LES COUCHES MOYENNES

 

 

Il existe des gens qui, dans la population, forment une catégorie bien connue et qui, cependant, est à peu près indéfinissable. Ils sont relativement nombreux bien que très largement minoritaires. Il se proclament eux-mêmes les "couches moyennes".

Par là, ils reconnaissent ne pas faire partie des grandes fortunes mais, en même temps, ils se refusent à être mêlés  à l'ensemble de la population ordinaire. Etre mêlés à la populace? Ah non! fi! ils sont au dessus de ça. Autrefois, on les appelait les petits bourgeois (voire la moyenne bourgeoisie). Mais, le terme "bourgeois" ayant acquis au fil des décennies et des siècles une connotation péjorative, ils ont opté pour cette appellation de "couches moyennes". Sur le plan sémantique, cela me rappelle ces départements de France qui, se sentant méprisés par leur appellation, ont exigé de changer de nom. C'est ainsi que la Charente et la Seine inférieures sont devenues "maritimes", que la Loire inférieure et les basses Pyrénées sont devenues "Atlantiques" et que, le fin du fin, les Basses Alpes sont devenues "Alpes de Haute Provence". Là, carrément, de "bas", ils sont devenus "hauts. Il est entendu que, suite à ces reconnaissances, les gens de ces départements, leur narcissisme étant revalorisé, vivent mieux. Pour la petite bourgeoisie, c'est la même chose. De petits, ils sont devenus moyens. C'est donc bien d'une promotion qu'il s'agit.

Cela dit, il reste une question grave. Qui sont ces "couches moyennes"? Alors là, nous pouvons bien défier quiconque de nous en donner une définition. Il y a ceux qui, indéniablement peuvent y prétendre parce que, non moins indéniablement, ils ne font pas partie du "petit peuple". Mais il y a ceux de qui la famille en a été mais qui, suite à des revers divers, n'en sont plus, mais voudraient le redevenir ou, qui voudraient que les autres continuent de croire qu'ils le sont encore ou qu'ils le sont de nouveau. Il y a ceux qui n'en ont jamais été mais qui en rêvent ou qui rêvent que l'on croie qu'ils en sont ou qu'il le sont devenus ou qu'ils vont bientôt le devenir. Tout le monde constatera donc aisément la remarquable précision de la définition de ce groupe humain. Cependant, ils existent. Ça, c'est indéniable.

 

En revanche, et quel que soit leur mode de rattachement à la chose, ils ont un point commun. Ils considèrent que, faisant partie de ces "couches moyennes",  il serait, pour eux, insultant de les assimiler à l'ensemble de la population ordinaire. Pour éviter cette extrême déchéance, ils affectent des comportements de nantis. Même si cela leur coûte très cher, ils n'habitent pas dans un quartier populaire et exhibent des voitures et des vêtements huppés. Autrefois quand, dans les trains de France, cela existait encore, ils fuyaient comme un avilissement les wagons de subalternes. Ils ne voyageaient pas en première classe parce qu'ils n'en avaient pas les moyens mais, méprisant la troisième classe réservée au "petit peuple", ils affirmaient avec force leur différence avec la plèbe et, affichant ouvertement leur statut de petits bourgeois, ils voyageaient en seconde classe.

Ils sont également capables de marquer une remarquable ségrégation dans un domaine bien particulier. Vous imaginez si ce fils de famille cossue envisageait d'épouser la bonne? On fera ce qu'on pourra pour que cela ne se réalise pas ou bien, dans le pire des cas pour que cela ne se sache pas. Et, la grande tragédie c'est si la fille voulait épouser un ouvrier métallurgiste ou un simple maçon. Là, le déshonneur serait total et ce brave homme de "couche moyenne" serait capable d'oublier que son propre grand père était cantonnier.

Dans le fond, il n'y a rien là de très répréhensible. Ils ne veulent, avec un certain respect d'eux même, qu'affirmer leur réussite ce qui peut être respectable. Cependant, leur comportement et leur philosophie risquent, néanmoins d'être risibles. Il y a trois cent cinquante ans, Molière (Jean Baptiste Poquelin 1622-1673 dit...) brocardait un individu qui, grand bourgeois, rêvait de devenir gentilhomme. Cela faisait rire ses contemporains et, le ridicule de son "Monsieur Jourdain" nous amuse encore. Nos "couches moyennes"  ne hantent plus la noblesse mais la bourgeoisie. Ce dont ils rêvent,  c'est d'accéder à ce même statut duquel Monsieur Jourdain faisait des efforts désespérés pour échapper.

Pour mieux éclairer notre lanterne, essayons de décrire cette situation de deux façons différentes.

Les couches moyennes se sentent moyennes et déclarent être au milieu, entre les extrêmes, donc à mi chemin de la société. Voyons cela de plus près avec d'abord un simple raisonnement arithmétique. Imaginons trois individus. Le premier, ne roule pas sur l'or mais  n'est pas non plus tragiquement pauvre. Il gagne mille cinq cent euros par mois. C'est donc une personne très ordinaire. Le deuxième est "couche moyenne". Lui, il reçoit quinze mille euros mensuels. vous m'accorderez que voila un joli pactole. Dans le fond, ce n'est que dix fois le salaire de l'autre ce qui, au demeurant, est tout à fait confortable. Le troisième, c'est un milliardaire; oh! un tout petit milliardaire. Il ne possède qu'un seul milliard. Un milliardaire bas de gamme, quoi. Admettons que ce dernier reçoive de son capital cinq pour cent par an (ce qui est largement sous évalué). Cela lui rapporte donc; cinq pour cent de un milliard soit cinquante millions annuellement donc, par mois un peu plus de quatre millions d'euros (environ centre neuf mille euros par jour). Et, ce n'est que le plus petit milliardaire possible. Pour mieux visualiser la chose, supposons un chemin qui part d'un point zéro et s'éloigne sur un côté vers un point P. Prenons pour unité de mesure un mètre pour mille cinq cents euros. L'home ordinaire est donc à un mètre du point de départ et le "couche moyenne" à dix mètres. Là, vous la voyez bien l'énorme distance qui les différencie. Nous la comprenons bien la raison qui incite le "couche moyenne" à se sentir éloigné de l'homme ordinaire et donc à s'en désolidariser.

 

      Et le milliardaire, à quelle distance est-il du point de départ? Lui, il est à plus de deux mille six cents mètres. Résumons. Nous avons le départ; à un mètre, l'homme ordinaire; à dix mètres, le "couche moyenne" et à plus de deux kilomètres et demi le milliardaire. Les deux premiers peuvent se parler sans même trop élever la voix et le troisième, même avec de bonnes jumelles, on  ne le voit pas. Certes, les "couches moyennes" ont raison de penser qu'ils sont entre les deux. C'est parfaitement vrai et ce n'est pas un mensonge. Toutefois, en se disant "couche moyenne", cela implique qu'ils se sentent dans la moyenne c'est à dire au milieu entre les deux autres et que c'est même pour cela qu'ils ne peuvent pas prendre partie plus pour les premiers que pour et les autres.

   Dans la moyenne... Tu parles! Neuf mètres d'un côté et plus de deux mille six cents mètres de l'autre (plus de deux kilomètres et demi). Et c'est cela qu'ils appellent être au milieu. N'avez-vous pas l'impression que leur conception de l'arithmétique est un peu défaillante?

Nous disions que pour décrire la société, il y a deux approches différentes. Voici la seconde.

Beaucoup de gens imaginent que l'on peut représenter la société par une ligne ininterrompue qui va du plus pauvre au plus riche. Certes, cette conception est tout à fait admissible et de plus, elle justifie l'existence d'une zone intermédiaire où l'on n'est ni complètement pauvre ni complètement riche. L'ennui c'est que cela ne tient pas compte d'une autre réalité. N'y aurait-il pas dans notre système social deux grandes catégories bien distinctes?

Fréquemment, on entend considérer que la société serait constituée de deux sortes d'individus. Il y aurait, d'une part, des. exploités et de l'autre des exploiteurs. Dans un premier temps, cela semble une évidence puis, quand on y regarde de plus près, quand on entre dans le détail, cela semble plus douteux. En effet, on peut se demander si la délimitation est si absolue que ça. Ainsi, s'il existe effectivement une catégorie de population dont la situation est un peu trouble, un peu indéterminée, on peut en conclure, considérant que certains ne sont pas classables dans cette dichotomie, il existe effectivement une catégorie intermédiaire, c'est à dire une couche moyenne.

Réfléchissons un instant sur cette éventualité de situation inclassable. Pour que la discrimination soit franche et déterminante, il faut et il suffit que deux éventualité ne se présentent pas. Il ne faut pas, d'une part, que certains appartiennent aux deux possibilités simultanément. Egalement, il ne faut pas d'autre part, que certains éléments ne soient inclassables ni dans un groupe ni dans l'autre. Si l'une ou l'autre de ces catégories existe, alors, il y a bien une "classe" intermédiaire ou moyenne mais (surtout pour ceux qui ne sont ni d'un côté ni de l'autre) qu'il serait préférable de baptiser "différente". Sinon, si aucun de ces deux cas n'existe, il n'y a pas de situation intermédiaire ou moyenne.

Avant d'aller plus loin, ne serait-il pas pertinent de définir avec précision ce que nous entendons par exploiteur ou exploité.

Si nous envisageons d'inventorier toutes les sortes de cas qui peuvent nous sembler particuliers, nous risquons de nous perdre dans une casuistique sans fin et stérile et nous nous exposons, de plus, à en oublier. Non. Ce qui est nécessaire c'est de bien définir ces deux notions d'exploiteur et d'exploité.

Marx (Karl 1818-1883) Définit de façon très précise ce qu'il appelle un prolétaire. Pour lui, un prolétaire est une personne qui ne perçoit pas d'autre revenu que le salaire qui lui est octroyé. Cette définition est remarquablement précise et déterminante. Cependant, pour le sujet qui nous préoccupe, elle n'est pas suffisante. En effet, Marx  définit ce qu'il appelle un prolétaire. Nous, ce que nous cherchons à définir, ce n'est pas un prolétaire, mais un exploité. En effet, un prolétaire et un exploité, ce n'est pas la même chose. La définition de Marx est, reconnaissons-le, parfaitement claire et discriminative.. Cependant, elle n'est pas tout à fait satisfaisante. En effet, un préfet, ou un ingénieur, ou un médecin chef  de clinique public, ou un recteur d'académie, ou un général d'armée, ne touchant que le salaire qui leur est attribué, sont des prolétaires. En revanche, un artisan ou un agriculteur ou un artiste ne percevant pas de salaire ne sont pas des prolétaires.

Donc, même si nous considérons que cette définition est bonne, comme nous ne cherchons pas à définir ce qu'est un prolétaire mais un exploité, tout en nous en inspirant, nous ne nous en satisferons pas.

Alors, qu'est-ce qu'un exploité?

Pour mieux y arriver, nous allons prendre le problème dans l'autre sens. Qu'est-ce qu'un exploiteur?

Tout individu humain, pour seulement survivre, a besoin, bien sûr, de nourriture mais aussi de vêtements, d'habitat et d'un nombre de choses dont on pourrait dresser une longue liste. Pour se procurer ce nécessaire, l'humain dépense de sa force qu'il met en application pour obtenir ce que les physiciens appellent un travail. Survivre ne consiste qu'à consommer le résultat d'un travail. Pour résumer de façon plus rapide, disons que pour vivre, il faut travailler.

C'est là que la curiosité apparaît. Il y a des gens qui vivent sans travailler. Non, ils ne travaillent pas; pas du tout. Ils vivent du travail des autres. Ils exploitent le travail des autres. Ils exploitent les autres. ce sont des exploiteurs. Un exploiteur, c'est quelqu'un qui n'a pas besoin de travailler pour vivre. Il existe de très grands exploiteurs qui exploitent des milliers de travailleurs et d'autres qui sont de tout petits exploiteurs. Une personne qui ne vit qu'en louant des appartements dont il est propriétaire et qui, de ce fait, n'a pas besoin de travailler est un exploiteur.

Maintenant, la définition de l'exploité est évidente. Celui qui doit travailler pour vivre, et qui donc n'est pas un exploiteur, est un exploité. C'est simple, hein! Alors, vous allez lever les bras au ciel en m'accusant de tenir des raisonnements simplistes et vous allez trouver des exemples qui contredisent ma conclusion. Si, si! Vous allez faire ça. Bon, comme vous ne trouvez pas tout seuls, je vais vous aider. Un artisan ou un agriculteur, vous pensez qu'il n'est pas exploité parce qu'il n'a pas de patron. Certes, mais la plupart des agriculteurs travaillent pour de grosses firmes de l'agro alimentaire donc, ils sont bien exploités. Pour ce qui est des artisans, il faut déjà soustraire tous ceux qui pratiquent de la sous-traitance. Quand aux autres, ils sont exploités indirectement par des taxes, des impôts, des charges. De plus, ils sont exploités par leurs fournitures, leur outillage, leurs locaux, leurs sources d'énergie (essence, électricité). Certes, ils le facturent mais tout cela enfle si démesurément leurs devis qu'ils ne peuvent pas jouir pleinement de leur travail. Ils sont donc, effectivement, de façon indirecte exploités. Allons même plus loin, les chefs de petites entreprises, pour les mêmes raisons que les artisans sont exploités. Comme vous êtes pertinents, vous allez me rétorquer qu'ils exploitent leurs salariés. C'est vrai. Mais en réalité, ils ne font que transmettre à d'autres l'exploitation dont ils sont eux-mêmes victimes.

Il serait à remarquer, au passage que ces gens se présentent rarement comme couche moyenne mais comme chef d'entreprise. Il s'en suit que même pour eux, il n'y a pas de véritable position médiane. Toutefois, ils réalisent mal que du moment où on est à la fois exploiteur et exploité, on entre de plein pied dans le camp des exploités et que l'on est exploiteur que par procuration. Il n'y a pas entre les exploiteurs et les exploités de solution de continuité pas plus qu'entre les lions et les gazelles, entre les loups et les brebis et entre les souris et le fromage. Entre exploiteurs et exploité, il n'y a pas de position intermédiaire. S'il n'y avait que cette impossible existence de couche moyenne, ce ne serait pas grave. Tout au plus amusant et ceux qui s'en revendiquent pourraient porter à sourire

 

Mais, voila. ils vivent dans une dégradation progressive de leur situation. Ils ne sont pas responsables; ils sont victimes. L'évolution historique normale de la société dans laquelle nous vivons va vers un regroupement de plus en plus féroce des hautes fortunes. Les grandes puissances financières et industrielles se livrent un combat sans merci pour éliminer de leur sein les moins efficaces afin de s'emparer de leurs richesses en les repoussant toujours plus loin dans des situations moins épanouies. Chacun cherche à rejeter les moins performants avec le rêve chimérique de se retrouver seul au sommet de l'édifice. Les canards boiteux de la haut finance s'étiolent et tombent dans une position subalterne. Pour ce faire, les plus redoutables pressurent  de plus en plus ce qui les indispose quel qu'en soit la hauteur et le grade.

Dans le fond, ces chefs de petites ou moyennes entreprises ne sont rien de plus que des contremaître ou des directeurs du personnel et, comme ils sont obligés de travailler pour le bon fonctionnement de leur entreprise, même s'ils gagnent bien leur vie, ils sont exploités. Pour devenir de vrais exploiteurs, il faudrait qu'ils embauchent un directeur général et qu'ils se contrent de toucher leurs bénéfices sans avoir à s'en occuper. Tout au plus, si ce fondé de pouvoir ne les satisfaisait pas ils devraient le licencier et en engager un autre comme ils licencieraient un domestique. On en arrive à cette situation qui peut sembler cocasse qu'un président directeur général d'une grande entreprise est un exploité.

As-tu compris, frère lecteur? Si tu n'as pas besoin, en aucune sorte, de travailler pour vivre, tu est un exploiteur. Dans le cas contraire, tu es un exploité.

Il n'y a pas d'autre possibilité. Il n'y a donc pas de couche moyenne.

Quand nous disons que les "couches intermédiaires", cela n'existe pas, c'est, quand presque abusif. Nous devrions dire que cela n'existe plus. En effet, cela a existé. Cela a même existé pendant un sacré bout de temps. On peut considérer que cette notion est apparue avec la civilisation. Admettons, sans être très précis, dans le courant du néolithique. Disons donc que nous devons brosser un petit tableau de l'évolution historique de l'espèce humaine. Oh, ne nous y trompons pas. Ce sera très succin avec des raccourcis redoutables. Le lieu n'est pas de peindre ici, de façon détaillée, l'évolution de l'humanité.

Dans un premier temps, les hommes vont et viennent en quête permanente de nourriture. Dans les moments favorables, ils font bombance et voire se goinfrent puis, ils se reposent et dorment; et quand la faim se rappelle à leur bon souvenir, ils repartent à la recherche de sustentation alimentaire. Ceci dure plusieurs millions d'années. 

Puis, survient la révolution néolithique. Grace à la maîtrise de l'élevage et de l'agriculture, ils peuvent maintenant emmagasiner des réserves et la sombre image de la famine s'éloigne. La contrepartie de cette situation réside dans le fait que ces réserves alimentaires vont susciter des envies. Si pour une raison quelconque la récolte n'a pas été satisfaisante, pourquoi ne pas aller piller les voisins. Si on peut aller piller les voisins, cela implique qu'on peut aussi être pillé par les voisins. Dans les deux cas, cela impose une organisation militaire. Les chefs de villages, ou de clans, ou de cités, vont se muer en chef de guerre. La spécialisation dans le travail étant établie depuis longtemps déjà, ces chefs de guerre vont se doubler de chefs religieux. A partir de ce moment, il va pouvoir apparaître une caste militaire ou religieuse qui par le discours ou par la force vont s'arroger des privilèges par rapport au reste de la population. A partir de cette situation, va s'établir une différenciation bien nette entre, d'une part une aristocratie guerrière ou religieuse et, d'autre part, le reste du peuple.

Nous avons vu, précédemment que l'idée d'aller piller les voisins existait. Dans un premier temps, on va se contenter d'aller pratiquer ce pillage. Mais, assez rapidement, on va exiger, par la force un tribu, une rançon moyennant une vague promesse de ne plus piller. Mais, les assujettis vont se réorganiser, se réarmer et quand ils s'en sentent capables, vont "oublier" de payer le tribu. 

Alors, on invente un autre procédé. On va certes soumettre militairement mais, au lieu d'exiger une rançon, on va déporter une partie, voire l'ensemble de la population vaincue et la réduire en esclavage. A travers l'antiquité, des campagnes militaires ont même été organisée, tant en Egypte qu'en Mésopotamie qu'ailleurs, dans le seul but d'aller capturer des prisonniers afin d'augmenter le cheptel d'esclaves. Et là, nous avons un troisième groupe d'individus. Il y a toujours les citoyens de la cité conquérante qui sont des hommes libres, il y a toujours l'aristocratie militaire et religieuse mais de plus, il y a maintenant des hommes non libres: les esclaves. Au fil du temps, les esclaves sont devenus des serfs mais le système de trois classes perdure. Dans le vocabulaire, il y même des termes qui consacrent cette situation. Ce qui a des qualités (de la valeur), est noble. Ceux qui ont des qualités sont nobles. Donc, l'aristocratie est noble. On dit des gens de qualité. Inversement, ceux qui n'ont pas de qualités sont vils. On les appelle des vilains. Les vilains et les nobles sont libres et les serfs ne le sont pas. Ils sont asservis. Cette situation va durer jusqu' au, selon les pays, dix huitième, dix neuvième ou vingtième siècle. En France, en 1789, on abolit le servage. donc il n'y a plus que deux groupes. Et, dans le même temps, on abolit les privilèges et on proclame la "déclaration de l'homme et du citoyen". Il n'y a plus de Noblesse. donc, il ne devrait plus y avoir qu'un seul groupe d'hommes libres. Hélas, en fait il se forme une nouvelle aristocratie, non plus militaire ou religieuse mais financière. Ce n'est plus une question de privilèges ni de droit, mais une question de fortune. Tout le monde a le droit d'acheter un avion de ligne mais tout le monde n'en a pas les moyens. Il est à noter que ce ne sont pas les hommes libres qui ont été ravalés au rang de serfs mais les serfs qui ont acquis le rang d'hommes libres, c'est à dire de citoyens et, il y a donc bien deux catégories,

Ainsi, dès lors que nous avons montré abondamment, voire surabondamment, qu'il n'y a pas (ou plus) de couche moyenne, nous allons, enfin aborder la question qui nous intéresse. Oui, bien sûr, ce n'est que maintenant que nous allons pouvoir traiter le sujet. En effet, même si les couches moyennes, cela n'existe pas, les gens qui s'en revendiquent, eux, ils existent. Ce n'est que maintenant que nous savons que les "couches moyennes" cela ne veut rien dire que nous allons pouvoir parler des "couches moyennes".

 

Pour réussir mieux, il fut exploiter davantage. Les plus nantis écrasent plus les moins nantis. et cela se reproduit comme une translation ou comme une transitivité à tous les échelons du système. on dirait une traînée de poudre ou un jeu de dominos qui s'écroule et ou chacun s'effondre en s'appuyant sur celui qui lui succède jusqu'au dernier qui, lui, ne s'appuie sur rien. S'il s'en suit que les catégories les plus misérables de la société vivent un appauvrissement féroce et sont de plus en plus misérables, les couches qui se revendiquent "moyennes", par le même processus, se retrouvent de moins en moins moyennes.

Alors là, non! Ils ne veulent pas. Ils se rebiffent. Leurs poils se hérissent sur leur dos et ils vitupèrent au scandale. Que d'autres en pâtissent, peu importe, mais pas eux! Comment être ravalé au simple statut de "couche inférieure" ou de "petit peuple? Il n'en est pas question! Quel déshonneur! Quelle déchéance! Quel avilissement! Alors, ils regimbent et dressent le drapeau de la révolte. Ils gesticulent et récalcitrent devant les affres de leur extinction dans l'oubli de l'histoire. Dans une lutte du désespoir, ils se proclament rebelles et indociles. Ils veulent résister, en chevaliers indomptés, rétifs ou insubordonnés campant sur une image passéiste et réfractaire de refus et d'insoumission.

Et, c'est là qu'ils se trompent.

Rien que par leur vocabulaire, ils ne se placent pas dans une position offensive mais défensive. Hélas, pour eux, comme pour une équipe de football, il ne suffit pas d'avoir une bonne défense mais, encore faut-il aller de l'avant. Il faut être capable de conquérir des citadelles nouvelles. En lieu et place de combats d'arrière garde nécessairement voués à l'étiolement crépusculaire et fuligineux annonçant une inévitable dissolution dans les oublis et les miasmes d'un passé sordide, au lieu de leur conservatisme bien pensant, il leur serait plus pertinent d'avancer des dispositions novatrices et conquérantes. Mais non, Ils se complaisent à rêver de sauvegarder leurs avantages, leurs privilèges et leurs prérogatives. Ils imaginent, dans leur convulsions de désespoir, retrouver leurs gratifications, leurs priorités et leurs prébendes. Rien n'existe pour eux que l'hypothétique reconquête de leur paradis perdu. On constatera, au passage, que dans leurs discours, il n'est jamais question de l'exploitation d'homme par d'autres hommes ni de capitalisme. Ils ne doivent pas savoir que ça existe.

Ce sont donc bien, au sens propre du terme des conservateurs, voire des réactionnaires.

 

Nous disions que c'est là qu'ils se trompent. En effet, ils pourraient prendre la disposition inverse. Au lieu de jouer la carte d'un retour à l'ancien, ils pourraient tenter de promouvoir un avenir plus lumineux et une société plus vivable. Ils pourraient parler de progrès et de situation plus rieuse avec une justice plus réelle. Ils pourraient entrevoir une humanité plus équitable qui viserait à éradiquer la misère et la peine. Ils pourraient reléguer dans les ruines du passé la contrainte des masses innombrables par quelques poignées de nantis asseyant leur monstrueuses fortune sur la famine, la peur, la désolation et la désespérance. Ils pourraient dire cela mais ils ne le font pas. Ils ne le font pas et c'est là qu'ils se trompent. 

Ils se trompent parce qu'ils n'ont pas compris que ce n'est pas en jouant le jeu des exploiteurs qu'ils en deviendront un jour.

Ils se trompent parce qu'ils n'ont pas compris que si l'immense majorité voit ses conditions et son niveau de vie augmenter, ils feront partie de l'augmentation.

Ils se trompent parce qu'ils n'ont pas compris que les promotions ne se font pas au détriment de ceux qui leur sont subalternes mais grâce à l'épanouissement de ceux-ci.

Ils se trompent parce qu'ils croient qu'ils vont sauver le monde alors que dans leur égoïsme placide, ils n'envisagent que de sauver leur monde à eux.

En fait, ils se trompent parce qu'ils n'ont pas compris qu'ils se trompent de camp.

Ils se trompent  parce qu'ils croient que c'est en se jetant dans les bras de ceux qui les exploitent qu'ils obtiendront la reconnaissance de leurs exterminateurs.

Ils se trompent parce qu'ils pensent que c'est en se sauvant eux mêmes qu'ils sauveront le monde alors que c'est en sauvant le monde qu'ils se sauveront eux mêmes.

 

Pourrait-il en être autrement? Bien sûr! A travers l'histoire, nombreux sont ceux qui, à l'opposé, se sont rangés derrière les brimés et, voire, s'en sont fait les porte-étendards. Déjà, à Rome, les tribuns de la plèbe n'en étaient pas forcément issus. Au dix-huitième siècle, certains de ceux que l'on appelle les philosophes (tels Montesquieu, D'Alembert ou Saint Simon) étaient de bonne noblesse. Ils ont joué le jeu du tiers-état et c'est d'eux dont l'histoire a gardé la mémoire.

De plus, une nouvelle fois, les "couches moyennes" se trompent mais cette fois-ci, elles se trompent dans l'autre sens. Jusque là, elles ne se trompaient qu'en étant pour sauvegarder le capitalisme. Maintenant, elles se trompent  aussi en étant contre les masses populaires.

Si ceux qui se croient et se disent "couches moyennes" au lieu de s'incliner devant les ultra puissances financières s'apercevaient que leurs alliés naturels ne sont pas leurs super prédateurs mais l'immense masse de la population mondiale, les choses pourraient évoluer. Il suffirait pour cela qu'au lieu de considérer le petit peuple comme des hommes de main, des troupes de choc ou des domestiques, ils l'acceptent comme un partenaires composé d'amis et même de frères de lutte. Tant que les "couches moyennes" considéreront les autres comme des inférieurs qu'il convient d'utiliser en les méprisant, rien ne pourra avancer.

En définitive, les "couches moyennes" ne se sentent moyenne, ne se décrètent  moyennes que pour se sentir supérieures à d'autres qu'elles considèrent comme inférieures. S'il n'y avait pas de couches inférieures, il n'y aurait pas de couches moyennes. Pour rester "couches moyennes", il faut maintenir les "couches inférieures" inférieures. Ce n'est, du reste pas une nouveauté. En 1789, qui à pris la Bastille? Les ouvriers du faubourg. Qui en a tiré avantage Les "couches moyennes". Vous ne me croyez pas? En 1791, donc deux ans après, la nouvelle constitution, établit un suffrage censitaire. Pour être électeur, il faut payer une certaine somme d'impôts. Seuls les riches sont électeurs. Un an plus tard, qui sont ceux qui ont dévalé la colline de Valmy au cri de "vive la nation". Essentiellement les non électeurs. Qu'en ont-ils tiré? Rien. De nos jours, les "couches moyennes" aimeraient conquérir le pouvoir en pensant le reconquérir. Par malchance, il leur faut bien constater qu'ils sont largement minoritaires. En conséquence, ils tentent désespérément, par des discours enflammés et démagogiques, de rallier à leur cause ces inférieurs qu'ils entendent bien maintenir comme inférieurs. Dans leur diatribes, il n'est jamais évoqué la notion d'exploitation de l'homme par l'homme. Cela implique qu'il n'est, pour eux, nullement question d'y remédier.

Avant d'en terminer avec cette réflexion, il est, tout de même, à noter, pour ajouter un peu au nébuleux de la situation, que nombre de personnes qui, dans la société, pourraient, soit par leur assiette pécuniaire soit par leur grade, s'assimiler à ces prétendues couches moyennes, ne le font pas.

 

Les "couches moyennes" ne sont en rien une catégorie sociale bien déterminée. Ce ne sont, éventuellement, qu'une faction floue et ambigüe qui s'auto proclame existante en se croyant le centre du monde. C'est même pour cela que leurs harangues passionnelles et échevelées ne sont en fait que des prétentions médiocres et vaguement factieuses.

 

 

 

 

12 05 20