « basseur » est-elle basse ? Hein, vous n’y aviez pas pensé à ça ? Et cela constitue, de plus, un piège intellectuel lourd de conséquence. La petite et la moyenne bourgeoisie (parce qu’il y en a aussi forcément une moyenne) ont tendance à s’auto assimiler à la haute bourgeoisie et, par un esprit de caste parfaitement compréhensible, à la soutenir de toutes leurs forces. Bien sûr, la haute bourgeoisie se garde bien de désabuser ces alliés de fait. Il se trouve que nous n’avons pas de limite définie. Sous l’ancien régime, la limite était une limite de droit qualitative. Maintenant, la limite serait une limite quantitative de fortune et cette limite même n’a pas de sens.

Marx (Karl Heinrich 1818 1883) parle du capital donc du capitalisme, donc des capitalistes. Rassurez-vous, je ne vais pas vous expliquer tout ça. Mais, même sa définition du capitaliste, si elle est parfaitement cohérente, ne me satisfait que modérément. Et en plus, je ne vous dirai pas pourquoi parce que c’est trop long.

Donc, je vais vous donner une définition de la haute bourgeoisie (capitaliste). Ça part de la plus haute fortune existante et ça s’arrête un peu plus bas mais on ne sait pas trop où. Toutefois, c’est beaucoup plus haut que ce que chacun imagine. Il y a donc, pour moi, des individus capitalistes au sens de Marx, qui à mon avis sont parfaitement extérieur à cette haute bourgeoisie.

Vous êtes contents, Hein !

Rassurez-vous, j’y reviendrai un de ces jours sur ce problème. Mais pas tout de suite. 

A l’autre bout, nous avons les hommes libres dépendants. Ce sont tous les salariés, Tous ceux dont l’existence dépend strictement d’un salaire. On dit souvent « prolétaire ». Il faut que je vous explique un peu le mot. En effet, au fil du temps, il a acquis plus ou moins trois sens. D’abord, le sens populaire (le prolo) l’ouvrier manuel. Le sens latin originel (proletarius) c’est l’individu de la plus basse classe à Rome ; c’est celui qui n’a pour toute richesse à offrir à la patrie que ses enfants. Et le sens Marxiste, celui qui n’a pour tout moyen de subsistance que le salaire qu’il reçoit. Ainsi, un ingénieur en informatique ou un médecin salarié sont des prolétaire (voire même un directeur d’industrie dans la mesure où il n’est pas en même temps actionnaire). Cette fois, j’opterais assez  pour la définition marxiste ; en effet, le prolétaire de Marx, le salarié, quoi, est parfaitement dépendant.

Et puis, comme d’habitude, il y a ceux qui sont assis entre deux chaises : Ceux qui, officiellement sont indépendants.

Le sont-ils vraiment ?

Théoriquement, oui. Ils font ce qu’ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent. Oui, sauf que… Ils ne peuvent pas négocier leurs prix. Soit à l’achat de fournitures où ils sont sous le dictat de la grande industrie soit à la vente parce qu’il faut bien qu’ils trouvent des clients, d’une part et qu’ils dégagent des bénéfices d’autre part,  soit les deux comme ceux qui font de la sous traitance éventuellement avec un seul fournisseur d’offre. Le plus souvent, n’étant pas salariés, ils se sentent alliés de la bourgeoisie et, comme elle, ils sont de farouches zélateurs du système en place.

Une nouvelle fois, Nous nous retrouvons avec une oligarchie dirigeante qui, utilise pour son intérêt propre la totalité de la population.

Nous pouvons donc conclure que dans tous les cas, l’état est un outil au service exclusif de la caste dirigeante. Je sais, ce n’est pas une nouveauté, d’autres l’ont déjà dit. Et alors ? Je trouve cela plutôt rassurant d’être en accord avec d’autres personnes. Pourquoi voulez –vous que je soie toujours tout seul dans mon coin.

Oui, mais !

Si, si ! Oui mais et le oui mais, on me l’a déjà dit. Quand j’ai publié la deuxième partie de cette réflexion, une amie m’a écrit pour me dire « oui mais ». Je vous cite sa remarque que je trouve très pertinente. « Je n'ai pas beaucoup de culture hein! Ne te moque pas de mon raisonnement simpliste, mais si l'état n'existait pas, ce serait l'anarchie non? Le droit de vote permet d'éviter en partie cette domination dont tu parles  même si on sait qu'on ne sera pas très écouté et que tout n'est pas  parfait, ça permet quelques avancées quand même. »

Elle a parfaitement raison. Heureusement qu’il y a le droit de vote. D’ailleurs, ce droit de vote, il n’a été obtenu qu’à la suite de luttes longues et opiniâtres. Qu’on se souvienne dès la fin de la révolution, le droit de vote est censitaire. Cela veut dire que pour voter, il faut payer une certaine somme d’impôt à l’époque. Donc que tout le monde ne vote pas.

Ah bon ? C’est de cela, entre autre, que nous parlerons dans le quatrième chant.

 

 

L’état

(quatrième chant)

 

Et oui ! Le droit de vote est censitaire. Et alors, qu’est ce que ça veut dire, ça ? Et bien, voilà.

       La haute bourgeoisie qui, pour s’emparer du pouvoir avait été astreinte à, très largement s’appuyer sur le « peuple » pour parvenir à ses fins, avait, du même coup laissé germer dans l’esprit de celui-ci de folles espérances. Liberté, égalité. La population française a vraiment cru que chasser l’aristocratie nobiliaire allait consister à donner le pouvoir à l’ensemble de la population. 

          Il devenait difficile de revenir en arrière et de nier la participation de l’ensemble des gens à la chose d’état. Il faut donc, sans la nier complètement, minimiser l’influence populaire du vote. Je vous livre ce qu’on trouve dans Wikipédia à propos du suffrage censitaire. « Sieyès (Emmanuel Joseph 1748 1836) considérait que seuls les individus ayant les capacités (intelligence, niveau économique) d'exercer cette activité peuvent l'exercer. Selon cette théorie seuls « les actionnaires de la grande société » seraient suffisamment légitimes pour exercer l'activité de vote. Sieyès distingue les « citoyens actifs », ceux qui paient l'impôt et qui sont capables de voter, des citoyens passifs n'ayant pas les revenus suffisants pour payer l'impôt, incapables de voter. Sieyès justifie cette position en constatant que seuls les citoyens riches contribuent à la bonne marche de l'économie nationale et qu'il est par conséquent juste qu'ils influent sur la vie politique par le truchement du vote. Ceci explique le maintien du suffrage censitaire dans la constitution de 1791, dont Sieyès à contribué à la rédaction. » 

          Et voilà, le tour est joué. On peut même présumer que, soutenu par sa vision de caste, Sieyès est sincère et se sent honnête en écrivant cela.

          La question se pose : Quelle est la valeur du cens. A sa création, pour être électeur, il faut payer trois cents francs d’impôts et pour être éligible, cinq cents. Oui, mais, ça veut dire quoi, ça ? Il s’agit de franc germinal (franc or).

          En représentation nominale, cela donne cinquante centimes d’euro. Dérisoire ! Oui, mais il y a la suite des dévaluations qui font qu’il faut multiplier en gros par deux mille ce qui donne mille euros d’impôt annuel… Par personne ! Donc pour un couple, le double. Cela reviendrait, dans la France actuelle à retirer le droit de vote à tous les « smicards » et en dessous. Efficace, non ?

          Lors de la restauration, Louis XVIII n’a pas osé, contre l’avis des ultras, supprimer le droit de vote et s’est fort bien accommodé du système censitaire.

          Le suffrage censitaire sera maintenu jusqu’en 1848.

          En 1848, révolution. Les émeutiers, qui s’étaient fait gruger dix huit ans avant en se voyant frustrés du résultat de leur révolution, proclament immédiatement deux choses : La République et le suffrage universel (pour les hommes seulement). Voilà. C’est une bonne chose de faite. On est tranquille. Vous croyez ? Pensez donc ! Le Prince Louis-Napoléon Bonaparte qui se présente comme le défenseur du suffrage universel est élu, a ce titre,  le 10 décembre 1848 Président de la République avec 74% de ce même suffrage universel. 

          Cela ne l’empêchera pas plus tard de dire : « Je veux bien être baptisé avec l’eau du suffrage universel, mais je n’entends pas avoir les pieds dans l’eau ». Au long de son règne, il respectera ce type de scrutin, mais il s’ingéniera à le vider de son sens. Une trouvaille : les candidatures officielles. Les préfets mettent les moyens de l’administration au service exclusif des candidats du pouvoir. Pour les maires, la population vote selon des listes préétablies par les préfets. Bien sûr, dans le même temps, dans un pays largement analphabète, on cultive l’ignorance populaire et Napoléon III dira même : « Surtout, n’ayez pas peur du peuple, il est plus conservateur que vous ». 

          Après le second Empire, la notion avouée de candidats officiels disparaît. Néanmoins, L’état pèse de tout son poids pour faire élire ses fidèles (et on le comprend). Le Générale De Gaule, en cela était un virtuose. Lui, ou le chaos. Pour jeter tout son poids dans la balance, il menaçait (étant un homme providentiel) d’abandonner les Français à leur triste sort… Un jour, le 27 avril 1969, cela l’a même conduit à démissionner.

          De nos jours, trois armes restent en vigueur pour vider le suffrage universel de son sens.

         D’abord, la démagogie. C’est un mode opératoire qui consiste à promettre tout en s’appuyant sur les instincts les plus bas et les plus vils de la population (l’exclusion, la haine, l’envie, la xénophobie, le racisme). En gros : si nous sommes malheureux, c’est la faute des autres. Avec un pouvoir fort, nous exclurons les méchants et vous verrez comme ça ira bien. 

          Il y a une autre forme de Démagogie moderne plus subtile. Elle consiste à laisser entendre que l’on va changer des choses mais en fait à ne rien dire. De cette façon, par la suite, on ne pourra pas reprocher de ne pas avoir réalisé les promesses. Je me souviens d’une personne qui dans une campagne électorale nationale disait : je pense aux personnes âgées, je pense à telle ou telle catégorie professionnelle, je pense à ceci, je pense à cela. Eh ! C’est bien d’y penser, mais à part ça ? Il manquerait plus que ça qu’elle n’y pense pas ! Il faut dire qu’elle avait pris comme modèle un personnage qui est, à mon avis l’archétype du genre. Mitterrand disait votez pour le changement. Quand on lui demandait lequel, il répondait : si vous votez pour moi, cela créera une situation telle que tout sera différent. Bref, il a laissé croire que le changement était inhérent à sa personne. Bah, on a vu. Les gens l’ont cru.

          Ensuite, l’absence d’opposition. Absence d’opposition ? Mais non ! Mais si ! On nous rebat les oreilles d’une hypothétique opposition droite gauche. Fumisterie ! Cette opposition est une fausse opposition. Il ne s’agit que de rivalités au sein du sérail. Comme dans le passé quand une faction fomentait en coup d’état tendant à remplacer un Roi par un autre, les changements de parti au pouvoir ne sont que des changements de personnel dans l’entreprise, des changements de domestique au château.

          Eh, vous en connaissez beaucoup, vous des partis politiques qui vous disent ce que je vous raconte ? Vous en connaissez beaucoup des partis qui proclament que l’état n’est qu’un organe au service d’une caste dominatrice et qui n’a pour mission que de gérer au mieux les intérêts de celle-ci. Il est même tellement vrai qu’il n’y a pas d’opposition que certains considèrent que pour mieux diriger, il suffirait de récupérer dans les divers partis les hommes et les femmes les plus doués pour gouverner. Si cela n’implique pas que l’opposition n’est que formelle… Et puis, il y a les transfuges. Pour deux raisons. Etre ministre sous celui-ci ou celui-là, cela n’a aucune importance. L’important c’est d’être ministre. De toutes façons, on fera sensiblement les même choses et on en auréolera, quoi qu’il en soit, davantage sa gloire personnelle. Et puis, dans l’autre sens, demander à une sommité de l’opposition, d’entrer dans le gouvernement, c’est une bonne astuce pour décapiter la susdite opposition, donc d’assurer sa pérennité propre. Il va de soi que cette absence d’opposition tend à écœurer les électeurs qui ne savent plus à quel saint se vouer. Du coup, ils se désintéressent de la gestion de la cité et de ce fait, ne voulant plus en entendre parler, ne cherchent plus à comprendre et laissent les mains libres aux valets de la caste possédante.

          Et bien sûr, le troisième facteur reste l’ignorance et la médiocrité. C’est la résultante de ce qui précède. Pour que les gens se laissent berner par la démagogie, pour que les gens ne se rendent pas compte qu’on ne leur propose rien d’autre, il faut qu’ils soient incultes. Il faut que leur conscience politique soit inexistante. Si toute la population était capable de tenir les raisonnements que je vous propose, il se formerait nécessairement une véritable opposition. Cette opposition avancerait des solutions théoriques et pratiques pour modifier les relations inter-humaines et juguler la spoliation de l’immense majorité de la foule par une minuscule oligarchie dévoreuse.           Il est utile à la caste dominatrice que la foule soit la plus inculte possible. Les dégradations successives de l’impact de l’école et la dénégation systématique de toute réflexion ne sont pas choses innocentes ou hasardeuses. Préparer de jeunes adultes instruits, pertinents et cultivés, c’est néfaste. Offrir à la population des loisirs épanouissants sur le plan intellectuel, c’est subversif. En fin de parcours, les gens étant très indécis, si par hasard, ils ont envie de voter pour un candidat qui semble dénoncer leurs difficultés, on leur dira que cette personne n’a aucune chance d’être élue. Comme les partis en présence n’ont pas de vraies propositions, ils se contentent de dénigrer l’adversaire et appellent en stigmatisant les hérésies de celui –ci non pas a à voter pour eux, mais contre l’autre. On en arrive alors au vote « utile » qui a ceci de particulier qu’il déconseille de voter selon ses idées mais, au contraire préconise de voter pour une personne en qui l’on ne peut pas avoir confiance parce qu’elle a plus de chance d’être élue. En fait, on ne vote plus, on joue au tiercé. Le jeu consiste à deviner le gagnant et à miser sur lui avant la fin de la course. Le vote utile… On se demande utile pour qui.

          Il nous restera à envisager les diverses solutions que divers théoriciens ont préconisé. Il n’y en a pas des quantités.

·       Le statu quo

·       Renforcer l’état

·       Affaiblir l’état

·       Supprimer l’état

·       Modifier le rôle de l’état.

          Comme je suis limité, par le système du « blog »,  dans la longueur de chaque article, je vais pour le moment en rester là et vous donne rendez-vous pour un cinquième et ultime « chant » dans un où deux jours. Une apothéose, quoi !

 

(à suivre)

  

 

 

L’état

 

(cinquième et ultime chant)

 

          Nous avons abondamment tenté de décrire ce qu’est l’état et, sans doute, certains aspects sont-ils encore restés dans l’ombre. Ce n’est pas grave. Si un jour je m’en aperçois, il sera toujours temps d’en reparler. Cependant, avant de refermer la péroraison, il reste à envisager comment les différents modes de pensée espèrent l’évolution de l’état.

Nous achevions le précédent chapitre en évoquant cinq grands groupes de possibilités. Réaffirmons-les.

·       Le statu quo

·       Renforcer l’état

·       Affaiblir l’état

·       Supprimer l’état

 

·       Modifier le rôle de l’état. 

           Lorsque je dis que dans l’avenir certains envisagent de maintenir le statu quo, je sens un nombre remarquable de mauvaises langues ricaner en maugréant : la, le Frère Jean, il a un talent particulier pour enfoncer des portes ouvertes. Ils pensent que je suis en train de réactualiser cette remarque forte qui dit que « à partir de dorénavant et jusqu’à nouvel ordre, ce sera comme par le passé ». En êtes-vous si sûrs ? Et puis, il y a des portes ouvertes qui ont la peau dure.

          Garder le statu quo, qu’est-ce que ça veut dire ? Par excellence, il s’agit du plus pur conservatisme. Surtout on ne change rien. Pour cela, il faut avoir deux clans rivaux qui alternativement détiendront le pouvoir mais avec, en définitive, les mêmes intentions. Il est hors de question de remettre en cause quoi que ce soit dans la domination d’un groupuscule dominant. Les zélateurs du bipartisme en sont les plus farouches défenseurs. La plupart des états occidentaux fonctionnent dans cette perspective.

 

          Renforcer l’état. Là, nous avons deux cas de figure. Premièrement, renforcer l’état, cela veut dire donner à l’état plus de puissance pour agir sur les fonctions économiques. Les grandes dictatures sont issues de cette situation. Si l’état reste l’outil de la caste dominante, il va de soi que ce seront les masses dominées qui en feront les frais (moins d’avantages sociaux et moins de droits syndicaux). A l’opposé, si l’état passait aux mains des groupes dominés, cela pourrait consister à plus contrôler les agissements des factions dirigeantes. Pendant que nous y sommes, prendre le pouvoir pour les opprimés, c’est bien, c’est relativement aisé, ça c’est déjà vu (toutes les grandes époques révolutionnaires ou contestataires), mais pour en faire quoi ? Si les masses populaires n’ont pas d’intentions bien claires ni de programme bien défini, c’est un coup d’épée dans l’eau qui a pour résultat de démoraliser les participants aux évènements revendicatifs. 

           Affaiblir l’état. Certains le réclame afin d’avoir une plus grande liberté d’action. Oui, bien sûr ! Etre moins lié par une législation castratrice, ce peut être une espérance constructive. Mais il est à noter que ce désir est surtout l’apanage d’une frange de la grande industrie qui par ce biais souhaite avoir les mains plus libres pour conquérir plus de dividendes. L’accroissement du libéralisme économique ne tend pas vers autre chose. Moins d’état, cela veut dire moins de législation sociale et moins de contrôle sur les chefs d’entreprises du pays concerné. Les Etats unis d’Amérique en sont un bel exemple. L’état n’intervient que très peu de façon législative dans les relations entre employeur et employé. Plus de liberté individuelle. Mais, la liberté individuelle entre un lion et une gazelle, ou entre un loup et un lapin, vers qui penche-t-elle ? Vous connaissez la fable de La Fontaine, hein, le loup et l’agneau. Je vous rappelle quand même la conclusion : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».

          Supprimer l’état.

          Là, nous avons encore deux cas de figure.

 

        D’une part, la position des anarchistes : plus d’état du tout. Puisqu’on sait que l’état n’a pour toute mission que d’aider à la domination d’une caste très faible en nombre sur la foule des victimes de cette caste, on en tire la conclusion que plus d’état, plus d’aide à cette caste. Oui, mais c’est en même temps absurde. Si c’est l’état qui a décidé que tous les soirs on fermera la porte du poulailler, plus d’état, plus de porte et les renards boufferont les poules. Je sais, je caricature un peu. Les anarchistes imaginent des industries plus ou moins cogérées. Je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. En l’absence de législation et en l’absence d’un organisme capable de faire respecter cette législation, c’est à dire en rétablissant la loi de la jungle où les plus forts mangent les plus faibles, j’ai du mal à me persuader que des individus ne prendraient pas une forme de pouvoir à des fins personnelles.

          D’autre part, les communistes qui pensent qu’à terme, mais beaucoup plus tard dans le temps, après un long moment où les masses précédemment opprimées auront imposé leur loi, lorsque la société arrivera à un communisme intégral, l’état devenant inutile disparaîtra de lui même. J’ai aussi du mal, pour la même raison. J’irais même jusqu’à penser que cette vision du monde est anti-marxiste en ce sens que considérant que les humains deviennent justes et bon, c’est une vision idéaliste, donc non marxiste. Il me semble que l’état doit être un garde fou tendant à limiter les excès dans un sens ou dans un autre. Le lieu n’étant pas de faire le procès à charge et à décharge des mouvements passés des communistes, je vous en reparlerai un autre jour plus en détail.

         Le dernier cas de figure est celui imaginé par ceux qui attendent une modification du rôle de l’état.

           Nous avons vu et revu, et dit et redit et répété que le rôle de l’état consistait à proroger une domination d’un groupe par un autre et ceci sans discontinuer depuis l’aube de la civilisation.

          Nous n’y changerons rien. Et alors ? Est-ce une tragédie ? Une fatalité ? Une loi de la nature ? Une loi de la nature, oui, mais le reste, non. Une loi de la nature, quand on est un tout petit peu malin, l’astuce consiste à savoir s’en servir. Mais voilà, encore faut-il être un tout petit peu malin. L’eau ayant tendance à couler plutôt vers le bas, ne veut pas remonter vers les robinets ; alors, étant juste un tout petit peu malin, on place le château d’eau plus haut que les maisons. Et voilà. Voilà une loi de la nature utilisée de façon intelligente. Puisque nous savons que l’état est l’institution qui permet à un groupe d’imposer sa loi aux autres, et ceci sans qu’intervienne le nombre de personnes de ces groupes, si on faisait en telle sorte que l’état au lieu d’être entre les mains d’une oligarchie financière soit entre les mains du reste de la population…

Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ça y est, je les entends les criaillements de mes détracteurs. Ils m’accusent de promouvoir un sous marxisme de bazar. Ils ont raison. Mais en même temps, ils ont tord.

          Pour arriver à cette fin, Marx propose de supprimer purement et simplement le groupe qu’il appelle capitaliste. Moi, je n’ai pas dit ça. Je ne vais pas ici vous exposer dans le détail comment je vois les choses. Je vous en reparlerai plus tard. Mais, tout de même, juste un mot. D’abord pour vous montrer que je suis cohérent avec moi même et ensuite pour laisser entendre que j’y ai déjà un peu réfléchi. Irais-je jusqu’à laisser supposer que la suite de mes exposés ne va pas complètement au hasard et que j’ai un plan intellectuel déjà établi ?

          Hé ! Hé ! Celui qui est un tout petit peu malin… Qui c’est ?

          Bon, ne sombrons pas dans l’auto admiration.

 

       Marx, constatant l’antagonisme entre des groupes d’individus donne un nom à cette situation. Il appelle cela la lutte des classes. Cette lutte des classe, elle existe, n’y revenons pas. Pour la supprimer, il décide de supprimer totalement la classe qu’il appelle capitaliste. En effet, si la société n’est composée que d’une classe unique constituée strictement de salariés, il ne peut plus y avoir de lutte des classes. Il y a là dedans deux choses qui m’ennuient (dont une qui m’ennuie parce que cela m’ennuie de ne pas savoir comment faire). Comment supprimer celle qu’il appelle capitaliste ? Nous avons vu précédemment que le groupe qui exploite effectivement le reste de la société à son profit est, d’une part, très restreint et d’autre part difficile à désigner. Les marxistes sont donc conduits à opérer large. La première idée est de dire : le capitaliste, c’est celui qui exploite d’autres hommes. Dans ce cas, le boulanger du coin qui emploie deux salariés est un capitaliste. Là, déjà, je ne suis pas d’accord. Même cette définition n’est pas satisfaisante dans la pratique. Alors, les marxistes vont plus loin. Un capitaliste, c’est quelqu’un qui possède, de façon personnelle, des moyens de production. Un capitaliste, c’est un non salarié. De cette façon, la dichotomie est facilement repérable. En interdisant la possession privée de moyens de production, la société n’est plus constituée que de salariés et le tour est joué. Oui, mais du même coup, on supprime le groupe des travailleurs indépendants qui ne sont pas un danger pour la société et en même temps, les petites entreprises qui ne sont pas non plus, à mon sens, une source de graves d'inconvénients (surtout avec un état qui, désormais, est à l’écoute de la quasi totalité de la population). Là est pour moi le problème, à partir de quel niveau un entrepreneur devient-il un exploiteur capitaliste qui profite du système ?

En résumé, on peut dire que dans un souci de déterminer une dichotomie facilement exprimable, les marxistes ont été conduits à imaginer un système excessif qui a, entre autre, comme résultat, de nier les aspirations individuelles, l’imagination, la combativité, la créativité qui sont aussi des qualités humaines. C’est un peu comme si pour opérer sur une verrue plantaire, on amputait la jambe.

          Ce n’est pas simple, hein tout ça ?

          Je sais.

          Nous y reviendrons.

          Quoi qu’il en soit, je présume que vous avez deviné que mon sentiment est tout de même d’aller dans ce sens de réflexion.

          Puisque l’état est un organisme qui gère la domination d’un groupe sur les autres et que nous n’y pouvons rien, au même titre que l’on a vu une faction militaire et terrienne remplacée par une autre, industrielle et financière, pourquoi ne pas penser que cette dernière est remplaçable par des productifs manuels ou intellectuels. Comme il se trouve que ceux-ci sont, et de très loin, les plus nombreux, ce serait quand même un progrès notoire.

          Comment s’y prendre ? On y reréfléchira.

 

Eh, entre nous, s'il y avait de vrais partis d'opposition,

vous ne croyez pas qu'ils le diraient, tout ça?

 

Commentaires: 2
  • #2

    jagla (lundi, 31 juillet 2017 18:33)

    exellente reflexion de serpent qui se mord la queue. Laquelle?

  • #1

    Kejji (lundi, 31 juillet 2017 13:23)

    Manque suffisamment de détail sur la petite bourgeoisie. Son caractère instable selon qu'elle veuille (suivant l'offre) remonter ou baisser de classe : son rôle pour defendre la grande bourgeoisie ou être l'élite pour défendre l'intérêt de la classe inférieure.

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