IL N’Y AURA PAS DE REVOLUTION

Oui, effectivement, il n’y aura pas de révolution. Pourquoi ? Oh, pour une raison bien simple ; parce que personne ne le veut. Hein ? Vous ne croyez pas ? Vous ne croyez pas que pour qu’il y ait une révolution, encore faudrait-il que quelqu’un en ait envie ? Si personne ne le désire, il ne peut pas y avoir de révolution. Et nous sommes dans la situation où personne ne désire une révolution. Personne, hein ! J’ai bien dit personne.

Vous ne me croyez pas ?

Attendez, je vais vous donner les raisons qui me conduisent à cette conclusion.


        Dans un premier temps, il y a tous ceux, fort nombreux qui ne veulent pas de révolution parce qu’ils trouvent que les choses sont très bien comme elles sont et qui, même, seraient prêts à se dresser, à tort ou à raison, contre toute tentative révolutionnaire. Ensuite, il y a tous ceux qui, fort nombreux aussi, on peur de ce que cela risque d’engendrer sous forme de violence et d’exaction de tous ordres. Il faut bien reconnaître qu’ils sont assez sensés. 

Franchement, l’image de l’odeur du sang qui sèche sur les trottoirs et se mélange à celle des cadavres affreusement mutilés abandonnés dans les rues ou les hameaux isolés, suite à des combats sans merci, des exécutions sommaires et des massacres de foules, cela n’a rien de très enthousiasmant, surtout si l’on considère que ces victimes hideuses, ce ne sont pas forcément les autres. Dans le fond, ces gens qui s’élèvent contre tout rêve de combats ne doivent pas être taxés de lâcheté, de pleutrerie ou de veulerie mais ne peuvent qu’être respectés pour leur pacifisme.

Dans un second temps, il y a, à l’opposé de ce qui précède, ceux qui se sentent, se croient et se disent révolutionnaires ; ceux qui attendent dans un fol espoir la lutte finale, le grand soir et l’accomplissement triomphal. Au fond de leurs yeux et de leurs entrailles règne l’image romantique du tableau de Delacroix « la liberté guidant le peuple ». Ils espèrent dans une folle impatience le moment où ils vont pouvoir en découdre avec les forces de l’ordre. Il faut affronter avec détermination la police. Il faut casser du policier. En effet, tout le monde sait que l’ennemi suprême, l’adversaire absolu, ce ne sont pas les milliardaires qui confisquent les richesses du monde. Non ! ce sont les policiers. Bah oui, hein ! Les fonctionnaires payés pour maintenir l’ordre public, lorsque, précisément on ne rêve que de le perturber, cet ordre public, il faut les affronter et les anéantir. Ces gens qui se vivent comme de profonds révolutionnaires ne font rien de plus que d’imaginer exorciser leur mécontentement, leur hargne et leurs frustrations par la fureur et la violence. Dans le fond, ils n’ont pas dépassé le stade du petit enfant qui, parce que sa maman refuse de lui donner une autre part de gâteau, se met à hurler en se roulant par terre et finit par balancer ses jouets à travers la pièce. Dans un premier temps, cela fait bien rire la maman mais, dans un second temps, (aggravation de la répression) elle risque fort de l’empoigner par une aile et, le maintenant sous son bras, avec la tête qui hurle d’un côté et les pattes qui gigotent de l’autre, lui administrer une solide fessée.

Ces personnes ne sont pas des révolutionnaires ; tout au plus des révoltés. Beaucoup, du reste, avec une remarquable lucidité et un vrai bon sens, s’enorgueillissent de ce qualificatif de révolté. Ce dont ils rêvent, c’est de révolte, de rébellion, d’émeute ou d’insurrection. Il est à noter, au passage, que ces gens, dont il est hors de question de mettre en doute le côté passionnel et la sincérité, aggravent la hantise et la peur de ceux dont nous parlions précédemment qui refusent toute forme révolutionnaire par simple pacifisme.

 

L’ennui, dans cette réflexion, c’est que la révolution, ce n’est pas ça. Les deux groupes se trompent. Les pacifistes comme les échevelés ont de la révolution une vision fausse. Il faut cependant constater, à leur décharge, qu’il y a une cause historique à leur confusion.


 A travers l’histoire, les révoltes de tous ordres n’ont pas manqué. Evoquons au passage, à Rome, la révolte de Spartacus, En France la « grande jacquerie », En Allemagne la « guerre des paysans » qui deviendra en Lorraine, en Alsace et en Suisse la « guerre des rustauds ». Toutes ont été des rebellions ou des émeutes qui se sont soldées par des bains de sang et aucunes n’ont eu de conséquences révolutionnaires. Et puis, arrive en France la révolution de 1789 et c’est de là que jaillit l’ambigüité. En effet, lors de cette période, on assiste à un mélange d’événements tantôt de révolte et tantôt révolutionnaires. Le point de départ mythique est la « journée des tuiles » le 7 juin 1788 à Grenoble. Ce n’est qu’une émeute. Quelques semaines après, le 21 juillet 1788, c’est l’assemblée de Vizille. Pas une goutte de sang et là, c’est révolutionnaire puisque c’est de celle-ci que dépendra la convocation des états généraux. L’année suivante, le 20 juin, c’est le serment du jeu de paume. C’est révolutionnaire. Dans l’allégresse générale, on décide de rédiger une constitution pour la France. Le 14 juillet : la prise de la bastille. Mis à part l’aspect symbolique, ce n’est qu’un mouvement insurrectionnel. En revanche, trois semaines plus tard, dans la nuit du 4 au 5 Août, l’abolition des privilèges, ça c’est révolutionnaire. C’est même le sommet révolutionnaire du moment. Cette notion sera parachevée par la fin de la rédaction de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 26 Août de la même année. Cet événement sera tellement révolutionnaire qu’il fera le tour du monde et que pour nombre de peuples, la France sera le pays des droits de l’homme. Par la suite, des événements sanglants : les massacres de septembre, la guerre de Vendée ou la terreur se sont succédés mais ne sont plus révolutionnaires. La seule dernière grande mutation qualitative sera, le 21 septembre 1792 avec la proclamation de la république. De tout cet embrouillamini inextricable, il s’en est suivi que les gens en ont tiré la conclusion qu’une mutation révolutionnaire ne pouvait être que le résultat d’événements insurrectionnels. Il faut aussi reconnaître qu’un autre paramètre vient renforcer cette impression.


         Tout mouvement révolutionnaire se donne pour mission de modifier le système en place et même, plus précisément, de le remplacer par un autre. Or, chaque pouvoir en place, depuis le début de la civilisation, ne tient ce pouvoir que par la force. C’est donc par la force qu’il faut y remédier. Les tyrans ne quittent pas leur tyrannie volontairement et par pure bonté d’âme. Il s’en suit qu’à partir de là (si on ne tient pas compte de la tentative de révolution anglaise) toute révolte se verra abusivement qualifiée de révolution et l’archétype du genre est la révolution de 1830. 

Vous savez, hein ! les trois glorieuses… le tout magnifié par le fabuleux tableau d’Eugène Delacroix « la liberté guidant le peuple » où le romantisme le dispute à un héroïsme flamboyant. 1830, c’est tout au plus une émeute et onze jours après, un nouveau roi étant installé, tout sera balayé. 1848 sera vaguement révolutionnaire puisqu’ un simulacre de suffrage universel sera piètrement obtenu. En 1871, la « Commune de Paris » aurait pu être révolutionnaire mais elle a été noyée dans le sang. Au vingtième siècle, on parle des révolutions mexicaines (dirigées par Emiliano Zapata et Pancho Villa). Ce ne sont que des révoltes qui ne conduisent à rien. On confond révolte et révolution. 

Cette confusion conduira, au dix-neuvième siècle, un homme qui était, lui, un véritable révolutionnaire, Louis Auguste Blanqui (1805-1881) à rédiger une méthodologie pour s’emparer du pouvoir par les armes. Nombre de coups d’états militaires, dans le monde mettront en œuvre sa stratégie avec succès et même, en 1917, pour sa prise du palais d’hiver par les armes dont la nécessité n’était pas avérée pour parvenir au pouvoir, Trotski n’a fait que suivre scrupuleusement le plan de Blanqui.


Tout cela est dépassé.

Au vingt et unième siècle, un gouvernement peut être renversé par simple voie électorale. Ceux qui rêvent encore de barricades fumantes ne sont que des nostalgiques d’un passé violent et révolu à la Blanqui.

Etre révolutionnaire, au vingt et unième siècle, ce n’est pas d’aller crier dans les rues ; c’est de s’asseoir à sa table et, après réflexion, rédiger, le plus clairement possible, des projets permettant à la société humaine de vivre mieux. Etre révolutionnaire, ce n’est pas hurler ce que l’on réprouve, c’est être capable d’exprimer ce que l’on veut. Etre révolutionnaire, ce n’est pas aller faire le coup de poing, c’est déployer une réflexion philosophique. Aristote disait que le plus haut degré de spéculation philosophique possible est celui qui concerne le politique et Lénine constatait qu’il ne peut pas y avoir de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire.

Une amie me disait, il y a quelques temps, que tout un chacun n’a pas la capacité, intellectuelle et culturelle d’établir des projets de mutation sociale qualitative. Elle a, hélas, raison. Mais, entre tout le monde et personne, il y a peut-être une nuance. Que chacun ne soit pas capable de mettre au point la méthode définitive pour libérer la société humaine de son asservissement est une évidence mais si au moins quelques approches, même partielles, étaient établies, nombreux seraient ceux qui seraient capables de les diffuser, les divulguer, les vulgariser et en tirer des premiers pas permettant d’aller plus loin. En médecine, pour utiliser les antibiotiques, encore faut-il les avoir découverts. En revanche, bien que tous les médecins n’aient pas découvert les antibiotiques, tous savent s’en servir. Toujours en médecine, on considère comme médecins ceux qui inventent des traitements nouveaux ou qui les utilisent. Ceux qui crient parce qu’ils souffrent, ce sont les patients. De même, en politique, ceux qui crient leur fureur contestataire ne sont que des victimes. Les révolutionnaires, ce sont ceux qui conçoivent d’autres solutions ou œuvrent pour leur diffusion ou leur mise en application.

La révolution de 1789 en France a pu avoir lieu pace que les gens de 1789 étaient les héritiers du siècle des lumières. Avec toutes les précautions oratoires nécessaires quant à ses excès monstrueux et son fiasco final pitoyable, la grande espérance générée par la révolution russe de 1917 à existé parce que les gens de 1917 étaient les héritiers des théoriciens socialistes du 19ème siècle. Nous, nous ne sommes les héritiers de rien.

Comme nous le prédisions au début de cet essai, il n’y aura pas de révolution. Il y a à ceci trois raisons. Premièrement, nombreux sont ceux qui ne veulent rien changer. Deuxièmement, nombreux aussi sont ceux qui, craignant les effusions sanglantes, en ont, à juste titre, peur et, troisièmement, le reste qui n’envisage que des émeutes sans le moindre projet révolutionnaire. Alors, si personne ne le veut, pourquoi voudriez-vous qu’il y ait une révolution ?


        Etre révolutionnaire, c’est concevoir des modes de vie révolutionnaires ; c’est-à-dire des techniques ou des organisations radicalement différentes qui transformeront le fonctionnement de la société humaine vers une amélioration irréversible. Bien sûr, nous l’avons déjà constaté, il est entendu que tous les individus n’en ont pas la capacité et ceci pour toutes sortes de raison qui sont telles que ces gens ne sont absolument pas méprisables. En effet, peut être qualifié de révolutionnaire celui qui découvre, ou invente, ou décrit un procéder révolutionnaire. Mais peut être aussi qualifié de révolutionnaire celui qui diffuse et se fait le propagateur de ce procéder. 

Dans une fourmilière grouillante où chacun va à hue et à dia, tout s’agite mais rien ne bouge. En revanche, si des prosélytes propagent leur enthousiasme, et que d’émule en partisan, chacun se met à tirer dans le même sens, la charrette risque de commencer à avancer.

Des révoltes, à travers l’histoire, il y en a eu des quantités qui, hélas, le plus souvent se sont soldées par des échecs parfois sanglants. Cela a permis, en outre, aux pouvoirs en place de renforcer leurs moyens de répression. Vouloir initier des émeutes ou des insurrections sans véritable projet socio politique, ne garantit pas la victoire finale. Aller au combat pour aller au combat n’est pas constructif et il ne faut pas perdre de vue l’adage qui dit que : Quand on envisage des distributions de coup de pied au cul, il faut toujours avoir une pensée émue pour ses propres fesses.

 

C’est parce qu’il n’y a pas de véritables visées révolutionnaires que cela laisse le champ libre à des risques insurrectionnels incontrôlés, stériles et dangereux. Toute révolte avortée repousse à un avenir, toujours plus lointain, des mutations réellement révolutionnaires. Que la situation dans laquelle nous vivons, en poussant les gens de façon irréfléchie à des gestes de désespoir, risque d’entraîner des événements insurrectionnels est une évidence. C’est même pour cela qu’il n’y aura pas de révolution.

 

 

 

 

Commentaires: 9
  • #9

    thilloy (vendredi, 13 décembre 2019 16:17)

    J'adore la clarté des propos qui sont d'actualités ,comme dit Mélenchon les violences ne sont pas constructives et permettent au pourvoir de lancer ses chiens de garde d'une police déshumanisée par le ministère avec sa politique d'austérité et des cadres de la police qui se comportent comme des managers Américains de supermarché ,un flic seul ou à 3 ou 4 restent dans l'humanité mais dès que l'on les regroupe en meute sans échappatoire ils deviennent une meute enragée qui violente les citoyens qui ne manifestent que pour leur droit à mieux vivre et à finir les fins de mois .

  • #8

    Thilloy (vendredi, 13 décembre 2019 15:50)

    J'adore la clarté des propos qui sont d'actualités ,comme dit Mélenchon les violences ne sont pas constructives et permettent au pourvoir de lancer ses chiens de garde d'une police déshumanisée par le ministère avec sa politique d'austérité et des cadres de la police qui se comportent comme des managers Américains de supermarché ,un flic seul ou à 3 ou 4 restent dans l'humanité mais dès que l'on les regroupe en meute sans échappatoire ils deviennent une meute enragée qui violentent les citoyens qui ne manifestent que pour leur droit à mieux vivre et à finir les fins de mois .

  • #7

    Molina (vendredi, 25 janvier 2019 17:48)

    Je viens de lire le texte sur la révolution. Félicitations vous avez entièrement raison.
    Toujours brillant l'ami Abel :)
    Bises

  • #6

    Nessa (samedi, 28 avril 2018 23:54)

    Très juste !!!!

  • #5

    Rachi.da (mercredi, 07 février 2018 13:46)

    Tres pertinent, je souscris totalement

  • #4

    Maria R (jeudi, 19 octobre 2017 18:12)

    Très bien ces considerations !

  • #3

    Gérard (mardi, 10 octobre 2017 23:17)

    je découvre votre blog et vos articles, intéressants, sur lesquels je suis tellement d 'accord que j'ai l’impression que j'aurai pu les écrire moi-même... Ceci dit pour cet article sur le fait que les révolutions n'auront pas lieu, l'Histoire réserve bien des surprises. Et il ne faut juger de rien en ce qui la concerne. Personne ne pouvait prévoir réellement la révolution russe. Elle est partie de deux manifestations l'une de femmes ouvrières, l'autre de femmes bourgeoises réclamant l'égalité avec les hommes. La Commune de Paris, elle aussi a été imprévisible. e Mais c'est vrai que personne ne veut les révolutions, et pourtant elles arrivent lorsque les conditions en sont réunies...

  • #2

    Roberto (mardi, 15 août 2017 09:50)

    Salut jean,
    je partage ce malheureux constat et je sens le besoin d'y ajouter une touche connexe.
    C'est l'impact, dans notre environnement interconnecté et ultracommuniquant, du contrôle quasi absolu des outils technologiques et donc de la maîtrise des contenus et ce qui en résulte, la mercantilisation de l'espace , la diffusion de la pensée unique, la manipulation des masses, la réduction de l'esprit critique qui annihile toute probabilité révolutionnaire.

  • #1

    Un (vendredi, 24 février 2017 16:09)

    Je viens de lire ton essai sur le fait d'être ou non révolutionnaire, très bien parfait, je suis d'accord avec toi. Il mz'manque
    Simplement là méthodologie de Blanquette. Bises à bientôt..



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