nationalisation ou privatisation.

 

 

 

 

Voici un sujet qui, depuis un bon siècle et demi a fait couler beaucoup de salive, beaucoup d’encre et beaucoup d’octets. Les uns, avec une détermination opiniâtre voudraient tout nationaliser. Les autres, avec la même véhémence farouche exigeraient de tout privatiser. Une telle frénésie intraitable, dans un cas comme dans l’autre peut sembler abusive. Essayons de réfléchir à la chose avec calme et bon sens.

Avant tout, il faut remarquer une situation intellectuelle qui peut sembler paradoxale ; mais il ne s’agit que d’une affaire de vocabulaire. Disons que ce n’est pas simple, mais que, en même temps, ce n’est pas compliqué. Par simple, il faut comprendre le contraire de complexe. Simple, cela veut dire ne comportant qu’un seul paramètre. Or, nous le verrons, nous devrons nous confronter à deux éléments qui peuvent sembler contradictoires. Chacune des deux solutions proposées présente des avantages et des inconvénients. En fait, on ne peut pas tout mettre du même côté. Nous aboutirons à une situation dichotomique telle que, selon les cas, il faudra choisir une solution ou une autre. Donc, ce n’est pas, au sens propre du terme « simple ». En revanche, ce n’est pas compliqué. Cela veut dire que c’est facile à comprendre et à exposer. C’est bien ce que nous disions, ce n’est pas simple, mais ce n’est pas compliqué. D’autre part, nous avons tendance à nous poser la question de savoir pourquoi il faut nationaliser et pourquoi il faut privatiser. Mais, curieusement, c’est dans l’autre sens que nous devrions raisonner. Les bonnes délibérations sont plutôt pourquoi il ne faut pas nationaliser ou bien pourquoi il ne faut pas privatiser. Cependant, nous constaterons qu’on ne peut pas parler de l’un sans évoquer l’autre. C’est un peu comme si l’on voulait examiner le froid sans faire référence au chaud et réciproquement évoquer le chaud en faisant abstraction du froid.

Proudhon (Pierre-joseph 1809-1865) émettait la formule célèbre : « La propriété, c’est le vol ». Au même titre, les Indiens d’Amérique du nord ne comprenaient pas que les blancs déclarent la terre comme leur propriété alors que pour eux c’étaient eux, les hommes, qui appartenaient à la terre. Ainsi, leur allouer une réserve, pour eux, n’avait pas de sens. Plus tard, les soviétiques, s’appuyant sur les écrits de Marx (Karl 1818-1883) décidèrent d’interdire la propriété privée des moyens de production. L’intention, fort louable, était d’éradiquer l’exploitation de l’homme par l’homme. En effet, s’il n’y avait plus d’exploiteurs, il n’y avait plus d’exploités. Les détracteurs du soviétisme s’étaient rués sur cela en vociférant que les gens ne possédaient plus rien et que tout était collectivisé. C’était mensonger et inepte. On pouvait parfaitement être le propriétaire de ses chaussettes ou de sa brosse à dents. Ce qui était proscrit, c’était uniquement la propriété privée des moyens de production. On pouvait posséder à peu près tout ce qu’on voulait, mais pas une entreprise quelle qu’elle soit. C’était quand même absurde et incohérent. Une loi n’a un sens que si elle est applicable. 

En effet, si vous promulguez un règlement selon lequel il est formellement interdit d’uriner derrière les arbres, cela implique que vous avez la capacité de placer un gendarme derrière chaque arbre ou derrière chaque urineur potentiel, voire les deux ce qui est parfaitement chimérique. Au même titre, essayez d’empêcher un brave type de fabriquer, dans le fond de son garage des pains au chocolat ; puis, d’en fournir sa famille, y compris ses cousins éloignés et jusqu’à sa belle-mère honnie. C’est peu réaliste. De proche en proche, il en préparera aussi pour son voisin qui, à titre de reconnaissance, le fournira avec ce persil qu’il fait amoureusement pousser dans des jardinières sur son balcon. Interdire la propriété privée des moyens de production n’a donc, a priori, pas de sens. Il est à noter que dans les dernières années de l’époque soviétique, il s’était organisé, un peu partout, une économie parallèle, souterraine et illicite que tout le monde connaissait mais sur laquelle, plus ou moins on fermait les yeux parce que, dans la pratique, c’était elle qui faisait tourner la machine économique de la vie en société.

 Mais ce n’est pas le plus grave. Interdire la propriété privée des moyens de production, cela implique interdire la liberté d’entreprise, donc la liberté individuelle, donc une forme de liberté… tout court. Ne pensez-vous pas, avec moi qu’une atteinte à une liberté quelconque est, par essence, une dégradation sévère de la créativité du génie humain ? Il s’en suit donc que, au nom du libre arbitre le plus élémentaire, la liberté d’entreprise et donc l’entreprise privée doivent pouvoir exister.

Cependant, et c’est là que surgit le contre temps, il ne faut pas en conclure que l’entreprise privée est une panacée idyllique totale et absolue. Imaginez ; nous sommes dans une population isolée. Il existe une seule brave dame qui reprise les chaussettes. Elle est en position de monopole. Elle peut donc pratiquer les prix et les conditions qu’elle veut sans aucune contrainte. 

Si elles sont plusieurs (trois ou quatre) elles vont entrer en concurrence et, pour attirer le client, seront conduites à modérer leurs tarifs et leurs prétentions. Il se crée alors une situation de déséquilibre ou (si l’on préfère) une situation d’équilibre très instable ou chacune cherche à accaparer la clientèle des autres afin de les pousser à la faillite et de se retrouver en situation de monopole. Nous avons donc cette situation irrationnelle selon laquelle, pour être profitable à la population, l’entreprise privée doit être en situation de concurrence mais, dans le même temps, chaque entrepreneur privé ne rêve que de situation de monopole et agit de toutes ses forces pour y parvenir. En fait, et pour être plus exact, les intérêts sont antinomiques. L’entrepreneur souhaite être en situation de monopole et les clients (ou les utilisateurs) préfèrent qu’il y ait une concurrence.

Peut-il toujours y avoir une concurrence ? Si la réponse est oui, alors, tout peut être privatisé et le problème n’existe plus. Mais, hé ! vous l’imaginez, vous la vallée un peu resserrée où au, nom de la concurrence, il y a trois autoroutes parallèles desservant le même trajet ? Et, trois, pour qu’il y ait concurrence, c’est un minimum. Surtout si, dans la même vallée, vous ajoutez, pour la même raison, trois compagnies de chemin de fer et, bien sûr trois lignes électriques de haute tension. Déjà que, avec une de chaque, les riverains ne sont pas très contents alors avec plusieurs, je ne sais pas si vous imaginez. A l’opposé, une compagnie aérienne peut être privée. En effet, sur un même trajet, Londres Berlin, par exemple, ou bien Limoge Besançon, plusieurs compagnies peuvent entrer en concurrence. En revanche, l’aéroport, lui, ne peut être que public. En effet, pour qu’il y ait concurrence, il faudrait plusieurs aéroports concurrents les uns à côté des autres.

De ce qui précède, nous pouvons constater que l’on ne peut pas tout nationaliser mais qu’on ne peut pas davantage tout privatiser. L’affaire sera donc une question de bon sens et il faudra décider au coup par coup.

Maintenant, voyons une autre spéculation qui une nouvelle fois est une affaire de vocabulaire. Il est d’usage d’opposer privatisation et nationalisation. Privatisation, cela ne pose pas de problème. Mais, nationalisation, cela implique que c’est national, que ça appartient à la nation, donc que c’est géré par l’état. C’est là que c’est absurde. Le contraire de « privé », ce n’est pas « national », c’est « public ». Du reste, il existe une multiplicité d’entreprises ou d’organisations qui ne sont pas nationales, mais qui ne sont pas davantage privées. Vous voulez des exemples ? Les routes départementales ne sont pas, par définition, nationales. Elles appartiennent au département. La piscine municipale, elle n’est pas nationale, mais elle n’est pas non plus privée. En fait, il faudrait inventer un mot et ne plus dire nationalisé, mais publicisé. Certes, on pourrait considérer que nationalisé cela veut dire remis entre les mains de la nation et pas nécessairement à l’état. Mais comme, quand on dit nationalisé il s’agit le plus souvent de très grosses entreprises, on pense en priorité à l’état, cela crée une ambigüité regrettable.

Maintenant, il y a aussi une équivoque qu’il sera bon de lever. Nombre de gens font mal la nuance qu’il y a entre entreprise nationalisée et service publique. Eh oui ! ce n’est pas la même chose.

Une entreprise nationalisée est une entreprise qui, comme toutes les entreprises produit une richesse. Cette richesse, on pourra la vendre et dégager, ainsi, un bénéfice. Inversement, un service public ne produit pas de bénéfice. Mieux, il consomme une prospérité. Essayons d’éclaircir la chose. La nation, dans son ensemble et par son travail génère des richesses. Dans le même temps, la même nation souhaite se pourvoir de services divers. Alors, grâce à sa capacité de produire plus que ce dont elle a besoin, elle délègue un certain nombre d’individus qui, au lieu d’œuvrer à l’élaboration de produits de première urgence vivrière, vont se voir chargés d’assumer ces services. 

Un employé de préfecture, un gendarme, un maître d’école, un cantonnier et quelques autres ne produisent aucune richesse et comme il faut bien les payer pour qu’ils vivent, on peut dire qu’ils en consomment. C’est parce que la population constate qu’elle a besoin de ces activités qu’elle en crée l’existence. Notons au passage que la présence de ces personnels n’est pas complètement stérile. En effet, il faut reconnaître que les individus, déchargés de la tâche de se défendre, d’éduquer leurs enfants, de balayer leur rue etc., vont pouvoir, d’autant mieux, se consacrer à leur finalité professionnelle et socio-économique propre. Tous les gens qui assument ces besognes permettent aux autres d’exister et de créer. Leur travail a pour fonction de libérer les autres. Ceux qui accomplissent ces fonctions, c’est ce qu’on appelle les fonctionnaires.

Sans les fonctionnaires, il n’y a plus de vie en société possible.

Vous ne me croyez pas ? Je vais vous proposer une comparaison qui, du reste, est fausse. Elle est fausse parce que les gens dont je vais vous parler ne sont pas des fonctionnaires. Toutefois, le rapprochement reste licite. Imaginez un grand chanteur à la mode. Il vient donner un concert dans une salle de spectacle. Est-ce que vous imaginez le nombre de personnes que cela implique ? Depuis les techniciens de la lumière, du son, et de la publicité jusqu’à la dernière des employées de ménage ? Sans eux, le spectacle et donc le chanteur n’existent pas.

Il y a une expression qui affirme que les services publics doivent être au service du public. C’est là que le bats blesse. Toutes les récriminations que l’on entend au sujet des administrations tiennent au fait que tout est organisé pour dénigrer ces mêmes administrations.

Cependant, Nous allons en rester là pour les services administratifs. Nous avons vu, précédemment que les services publics ne sont pas des entreprises nationalisées. Notre sujet parle d’entreprises privées ou nationalisées. Donc, réfléchir, aujourd’hui, sur les fonctionnements des administrations est hors sujet. Les administrations, c’est aussi une préoccupation brûlante. Il faudra s’en préoccuper un jour ou l’autre, mais pas maintenant.

Revenons donc à nos moutons, et nos moutons, en l’occurrence, ce sont les entreprises nationalisées. Il est de bon ton, pour les esprits forts, manifestant avec un consensualisme véhément et une soumission sans bornes aux pouvoirs en place, de traîner dans la boue les susdites entreprises nationalisées. Plus exactement, on vilipende les employés qui y travaillent. Ce sont des paresseux, des incapables, des bon à rien, des profiteurs qui sont toujours en grève et j’en passe. On aimerait leur retirer tout droit à des mouvements syndicaux. Or, les revendications syndicales, y compris le droit de grève sont un droit imprescriptible, en France, depuis le préambule de la constitution de 1945. Vouloir revenir là-dessus, ne serait-ce pas un camouflet envers la liberté d’expression et la liberté d’association. Ne serait-ce pas vouloir revenir à cette époque merveilleuse où les manifestations et les grèves étaient résolues à la pointe des baïonnettes ?

 

La question est : qu’en est-il au juste ?

Prétendre que les entreprises nationalisées sont inefficaces et que les employés qui y travaillent sont des malfaisants qui ruinent la nation et pénalisent l’ensemble des citoyens, n’est-ce pas, précisément enfourcher le dada de ceux qui, toutes griffes dehors, ne rêvent que de dénationaliser ces activités ? Ne les avez-vous jamais entendus ces philosophes de comptoir qui, affectant un bon gros bon sens, lancent à la cantonade sous la forme de rodomontades alcoolisées qu’il est bien connu que les entreprises nationales sont des calamités qui grèvent le budget du pays et sont de mauvais exemples pour l’ensemble du monde du travail. Tous ces braillards, ont-ils vraiment conçu eux-mêmes cette pensée sans se contenter de régurgiter des propos qui leur ont été inculqués sournoisement, sans n’être que des caisses de résonnance vides d’esprit, sans ne vouloir que briller par une pseudo compréhension dont ils n’analysent même pas le sens et sans n’être que des forts en gueule qui ne cherchent qu’à se faire valoir par des propos prétendument supérieurs ? Ces bravades gouailleuses, qui servent-elles ? Ceux qui les profèrent avec véhémence ? Pensez donc... Même pas.

Hé ! vous l’imaginez, vous, la manne pharaoniquement juteuse que peut représenter, pour des actionnaires, la dénationalisation d’une entreprise en situation de monopole ? Nous évoquions précédemment le fait que tout propriétaire d’entreprise ne rêve, par des efforts opiniâtres, que de parvenir à cette situation. Et là, sans vergogne, on leur en ferait cadeau. N’avez-vous pas l’impression que c’est le contraire de ce que la population espère ? Cela prouve, si toutefois c’était nécessaire, que les gouvernements qui agissent ainsi ne sont pas au service de la population mais à celui des susdits actionnaires. Et, en définitive, les diatribes anti nationalisation ne servent que les rapaces qui volent autour des entreprises visées en bavant de désir d’appropriation et de pillage de la nation.

 

Cela dit, il y a des entreprises nationales qui ne sont pas en situation de monopole : par exemple, en France la compagnie automobile Renault. Cette entreprise a été nationalisée pour des raisons historiques sur lesquelles ce n’est pas le lieu de revenir. On pourrait cependant, une concurrence tant nationale qu’internationale existant, imaginer de la reprivatiser. Ce serait une erreur. Une autre situation que la simple absence de concurrence peut conduire à une nationalisation d’entreprise existante ou à la création d’une nouvelle entreprise publique nationale.

Nous avons établi que la condition sine qua non d’existence d’une entreprise privée réside dans le fait qu’il y ait une concurrence possible. Mais voilà ! Les entreprises peuvent tricher. Oh les vilaines ! Et, ceci est d’autant plus vrai qu’elles sont peu nombreuses. Elles peuvent de façon soi tacite soi organisée passer des accords entre elles. Si c’est délibéré, cela tient du système mafieux qui consiste à se partager le gâteau en évitant de piétiner les plates-bandes des autres afin d’échapper à la guerre des gangs. La répartition ne sera pas géographique (tu rançonne tel quartier et moi tel autre), ni par spécialité (tu prospère sur la drogue et moi sur la prostitution). Non. C’est plus subtil. On applique les mêmes tarifs abusifs et on ne pratique la concurrence que sur des aspects secondaires. Imaginez dans un lieu isolé trois fabricants de confiture. Il se sont mis d’accord sur un prix plancher au-dessous duquel on ne descendra pas et, on ne se fera une petite guerre que sur l’aspect et le matériau de l’emballage, sur la nature du couvercle, sur la couleur de l’étiquette et sur la taille du conditionnement. Mais le prix franchement abusif, on ne le touche pas. On retrouve une situation de monopole partagé par quelques partenaires qui se sont mis d’accord pour décider à quelle hauteur on va gruger les clients. Il s’est formé ce qu’on appelle un cartel.

Comment y remédier ? Bien sûr, on peut nationaliser ces entreprises qui ne jouent pas le jeu de la concurrence et l’affaire est entendue. Cependant, on peut aussi penser que ce n’est pas la meilleure solution.

 

En effet. La situation est faussée parce que les susdites entreprises privées ne jouent pas le jeu de la concurrence et, de ce fait dégagent des dividendes abusifs en dépouillant la population. Ne serait-il pas loisible en cette occurrence de créer à côté une autre entreprise, publique, celle-ci, de fabrication de confiture qui, précisément, ne jouera pas le jeu du cartel. Elle appliquera des prix plus en rapport avec la réalité. Comme, de plus, elle n’aura pas d’actionnaires à abreuver, elle pourra mette en difficulté les confituriers coupables et antisociaux. Redisons-le, lorsque nous parlons d’organisation « nationalisée », cela ne veut pas forcément dire dirigé par l’état. La chose peut être gérée par une collectivité locale (département ou même commune). Le but restant de rétablir une notion de concurrence loyale abusivement malmenée au détriment de la population.

Insistons avec toute la lourdeur possible, dans ce cas, nationalisé ne veut pas dire géré par l’état mais au service de la nation. Du coup, notre usine de confiture nationale créée dans le charme bucolique du Rouergue peut être conduite par des personnels de l’Aveyron et pas par un employé d’un cabinet ministériel de la capitale. Je sais, je l’ai déjà dit, le mot nationalisé est mal choisi et ambigu.

C’est là que nous pouvons revenir à l’entreprise nationale Renault. On pourrait penser que c’est un moyen de pression de l’état sur les tarifs abusifs et les procédés des autres compagnies automobiles. Il n’en est rien. L’état (au service des grandes puissances financières) au lieu de peser sur une concurrence déloyale, entre dans le cartel et en joue le jeu. Si l’état, au lieu de n’être qu’un outil au service des grandes puissances financières susmentionnées était au service de la population, les choses pourraient être changées et disons-le, inversées.

Il y a aussi un autre phénomène qui dénature la notion de nationalisation. Suite à on ne sait trop quel raisonnement spécieux, on va privatiser partiellement l’entreprise publique. Oh le joyeux gâteau ! Les richesses générées par l’entreprise publique, on va en faire profiter à des actionnaires privés. C’est comme si un épicier, constatant qu’il fait des affaires décidait d’en distribuer une part au châtelain du village. Quoi que… Pour un gouvernement au service des puissances financières, c’est une simplification. Au lieu de percevoir les bénéfices de l’entreprise nationale puis, par le jeu, parfois difficile à justifier, de subventions diverses, le distribuer à des puissances financières, on gagne une étape, on reverse directement les susdits bénéfices aux susdites puissances.

Ne nous leurrons pas. Il est évident que, puisque les populations ont intérêt à ce que les entreprises soient confrontées à une concurrence et que, réciproquement les entreprises de toutes sortes recherchent une situation de monopole, il va de soi que les gouvernements, selon leur attache agissent dans un sens ou dans l’autre. Un gouvernement au service de la population pèsera de toutes ses forces, par le biais de nationalisations, pour imposer aux grandes puissances industrielles le jeu honnête de la concurrence et, à l’opposé, un gouvernement au service de ces puissances industrielles s’ingéniera à leur rendre ce qu’elles considèrent comme un manque à gagner. Il usera de deux procédés complémentaires soit la privatisation pure et simple soit la dénaturation et le dévoiement des entreprises publiques. Vous ne me croyez pas ? Voici une astuce encore plus pernicieuse dans la malhonnêteté.

Il va de soi que dans toute entreprise certains secteurs sont plus productifs que d’autres. Et même certains services peuvent s’avérer franchement couteux. En effet, si on sépare le temps passé à produire des marchandises de celui à entretenir les machines ou les bâtiments, on comprend bien que la deuxième activité est franchement onéreuse. Pour une entreprise publique, si une mauvaise passe a conduit à une perte, l’état devra mettre la main à la poche pour combler le trou budgétaire. Il se trouve, ho ! comme c’est curieux ! que la poche de l’état, c’est celle des contribuables. Alors, et, voyez comme c’est rusé, dans une très grande entreprise, au lieu de se contenter de répartir globalement les bénéfices entre l’état et les actionnaires privés au prorata du nombre d’actions que chacun possède, on ne va privatiser que les secteurs bénéficiaires. Vous ne voyez pas comment ? Attendez, je vous donne un exemple. C’est une ligne de chemin de fer. On décide de privatiser partiellement. Des rames d’entreprises privées pourront circuler sur les voies. 

Ces rames auront leurs frais propres et tout sera parfait. Oui, mais l’entretient des voies, des caténaires, des ouvrages d’art (pont, tunnels), sans parler de l’organisation du trafic et de toute la logistique secondaire resteront aux frais de la compagnie nationale. On n’aura privatisé que ce qui est rémunérateur. Les bénéfices iront dans les poches des actionnaires et les frais seront épongés en puisant dans celles des contribuables ou des usagers (ce qui revient au même). A un moment, toutes les destinations rémunératrices seront privatisées et, la notion de service publique disparaissant, les lignes secondaires et déficitaires n’étant plus compensées par rien, disparaîtront. On en arrive nécessairement à cette constatation de quelqu’un (je ne vous dirai pas qui parce que je l’ai oublié) qui, constatant que les bénéfices enrichissent les plus riches au détriment des autres disait : ils veulent privatiser les bénéfices et nationaliser les déficits.

 

Pensez-vous que c’est là le seul moyen de pervertir la notion d’entreprise publique ? que nenni ! grands naïfs que vous êtes. C’est qu’ils ont de l’imagination ceux qui, faute de pouvoir se les accaparer, dénaturent le sens des entreprises propriété de la nation. Tenez, un autre exemple de malversation   à laquelle peut se livrer un gouvernement au service des grands monopoles.

Cela part d’une situation parfaitement compréhensible et respectable. Vous allez chez votre marchand de légumes. Vous lui achetez un kilo de carottes et vous payez un certain prix. Si vous en prenez cinquante kilos, vous pouvez négocier et espérer un tarif préférentiel. Le commerçant va légèrement minorer son bénéfice, certes, mais va s’assurer un client intéressant et se le fidéliser.  Jusque-là, il n’y a rien d’incongru. Où la chose devient abusive, c’est quand les gouvernements, toujours à l’affut de cadeaux substantiels à leurs commanditaires les grandes puissances industrielles, au lieu de se contenter de remises pour fidéliser le client, pratiquent des tarifs qui sont au-dessous du prix de revient. Du coup, l’entreprise, pour cette opération devient déficitaire. Qu’à cela ne tienne. On va majorer les tarifs des utilisateurs ordinaires. C’est toi, moi, ton beau frère qui allons payer pour les grosses affaires privilégiées. Quand tu prends le train, tu paies pour les grands consortiums et quand tu règles ta note d’électricité, tu enrichis les actionnaires des grandes entreprises dévoreuses d’énergie.

C’est simple, non ?

Nous voyons donc que cette notion de nationalisation si elle est gérée au service des grands trusts industriels et non au service de la population peut aller à l’encontre de ce que cette population pourrait espérer.

Mais, ce n’est pas tout. Nous avons évoqué comment et pourquoi une entreprise nationalisée, mal gérée (ou plutôt très bien gérée mais au service des entreprises avides de richesses et non de la population) pouvait devenir un contre sens socio-économique.

Il y a un autre travers qui est inhérent à la situation de monopole déjà dénoncé précédemment. Cette fois-ci, ce ne sont plus les méchants capitalistes qui sont en cause mais les gentils salariés de tous grades (depuis le directeur général jusqu’au balayeur) qui vont eux-mêmes dévoyer le sens de leur mission.

Nous changeons d’angle de vue. Il s’agit maintenant, non plus d’opposer publique ou privé mais situation de monopole ou situation de concurrence.

Nous avons vu, précédemment que la situation de monopole ou d’association en cartel (pour des entreprises privées) pouvait être catastrophique pour la population. Maintenant, nous allons constater que cette même situation de monopole peut être aussi calamiteuse pour une entreprise publique.

Nous avons déjà constaté qu’une entreprise publique peut ne pas être en situation de monopole mais en concurrence avec des entreprises privées. Cela ne pose pas de problème et c’est même plutôt sain (dans la mesure où cette notion d’entreprise publique est honnêtement gérée).

 

Il y a des activités qui ne peuvent être que publiques parce qu’elles ne peuvent être qu’en situation de monopole. Nous avons déjà mentionné les lignes de chemin de fer ou les autoroutes, mais, hé ! vous l’imaginez, vous, la rue dans laquelle il y a cinq séries de poteaux électriques avec chacune ses propres câbles ? Ou mieux, la même rue avec cinq tranchées pour enterrer les susdits câble ? Bah oui ! on ne peut pas creuser une tranchée commune. Si c’était le cas, qui paierait l’entretien de la susdite tranchée ? Et puis, quand un des utilisateurs de cette même tranchée devrait la réouvrir pour y accomplir des travaux ou des modifications à ses installations particulières, que diraient les autres utilisateurs ? Il s’en suit que la distribution de l’énergie électrique ne peut être que publique.

Dans ces situations, ce qui est inquiétant, ce n’est pas que la chose soit publique ou privée. Non ! l’ennui, c’est la situation de monopole. Hé oui ! une entreprise publique peut aussi avoir ses travers.

Alors, allons-y joyeusement.

Lorsque, précédemment, nous avons instruit le procès des entreprises privées en situation de monopole, nous avons été applaudis par les zélateur du tout national et vilipendé par ceux du tout privé. Maintenant, que nous allons exposer les déviances des entreprises publiques en situation de monopole, nous allons être porté aux nues par les tenants du tout privé et conspué par ceux du tout national.

Nous n’avons pas de chance, hein !

A quels errements peut se laisser aller une entreprise nationale en situation de monopole ?

La première chose, et la plus simple, c’est qu’on peut glisser peu à peu vers une nonchalance mortifère. Et oui. Comme il n’y a pas de concurrence, le produit, même médiocre sera écoulé sans difficulté. Mieux, les utilisateurs seront contraints à passer par les fourches caudines de l’entreprise. Alors, pourquoi s’ennuyer à livrer un produit parfait ? Pourquoi passer du temps et de l’énergie pour chercher âprement une amélioration permanente puisque rien n’y oblige ? pourquoi résoudre avec passion tout dysfonctionnement puisque les usagers n’auront pas d’autre choix ? Cette dégradation est liée, non pas au fait que ce soit une entreprise publique mais au fait qu’elle est en situation de monopole. Il est à noter que dans l’effondrement des anciens pays de l’Europe de l’Est, cette situation a été une des premières causes de leur implosion finale. Pour ne donner qu’un exemple, l’industrie automobile de ces états, lors de la dissolution ultime avaient accumulé, par rapport à l’occident, un retard technologique d’une bonne quarantaine d’années. 

Etait-ce par incapacité matérielle ou intellectuelle ? Non. On sait que dans d’autres domaines (la conquête de l’espace, par exemple) ils avaient su et pu promouvoir des avancées fulgurantes. Mais là, il fallait faire face à la technologie occidentale et une rivalité réelle existait. Pour le reste, n’étant contrecarrés par aucune concurrence, ils s’étaient engourdis dans une petite routine doucereuse et confortable mais lénifiante et fatale.

La situation de monopole n’incite pas à chercher des améliorations ou un quelconque progrès et, même, elle peut conduire à une régression progressive par l’accumulation de laisser aller et de non volonté de combativité.

Il y a une seconde raison de dégradation. Il s’agit d’une généralisation du principe de Peter. Théoriquement, ce principe de Peter s’applique majoritairement aux administrations. Cependant, dans une entreprise nationalisée, une situation comparable peut s’installer. Nous n’allons pas évoquer, ici, la totalité des conséquences du principe de Peter. (Cependant, vous êtes très vivement conseillés, si ce n’est déjà fait, à vous en informer. En plus, c’est drôle quoi que sinistre. C’est sinistrement drôle). Toutefois, en voici un petit résumé en guise de rappel. Dans une administration, un employé performant peut être promu. S’il est encore performant, il sera encore promu et ceci jusqu’à ce qu’il ne soit plus performant. A ce moment-là, ayant atteint ce que Peter appelle son niveau d’incompétence, il restera en place jusqu’à la fin de sa carrière. Pour y remédier, il faudrait le rétrograder à son poste précédent où il était encore compétent. Mais cela n’est pas possible. Ce n’est pas possible pour deux raisons. La première qui est la moindre est que cela risquerait de déclencher une levée de bouclier syndicale. Et la seconde, beaucoup plus grave, est que l’hiérarque qui a décidé de la promotion abusive et de qui c’est la mission, le rôle et la charge, et c’est ce pour quoi il est payé, devrait reconnaître qu’en promouvant cette personne il s’est trompé et ainsi laisser transparaître, voire affirmer, sa propre incompétence ce qui n’est pas envisageable. De plus, il y a une autre conséquence qui aggrave la chose. Un hiérarque incompétent n’a pas intérêt à promouvoir des subalternes plus compétents que lui. Alors, on se coopte entre amis afin de se bercer dans un ronron placide et hypocritement hautain pour attendre béatement que la retraite arrive dans une sérénité tiède, le tout en n’hésitant pas à se défaire, parfois de façon brutale de quiconque tenterait de les dénoncer ou de mettre en exergue leur impéritie.

 

C’est dans cette incurie tragique qu’ont sombré l’ex-Union Soviétique et ses états satellites.

Attention ! je ne dis pas que tous les fonctionnaires ou tous les salariés d’entreprise nationalisée sont des incapables qui se bercent dans une mollesse impropre et inapte. Que non ! Il est entendu que nombre de ces employés sont d’une pugnacité et d’un volontarisme bouillonnant. Oui, c’est vrai. Il y a ceux, assez nombreux qui se refusent à laisser penser que leur activité n’est pas au service de la population. Avec une véhémence farouche et un combat passionnel permanent, ils luttent pour sauvegarder l’honneur et le prestige de leurs attributions au service de la nation. Hélas, ces personnels dont l’efficacité et l’humanisme ne peuvent être qu’admirables, n’étant, on peut le supposer même pas majoritaires périssent étouffés par ceux qui disent : Oh ! moi, je ne veux pas avoir d’ennuis. Je fais ce qu’on me dit et je ne cherche pas à comprendre.

Il est à noter que la situation de concurrence, au même titre qu’elle interdit les abus des entreprises privées interdit aussi les déviances des entreprises nationalisées.

De tout cela, il ressort que les imperfections inhérentes aux entreprises nationalisées en situation de monopole ne tiennent pas au fait qu’elles soient nationalisées mais au fait qu’elles sont en situation de monopole. C’est donc de cette situation de monopole qu’il faudra se préoccuper. Nous y reviendrons plus loin.

Tout ceci étant exposé, il y a une autre situation que les gouvernements au service des puissances financières et industrielles omettent soigneusement d’évoquer. Oui, ils l’omettent soigneusement parce que ce n’est pas bien vu par leurs commanditaires.

Il y a (ou il pourrait y avoir) des entreprises qui ne sont ni nationales ni, bien que strictement privées, de fonctionnement capitaliste. Il s’agit des entreprises coopératives. Parmi les revendications et les mots d’ordre en vogue lors de la révolution russe de 1917, il y avait : « la terre aux paysans et les usines à ceux qui y travaillent ». Qu’est-ce que c’était sinon un désir d’organisation coopérative ? L’erreur de Staline a consisté à confondre « ceux qui y travaillent » avec le gouvernement. Le dernier des kolkhozes de l’Oural n’était plus une coopérative mais un service lointain du régime. Il s’en est suivi que tous les avantages liés à un fonctionnement coopératif ont été remplacés par tous les errements d’une organisation nationalisées en situation de monopole.

Dans le même temps, une coopérative n’est pas une entreprise capitaliste. Si par hasard elle le devenait, cela impliquerait qu’elle n’est plus une coopérative.

Essayons d’y voir plus clair.

Un exploitant indépendant produit une marchandise qu’il convertit en argent et, avec cet argent, il se procure une autre marchandise ce qui permet à sa famille de vivre. Il fait pousser des poireaux qu’il vend pour pouvoir acheter des pantalons. Pour un exploitant capitaliste, c’est le contraire. Il utilise de l’argent pour acquérir une marchandise grâce à laquelle il produira de l’argent. Au premier abord, cela ne semble pas monstrueux. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Du reste, c’est ce que fait tout bon commerçant. Oui, mais le capitaliste, la marchandise qu’il achète, ce n’est pas des haricots, des chaussures ou des pneus de camions. Ce qu’il achète, c’est de la capacité de travail. Lorsqu’il embauche des salariés, ce qu’il leur paie, ce n’est pas leur travail mais seulement leur capacité physique ou intellectuelle de produire ce travail. Il ne leur paie pas ce qu’ils ont fait mais ce qu’ils sont capables de faire. Ce n’est pas la même chose. 

Attendez, je vais vous expliquer autrement. Lorsqu’un agriculteur (des temps anciens) achète un cheval, que lui donne-t-il en échange ? simplement de quoi continuer d’être productif. Il lui fournit du foin et de l’avoine, de l’eau et un abri. Il serait absurde d’accorder au cheval de quoi se payer des places de cinéma ou de quoi aller à la plage en été. Non ! il ne lui procure que ce de quoi il a besoin pour survivre avec une santé suffisante lui permettant d’honorer la tâche qu’on attend de lui. Comme il est prévoyant, l’agriculteur veille aussi à ce que le cheval puisse se reproduire. Ainsi, lorsque l’animal deviendra trop vieux pour assumer ses divers labeurs, les remplaçants seront tout trouvés. On ne donne pas au cheval le fruit de son travail, on ne rémunère que sa capacité à le produire. Il suffit de régénérer sa force de travail. L’agriculteur n’est attentif qu’à la survie et à la reproduction de son cheval. Pour ce qui est de l’entrepreneur capitaliste, c’est la même chose. Il achète la capacité de travail de ses salariés. Il ne leur donne pas en échange le fruit de leur travail mais uniquement ce dont ils ont besoin pour survivre de façon efficace afin d’offrir une production satisfaisante. Toutefois, il y a une nuance aggravante dans cette comparaison. Pour l'agriculteur, si son cheval tombe malade ou s'il meurt, c'est une perte sèche. Il va devoir en acheter un autre ce qui va lui coûter cher. En revanche, pour l'employeur, si son employé tombe malade ou s'il meurt, ce n'est pas grave. il n'en achète pas un autre. Il en embauche un autre ce qui ne lui coûte rien.

Il découle de ceci que le travailleur indépendant est tout ce qu’on veut sauf un capitaliste. Amusant, non ? Vous n’en connaissez pas, vous des travailleurs indépendants qui se pensent des capitalistes ? Et qui le disent à tout un chacun qui veut bien les entendre. Pour ma part, c’est ça que je trouve amusant. Remarquez, ce n’est pas surprenant qu’ils sombrent dans cet égarement. Ils sont solidement instrumentalisés pour ça. Voulez-vous savoir le cheminement de la confusion ? Non ? Bah, je vais vous le dire quand même. Le voici. Il faut insérer la notion de patron. Un patron, c’est un individu qui en dirige d’autre. Un médecin chef d’un service hospitalier en est le patron. Parfois, on utilise aussi ce mot pour désigner un commissaire de police ou un inspecteur de l'éducation nationale. Mais, il ne sont, évidemment, pas propriétaire du service qu'ils régissent. Dans la marine, un patron dirige un groupe d’homme. Il n’y a aucune notion de capitalisme là-dedans. Bien sûr, un propriétaire de petite entreprise peut en être le patron. Dans ce cas, l’aspect capitaliste existe. Inversement, le patron d’une succursale d’une grande entreprise en est un salarié comme les autres. Il y a certes une exploitation capitaliste, mais le capitaliste, ce n’est pas lui.  Non seulement ce n’est pas lui mais il en est, de plus, victime comme ses subalternes. Donc, l’expression de « patron » peut impliquer ou non la notion d’exploitation capitaliste. C’est là que surgit l’ambigüité. Pour généraliser, on ne dit plus un artisan, un commerçant, un agriculteur, on dit un travailleur indépendant et on ajoute que le travailleur indépendant est son propre patron. Ceci est remarquablement juste. Mais, c’est là que surgit la coquinerie. On instille l’idée qu’un patron est nécessairement un capitaliste. Or, nous avons vu que c’est faux. La question qui en découle, c’est : pourquoi cette manipulation intellectuelle ? Oh, braves gens, la raison est simple. Toutes ces personnes à qui l’on a martelé qu’elles font partie des capitalistes vont le croire et en tirer un certain orgueil, pensant avoir ainsi gravi une plus haute marche dans l’échelle de la société. Dès lors, pour chaque confrontation sociale, elles vont prendre fait et cause pour les tenants du capitalisme. Elles seront contre les grèves, les manifestations, les syndicats, les congé payés, Elles seront contre tout ce que les autres défendent becs et ongles. Et puis, bien sûr, à chaque consultation électorale, elles formeront l’immense masse des zélateurs du système en place et, dans le fond, c’est ça qui compte le plus. Elles se seront juste trompées de camps. C’est-à-dire qu’on les aura trompées.

Il est entendu que les salariés, au fil des temps, ont obtenu, après d’âpres lutes que leurs rétributions et leurs revendications sociales soient reconnues et respectées. Il est non moins entendu que les employeurs sont toujours à l’affut afin de revenir en arrière pour minorer, voire supprimer, ces avantages sociaux divers qu’on leur a arrachés et qui leur coûtent fort cher.

Revenons à nos coopératives.

Nous pouvons espérer maintenant que vous comprenez, comme moi, qu’une entreprise coopérative n’a rien à voir avec une entreprise capitaliste. En effet, des coopérateurs ne sont rien d’autre qu’une juxtaposition de travailleurs indépendants. Ils ne sont pas appointés pour leur capacité de production mais sur la base de leur production elle-même.

Ça change tout, non ?

On comprend, du reste mieux pourquoi les grandes puissances industrielles ne veulent pas en entendre parler et pourquoi les gouvernements, qui rampent à leur dévotion et n’en sont que l’écho sordide, dépensent des trésors d’énergie pour les étouffer.

Est-ce à dire que le système coopératif est le nirvana de l’organisation socio-économique d’un pays ? Et bien non, hélas. Nous retrouvons une fois de plus le problème de la situation de monopole. En effet, une entreprise coopérative en situation de monopole risque pour les mêmes raisons que les autres de cumuler les dévoiements des entreprises privées et des entreprises nationalisées. Elles pourraient envisager, sans encombre, des exigences tarifaires exorbitantes mais aussi sombrer dans un laxisme effarant quant à la qualité et la quantité du produit et dans le fonctionnement interne de l’entreprise. Il y en aurait même qui n’hésiteraient pas à cumuler les deux.

De tout ceci, il faut maintenant tirer des conclusions.

Oui, des conclusions au pluriel. Parce qu’il y en a plusieurs. De plus, provisoirement, ce ne peut être que des conclusions partielles.

 Nous disposons de trois types d’entreprises.

Nous pouvons les classer avec deux genres de dichotomies différentes mais qui ne se recouvrent pas. Il y a, d’une part, les entreprises qui sont propriété de la nation et celles qui ne l’étant pas sont privés et, d’autre part, celles qui sont de type capitaliste et celles qui ne le sont pas. Dans les entreprises propriété de la nation, c’est-à-dire de la population, il n’y a que les entreprises publiques, c’est-à-dire les entreprises nationalisées. Les deux autres ne le sont pas. Dans les entreprises de type capitaliste, il n’y a que les entreprises capitalistes. Les deux autres ne le sont pas. Les entreprises nationalisées appartiennent à la nation, c’est-à-dire à la population ; les entreprises collectives appartiennent à l’ensemble de ceux qui y travaillent (tous les indépendants sont dans ce groupe), et les entreprises capitalistes appartiennent à des actionnaires.

Toute entreprise en situation de monopole ne doit être que nationale. Dit dans l’autre sens, on peut affirmer que pour qu’une entreprise privée puisse exister, il faut qu’il y ait une possibilité de concurrence réelle.

 

Au nom de la liberté individuelle et donc de la liberté d’entreprise, tout individu qui veut créer sa propre entreprise doit en avoir le droit.

Si une entreprise collective (et particulièrement un travailleur indépendant) veut s’adjoindre un participant de plus, elle en a le doit. Dans ce cas, il y a deux possibilités. Ou bien le nouvel arrivant est un coopérateur de plus ce qui ne change rien, ou bien il est un salarié et alors, l’entreprise devient une entreprise de type capitaliste. Si le nouveau salarié accepte ce statut, il n’y a aucune raison d’interdire la chose.

A ce moment, nous avons à peu près décrit les problèmes de nationalisation ou privatisation. Certes, nous aurions pu détailler certains éléments, décrire les conséquences à terme de ces dispositions, mais,  à peu près, nous avons fait le tour de la situation.

Reste un problème grave que nous avons soigneusement mis de côté. Oui, c’est un problème grave que celui de la situation de monopole. Il est entendu que dans certaines circonstances, le phénomène de monopole existe nécessairement. Nous avons vu que dans toutes les circonstances une industrie en situation de monopole ne peut être gérée que par la nation pour la nation. Nous avons également décrit les déviances que cela implique. Notre réflexion serait donc incomplète si nous ne tentions pas d’y apporter des tentatives de remède.

Des essais ont-ils été tentés ? Oui. Dans l’ex URSS, le gouvernement, confronté à la chose de façon majeure a essayé de se débattre comme il a pu mais, il faut bien le reconnaître, sans succès puisque c’est ça qui a entraîné sa chute.

Réitérons que dans l’ex union soviétique, il n’y avait aucune entreprise collectiviste mais exclusivement des entreprises d’état. Dès les années de 1930, la dégénérescence s’est installée. Elle a été due à une erreur d’analyse et de jugement. Tout le monde sait que le travail, c’est fatigant. En conséquence, si cela ne procure pas d’avantages notables, pourquoi consentir des efforts un peu sérieux.

Dans les champs de coton du sud des Etats Unis au dix-neuvième siècle, les esclaves, sachant très bien que ça ne changerait rien pour eux et surtout pour leur statut ne faisaient que le strict minimum pour ne pas recevoir de coup de fouet. Dans une entreprise de terrassement, si un ouvrier doit creuser une tranchée avec une pioche, oui, bien sûr, il pioche. Mais la vitesse et la puissance d’exécution, ce n’est pas son problème. C’est celui de l’employeur. Alors, oui, il pioche. Mais il n’est seulement attentif qu’à ne pas franchir le seuil de piochage au-dessous duquel il risque d’être licencié. J’ai même connu un cheval comme ça. Il était très intelligent et savait tout faire. Mais comme il était intelligent, il avait compris depuis longtemps que moins il travaillait et moins il se fatiguait. Alors, pour obtenir quelque chose de lui, il fallait le lui demander avec une opiniâtreté avérée mais, malgré cela, et toujours parce qu’il était très intelligent, il ne condescendait à répondre aux ordres qu’avec une absence totale d’investissement et une non combativité consternante qui pouvait même le rendre émouvant. Alors, lui, que l’on pouvait penser exténué, le lâchait-on dans le pré qu’immédiatement, il retrouvait toute sa vivacité et sa pétulance en galops effrénés et en cabrioles folles. Il se payait tellement notre tête qu’il en était attendrissant.

Revenons à notre Union Soviétique. Il s’est passé une chose comparable. Les gens ont été victimes d’une confusion majeure. Les bolchéviks ont cru que la population allait se sentir maitresse de sa destinée et que, de ce fait, elle allait s’investir avec enthousiasme dans le développement de la nation. Cela n’était pas absurde puisque réellement, l’état était au service de ladite nation. Mais les choses se sont passées autrement. Les individus n’ont pas perçu les avantages personnels directs qu’ils récoltaient de leur investissement propre. Bien que leur situation matérielle individuelle se soit remarquablement améliorée, ils n’ont pas ressenti le lien qui existait entre leur pugnacité à la tâche et les améliorations pratiques immédiates qu’ils pouvaient en espérer. L’état a tenté d’y remédier. Il l’a tenté de deux façon complémentaires différentes : La carotte et le bâton. Les deux ont été aussi inopérantes. Pour ce qui est de la carotte, on a envisagé de récompenser les bons citoyens. Ce n’était pas sot. 

L’exemple le plus remarquable a été celui d’Alexeï Stakhanov. Il était mineur dans une houillère du Donbass. Il aurait abattu dans une journée de travail huit ou dix fois la quantité de charbon moyenne que l’on pouvait attendre d’un mineur à cet endroit. Il a bénéficié de plusieurs récompenses et a été promu « héros de l’union soviétique ». Cela peut sembler très satisfaisant. Hélas tout a été faussé par diverses raisons. D’abord, cette performance n’a été réalisée qu’une seule fois ce qui implique que la chose n’était pas significative. Ensuite, ce qu’on avait omis de dire c’est que Stakhanov n’avait pas agi seul et que plusieurs collègues ont dégagé le charbon ainsi que les déchets qui auraient risqué de l’encombrer et de ralentir sa tâche d’abattage et, pour finir, le tout a été largement majoré pour une raison politique. Staline a utilisé la chose afin de montrer au monde occidental à quel point le travailleur soviétique était plus performant que le mineur exploité par le monde capitaliste. Le résultat a été le contraire de ce qu’on pouvait espérer. Alors qu’on attendait d’une saine émulation militante une production accrue, le but a atteindre devenait tellement invraisemblable que plus personne ne pouvait imaginer de rivaliser avec l’exploit de Stakhanov et que, du coup, on a étouffé la possibilité de cette émulation. Il n’en reste pas moins qu’on a voulu proroger cette vision des choses, que les ultra productivités sont devenues obligatoires et ont porté le nom de stakhanovisme. Dans le même temps, le gouvernement stalinien, pour doper la production soviétique a établi des plans qui exprimaient les buts à atteindre. Hélas, ces plans ne tenaient pas compte des réalités matérielles et, avec une vision idéaliste, s’appuyant sur des résultats à la Stakhanov devenaient aussi irréalistes qu’irréalisables. C’est là qu’intervenait le bâton. Tous individu qui ne parvenait pas à obtenir les exigences du plan devenait un « social traitre » et, selon la hauteur de son grade, risquait de se voir expédié en Sibérie pour y être rééduqué et, éventuellement, se retrouver face à un peloton d’exécution. Il s’en est suivi que les gens compétents se sont bien gardés de briguer des postes de responsabilité. Hé ! Ne pas atteindre les exigences du plan, c’était risquer de devenir un ennemi du peuple. Mieux valait rester dans son coin et s’en tenir à une routine fade sans prendre de risques.

Il y a eu, certes, des stakhanovistes sincères mais, comme dans les champs de coton des états du sud des Etats Unis, on s’est surtout contenté de faire le stricte nécessaire pour ne pas être un « social traitre ».

Les gens, au lieu de se sentir coresponsables de l’entreprise dans laquelle ils œuvraient, on eu surtout l’impression de n’avoir fait que changer d’exploiteur.

Toute cette longue digression n’a pour but que de décrire à quel point il est difficile de remédier aux errements dans lesquels une entreprise nationalisée en situation de monopole risque de glisser.

Cependant, trouver des palliatifs, la chose est-elle irrémédiable ?

 

En grands optimistes éhontés, nous pouvons penser (voire seulement espérer) que non. Alors, que faudrait-il faire ?

Contrairement à ce que l’on pourrait conclure du paragraphe précédent, nous pourrions reprendre la notion de la carotte et du bâton. Mais il suffirait d’en changer la nature. Il faudrait utiliser une autre carotte et un autre bâton.

 

Ouais ! une nouvelle carotte et un nouveau bâton. Et c’est là que ça se gâte. Effectivement, contrairement à ce que je vous annonçais au début de cette réflexion, cela ne va pas être facile. Moi-même, je n’avais pas mesuré la complication de la chose. Ce n’est qu’en arrivant à ce point que j’ai réalisé que cela ne coulait pas de source. L’erreur à ne pas commettre, c’est celle qui a conduit les bolchéviks à leur ruine. Leur erreur, comme nous l’avons déjà mentionné, a consisté à user d’un raisonnement idéaliste. Ils ont cru que maintenant que le gouvernement était au service du peuple, celui-ci allait devenir travailleur de façon opiniâtre avec un volontarisme courageux porté par une espérance enthousiaste. C’est la même erreur qui consiste à croire que les hommes sont naturellement bons et qu’il suffit de laisser s’exprimer leur bonté. Est-ce à dire que les hommes sont naturellement mauvais ? Pas davantage. Non, les hommes sont seulement naturellement humains. C’est tout. Comme tous les êtres vivants (y compris les plantes), ils agissent en fonction de leurs besoins personnels. Si un cerisier donne beaucoup de fleurs, ce n’est pas pour être beau ni pour vous faire plaisir en vous procurant une large récolte. Ce n’est que pour se reproduire. Les humains, comme l’ensemble du monde vivant, agissent en fonction de leurs besoins propres du moment. Les êtres vivants n’agissent que pour conquérir un avantage tangible. Pourquoi se fatiguer si c’est pour ne rien en retirer ? Et là, vous vous récriez. Vous levez les bras au ciel en me rappelant avec acrimonie qu’il y a des gens qui agissent pour le bien public sans en attendre d’avantages personnels. En êtes-vous si sûrs ? N’est-ce pas, un peu, pour être admirés et reconnus par leurs proches comme des êtres exceptionnels au-dessus de la foule ? Et même, encore plus simplement, s’ils ne sont pas adulés par les autres, pour pouvoir eux même en tirer une auto admiration confortable ? Cela me rappelle une remarque de La Rochefoucauld qui disait (je site approximativement parce que de mémoire) : Ceux qui, agissant pour le bien, restent humbles ne veulent qu’être loués une deuxième fois. Et puis, de plus, même si quelques-uns agissent par pur altruisme, ce n’est pas parce qu’ils existent qu’il faut généraliser leur cas à l’ensemble de la population. D’autre part, les mesures que nous envisageons de prendre ne feront que réparer une injustice dont ils sont victimes.

Il faut récompenser les bons travailleurs. Comment ? C’est là que ça devient délicat. Nous disions précédemment que les gens agissent majoritairement en fonction des avantages qu’ils y trouvent. Il faut donc octroyer aux personnels considérés la possibilité d’obtenir, grâce à leur travail, des avantages. Ces avantages, que peuvent-ils être ? A priori, j’en vois deux : soit des primes sur le salaire soit des jours de congé supplémentaires. Les primes sur le salaire ne doivent pas être définitives. Ce n’est pas parce qu’une fois on a accompli un rendement remarquable que jusqu’à la fin de sa carrière on aura droit à une rétribution majorée. De plus, cela inclinerait au laisser aller qui serait le contraire de l’effet escompté. En effet, maintenant qu’on a obtenu ce genre de promotion définitive, pourquoi se fatiguer puisque, de toute façon, ou bien il n’y a plus d’échelon supérieur, ou bien, s’il y en a, qu’il est inaccessible pour diverses raisons. Donc, les primes ne peuvent être qu’extemporanées.

Sur quels critères va-t-on décerner ces attributions ? Nous pouvons concevoir, deux éléments : la quantité et la qualité. Cela peut, du reste, se résumer à une seule notion : l’efficacité. Un travail bien fait et rapidement exécuté.

Nous allons provisoirement en rester là sur la notion de « carotte » en n’en retenant que l’aspect théorique.

Passons au bâton. Bon, il est entendu que nous n’irons pas jusqu’à la déportation en Sibérie ou au peloton d’exécution. Cependant, pour les fautes ou les non combativités les plus graves et les plus flagrantes, on pourra aller jusqu’au licenciement. Avant d’en arriver là, on se contentera d’informer l’individu qu’on lui adresse un avertissement sans frais, mais officiel. D’autre part, symétriquement à l’octroi de primes sur le salaire, on envisagera des pénalités en forme de retenues sur le même salaire.

 

Cela étant établi, la grande question va devenir : pour ces pénalités ou ces majorations, qui va décider de quoi. A priori, on peut penser que c’est le rôle du « chef ». Mais ceci est d’une inconséquence criarde. En effet, cela ouvre la porte à tous les clientélismes imaginables et le spectre de la corruption se profile déjà derrière cette simple assertion. A juste titre, les dénonciateurs de ce procéder vont secouer la banderole de la déontologie de la notation. On va donc ajouter un ou plusieurs représentants du personnel. Oui, mais dans quelle proportion ? les acrimonies les plus féroces ainsi que les complaisances les plus éhontées risquent de s’entredéchirer à plaisir sans apporter de solutions satisfaisantes. S’il faut, pour juger de la qualité de chaque individu une commission de plusieurs personnes, cela risque de devenir une situation caricaturalement grotesque où il y a plus de juges que justiciables.

A ce moment, ne serions-nous pas en train de nous enliser dans une argutie stérilisante ? Reprenons le problème autrement. Quelle sera la nature du bâton, ce n’est pas le moment d’en décider mais ce que l’on peut déterminer, c’est : qui sera habilité à en décider l’usage ? D’autre part, au lieu de vouloir établir les insuffisances de Pierre Paul ou Jacques, nous allons nous intéresser aux éventuels dysfonctionnements de tel ou tel service. Ici, la chose devient aisée. Quel est le meilleur juge de l’inefficacité d’un service ? C’est son utilisateur. L’utilisateur, ce peut être, tout simplement le client. En effet, celui-ci peut signaler en haut lieu qu’il trouve abusif que, pour changer une pièce courante dans une liaison téléphonique, il faille un mois et demi. Mais, ce peut être aussi le service aval qui peut se plaindre qu’il ne peut pas accomplir correctement sa tâche parce que le service amont n’assume pas le sien. B ne peut pas faire son travail parce que A ne lui fournit pas les pièces ou qu’elles sont défectueuses. Encore faut-il que les récriminations soient collationnées et prises en compte. Lorsqu’on en est là, on peut revenir au niveau individuel. En effet, si un service est pénalisé pour incompétence, à l’intérieur de ce service, on aura tôt fait de déterminer quelles sont : la ou les équipes responsables ; puis, dans ces équipes, toujours pour ne pas être concernés par la pénalité, Les brebis galeuse seront rapidement décelées. Oui, je sais. On risque de m’accuser d’appel à la délation. Mais, hé, trouvez-vous normal que tout un groupe d’individus soient déprécié et dévalorisé par les manquements de quelques-uns ? C’est donc bien de « bâton » qu’il s’agit, ce bâton dont la peur fait avancer l’âne.

 

Pour ce qui est de la carotte, Cela risque d’être un peu plus aléatoire ou, plus difficile à mettre en œuvre. De toute façon, s’il y a un bâton, il faut nécessairement une carotte.

La première chose qu'il faut bien considérer, c'est qu'il est bien plus aisé, voire naturel, de récriminer quand nous sommes mécontents que de louer lorsque nous sommes satisfaits. Rien que moi, si je suis installé dans la béatitude, je trouve cela normal et je n'en fais pas tout une histoire. En revanche, si j'ai l'impression d'être la victime d'une anomalie quelconque, mon sale caractère ressurgit avec véhémence et je suis capable de laisser déborder mon mécontentement sur tout ce qui m'entoure. Mais, en y repensant, je me demande si toi, mon lecteur, mon ami, mon frère, tu n'es pas un peu comme moi. Plus généralement, on a coutume de déclarer que les Français sont des râleurs pathologiques. Alors, pour généraliser complètement, ne peut-on pas se demander si les ressortissants d'autres nations n'ont pas aussi, plus ou moins le même travers. Dans le fond, ne faudrait-il pas considérer que ce trait est simplement lié à la nature humaine. On rouspète plus facilement qu'on ne félicite. Il s'en suit qu'il sera plus aisé d'agiter le bâton que de décerner la carotte.

La carotte, ce n'est pas toujours aisé.

Cependant, je vais vous narrer une historiette que j'ai vécue il y a fort longtemps. J'habitais alors une maison isolée au bord d'une route de montagne et je me souviens d'une nuit d'hiver pendant laquelle la tempête faisait rage. Les éclairs illuminaient les bourrasques de neige dans des éblouissements fantomatiques de fin du monde. A un moment, la foudre est tombée sur la ligne électrique ce qui, instantanément, a coupé le courant. J'ai donc téléphoné à la compagnie électrique pour signaler la chose et j'ai décrit et localisé très soigneusement le lieu du sinistre. Il m'a été répondu qu'on allait s'en occuper. J'en ai conclu, un peu hâtivement qu'il allaient venir quand il ferait jour et que la tourmente serait calmée. Et puis non, vers onze heures du soir, un camion muni d'une nacelle est arrivée et des hommes avec des échelles se sont mis au travail dans le déchaînement. Vers une heure du matin, Tout était rétabli. J'étais ébahi devant l'efficacité et le courage de ces hommes. J'aurais aimé leur marquer mon admiration mais je n'ai rien pu faire d'autre que leur offrir piètrement une tasse de café. Bien sûr, il n'avaient accompli que leur travail mais tout de même, dans de telles conditions, j'aurais aimé leur marquer mieux ma reconnaissance.

Dans le même ordre d'idée, j'aimerais vous raconter une anecdote que l'on prête à Alphonse Allais (écrivain, journaliste et humoriste 1854-1905). On rapporte qu'au milieu d'une nuit, désœuvré dans une petite gare d'une ligne de chemin de fer secondaire, il aurait exigé que l'on appelât le chef de gare. Quand celui-ci tiré de son lit arriva, Allais lui déclara que c'était pour le féliciter du fait que le distributeur de bonbons fonctionnait bien. Pour se justifier, son argumentation était simple et d'une logique imparable. En effet, si le susdit distributeur avait été défectueux, nul n'aurait été surpris qu'il en agisse ainsi pour bien marquer son acrimonie et son mécontentement. Et, c'était donc à titre d'un rééquilibrage et d'une notion de justice qu'il avait tenu à bien manifester son contentement et sa satisfaction.

 

Et puis, tenez, pour encore mieux vous donner un exemple sur la difficulté d'exprimer son ravissement, je vous suggère une petite expérience.

Voila. Vous êtes sur le bord d'une intersection lourdement passagère. Quatre marées ininterrompues de véhicules s'y entrecroisent douloureusement comme des magmas trop épais et gluants. Mais, ce qui sauve tout, c'est qu'au milieu de cette agitation, tel un maître de cérémonie décidant des préséances et du savoir vivre, règne en chorégraphe lumineux un fonctionnaire de la gendarmerie nationale qui, à lui seul, par la précision de ses gestes et de ses décisions règle d'une façon parfaitement harmonieuse la mouvance qui l'entoure. Alors, submergé par une pulsion d'humanisme chaleureux, vous vous faufilez entre les véhicules et le rejoignez au plus chaud de son croisement et là, pétri d'admiration enthousiaste, vous le complimentez sur son remarquable professionnalisme. Oui, vous le félicitez avec ardeur en insistant sur le fait remarquable que grâce lui, ce flux monstrueux s'écoule paisiblement sans ralentissement, sans embouteillage, sans accrochages, sans accident et sans paroles fielleuses. Bon, je ne vous raconte pas la suite. Je vous laisse imaginer. et allez savoir pourquoi, je ne suis même pas très sûr qu'il prenne au sérieux votre profonde sincérité candide.

Vous voyez, quand je vous dis qu'il n'est pas facile d'exprimer son contentement.

Réfléchissons-y encore.

 

Depuis quelques années, on voit, de plus en plus fréquemment, fleurir sur internet des enquêtes de satisfaction. Ne nous leurrons pas. ce n'est le plus souvent qu'une manœuvre commerciale. Vous avez commandé un objet quelconque sur internet, vous avez été livré et on vous demande si vous êtes content. En fait, cela n'a pour mission de vous faire remarquer que vous avez été servi de façon normale et ordinaire mais que cela vous agrée suffisamment pour que la prochaine fois vous refassiez vous emplettes dans le même magasin. Donc, ce n'est qu'une astuce publicitaire. Si, par malheur, vous manifestez un simple mécontentement, vous n'en entendez plus jamais parler. Dans le meilleur des cas, on vous proposera, à titre de "geste commercial" un avoir (assez dérisoire) à utiliser lors d'une prochaine commande. Cela veut dire que pour compenser un désagrément, il faut que vous continuiez d'être client dans la firme qui vous a grugé. C'est donc parfaitement malhonnête. 

Toutefois, pour revenir à nos moutons, ce système d'enquête de satisfaction pourrait être généralisé de façon systématique et codifiée. Tout désagrément étant dédommagé, dans sa valeur financière réelle agrémentée d'un pourcentage fixé au titre d'un préjudice moral, on peut présumer que l'entreprise en situation de monopole,  nationalisée ou non, pénalisée de façon récurrente, aurait tôt fait de revoir ses dispositions organisationnelles et son efficacité. Il va de soi que ces enquêtes doivent être au service des usagers et, de façon interne au service des employés. Si les trains sont en retard, ce n'est pas nécessairement la faute des conducteurs. On notera, au passage que ce dispositif serait, en outre, aussi déterminant dans le sens du bâton que dans celui de la carotte.

Le lieu n'est pas ici de décrire tout l'organigramme d'une telle discipline mais il serait judicieux d'y réfléchir en gardant en tête que le but à obtenir est, à la fois de satisfaire l'utilisateur et le bon fonctionnement de l'entreprise.

Si la firme nationale en situation de monopole est bien gérée, non pas au service des puissances financières mais au service de la population, il n'y a pas de raisons pour que cela ne fonctionne pas.

 

 

EN RESUME:

 

Doit-on tout privatiser? Non.

Doit-on tout nationaliser? Non.

Doit-on interdire l'entreprise privée? Non.

Doit-on favoriser la création d'entreprises collectives? Oui.

Doit-on nationaliser les entreprises en situation de monopole? Oui.

 

Doit-on institutionnaliser un système de contrôle de satisfaction tant pour les utilisateurs que pour les personnels? Oui