DEMOGRAPHIE I

 

 

De temps à autre, on entend parler de la démographie. Le plus souvent, on se contente de constater des faits. On en parle un peu, et puis on passe à autre chose. Cette étude est aussi vaguement évoquée dans les livres de géographie des élèves de classe de cinquième des collèges. On n’en tire aucunes conclusions.

Pourtant, il me semble que dans l’évolution de l’humanité c’est un phénomène important voire grave. Croyez-vous qu’on va s’en préoccuper ? Pensez donc. C’est un peu comme la question ennuyeuse que l’on repousse du coude sur le coin de la table pour ne pas trop la voir.

Il me semble, au contraire, que la question démographique de l’humanité mondiale est une chose suffisamment grave pour y réfléchir un peu.

A la fin du paléolithique, il y a environ trente mille ans, l’individu humain est encore une espèce rare sur la planète. Nous sommes aujourd’hui environ sept milliards. L’espèce humaine a conquis à peu près toutes les niches écologiques possibles. Et dans certains endroits, elle grouille de façon démesurée. Si cela était sans conséquences, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter. Seulement voila ! Il semblerait que des conséquences, il y en ait. De gentils chantres d’une vie naturelle lèvent les bras au ciel en s’exclamant qu’il faudrait consommer moins sous peine de détruire les réserves naturelles de la terre. Ils ont raison. Oui, ils ont raison ; mais ils ont tort. Ils prennent seulement le problème à l’envers. C’est aussi incohérent que si un éleveur disait : J’ai trop de vaches. Alors, je vais les nourrir moins pour avoir encore plus de vaches chétives, maladives et peu productives. Ne serait-il pas plus astucieux de se dire : j’ai trop de vaches. Je vais donc en produire moins, mais elles seront plus grasses et plus riches en lait et en viande.

On entend parfois prononcer l’expression d’ « explosion démographique ». Comment en est on arrivé là ? 

Reprenons la chose au début.

Une femme est fertile en gros entre quinze et quarante cinq ans. Bien que certaines femmes soient de nouveau enceintes peu de temps après un accouchement ce qui leur permet d’avoir deux enfants différents de moins d’un an, physiologiquement, même en imaginant plusieurs cas de gémellité, une même femme ne doit pas pouvoir dépasser, théoriquement, une trentaine de grossesses. Cette fécondité est misérablement dérisoire. Songez qu’une simple chatte peut avoir trois ou quatre petits tous les quatre mois pendant dix ans ce qui fait tout de même quatre fois plus. Et je ne vous parle pas de certains poissons qui chaque année pondent plusieurs milliers d’œufs. De plus, dans la pratique, les nombres sont largement inférieurs. Les femmes qui atteignent la moitié sont déjà assez largement exceptionnelles. Jusqu’au milieu du vingtième siècle, elles sont d’autant plus exceptionnelles que vu leur nombre de grossesses, elles n’ont pas une longévité suffisante pour dépasser ce nombre. Ensuite, jusqu’à une période récente, la mortalité infantile fait des ravages. La mortalité dans la première année atteint la moitié. Par la suite, peu d’enfants survivants atteignent eux même l’âge de la puberté.

A titre d’exemple, je vous montrerai le cas de Jean Sébastien Bach qui avec ses deux épouses a eu vingt enfants. Je vous donne l’année de naissance pour en montrer la fréquence et l’âge du décès.

Catharina Dorothéa 1708 meurt à six ans.

Wilhelm Friedmann 1710 meurt à 74 ans.

Maria Sophia et Johann Christoph 1713 jumeaux morts à la naissance.

Carl Phillip Emanuel 1714 meurt à 74 ans

Johann Gottfried 1715 meurt à 24 ans

Léopold Augustus 1718 meurt à 10 mois

Christiana Sophia 1723 meurt à 3 ans

Gottfried Heinrich 1724 meurt à 39 ans

Christian Gottlieb 1725 meurt à 3 ans

Elisabetha Juliana 1726 meurt à 55 ans

Ernestus Andréas 1727 meurt à 1 jour

Regina Johanne 1728 meurt à 5 ans

Christiana Benedicta 1730 meurt à 3 jours

Christiana Dorothéa 1731 meurt à 1 an

Johann Christoph Friedrich 1732 meurt à 63 ans

Johann Augustus 1733 meurt à 1 jour

Johann Christian 1735 meurt à 47 ans

Johanna Carolina 1737 meurt à 44 ans

Regina Susanna 1742 meurt à 67 ans

Si l’on résume, sur vingt enfants, onze sont mort avant la puberté dans une famille d’un niveau social satisfaisant n’ayant donc pas de problèmes majeurs de nourriture et de chauffage. On peut présumer que dans les couches sociales défavorisées, ce devait être largement pire. Et je ne vous parle pas du néolithique ! Vous remarquerez aussi que les filles atteignant l’âge adulte ne sont que trois.

On a une image un peu comparable avec l’archiduchesse Marie Thérèse d’Autriche (1638-1683). Elle a eu seize enfants dont la moitié n’a pas atteint l’âge adulte.

Ajoutons à cela que les survivants n’auront pas forcément une descendance. Bien sûr, il ne faut pas oublier pour ceux qui ont atteint l’âge adulte, les calamités ordinaires famines, guerres, épidémies.

Je vous ai raconté tout cela pour vous dire que jusqu’à un passé récent, si l’espèce humaine n’avait pas eu autant d’enfants, elle aurait périclité et se serait éteinte naturellement.

Le souci de voir l’espèce disparaître hante l’esprit de l’animal humain. Quand je dis l’espèce, cela semble absurde. L’homme se moque éperdument de ce qui se passe de l’autre côté de la planète. En revanche, la disparition de sa famille, ou de son clan, ou de sa tribu, ça, c’est grave. La mort du dernier des Mohicans est affligeante. Il en résulte, et sans vouloir offenser quiconque, que si on additionne le souci de chaque tribu, voire de chaque ethnie de ne pas disparaître, cela revient à ce que je disais précédemment : l’homme à peur de disparaître. Tu vois que je ne dis pas que des bêtises !

Pour le clan du paléolithique, il y a un nombre optimum d’individus duquel il ne faut pas trop s’éloigner. Cela doit être aux environs de vingt-cinq. Moins de quinze, il n’y a plus assez de chasseurs ; plus de trente ou trente cinq, il y a trop de bouches à nourrir. Si le clan dépasse ce nombre, il est conduit à se scinder en deux un peu comme une colonie d’abeille qui essaime. En dessous du minimum, il faut tenter de trouver une autre famille déficitaire pour se regrouper ou se faire admettre. Cela a conduit en de nombreux lieux, en période de disette à pratique l’infanticide féminin. En effet, alors que les garçons commençaient l’apprentissage de la chasse ou de la pèche très tôt, les filles étaient, jusqu’à leur puberté, considérées comme des bouches inutiles et couteuses. Il s’en suivait un manque de génitrices que l’on ne se privait pas d’aller capturer dans les clans voisins.

En Amazonie, à une époque encore récente, un clan Jivaro attaquant une jivaria voisine avait entre autres préoccupations le souci majeur de se fournir en jeunes femmes adultes. Si de surcroit elles étaient déjà enceintes, ce n’était que tout bénéfice. L’enlèvement des Sabines perpétré par Romulus n’est pas qu’un épiphénomène isolé. Nous verrons plus loin que dans l’époque moderne, cette situation ressurgit pour d’autres raisons.

Lorsqu’on entre dans le néolithique et la civilisation, la situation change, mais fondamentalement, le problème, s’il change de forme, n’en reste pas moins très voisin. On est devenu capable de produire une nourriture excédentaire et de la conserver. On va donc pouvoir assumer une population nombreuse. Hélas, la richesse produite par cette vaste population va exciter les envies de tribus moins bien fournies qui vont tenter des rapines répétées. Il s’en suit deux choses contradictoires. Dans un premier temps, tous les hommes du groupe, même en gardant une fonction agricole ou artisanale, deviennent des guerriers. Pour que la tribu ou la nation soit indestructible, il lui faut beaucoup de guerriers. Pour avoir beaucoup de guerriers, il faut avoir beaucoup d’hommes, donc beaucoup de garçons, donc beaucoup d’enfants. La différence c’est que cette fois-ci, pour avoir beaucoup d’enfants il faut beaucoup de femmes. Il est entendu qu’on ne peut pas influer sur la fertilité féminine mais on exalte et on glorifie celles qui ont une nombreuse progéniture surtout s’il y a une majorité de garçon. En revanche, on montre du doigt et on désigne à la vindicte populaire celles qui n’ont pas d’enfants… comme si elles y pouvaient quelque chose. Bref, la population doit être nombreuse pour avoir de nombreux guerriers.

C’est là que la situation paradoxale intervient. Les guerriers vont créer une sous caste d’individus qui ne sont pas guerriers. Les guerriers, pour être guerriers ont besoin de n’être que guerriers et vont soumettre d’autres individus qui subviendront à leur besoins matériels. La nation a besoin de nombreux guerriers, mais les guerriers ont besoin de serviteurs. Ces serviteurs sont au début, le plus souvent des esclaves et seront par la suite des serfs. Dans le fond, les guerriers considèrent qu’ils sont les seuls à faire partie de la nation. Les autres sont considérés comme faisant partie du cheptel nécessaire. Du coup, puisque les autres ne sont pas partie intégrante de la nation, on en revient à cette idée que la nation n’est constituée que de guerriers.

Les Spartiates sont des guerriers ; les ilotes ne sont rien. A Athènes, les chevaliers sont ceux qui peuvent entretenir des chars de combat, les autres, selon leur fortune sont hoplite ou vélite. Parfois, on laisse entendre aux métèques que s’ils combattent dans l’armée athénienne ils pourront acquérir la citoyenneté, mais le plus souvent, ce ne sont que promesses vite oubliées. A Rome, la citoyenneté est plus réellement obtenue après vingt ans passés dans les légions.

Pour garder sa puissance, la caste militaire doit se reproduire en son sein et doit se reproduire beaucoup. Pour ce qui est des non militaires, pendant toute l’antiquité, la question n’est pas très grave. Pour une nation forte, un manque d’esclaves peut être compensé par une campagne militaire qui aura entre autres projets de capturer des ennemis vaincus et de les réduire en esclavage. Les pharaons ont souvent guerroyé dans le sud dans ce presque seul but. Au moyen âge, cette idée d’aller capturer des serfs disparait. Au contraire, l’aristocratie militaire va avoir de plus en plus besoin de valets, d’écuyers, d’archers et d’infanterie ; comme ils disaient avec beaucoup de mépris : de piétaille, d’hommes qui vont à pied. Elle ne pourra les recruter que dans la caste inférieure.

La plupart des travaux se faisant à la main, il faut beaucoup de travailleurs et en même temps, il faut beaucoup de soldats. On connait l’image des sergents recruteurs qui parcouraient les campagnes pour enrôler, de façon pas toujours très honnête,  de nouvelles recrues. A la fin du dix huitième siècle, on inventera la conscription obligatoire. La boucle est bouclée. On en est revenu à la situation ancienne où tout individu est nécessairement militaire. Au même titre qu’à Rome on appelait « prolétaire » un individu libre qui était tellement pauvre qu’il ne pouvait offrir rien d’autre à la patrie que ses propres enfants pour grossir les légions, au début du vingtième siècle, on glorifie les mères qui donnent leurs enfants à la patrie. Traduisez : qui fournissent de la chair à canons. La mortalité étant ce que nous avons décrit précédemment, il faut avoir le plus possible d’enfants. Depuis plusieurs millénaires, le souci majeur de l’humanité civilisée est d’avoir une procréativité intense.

La faible fécondité humaine a inquiété les hommes à tel point qu’ils en ont fait un dogme religieux. Même Dieu s’est mêlé de l’histoire en exhortant ses créatures à se reproduire : « Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » (Genèse I-28).

Vous pensez bien que si Dieu lui-même donne son avis sur le sujet, s’il enjoint l’ordre de procréer à tout va, ne pas suivre ses injonctions, mieux, s’y opposer et les combattre est à la fois hérétique et blasphématoire. Il est du devoir le plus élémentaire pour tout croyant convaincu de promouvoir la famille nombreuse. S’il se contentait de s’appliquer à lui-même la conséquence de sa croyance, il n’y aurait que demi-mal, mais, à cause de son obligation de prosélytisme, il ne peut, que  lutter farouchement contre les interruptions volontaires de grossesse et militer véhémentement contre le contrôle des naissances.

Je sais, tu vas me dire que les croyants ne sont pas tous comme ça. C’est vrai. Mais tu m’accorderas que théoriquement, c’est à cela que la parole divine doit conduire. Si ce n’est pas le cas, c’est que le croyant, en usant d’une casuistique qui est sienne fait des efforts importants et louables pour concilier deux positions parfaitement inconfortables et paradoxales. Il a en lui une contradiction interne dans laquelle il se débat comme il peut en louvoyant entre les deux parties opposées sans qu’aucune ne lui donne satisfaction mais où chacune lui reproche son attirance pour l’autre.

Hé ! Si certaines personnes ne parviennent pas à résoudre et à dépasser leurs propres contradictions internes, ce n’est tout de même pas de ma faute !

Nous sommes au vingt et unième siècle et nous sommes les héritiers de tout cela. Il nous restera donc à observer la situation actuelle et à imaginer des solutions éventuelles pour obvier à ses conséquences.

 

 

 

 

 

DEMOGRAPHIE II

 

 

         Sur la planète Terre, la vie s’est diversifiée en une multitude d’espèces variées. Selon les moments et en fonctions d’équilibres fort précaires, ces espèces se développent et prolifèrent ou disparaissent. Leurs disparitions peuvent avoir des causes diverses. Darwin (Charles : 1809 1882) explique que les plus adaptés supplantent les moins adaptés. La lutte pour la survie est sans merci. L’inadaptation peut être de deux ordres : soit par défaut, soi par excès. Une espèce peut disparaître par défaut quand elle est étouffée par une autre espèce plus rapide ou plus forte ou plus envahissante ou à la reproduction plus rapide (le myosotis étouffe  et fait crever les orties). Une espèce peut disparaître par excès quand elle est son propre prédateur. Quand elle a consommé toutes les ressources qui lui permettaient de vivre, elle meurt. 

La plante verte que vous soignez amoureusement sur votre fenêtre qui a été si longtemps si belle, et qui depuis un an s’étiole, perd ses feuilles et sa somptueuse couleur : Elle a simplement colonisé la totalité de son récipient. Vous la dépotez, vous retirez un tiers de la motte  et vous la replacez dans un pot un peu plus grand que vous remplissez de bonne terre nouvelle et vous allez voir qu’elle va recommencer à se développer jusqu’à ce qu’elle ait atteint une nouvelle fois la limite de l’extinction. Dans la nature, il en va de même. La menthe semble se déplacer. En fait, elle projette des tiges souterraines qui vont explorer un peu plus loin, mais pendant ce temps, les pieds d’origine ont complètement consommé certains éléments nécessaires à la survie de la plante. Donc, ces pieds d’origine crèvent et seuls ceux qui sont un peu plus loin se développent. Chaque année, la plante semble se déplacer de trente à cinquante centimètres. Ce n’est pas la peine de la remettre à sa place de départ. Pour elle, cet endroit est devenu stérile. Les aulnes font un peu la même chose. Ils poussent en touffes. Peu à peu, le centre de la touffe se vide et les nouveaux rejets poussant toujours vers l’extérieur, il se forme une espèce de cercle pouvant avoir deux à trois mètres de diamètre où plus rien ne pousse bordé par des aulnes bien vigoureux. Même si l’on met de côté l’aspect romantique du suicide des lemmings, comme si c’était une volonté délibérée de leur part de s’auto détruire, il n’en reste pas moins qu’après avoir proliféré d’une façon incontrôlée, ils sont pris d’une frénésie migratoire de laquelle beaucoup ne survivent pas.

. La levure de boulanger (ou levure de bière) est un champignon microscopique qui, pour vivre et se reproduire, absorbe du sucre et rejette du dioxyde de carbone et de l’alcool éthylique. Ce faisant, il empoisonne son milieu et l’excès d’alcool éthylique le tue.

Curieusement, d’autres espèces semblent avoir une certaine capacité de s’auto réguler. Bien sûr, quand une colonie d’abeille est trop nombreuse elle essaime ; mais ce n’est pas le plus intéressant parce que dans le fond, cela donne une colonie de plus. En revanche, les corbeaux semblent former des colonies assez stables en nombre. Qu’on leur fasse une chasse farouche et qu’on les extermine avec pugnacité, que l’année soit mauvaise, ou, à l’opposé qu’on leur fiche la paix et que leurs ressources soit bonnes, ils semblent rester un nombre assez constant.

Et nous, dans tout cela ? Nous, les animaux humains dont certains voient le sommet de la création, de quoi sommes-nous capables ?

Il y a un exemple inquiétant. Il s’agit d’une portion d’humanité enfermée dans un monde clos comme dans une éprouvette de laboratoire. L’île de Pâques coupée du reste du monde par un immense océan a eu une culture riche. Sa population a cru de façon suffisante pour que l’île ne puisse plus subvenir aux besoins de ses habitants. Après que tous les arbres aient été abattus pour récupérer chaque centimètre carré de terrain cultivable, il s’en est suivi des guerres tribales d’extermination telles que l’ensemble de la population a failli disparaître. 

Bien que quelques individus aient survécu, la totalité de la culture précédente  a été détruite et oubliée. Faut-il espérer et attendre que l’aventure de l’île de Pâques se reproduise en vraie grandeur à l’échelle planétaire ? Serions-nous plus proches de la levure de bière que des corbeaux ?

Depuis son apparition il y a environ trois millions d’années, l’humanité est hantée par sa faible fécondité. Le clan de chasseur cueilleur fait ce qu’il peut pour survivre. Dès l’apparition de l’agriculture, il faut une nombreuse population d’employés agricoles et de guerriers. Cette situation dure jusqu’au milieu du dix neuvième siècle. A partir de ce moment, une nouvelle notion va tout changer. Il s’agit de la découverte progressive de l’importance de l’hygiène. Un épisode remarquable est réalisé par Ignace Philippe Semmelweis (1818 1865). A son époque, une femme sur huit meurt  suite à un accouchement de ce qu’on appelle la fièvre puerpérale. En imposant à ses collaborateurs de se laver les mains très soigneusement, il obtient que cette mortalité tombe à environ deux pour cent. Il sera, certes, peu suivi et ses études ne trouveront leur pleine justification qu’après les travaux de Pasteur (Louis 1822 1895). Pour la petite histoire, cette maladie n’était précédemment signalée que de façon exceptionnelle. Tant que les femmes accouchaient à la maison, l’infection n’intervenait que très rarement. En fait, il s’agissait d’une infection nosocomiale induite par le fait que les médecins et assistants  disséquaient des cadavres et transportaient avec eux les germes responsables de cette mortalité. 

L’hygiène commence à être prise en considération. Elle le sera beaucoup plus après Pasteur. Ce même Pasteur introduit la notion de vaccination. La deuxième moitié du dix neuvième siècle et la première moitié du vingtième sont une succession quasi ininterrompue de progrès dans les domaines médical et chirurgical. L’espérance de vie d’un nouveau né est multipliée environ par deux. Si on fait le calcul dans l’autre sens, c’est plus spectaculaire. Le risque de mortalité infantile est divisé par cinq. En conséquence, si la natalité reste la même mais que la mortalité diminue, cela devient une simple affaire mathématique. Dans une progression, plus la « raison » est grande et plus la progression est rapide. Depuis le dix septième siècle, la population européenne a plus que triplé. Mais en un demi-siècle, elle a augmenté de plus de soixante pour cent. Quand j’étais petit, on disait que la France comptait quarante cinq millions d’habitants. Je me souviens d’un jour où, dans les journaux, on publiait une photographie d’une petite fille nouvelle née. C’était, statistiquement, la cinquante millionième Française. On en était très fiers !

Nous sommes maintenant plus de soixante cinq millions. En soixante ans, nous avons augmenté de trente pour cent et cela n’inquiète personne. Dans un jardin, quand on sème trop serré, par manque de place, il ne pousse que des plantes chétives. 

Si l’on veut cultiver de belles carottes, si l’on ne veut pas obtenir des plantes filiformes, malingres et incapables de se développer normalement, il faut semer clair et éventuellement éclaircir. Pour ce qui est de la population humaine, je ne demande pas d’éclaircir, mais simplement de semer clair. Les gentils écologistes lorsqu’ils lèvent les bras au ciel en demandant que l’on consomme moins, ne demandent pas de diminuer la population. Ils demandent que chaque carotte soit moins nourrie et possède moins de place. Si vous en voulez mon avis, ils sont bien gentils les écologistes. Ils sont pleins de prosélytisme passionnel, de bonté larmoyante et de charité religieuse mais, ils prennent le problème strictement à l’envers. Au lieu de dire s’il y a trop de lapins, il n’y a plus d’herbe, donc plus de lapins, ils disent : faisons des lapins tout maigres mais de plus en plus nombreux jusqu’à extermination totale de la race lapins. Jusqu’à disparition de toute trace de vie.

Pourquoi ce raisonnement ?

Il est à noter que nombre de pays (éminemment occidentaux) continuent d’avoir une politique nataliste. Si, si ! Il faut inciter les gens à avoir des familles nombreuses.

 Il y a à cela plusieurs raisons. Bien sûr, pour les gens qui sont les tenants du pouvoir, il faut continuer d’avoir, d’une part, une main d’œuvre nombreuse qui sera d’autant moins exigeante qu’elle sera plus nombreuse et donc plus en concurrence et, d’autre part, une quantité de chair à canon suffisamment substantielle. Dans le même temps, la population laborieuse, maintenue dans une pauvreté endémique, voit comme une calamité financière l’apparition de chaque nouvelle grossesse non désirée mais contre laquelle elle ne peut rien. Depuis longtemps, les confréries, les guildes avaient tenté de minorer les difficultés de leurs adhérents. 

Les sociétés de secours mutuel ont pris la suite au dix neuvième siècle et les luttes sociales ont fini par imposer aux états (d’abord en Allemagne vers 1870 puis en Angleterre) une prise en charge par un « état providence » du problème économique des familles nombreuses, avec des prestations compensatoires. En France, on aboutira en 1945 aux « allocations familiales ». Ajoutons que flotte au dessus de tout cela la vision séculaire judéo-chrétienne selon laquelle il faut croître et multiplier. Il est à noter qu’en France, les premières initiatives ont été réalisées par un patronat paternaliste chrétien de la région grenobloise.

Tant que l’apparition de grossesses était incontrôlable, il va de soi que des indemnisations de familles pauvres qui en étaient affublées n’étaient qu’une aide devant une calamité dont elles n’étaient pas responsables. Mais nous sommes au vingt et unième siècle. Les techniques anticonceptionnelles sont totalement efficaces. Une femme qui souhaite ne pas avoir d’enfants tout en ayant une sexualité normale peut parfaitement l’obtenir. Techniquement, une succession de grossesses répétitives et non désirées n’existe plus. Dans le même temps, les allocations versées sont progressives. Pour un enfant, c’est insignifiant. Pour un deuxième, c’est  plus substantiel et à partir du troisième, cela devient une véritable pension. En conséquence, à une époque où le contrôle des naissances est parfaitement contrôlé, augmenter l’indemnisation à partir du troisième enfant est une incitation non dissimulée à concevoir ce troisième enfant et plus éventuellement.

L’indemnisation est devenue une subvention.

C’est donc bien ce que je disais, les états qui continuent de verser des subventions à la natalité pratiquent une politique nataliste.

Les deux questions qui se posent, sont : Pourquoi ? Et que faudrait-il faire ?

C’est vrai, pourquoi, alors que la planète croule sous une surpopulation qui va en s’aggravant (certains ont calculé que, pour que toute la population de la planète puisse vivre avec un niveau comparable à celui du citoyen helvétique moyen, il faudrait environ trois terres et demie) des états continuent-ils à pratiquer une politique nataliste.

Des raisons, il y en a plusieurs. Globalement, j’en vois quatre. D’abord, il y en a deux qui tout en étant obsolètes n’en continuent pas moins de marquer les esprits. Il faut une main d’œuvre abondante et des guerriers nombreux. Les deux sont devenus absurdes. Avec beaucoup moins de personnel, on fabrique beaucoup plus de produit. Avec moins de militaires plus spécialisés et une technologie plus pertinente, on obtient une armée plus performante. Mais cela reste tout de même dans les esprits.

Il y a une troisième raison qui tout en étant aussi archaïque que les deux autres est toujours de saison. C’est le fameux verset I-28 de la Genèse : « Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. »

Hé ! Les ordres, c’est les ordres ! Tant qu’il n’y a pas eu les « contre z’ordres »… Tant que le grand barbu n’a pas dit : bon, les enfants, vous êtes assez nombreux comme ça. Si vous continuez, vous allez détruire mon œuvre. Et je ne veux pas que vous détruisiez mon œuvre. Donc, vous oubliez le « Genèse I-28 ». Je l’abroge. Vous éditez une nouvelle mouture des textes bibliques en stipulant bien que les consignes sont modifiées et vous arrêtez de croître et multiplier ». Bah oui ! Tant que le chef n’a pas dit ça, ne pas continuer serait parfaitement hérétique.

Tenez, je vous livre deux anecdotes que j’ai relevées très récemment.

Il y a quelques jours, deux braves Dames témoin de Jéhovah sont venues frapper à ma porte pour m’apporter la bonne parole. Comme j’avais déjà commencé la rédaction de cet essai, je leur ai posé la question de ce sacré « Genèse I-28 ». Avec le plus grand aplomb, elle m’ont bien confirmé que tant que Dieu ne donnait pas un signe aux hommes selon lequel ils sont trop nombreux, il faut continuer d’appliquer ce précepte. 

Les famines, la misère, le réchauffement de la planète, ce n’est pas un signe, ça ? Non, non.

Deuxièmement, il y a quelques jours, je suivais, par hasard un reportage à la télévision, sur le sort de populations vivant dans des îles en train de disparaître en raison de la montée des eaux. C’était je ne sais plus trop où dans l’océan indien. Ces pauvres gens étaient conduits à partir se réfugier sur une île voisine plus grande et un peu plus élevée où la population croulait déjà sous le nombre. On nous montrait des ruelles grouillantes où la misère le disputait avec la crasse et la malnutrition. On nous faisait aussi visiter des dispensaires qui ressemblaient plus à des hangars qu’à des établissements de santé. Une adolescente de quatorze ans gardait sur une vague paillasse son enfant malade. Une autre jeune femme déclarait avoir vingt ans et déjà six enfants. Les explications étaient énoncées en « voix off ». A un moment, la remarque suivante était donnée. (J’essaie de le retranscrire dans toute sa brutalité en juxtaposant les deux propositions comme je les ai entendues). « Ici, la religion catholique est omniprésente ; la contraception est à peu près inexistante »… Hé ! Ce n’est pas moi qui le dis… Sans commentaire.

Je vous disais que je voyais quatre raisons entraînant les gouvernements occidentaux à conserver une politique nataliste. Je vous en ai exposées trois. Dans le prochain chapitre, nous verrons la quatrième qui n’est pas la moindre.

 

 

 

DEMOGRAPHIE III

 Nous avons constaté que les politiques natalistes sont soutenues par des motivations variées. Deux devraient être abandonnées comme caduques. Il s’agit du besoin de bras manœuvres pour produire et de la nécessité d’avoir une réserve de chair à canon importante.

Mais, par la force de l’habitude, on aime à y croire encore ou plutôt à y faire croire encore, voire à faire croire que l’on y croit encore. Cela permet de masquer une autre volonté moins avouable. D’autre part, il y a toujours le dictat des religions du livre. Mais, comme je vous en avais prévenu, nous avons une autre obsession, bien dissimulée et bien tue.

C’est une autre raison majeure qui fait que les pouvoirs dirigeants ne sont pas enclins à lutter contre la surpopulation.

Nous vivons dans un monde dirigé par le profit et la consommation. Or, les individus sont des consommateurs potentiels. Diminuer le nombre d’humains reviendrait à diminuer le nombre de consommateurs, donc la grandeur des bénéfices, donc l’importance des profits, donc la richesse des actionnaires. C’est précisément de cela, dont il n’est pas question.

Imaginez une île de mille habitants bien isolée du reste du monde. Celui qui possède le monopole de la vente de la chaussette sur l’île n’a pas du tout envie de voir la population diminuer. Et même, si elle augmente encore, il n’en tirera que plus de bénéfice… Même si l’île crève de surpopulation, de pollution et de misère… Surtout si lui, précisément, habite sur une île voisine paradisiaque.

En permanence, nous sommes sollicités pour consommer plus. Il va de soi que, dans la même logique, être plus nombreux à consommer vise le même résultat. Essayez de dire à une grande multinationale : Voila, nous vous aimons bien, mais nous allons amputer le nombre de votre clientèle d’un bon tiers ; vous allez voir comme elle va regimber et vous mettre des bâtons dans les roues. Quand on fabrique des petites cuillers, est-ce pour que les gens aient des petites cuillers ou pour que les actionnaires de l’usine de petites cuillers gagnent le plus possible de sous ? Si on diminue le nombre d’acheteurs potentiels de petites cuillers, qui c’est qui ne va pas être content ?

Seulement voila. Cela, il ne faut pas le dire.

Et pourquoi ne faut-il pas le dire, s’il vous plait ?

Il ne faut pas le dire tout simplement parce que ce n’est pas très avouable. Si on proclamait à la face du monde qu’il faut faire beaucoup d’enfants pour que les plus riches actionnaires des plus grandes entreprises multinationales s’enrichissent encore plus au détriment de la multitude, je ne suis pas persuadé que cela ravirait les foules. Non ! On agit de façon beaucoup plus sournoise. On veut augmenter le nombre de consommateurs potentiels. Alors, on soutient, de façon souterraine, la religion qui, elle, proclame à coups de Genèse I-28 : allez-y plus vous aurez d’enfants et plus vous serez grands dans votre soumission ; il faut beaucoup de bras pour avoir beaucoup de cadavres.

Si, si ! C’est grâce à cela que les plus riches s’enrichissent encore au dépends des plus misérables.

Alors, que faudrait-il faire ?

Il y a trois solutions. Un état peut avoir une politique nataliste, une politique neutre ou une politique de dénatalisation.

La politique nataliste, j’espère que vous avez compris de quoi il s’agit.

Une politique neutre. Ce serait une position gouvernementale qui n’intervient en aucune façon ni positivement ni négativement sur la natalité. C'est-à-dire qui laisse les choses se faire sans s’en préoccuper. C’est, du reste se qui se passe dans la plupart des pays non occidentaux. Dans la pratique, ce n’est pas si simple que ça et cela demande quelques remarques.

Pour que l’espèce reste égale à elle-même en nombre, il devrait suffire que chaque couple ait en moyenne deux enfants. Ainsi, chaque individu ayant son remplaçant, au fil des générations, la population humaine resterait égale à elle-même. Cela revient à dire qu’il suffirait que chaque femme ait deux enfants (avec qui elle veut ; c’est sans importance). Que certains hommes aient plusieurs partenaires ou que certaines femmes en fassent de même, cela ne change rien aux statistiques du moment que chaque femme a deux enfants en moyenne. Oui, mais c’est faut. Nous avons vu que certains enfants n’atteignent pas l’âge de la puberté et que certains, même s’ils deviennent adultes, sont eux-mêmes stériles. La situation actuelle de la médecine et de l’hygiène détermine que, pour proroger la situation, il faut que chaque femme ait en moyenne deux enfants virgule quatre. Je sais ce que disait Coluche de la chose : « Mon père, il a fait tout qu’est-ce qu’on lui a dit. Il a eu deux enfants virgule quatre… Il a pas trouvé la virgule, il en a eu trois ». Cependant, ceci ne serait vrai que si tous les pays du monde présentaient un niveau de médicalisation, d’hygiène et de nutrition, égal aux régions les plus avancées ; or, ce n’est pas le cas. Dans les pays du tiers monde, la mortalité reste élevée.

En deuxième lieu, il faut constater que les humains des régions froides sont moins fertiles que ceux des régions chaudes. Oh ! Que voila une chose inquiétante ! Et pourquoi donc, je vous prie ? Chez la plupart des mammifères, les testicules sont extérieurs à l’abdomen ce qui les conduit à présenter une température légèrement inférieure au reste du corps. Ainsi, et seulement ainsi, la maturation des spermatozoïdes peut arriver à terme.
Dans les régions chaudes, on s’habille relativement peu tandis que dans les régions froides, on s’emmaillote de façon plus conséquente. Vêtements et sous vêtements chauds sont de rigueur pour supporter des hivers rigoureux. Il s’en suit que les testicules étant maintenus artificiellement à une température voisine de celle du corps génèrent des spermatozoïdes moins matures ce qui diminue leur fertilité. A ce titre les habitants des régions polaires ou de très haute montagne ont relativement moins d’enfants que les autres. Pour remédier à la chose, il faudrait que ces messieurs des régions froides consentent à vaquer à leurs occupations avec leurs organes génitaux bien aérés. Ceci est tellement vrai qu’à une époque, des chercheurs britanniques avaient imaginé d’utiliser comme moyen contraceptif des sous vêtements masculins augmentant encore plus la température conduisant les susdits organes génitaux à une stérilité complète qui aurait disparu dès que, se ré-habillant normalement, la température locale aurait diminué.

Il reste un troisième élément. Dans nombre de régions, technologiquement archaïques, la famille étant toujours assimilée au clan, on garde l’idée qu’un clan fort est un clan nombreux et que la notion de contraception est certes peu connue, mais en même temps peu souhaitée.

A l’opposé, on constate que dans les régions technologiquement très développées, avec un niveau de vie satisfaisant, le désir d’avoir une famille nombreuse diminue. Ceci peut sembler paradoxal. Les gens qui ont le plus les moyens d’assumer des enfants sont ceux qui en ont le moins envie et, réciproquement, ceux qui auront le plus de difficultés à les assumer sont ceux qui désirent en avoir le plus (ou, tout au moins, ceux qui conçoivent le moins l’idée d’en avoir peu). On vérifie la même chose dans les pays, attirant une forte immigration, par leur niveau de vie, que les nouveaux arrivants, pas encore intégrés  continuent d’avoir des familles nombreuses mais qu’à la deuxième génération et encore plus à la troisième en arrivent à des familles d’environ deux enfants. A ce titre, on entend souvent des gens dire que les immigrés ne viennent que pour profiter des allocations familiales. C’est vrai et c’est faut. Ils ne viennent pas que pour cela. Au départ, ils ne savaient même pas que cela existait. Mais une fois sur place, comme ils sont encore dans la psychologie de la famille nombreuse, ils en profitent pleinement. Il est vrai qu’ils sont principalement les bénéficiaires de la chose. Cependant, comme nous l’avons vu, ce n’est que très provisoire. La première génération, les primo arrivants, oui ! Mais par la suite, non. Cela se résorbe tout seul.

Il est impressionnant de penser qu’il suffirait, peut être, d’élever le niveau de vie de tous les habitants de la planète à la situation des ressortissants de l’occident pour que la prolifération humaine se stabilise naturellement.

Ajoutez à cela que ne rien faire consiste à laisser la situation en place et les idées dominantes continuer d’agir. Ne rien faire, c’est être d’accord pour laisser faire. Ne rien faire, c’est faire en telle sorte que ce qui se fait continue de se faire. Suis-je clair ?

Il nous reste à envisager une politique de dénatalisation.

Les deux états les plus peuplés du monde l’on déjà mise en œuvre ; Ils sont les plus concernés et ne sont pas influencés par les religions du livre.

En Chine, une loi très rude a été décidée. Tout couple qui a plus d’un enfant sera sévèrement sanctionné (dans les provinces du nord ouest, la loi est beaucoup moins rigoureusement appliquée voire pas du tout). Il est entendu qu’une génération plus tard, avec les aléas de mortalité et de stérilité, la population devrait être divisée par plus de deux (si le taux d’équilibre est de deux virgule quatre, passer à environ zéro virgule huit entraîne une régression importante de la population). Cela voudrait dire une Chine qui dans une vingtaine d’année aurait une population ayant perdu environ cinq cent millions d’habitants. Cependant, cela entraîne une situation tragique. En Chine comme dans beaucoup d’endroits, Il faut un fils pour pérenniser la succession familiale. Puisque, quand il se marie, son épouse vient le rejoindre sous le toit familial, une fille, au contraire, quand elle se marie quitte sa maison paternelle. Même sans parler de maison et d’entreprise familiale, le nom disparait. Si l’on ne peut avoir qu’un enfant, à la naissance, il y a environ une chance sur deux. Si c’est un garçon, il n’y a pas de problème, mais si c’est une fille, la famille mourra. Certains couples ne pouvant pas concevoir de ne pas avoir de fils, il s’en suit, en Chine, une vague dramatique d’abandon ou d’infanticide de petites filles à la naissance. De ce fait, il s’en suit que quelques années plus tard, il risque d’y avoir un manque de filles et les garçons ne trouveront pas d’épouse ce qui sera aussi une condamnation de la succession familiale.

En Inde, des dispositions ont aussi été prises pour limiter les naissances. Je suis moins au fait de la législation, mais je crois savoir qu’une indemnité est versée aux personnes qui acceptent de se faire stériliser. En Inde, toujours, et pour d’autres raisons que j’ai oubliées, certaines régions, pratiquant aussi l’infanticide ou l’abandon féminin, se voient confrontées à un manque criard d’épouses. Il s’en suit que des gens font le voyage vers d’autres provinces (du nord est, si j’ai bonne mémoire) afin de trouver une épouse pour un fils qui sans cela n’aurait pas la capacité de sauvegarder la survie de la famille. Du coup, les jeunes filles deviennent des valeurs marchandes que l’on vend.

Nous voyons que vouloir faire diminuer la population n’est pas une chose aisée.

En France, on pourrait penser que, pour ne plus avoir une politique nataliste, il suffirait de supprimer, purement et simplement, les allocations familiales. C’est vrai, mais pas complètement et ce n’est pas si simple que ça.

C’est de cela que nous parlerons dans le prochain et dernier chapitre.

 

 

 

 

DEMOGRAPHIE IV

(et fin)

 

 

Pour commencer, bien des gens d’obédience conservatrice et particulièrement ceux qui professent des idées d’extrême droite, se plaignent que les immigrés ne viennent en France que pour toucher les allocations familiales. Il faudrait un peu nuancer. Qu’ils en profitent pleinement, j’en suis parfaitement convaincu. De là à dire qu’ils ne viennent que pour ça, il ne faut peut-être pas exagérer. A ceux là, disons : Alors, supprimons les susdites allocations et selon votre certitude, ils ne viendront plus ! Oui, mais non !  Ce sont les mêmes qui, le plus souvent pour des raisons religieuses, veulent continuer de promouvoir une politique nataliste. Depuis deux bons millénaires, la nécessité d’avoir des enfants nombreux obsédait les humains et une nouvelle grossesse était considérée comme un don de Dieu. Vous pensez bien qu’aller là contre ne peut être vécu que comme un acte impie voire carrément hérétique. De façon obscure on s’insurge encore contre la contraception et je ne vous parle pas de l’interruption volontaire de grossesse. Depuis plusieurs décennies, on peut constater que ce sont les organisations laïques qui se sont employées à promouvoir la planification des naissances alors que dans le même temps, ce sont les organisations religieuses qui ont freiné la chose de toutes leurs forces.

Il y a quelques jours, je discutais avec un brave homme catholique convaincu voire légèrement prosélyte. Quand je lui ai évoqué une volonté possible de limitation des naissances sciemment organisée par l’état, il s’est insurgé. Oh, rassurez-vous ! Il n’a pas invoqué le péché de la désobéissance à Dieu. Non, il a fait référence à la liberté individuelle. C’était fort habile de sa part et je n’ai rien contre la liberté individuelle. Dans le même temps, tout le monde se souvient de la réflexion classique et des devoirs de classe de terminale sur l’inévitable limitation de la liberté individuelle.

Tenez, je vais vous raconter une histoire. Cela se passe sur un navire qui a été mitraillé. Il a plein de trous dans sa coque au dessous de la ligne de flottaison. Le navire va couler et tout le monde va mourir. Mais, voyez comme le hasard est malicieux ! Il y a exactement autant de trous que de personnes à bord. Le commandant, qui est un homme pertinent, décide que chaque individu ira mettre sa main sur un trou, ainsi, ils pourront regagner la terre ferme et tout le monde sera sauvé. Si quelques esprits forts, au nom de la liberté individuelle refusent d’aller boucher le trou qui leur incombe, je ne suis pas persuadé qu’ils seront particulièrement bien vus par leurs compagnons d’infortune. Même s’ils invoquent la volonté divine dans les fuites du bateau.

Alors, que faudrait-il faire ?

Il me semble qu’il y a trois grands axes à envisager.

Avant toutes choses, il me semble que la suppression immédiate et pure et simple des allocations familiales serait une erreur et une injustice. En effet, certains de ceux qui en sont bénéficiaires risqueraient de se retrouver, du jour au lendemain, dans une situation de précarité voire de misère grave. Il faut informer qu’à partir de dans dix mois, elle sera supprimée pour les nouvelles naissances et la laisser s’éteindre progressivement.

Cela dit, quels sont les trois grands axes auxquels je faisais allusion ?

Premièrement, d’une façon quasi fantasmagorique et apparemment utopique, comme nous avons dit dans un chapitre précédent qu’il était notoire que les gens, vivant dans des pays assurant un niveau de vie moins calamiteux, avaient globalement moins d’enfants, il serait astucieux d’améliorer ce niveau de vie  pour l’ensemble des habitants de la planète. Cela consisterait, en premier lieu, à améliorer les conditions sanitaires de manière à, en éradiquant une mortalité infantile qui n’est plus justifiée au vingt et unième siècle, permettre aux gens de ne plus compenser cette crainte de mortalité par une succession importante de grossesses. Dans un deuxième temps, en tendant vers des conditions de vie comparables à celles de l’occident, cela devrait conduire vers une image de la famille non moins comparable à celles de ce même occident.

En second lieu, il serait nécessaire, aussi,  de développer une vulgarisation drastique du contrôle des naissances et de la contraception, cela dût-il déplaire aux tenants de la volonté divine des naissances considérées comme un don du ciel. La liberté individuelle étant d’abord et avant tout une liberté, il importe que le choix puisse se faire, si l’on le veut, de ne pas avoir beaucoup d’enfants. La contraception et la planification des maternités est une forme de liberté. Que certains aient la liberté d’avoir une famille nombreuse n’est parfaitement respectable que dans la mesure où ceux qui souhaitent n’en avoir que peu voire pas du tout puissent aussi en avoir la liberté. La liberté n’est une liberté que si le choix existe vraiment. Il va de soi que cette parfaite connaissance et cette parfaite maîtrise de la fécondité passe nécessairement par une culture générale accrue. Cela implique un enseignement général de plus haute qualité, tant sur le plan technique et biologique que sur le plan philosophique. On conçoit mal une capacité d’action sur les fonctions biologiques de son corps et particulièrement de sa reproduction sans une réflexion philosophique à propos de ces mêmes fonctions et de leurs conséquences pour la vie familiale et pour la société.

Troisièmement, l’état, comprenez par là l’émanation de la volonté de la population, peut intervenir de façon incitative.

Nous avons vu précédemment que le versement d’allocation pour subvenir au fait d’élever des enfants correctement devrait être supprimé. Alors, je vais revenir en arrière et vous dire le contraire. Au lieu de dire plus il y a d’enfants et plus l’état providence paie, je vais dire en caricaturant à peine : plus il y a d’enfants et moins l’état providence paie.

Comment s’y prendre ? Je vous donne mon avis.

Si une femme a un enfant. Elle touche une allocation raisonnable pour cet enfant. Si elle a un deuxième enfant, l’allocation reste inchangée. Attention, je ne dis pas qu’elle touche autant pour le second que pour le premier. Je ne dis pas que la somme est multipliée par deux. Je dis que pour un ou deux enfants, la somme est la même. On peut donc considérer que, par enfant, pour deux enfants, chaque enfant perçoit une aide divisée par deux. Si cette même femme donne naissance à un troisième enfant, l’allocation est purement et simplement supprimée. Si un couple estime pouvoir assumer plus de deux enfants, c’est son choix et sa « liberté individuelle ». Mais il n’y a aucune raison que l’état, c'est-à-dire la collectivité, finance ce choix individuel.

Alors, me direz vous (car votre esprit aigu ne va pas manquer de faire cette remarque… si, si ! vous avez un esprit assez aigu pour ça !) : tu crées un système inégalitaire tel que seuls les gens riches pourront avoir beaucoup d’enfants ; eux seuls auront une vraie liberté et les autres s’en verront privés. 

Certes, je le reconnais mais, franchement, entre nous, n’avez-vous pas l’impression que la société, dans son ensemble, est faite comme ça ? Les riches n’ont-ils pas la liberté d’avoir plus de chaussettes que les pauvres ? Les riches n’ont-ils pas la liberté de disposer d’un appartement avec plus de pièces que les pauvres ? Les riches n’ont-ils pas la liberté de partir plus en vacances que les pauvres et plus loin ? Résolvez, d’abord, toutes ces inégalités et, seulement ensuite, nous en reparlerons.

Dans le fond, je rêverais volontiers d’une société dans laquelle les gens voient leur travail suffisamment rémunéré pour ne pas avoir besoin d’aide pour élever leurs enfants. Je rêverais, non moins volontiers, d’une société disposant d’un niveau de vie matériel et culturel tel que leur désir de reproduction s’établisse naturellement, comme pour les gens du monde occidental moyen, autour de ces susdits deux virgule quatre enfants par femme. Seulement voila, comme nous n’en sommes pas là, comme nous devons bien reconnaître que nous sommes trop nombreux et que nous courons à la catastrophe, je me dis qu’en attendant cette situation idyllique, il faut agir. C’est là que mon esprit retors intervient. Dans le fond, je n’imagine cette histoire d’allocation dégressive qu’afin de pouvoir la supprimer et ainsi intervenir sur l’excès de natalité en motivant les gens par l’appât du gain et par leur vénalité.

Il reste une chose. Il y a quelques jours, je parlais du sujet de ma réflexion du moment avec mon fils. Il m’a posé une question fort pertinente. Il m’a demandé : Selon toi, aux environs de quels nombre devrait se situer la population mondiale ? J’avoue que sur le coup, je n’ai pas su quoi lui répondre.

         Et puis, à la réflexion, j’ai repensé à ce que disaient ces braves Helvétiques dont je vous parlais dans le deuxième chapitre. Ils ont calculé que pour que tout le monde puisse vivre avec un niveau de vie équivalant à celui d’un Suisse moyen, il faudrait environ trois terres et demie. Alors, faisons leur confiance. Disons qu’il faudrait que la population mondiale soit divisée par trois et demi pour atteindre la limite létale. Par sécurité allons jusqu’à quatre. Nous sommes sept milliards cela voudrait dire revenir vers un milliard sept cent cinquante millions. Ce n’est pas tragique, ce n’est que la situation de l’année 1900.

De toutes façons, il y a urgence. Le premier milliard d’hommes a été atteint vers 1820, le deuxième vers 1925, le troisième vers 1960, le quatrième vers 1975, le cinquième vers 1988 le sixième vers 2000 et le septième en 2011. La situation s’accélère à une vitesse folle. Bientôt, comme dans l’île de Pâques, nous allons détruire les Moaï et pratiquer l’auto extermination.

Parfois, on entend des gens dire : ce qu’il faudrait, c’est une bonne guerre. C’est absurde. La seconde guerre mondiale avec ses horreurs a fait quelques quarante millions de morts. La population mondiale de l’époque était de deux milliards d’individus ce qui ne représente qu’une diminution de deux pour cent. C’est parfaitement insuffisant, voire dérisoire. Comme en même temps, c’est monstrueux, c’est monstrueusement dérisoire.

Moi, je ne réclame pas de détruire des humains, je suggère seulement d’en fabriquer moins.

Et puis, tenez, pour plaisanter un peu, je vous propose ces deux spéculations intellectuelles qui devraient intéresser les monothéistes de tout poil.

Une nouvelle naissance est un don de Dieu. Je me demande si ce ne serait pas plutôt, dans sa volonté de précipiter la perte du genre humain, un don de Satan. Ou bien, si on se réfère au pacte scellé entre Dieu et Satan selon lequel ce dernier aurait obtenu de Dieu qu’il ne le détruise qu’après la disparition du genre humain, on peut se demander si Dieu, pour hâter sa vengeance envers Satan ne ferait pas des cadeaux empoisonnés aux hommes afin de pouvoir, enfin, assouvir sa rancœur envers celui qui lui a désobéi. Tout bien réfléchi, puisque Satan sait que quand l’homme aura disparu il sera détruit, il n’a pas très intérêt à ce que l’homme disparaisse trop vite. En revanche, et, eu égard à ce même pacte, si Dieu veut vraiment détruire Satan, il faut, d’abord qu’il se débarrasse de l’homme.

Je vous jure, vous en arrivez à me faire dire de ces choses…

Quoi qu’il en soit, tout le monde sait qu’une bulle de savon, quand on la gonfle trop, finit toujours par éclater et qu’il ne reste qu’une vague gouttelette d’eau savonneuse misérable et dérisoire.




Commentaires: 4
  • #4

    Marie-Claude (vendredi, 15 juin 2018 18:01)

    sept milliards c'est beaucoup trop !
    mais que faire quand la Chine s'évertuait à modérer ses naissances, les "bien-pensants" criaient haro comme un seul homme et pourtant ...
    Dame Nature menace d'en noyer plus d'un ..., faut-il glorifier les guerres meurtrières ?
    Une chose est certaine c'est que sept milliards, c'est beaucoup trop !
    amitié .

  • #3

    Michel Gergeay (vendredi, 15 juin 2018 13:13)

    Merci pour ce épuisant travail qui consiste à ôter les oeillères : rien de nouveau ni de surprenant, mais cet argumentaire a l'immense mérite de venir en renfort de cette évidence (hélas masquée par l'écran théologique) que l'humain prolifère à l'excès et que la limitation des naissances est la seule réponse civilisée au pullulement suicidaire de notre espèce. Je ne crois pas plus à Terre la Mère qu'à Dieu le Père, mais la planète est une réalité, elle, un écosystème complexe qui nous expulsera "mécaniquement" par la disparition des conditions de notre existence. Merci encore.

  • #2

    Guildon Atinary (lundi, 18 avril 2016 12:41)

    L'organisation politique actuelle en états souverains, le mode d'exploitation économique mercantile dominant, empêche la prise de décision sensée et urgente qui éviterait à l'espèce humaine de connaitre le sort de Rapa Nui...Aucune solution réalisable à court terme, c'est à dire dans les dix années à venir, avant que l'écosystème et les ressources ne soient irrémédiablement compromis, que de supposer quelque puissance dictatoriale qui mettrait à bas la souveraineté politique des états, contraindrait les individus à appliquer un programme adéquat de limitation des naissances, s'approprierait le droit de réguler, au moins, le mode d'exploitation mercantile des ressources, cela au prix sanglant d'une guerre d'apocalypse, moins coûteuse quantitativement en morts que d'attendre un hypothétique et responsable éveil d'une humanité réduite à la somme des égoïsmes de ses membres.

  • #1

    marie-claude (dimanche, 17 avril 2016 21:05)

    Longtemps que je pense comme toi, et que dans mon entourage, je diffuse l'idée ...
    Très bon article !
    Amitié .

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