ENCORE L’ECOLE !

 

 

 

          Je dressais, dans un article précédent, un tableau un peu attristé de l’école telle que nous la connaissons. J’en arrivais à cette conclusion que les « méthodes modernes » ont cette particularité d’être intéressantes pour les milieux socio culturels élevés et catastrophiques pour les autres. Je voudrais faire deux remarques à ce sujet. Le vieil Inspecteur que je citais déjà disait aussi : Pour les élèves simplement normaux et moyens, quelle que soit la pédagogie mise en place, cela n’a pas d’importance. Ils en tireront toujours quelque chose. Là où la méthode devient importante, c’est pour les autres ; ceux qui sont déjà naturellement en difficulté. D’autre part, il faut garder en mémoire que les enfants des plus hautes sphères économiques ne vont pas, ou exceptionnellement, à l’école publique. Pour eux, on préfère des écoles privées chères qui, soit dit au passage, mettent en œuvre des méthodes on ne peut plus classiques et traditionnelles. Ce qui laisse à penser que ceux à qui les « pédagogies rénovées » s’adresseraient les fuient.

          Donc, on en arrive à cette contradiction paradoxale que les « méthodes modernes » sont utilisées de préférence pour ceux auxquels elles ne s’appliquent pas.

          C’est embêtant, ça.

          La question devient, alors : Comment en est-on arrivé là ?

          Il faut bien comprendre que les susdites méthodes sont étayées, au départ, par des intentions nobles et généreuses. Mais, l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? En effet, la volonté de départ est de recoller l’école à la vie, de faire plus appel à l’intelligence qu’aux recettes, de permettre à l’enfant de découvrir et de comprendre par lui-même les connaissances nécessaires, de progresser selon ses capacités propres, etc.

          C’est beau tout ça.

          Pourtant, ce n’est pas parce qu’une chose est belle qu’elle est forcément juste. On décide que l’enfant étant plus libre et concerné sera plus efficace. Qu’en sait on ? Ce n’est pas parce qu’on dit une chose qu’elle devient vraie. Prendre comme axiome une idée aussi gratifiante soit elle, cela s’appelle de l’idéalisme et vouloir baser l’avenir sur des rêves si enthousiasmants soient-ils, cela s’appelle de l’utopie.

          Depuis trois quarts de siècle que la chose s’est progressivement et insidieusement installée, comment se fait il que personne ne s’en est aperçu ?

          Posons la question autrement.

          Qui est-ce que cela arrange et qui est-ce que cela ennuie ?

          Alors, qui est ce que cela arrange ? Hein… J’attends !

          Allons, qui est-ce que cela arrange ? Et bien, tout le monde.

          Passons ce tout le monde en revue.

          D’abord les élèves :

          Jamais de sales notes, jamais de remontrances, jamais d’efforts, un laxisme à toutes épreuves, des sorties, des promenades, des activités récréatives, un maître qui est suffisamment démagogue pour écrire en SMS afin de montrer que lui aussi comprend le « jeune », comme écrire dans une fiche distribuée aux élèves « j’aime l’école » en remplaçant le mot « aime » par un petit cœur rouge. Avoir l’impression que l’école n’est en fait qu’un super centre aéré : Le Nirvana, quoi.

          Puis, les enseignants :

          Pas de vrai programme. Donc pas le souci de ne pas le boucler. Pas de récriminations des parents, de ce fait, pas d’ennuis avec la hiérarchie. Pas de préparations méticuleuses. Pas de remords envers une hypothétique éthique professionnelle. Mais la possibilité de se laisser aller aux stimuli du moment, de remplacer l’organisation méthodique mais astreignante par la fantaisie et l’improvisation. On se satisferait de moins.

          Pour la hiérarchie :

          S’il n’y a pas de plaintes, c’est que tout le monde est content. Donc, c’est que ça « marche » bien. De ce fait, l’inspecteur (garant devant la nation que le service d’Education nationale remplit effectivement sa mission) ayant une circonscription sans vagues, sans éclaboussures, dans laquelle tout semble parfait peut se présenter comme un excellent fonctionnaire et par suite espérer de l’avancement. Et chaque étage de la hiérarchie réagit de la même façon.

          Et les parents ?

          Si jamais on ne leur dit que leur enfant court à la catastrophe, comment voulez-vous qu’ils le sachent ? Leur enfant à l’air heureux d’aller à l’école et les maîtres ne s’en plaignent pas. On se demande pourquoi ils auraient un esprit suffisamment chagrin pour n’être pas satisfaits.

          Bien sûr, les politiques.

          Pour eux, si personne n’a de revendications et ne descend dans la rue en agitant des banderoles, moyennant quelques grands discours paternalistes, ils ont la quasi certitude d’être réélus. Il n’y a que ça qui compte.

          Quant aux hautes sphères économiques, elles considèrent que donner des connaissances culturelles aux masses laborieuses, c’est gaspiller de l’argent inutilement. Du moment où chacun sait appuyer sur le bon bouton au bon signal pour faire fonctionner la production de façon rentable c’est strictement ce qui suffit. D’autre part, où irait-on si les salariés avaient des références historiques, philosophiques, économiques, sociologiques, littéraires et artistiques ?

          Enfin, la nation ?

          Pourquoi se plaindrait-elle si tout le monde est content ?

          Donc, qui est-ce que cela arrange ? Hein ? Je vous le redemande… Alors tous en cœur, (vous savez maintenant comment il faut écrire ce mot) :

          Tout le monde !

          Bien !

          Alors, qui est-ce que ce la ennuie ?

          Bah oui, je sais. Le bon sens le plus élémentaire conduit à penser que si cela arrange tout le monde, c’est que cela n’ennuie personne.

          Résumons rapidement. Si les élèves « se la coulent douce », si les enseignants ne sont astreints à aucuns résultats, si la hiérarchie peut attendre des promotions, si les politiques sont réélus, si la haute finance peut s’asseoir sur des salariés taillables et corvéables à merci, si en l’absence de réflexion cohérente, n’importe qui peut avancer n’importe quelle théorie sans crainte d’être contredit et si les parents sont convaincus que ce qui se fait est le mieux que l’on puisse imaginer ? On se demande pourquoi quelqu’un serait ennuyé.

          Mais ce n’est pas si simple que ça.

          Les individus humains ont ce travers de privilégier l’immédiat au différé. Goûter tout de suite quitte à en pâtir après. Je sais que trop manger risque de me rendre malade, mais comme c’est très bon, je mange quand même. Après moi, le déluge (Louis XV). Détruire la planète plus tard rapporte de l’argent maintenant. La chose n’est pas follement nouvelle. C’était déjà la préoccupation d’Epicure il y a quelques deux mille trois cents ans. Il est, du reste, amusant de constater que l’épicurisme mal compris conduit exactement à ce que nous stigmatisons. En effet, le perversion de l’Epicurisme c’est jouissons tout de suite de tout ce qui est possible sans tenir compte de l’avenir. Epicure dit le contraire : Tout plaisir n’est pas bon à consommer et toute souffrance n’est pas à rejeter. Jouir de ma paresse aujourd’hui risque de me conduire demain à des déboires aggravés et une souffrance consentie me conduira demain à un plaisir plus accompli.

          Alors, reprenons les tous rapidement.

          L’enfant qui va « en baver » un peu plus se verra armé d’une culture générale plus vaste lui permettant une appréhension plus globale de l’univers. L’enseignant plus tourmenté par sa mission construira une société plus noble et de ce fait retrouvera la considération de la nation (considération qu’il s’est lui-même en partie aliénée). Le fonctionnaire hiérarchique confronté aux difficultés locales et cherchant à les résoudre au lieu de les masquer y gagnera en crédibilité. Le politique au risque de paraître sous un jour exigeant sera élu par des citoyens plus conscients et de ce fait plus solide dans son mandat. Les Chevaliers d’industrie, devant consentir une meilleure considération envers leurs salariés, y trouveront des collaborateurs plus pertinents dans leur imagination, leur créativité et leur implication envers la production. Les parents, même s’ils doivent payer en efforts et subir des remarques désagréables sauront qu’ils ont donné, à leur descendance, tous les outils que chacun, selon ses possibilités, saura utiliser. Gratifier sa descendance, n’est-ce pas gratifier son immortalité ?

        Et voila. Tout cela ne se fait pas. Pourquoi ? Paresse ? Désillusion ? Epicurisme mal compris ?

          Il faut tout de même constater que dans toutes ces catégories d’individus, les moins responsables sont les parents. La pédagogie, ce n’est pas leur métier. S’ils ne savent pas, ce n’est pas de leur faute. Surtout si en même temps on les gave « dans le poste » de considérations fumeuses.

          Et bien sûr les enfants. Par essence, ceux qui sont innocents, ce sont eux.



Et si l’on considère qu’ils seront, à terme, les principales victimes…

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