Ce n'est pas marx qui s'est trompé

L'URSS s'est éteinte il y a une trentaine d'années. C'est un temps assez long pour entrer dans les arcanes du passé mais, au demeurant, nombre de gens en gardent la mémoire. Il y a ceux qui en ont entendu parler par leurs parents et ceux qui, un peu plus âgés, ont vécu un temps où cela existait encore. Bref, l'URSS a disparu. Cela a permis aux zélateurs du système capitaliste et de "l'économie libérale" de pavoiser et de chanter à voix forte: "vous voyez que nous avions raison! le bolchevisme était bien une erreur tragique. Ce n'était qu'une illusion inviable et tout au plus un onirisme d'utopie fantasmagorique. Vous clamiez partout que ce système allait croître et conquérir le monde et c'est le contraire qui s'est produit, c'est lui qui s'est éteint. Vous comprenez, maintenant, que le communisme était sans avenir et que ce n'était qu'une absurdité. Oui, le communisme était absurde, le marxisme un non sens et que Marx, lui-même, n'était en définitive qu'un imbécile illuminé".

Qu'est-ce qu'ils étaient contents les partisans du système capitaliste! C'était un peu comme quand on prévient un individu prétentieux qu'on ne peut pas, sans danger, sauter le ruisseau, que le pauvre diable s'entête et tombe pitoyablement dans l'eau. C'est vrai que, dans ce cas, on ne peut s'empêcher de jubiler. Alors, et on les comprend, ils ont jubilé en affichant avec goguenardise leur triomphalisme éclatant.

L'ennui, c'est que les choses sont un peu différentes.

C'est vrai que l'URSS s'est effondrée pitoyablement. C'est vrai qu'elle a fini dans un fiasco retentissant et que ce n'est pas par hasard. Mais Marx n'y est rigoureusement pour rien. Disons même qu'au fil du temps, les gouvernement soviétiques ont perdu de plus en plus de vue l'analyse marxiste du fonctionnement de la société dont ils se réclamaient. Ils ont agi comme si les choses étaient établies une bonne fois pour toutes et comme si rien ne devait évoluer. Ils ont cru qu'en interdisant simplement la propriété privée des moyens de production, tout serait résolu.

Et c'est là qu'ils se sont trompés.

Avant d'aller plus loin, il faut que nous parlions un peu de Marx (Karl 1818-1883). Comme je pensais depuis plusieurs mois déjà à cette réflexion, je me suis dit que, pour éviter de débiter trop d'âneries, il fallait que je révise un peu mes connaissances sur la matière. Donc, je me suis amusé (quand je dis amusé, il faut entendre que c'est par une ironie majestueuse)... Disons plutôt que je me suis appliqué ou imposé de lire "le Capital". J'en connaissais déjà de larges et nombreux extraits; mais là, je me suis astreint à lire tout, du début jusque à la fin. Alors, je réitère, ce n'est pas drôle du tout. On ne rit pas à chaque page. C'est même particulièrement austère. En revanche, c'est Impressionnant. Heureusement, parce qu'autrement, je ne serais pas arrivé au bout.

 

Dans son plan, Marx alterne deux types de réflexions.

Il y a, d'une part la description du niveau de vie des habitants de la Grande Bretagne et plus exactement la description et le mécanisme de la dégradation de ce niveau de vie. Il démonte les procédés utilisés par les maîtres de l'industrie naissante pour augmenter leurs bénéfices et donc, simultanément, l'aggravation de la misère générale. Néanmoins, il indique aussi les efforts du parlement pour limiter cette exploitation éhontée, notamment pour ce qui concerne le travail des femmes et des enfants dans les mines, les forges, les filatures, etc. Ces parties sont imposantes par leur réalisme et leur précision dans leur documentation.

Et puis, il y a, d'autre part, tout une série de chapitres strictement arithmétiques où il démontre les relations entre la durée de travail et les salaires. Il traite aussi du rôle et du sens de l'argent qui est un moyen d'échange neutre convertible directement en toutes les autres valeurs. Il en arrive ainsi à définir deux types d'échange strictement antithétiques.

Il y a le premier cas dans lequel je dispose d'une marchandise (des carottes). Je les vends pour avoir de la monnaie et avec cette monnaie, et avec cette monnaie, j'acquiert une autre marchandise (des chaussures). C'est l'échange "marchandise, monnaie, marchandise". Marx, en bon allemand, a un goût marqué pour les abrégés. Marchandise, monnaie, marchandise, cela devient (en français) Ma, Mo, Ma. Puis, il montre une autre forme d'échanges qui fonctionne dans l'autre sens. Vous avez de la monnaie. Vous l'échangez contre  une marchandise puis vous négociez cette marchandise contre de la monnaie. Cette fois, vous avez la formule Mo Ma Mo. C'est ce que pratique tout commerçant. Il achète des haricots à un producteur et va les revendre sur le marché. Les haricots ont acquis une plus value qui correspond au travail du commerçant. Mais c'est là qu'intervient l'exploitation capitaliste.. Le capitaliste, la marchandise qu'il acquiert, ce ne sont pas des roues de brouette ou de la confiture, non. Ce qu'il achète, c'est du travail salarié. Pour lui, le travail est une fourniture comme une autre. Si dans sa production, il a besoin de clous, il achète des clous. Ce" sont des fournitures. S'il fait de bonnes affaires, il ne va pas payer les clous plus cher que d'habitude. Non, il les paie suivant le cours des clous. Au même titre, s'il fait de bonnes affaires, il ne va pas payer ses employés plus que d'habitude. Non, il va les payer au cours de l'heure de travail habituel pour ce type de compétence. Il s'en suit( que la rémunération du personnel est sans relation avec les bénéfices de l'employeur et au même titre que l'employeur fait tout ce qu'il peut pour faire baisser le cours des clous, il fait aussi tout ce qu'il peut pour faire baisser le cours de l'heure de travail. En conséquence, les travailleurs n'y trouvant aucun intérêt ne manifestent aucune motivation quant à la quantité et à la qualité du travail fourni. Il ne s'imposera donc que le strict minimum pour ne pas être licencié. 

A ce sujet, Marx fait le rapprochement avec l'esclave des champs de coton des Etats Unis qui ne se content que de réaliser le minimum pour ne pas être fouetté. Quand Marx parle de l'esclavage, c'est pour lui une réalité très présente. L'esclavage n'a été aboli, en France qu'en 1848. (Marx a trente ans, et, aux Etats Unis en 1865. Marx a quarante sept ans.

Marx évoque aussi, évidemment, l'incidence du chômage, de la mécanisation, les progrès techniques sur les cours des salaires en différenciant ainsi un capital fixe (les bâtiments, les machines, les terrains agricoles etc.) d'un capital variable (la valeur du travail salarié).

Bon, je ne vais pas vous raconter tout "le Capital". Vous n'avez qu'à le lire. Il n'y a qu'(environ sept cent cinquante pages (pour le premier volume).

Cela dit, quand je vous incite à vous informer, je dois reconnaître que c'est difficile à lire et ceci pour deux raisons.

La première, qui est la moindre, c'est que Marx qui est allemand, écrit en Allemand. Or, la structure de la phrase allemande est remarquablement différente de celle du Français. Il s'en suit que le traducteur, même très compétant, est tenaillé entre deux positions. La justesse de l'expression ou la justesse de l'idée. En même temps, la phrase allemande est souvent plus longue que la phrase française et on se perd un peu dans toutes les propositions subordonnées. S'il n'y avait que cela, ce ne serait pas trop grave. La révolution industrielle, (comprenons par là la systématisation de l'exploitation capitaliste est née en Angleterre au début et au milieu du XIXème siècle. Elle ne s'est imposée en Allemagne qu'après et en France, en Italie et aux Etats Unis plus tard encore. Il se trouve qu'au moment où l'exploitation capitaliste triomphe en Angleterre, Marx, pour diverses raison y réside. Il a donc vécu cette situation lors de éclosion ce qui lui a permis d'en étudier le phénomène. C'est là que la deuxième difficulté intervient.

Comme Marx vit en Angleterre et qu'il décrit une situation particulièrement anglaise, il exprime tout (les longueurs, les poids, les capacités, les surfaces et, bien sûr la monnaie en mesures qui ne sont pas décimales. Il faut reconnaître que, parfois, pour éclaircir un peu notre lanterne en ce qui concerne la monnaie, il convertit en une autre monnaie, allemande, celle-ci, qui a l'époque faisait un peu figure de référence internationale (comme actuellement le dollar US): le thaler mais qui n'était pas davantage décimal. Autant vous dire qu'à notre époque, ça nous fait un peu, selon l'expression populaire, "une belle jambe".

En résumé, réitérons-le, ce n'est pas facile à lire. Toutefois, une chose est certaine et c'est pour cela que je me suis imposé le pensum de l'étudier, il ne conclut pas que" si on supprime le capitalisme tout sera résolu. Il ne présente pas le capitalisme comme la cause unique de la misère humaine ou de l'exploitation de l'homme par l'homme? Non. Pour lui, l'exploitation capitaliste n'est pas la cause. C'est le mécanisme. Du reste, il stipule bien, et à diverses reprises que l'exploitation de l'homme par l'homme peut exister grâce à d'autres méthodologies, à savoir l'esclavage et le servage (encore présent à son époque dans nombre de pays d'Europe, particulièrement en Russie).

Donc (et cela c'est moi qui le dit) si la misère et l'injustice humaines existent, ce n'est pas strictement à cause du capitalisme mais à cause de la capacité de certains hommes à en exploiter d'autres; c'est à dire à vivre très grassement grâce à la misère des autres. Le capitalisme n'est donc pas la cause; ce n'est que le procéder mis en œuvre. Dès lors, si on ne supprime que le fonctionnement et pas la cause, cette cause établira d'autres procédés comme elle l'a déjà fait plusieurs fois. Si on ne cherche pas à éteindre l'exploitation de l'homme par l'homme mais seulement l'organisation capitaliste, l'exploitation humaine survivra sous d'autres formes. Il est à noter, et c'est pour cela que je me suis astreint à lire "le Capital" en entier que Marx, répétons-le avec insistance, ne dit jamais, mais alors jamais que si on supprime l'exploitation capitaliste, alors, tout sera terminé.

 

Les soviétiques, et c'est là leur première erreur, ont cru qu'en interdisant le capitalisme, l'affaire serait entendue. Puis, et c'est leur deuxième erreur, ils ont cru que pour anéantir le capitalisme, il suffisait de l'interdire. Ils ont interdit la propriété privée des moyens de production comme s'il suffisait d'interdire une chose pour qu'elle ne se fasse plus. Les cambriolages et :es escroqueries, c'est interdit. Mais ça se fait quand même. Et toi, mon lecteur attentif et préféré, ne t'arrive-t-il jamais de transgresser des interdits majeurs? N'as-tu jamais, avec ton automobile franchi la bande blanche médiane sur la route? ou violé le signal "stop"? Ne dis pas que c'est par inadvertance ou maladresse car avant de perpétrer cette infraction, tu as soigneusement vérifié qu'il n'y avait aucun gendarme à l'horizon. Donc c'est bien délibérément que tu as agi en mauvais citoyen. Oh le vilain garçon! Oh! le garnement que tu es!

La troisième erreur a consisté à négliger un paramètre de la dialectique de Marx (qui, lui même, le tenait de Hegel. Il consiste à tenir compte de l'évolution avec le temps. Si, gardant une merveilleuse image d'un village où tu as passé des vacances heureuses il y a quelques années, tu décides d'y retourner, tu risques d'être déçu pour deux raisons. Ce village a évolué et s'est transformé et, dans le même temps, ton souvenir a magnifié des choses qui n'ont peut-être pas existées. Devant leurs difficultés successives, les soviétiques, au lieu de tenir compte de l'évolution du monde, se sont enfermés en se cramponnant comme une huitre à son rocher, dans un fixisme de plus en plus rigoureux et totalitaire. Ça, j'espère que vous m'accorderez que ce n'est pas la faute de Marx.

Suit à cela, un autre phénomène que Marx explique très bien. Il dit que pour qu'un système (social, économique, politique ou autre) soit stable, il faut que les différentes incidences positives ou négatives qui le composent soient équilibrées. Ces forces antagonistes peuvent internes ou externes au système. Si elles s'exacerbent, le système va entrer en période de crise. Si l'une ou l'autre des composantes l'emporte, alors, le système va se modifier dans le sens de la forme dominante et apparaîtra un nouveau système possédant de nouvelles contradictions. Si lors de la situation de crise, aucune des formes de contradiction ne l'emporte, alors, la situation de crise sera exacerbée conduisant à une position nouvelle dans laquelle toutes les composantes de la crise s'anéantiront mutuellement et il en sortira un nouveau système ne ressemblant ni à l'ancien ni à aucunes des forces antagonistes. Rappelons que ces contradictions peuvent internes ou externes. C'est là qu'intervient la quatrième erreur soviétique. 

Considérant que le soviétisme était par essence parfait, les difficultés rencontrées par l'union soviétique ne pouvaient pas être liées à des contradictions internes mais nécessairement externes, à savoir dues exclusivement aux puissances occidentales. Il était de bon ton, dans l'ex URSS d'expliquer que toutes les difficultés étaient dues aux manigances des puissances occidentales. Donc, le maître mot était: C'est pas nous, M'sieur, c'est les autres. Au même titre, pour justifier les contradictions internes (quand elle n'étaient pas purement simplement niées) il était inconcevable que les dysfonctionnements soient générés par une mauvaise organisation mais uniquement par la mauvaise volonté du citoyen soviétique qui, du coup, devenait un "social traitre" qu'il fallait, au minimum "rééduquer" voire plus purement et simplement éliminer.

Arrivés à ce point de notre investigation, il faut bien reconnaître que l'évolution technologique de l'URSS a été spectaculaire et qu'en un peu plus d'un demi siècle, la situation de la Russie de Gagarine est sans commune mesure avec celle des Tzars. Cependant, cela implique encore une autre erreur.

 

Quand Marx expose le fonctionnement de l'exploitation de l'homme par l'homme par le mécanisme de l'organisation capitaliste, cela n'implique pas qu'il a pour visée de combattre le capitalisme mais sa cause: le fait que pour que quelques uns soient monstrueusement riches il est nécessaire que d'autres soient dramatiquement pauvres. Il s'en suit que pour remédier à cela, il faut que les gens aient le sentiment que le fruit de leur labeur leur revient. cela a failli se faire, mais la chose a avorté.

Parmi les grands mots d'ordre révolutionnaires de 1917, nous allons en retenir quatre: la terre à ceux qui la travaillent, les usines aux ouvriers, une Douma (assemblée nationale) délibérative élue au suffrage universel et tous les pouvoirs aux soviets. Pour éviter toute ambiguïté, il faut expliciter cette notion de "soviet". En Russe, le mot "soviet" veut dire une réunion ou une assemblée. En 1917, les gens avaient pris l'habitude, dans tout le pays, de se réunir à toutes sortes de niveaux. Ces réunions avaient pris le nom de "soviet". Il y avait des soviets de village, de quartier, de ville, d'usine ou d'atelier et jusque dans l'armée des soviets de soldats. On pouvait être membre de plusieurs soviets à la fois. Donc donner tous les pouvoirs aux soviets était une volonté ultra démocratique; Les décisions n'étaient plus prises par de quelconques fonctionnaires ou agents d'une quelconque autorité mais par les intéressés eux-mêmes. Nous avons bien dit que tout cela a failli exister. Mais, ça s'est dégradé.

Les usines à ceux qui y travaillent, ça ne s'est jamais fait. En revanche, la terre aux paysans, Lénine l'a décrété très vite. La Russie de l'époque étant très majoritairement rurale, cela lui a permis  de se rallier une grande partie de la population paysanne.

Il existait, en Russie, à l'époque tzariste, une forme de collectivisme agricole qui s'appelait des artels. Ces artels sont transformés assez facilement en kolkhozes Mais, après la mort de Lénine en 1926, cette notion de kolkhoze coïncidait mal avec le dogme (pris de façon étroite puisque en fait, il s'agissait d'une propriété collective) de l'interdiction de la propriété privée des moyens de production. 

On a donc créé des sovkhozes dans lesquels le sol n'était plus propriété collective mais propriété d'état. Les paysans n'étaient donc plus des gens qui s'organisent en collectivité mais des salariés ordinaires. Dans un premier temps, les paysans ont été astreints à appartenir à un kolkhoze puis progressivement, les kolkhozes ont été victimes de discrimination et de spoliations avec des surfaces moindres que les sovkhozes et des dotations de matériel largement inférieures. Donc, ce que Lénine avait fait en donnant la terre aux paysans, Staline l'a défait en la leur retirant. Il est amusant de constater que de nos jours encore, dans des endroits reculer du Caucase ou de l'Oural quelques kolkhozes survivent. Pour ce qui est de "les usines aux travailleurs", cela ne s'est jamais fait.

En définitive, les travailleurs n'avaient fait que de changer de maîtres.

Pour ce qui est de la Douma, Elle a vraiment existé et elle existe encore mais elle s'est mélangée avec la notion de tous les pouvoirs aux soviets qui, elle aussi, s'est pervertie. En fait, si tous les pouvoirs étaient aux soviets, la Douma perdait beaucoup de son sens et au lieu d'être un pouvoir législatif, elle est rapidement devenue une simple chambre d'enregistrement.. Dans le même temps, le pouvoir des soviets s'est mis a fonctionner à l'envers.

Tous les pouvoirs aux soviets, au départ, c'était une idée remarquablement marquée au coin d'une démocratie totale. Rappelons-nous que les soviets étaient des assemblées de base. Si les soviets détenaient tous les pouvoirs, cela impliquait que la susdite base détenait tous les pouvoirs. Plus démocratique que ça, j'ai du mal à imaginer. L'ennui, c'est que la chose s'est inversée. Le système des soviets qui était (théoriquement) une pyramide permettant aux désirs et au choix de la base d'atteindre le sommet s'est  mis à fonctionner à rebrousse poil. L'échafaudage  soviétique est devenu une organisation de courroies de transmission permettant au sommet d'imposer ses choix à la base. Il s'en est suivi l'établissement d'un fonctionnement technocratique où le gouvernement pouvait dire à la population: nous savons mieux que vous ce dont vous avez envie. Bien sûr, il y a eu des réticences ce que voyant, au lieu de se remettre en cause, Staline, pour museler toutes formes de critiques et de propositions en est arrivé à l'instauration du parti unique ce qui n'a fait qu'aggraver la situation.

 

Maintenant, nous allons en arriver à l'erreur principale, l'erreur majeure qui explique toutes les autres. Ce n'est pas une erreur matérielle ou tactique ou organisationnelle mais une erreur philosophique.

On qualifie la philosophie de Marx comme une dialectique matérialiste. Alors, là, je n'ai pas de chance (et vous non plus) parce que je vais devoir expliciter ces deux mots.

Pour ce qui est de la dialectique, c'est assez simple. C'est un type de raisonnement dont nous avons hérité de l'université médiévale. Il consiste à exposer une idée puis à montrer une opposition et à en tirer une conclusion; chose que l'on exprime par le raccourci traditionnel de "thèse, antithèse, synthèse". On dit aussi que la dialectique est un art du raisonnement. Bon, jusque là, ça va.

Arrive Hegel (Georg Wilhelm Friedrich 1770-1831). Ce n'est pas plus compliqué. Il dit dans sa terminologie "Position, opposition, composition". Mais il ajoute une autre notion. Pour lui, l'opposition ( la négation) se partage en deux. Il y a la négation et la négation de la négation. Il parle aussi de négation interne et de négation externe. N'insistons pas. Au même titre que je ne vous ai pas raconté tout Marx, je ne vais pas davantage vous raconter tout Hegel mais Marx, de formation philosophique adhère totalement à la dialectique de Hegel. Ils ne se sont pas connus. A la mort de Hegel, Marx est un gamin de treize ans. Cependant, là où Marx va s'opposer à Hegel, ce n'est pas sur la technique du raisonnement mais, disons, sur l'usage qu'il en fait. Il reproche à Hegel d'avoir un raisonnement idéaliste tandis que lui veut utiliser ce raisonnement sur une base matérialiste. Il veut bâtir une dialectique hégélienne matérialiste d'où cette notion de dialectique matérialiste (ou matérialisme dialectique).

Là, il faut un peu éclairer les lanternes.

Que veulent dire ce deux mots?

Ce n'est pas ce qu'on croit le plus souvent.

 

Pour Marx, être idéaliste c'est faire prévaloir la pensée sur la matière et être matérialiste, c'est le contraire; c'est faire prévaloir la matière sur l'idée. Je sais, dit comme ça, ce n'est pas clair du tout. Attendez, je vais vous expliquer en caricaturant un peu.

La petite cuiller qui est sur la table, ce n'est pas parce que je la vois qu'elle est sur la table. Non, c'est parce qu'elle est sur la table que je la vois. Je peux même dire que ce n'est pas parce que je la vois qu'elle existe. C'est parce qu'elle existe que je peux la voir. Ce n'est pas parce que mon esprit a décidé de l'existence d'une petite cuiller sur la table que celle-ci s'est matérialisée. Ce n'est pas parce que l'on a l'idée d'une notion que cela crée cette entité. Le principe d'Archimède existait même avant qu'Archimède ne le découvre. C'est cela que Marx appelle le matérialisme. Vous pensez que voila une réflexion bien bouffonne... Pas tant que ça. Voici quelques cas célèbres de pensée idéaliste. Dans la bible, Dieu dit: que la lumière soie", et la lumière fut. C'est parce qu'il a eu l'idée de l'existence de la lumière que cela a créé la lumière. On n'est pas très loin de l'existence de la petite cuiller sur la table ci-dessus évoquée, là;, non? Descartes dit: "Je pense donc je suis". Là, c'est plus ambigu. On peut se demander si c'est parce qu'il pense que cela crée sa personne ou si c'est parce qu'il pense qu'il peut constater son existence (qui serait préexistante). Il y a aussi le cas moins connu de Pythagore qui considérait que le monde existait parce qu'il y a la mathématique ce qui conduisit Aristote à classer Pythagore parmi les philosophes présocratiques qui disaient des absurdités ou prenaient le problème à l'envers. Aristote préférait considérer que c'est parce que le monde existe qu'on peut en tirer des lois physico mathématiques. Alors, hein, si même Aristote s'en mêle, où va-t-on? Mais où va-t-on?

Ça y est? On s'y retrouve dans la différence entre le matérialisme et l'idéalisme? Cela n'a rien à voir avec la notion d'avoir un idéal. On peut même dire que l'on a pour idéal de ne pas raisonner de façon idéaliste.

Revenons à Marx. Comme nous l'avons dit, il souscrit pleinement à la méthodologie de la dialectique de Hegel. Mais voila, il reproche à Hegel d'avoir une approche du monde idéaliste. Il pense que Hegel prend le problème à l'envers. 

Il dira même que : "Hegel marche sur la tête" et qu'il se donne pout but de "remettre Hegel sur ses pieds". Marx préfère une dialectique hégélienne  matérialiste. Il veut une dialectique matérialiste.

Alors, maintenant, après cette longue digression philosophique, revenons à nos soviétiques staliniens

Il est entendu que l'URSS, puisqu'elle s'est effondrée ne fonctionnait pas si bien que ça. Il est clair que les soviétiques avaient constaté les dysfonctionnements puisqu'ils étaient à pratiquer une répression. Mais, c'est là qu'ils prenaient le problème à l'envers. Au lieu de considérer que si nous n'obtenons pas les résultats escomptés, c'est qu'il y a des erreurs dans notre raisonnement et notre organisation, ils ont conclu que c'était la faute d'une mauvaise volonté de la part des individus qui étaient donc des "social traitres" et c'est pour cela qu'il fallait réprimer les mauvais citoyens. cela revenait à se donner la fameuse excuse: "c'est pas nous, M'sieur, c'est les autres".

Ils commettaient donc une double erreur philosophique. Ils étaient, bien sûr,  anti marxistes, nous y reviendrons après, mais aussi anti hégéliens puisque dans leur dialectique, il refusaient de considérer les contradiction internes en ne survalorisant que les contradiction externes. De plus, ils tenaient un raisonnement de type idéaliste (donc anti marxiste).

Reprenons cela de plus près.

Au lieu de constater: les gens sont peu enthousiastes à appliquer notre fonctionnement, c'est donc qu'ils y trouvent peu d'intérêt. S'ils n'y trouvent que peu d'intérêt, c'est que cela ne les rend pas follement heureux et si cela ne les rend pas follement heureux c'est que notre système n'est pas pleinement satisfaisant et que donc il faut le repenser. Ce qui, partant des faits et de la réalité eût été matérialiste. Non! au lieu de ça, ils ont considéré que leur système était par essence bon et que, donc, les gens devaient être heureux et, de ce fait, enthousiastes donc totalement coopérants. S'ils ne l'étaient pas, c'est que c'étaient des traitres. Ainsi, les notions de satisfaction et de bonheur devenaient obligatoires (ce qui, vous me l'accorderez est plutôt absurde). C'était bien une vision idéaliste. Nous décidons que vous devez nager dans le bonheur et vous avez l'obligation de nager. Et si vous ne nagez pas, c'est que vous êtes des traitres. Ne pourrait-on pas penser que plus idéaliste que ça c'est difficile à concevoir?

Marx s'était donné, considérant que Hegel marchait sur la tête, la mission de le remettre sur ses pieds. Les soviétiques staliniens et post staliniens se sont chargés de faire marcher Marx sur la tête. S'il avait su ça, Marx, il aurait été pas content! Mais pas content... Vous ne pouvez pas imaginer.

Il n'aurait pas été content, certes mais pas surpris. De son temps, déjà, il s'était insurgé contre deux de ses plus proches zélateurs (Jules Guesde et Paul Lafarge dont le second était son propre gendre) en leur reprochant: Si le marxisme c'est ce que vous dites, alors, je vous le déclare sans ambiguïté, je ne suis pas marxiste.

 

Vous voyez ce que je vous disais:

 

 

 

 

CE N'EST PAS MARX QUI S'EST TROMPE

 

 

05 12 20