Les murs sont là.

Ils nous entourent.

On ne les voit pas,

Mais ils sont là.

On le sait.

Tout le monde le sait.

On ne s'en approche pas.

On ne sait jamais.

Les murs de la conformité.

Les murs du silence.

Les murs de la limite

De la bienséance,

Du consensus,

Du monde qui aime les murs,

Qui a besoin des murs.

Les murs qui retiennent,

Qui masquent,

Qui aveuglent,

Les murs qui murent.

Ils forment une cour.

Une boite,

Un carré

Duquel on ne sort pas.

D'abord, on ne peut pas,

Et puis, il ne faut pas.

C'est comme ça.

 

A l'intérieur,

Une grappe de protohomminiens sordides

S'agglomère,

Et tente de respirer par le dessus.

Parce que c'est du haut que vient l'atmosphère.

En bas des gaz lourds et pestilentiels stagnent et empoisonnent.

Certains essaient de se hisser hors de la turpitude. Alors, ils rampent sur les autres

Et, pour se soutenir,

Leur enfonce le chapeau sur les veux,

Les pieds dans la bouche,

Et les ongles, au passage, dans la peau.

Une écoeurante masse larvaire,

Gluante et fibreuse,

S'édifie, par moments, dans la boite répugnante. Et, par-ci, par-là, une informe protubérance de chenilles aveugles

S'exhausse ;

Puis s'effondre

Sous son poids, sous sa mouvance,

Sous son incohérence,

Sous son infirmité.

D'autres croissent ou décroissent simultanément,

Ou s'écroulent aussi ;

A proximité,

Ou à l'autre bout de la boite ;

Avec ou sans corrélation.

Et, la boite est de plus en plus pleine.

Et les chenilles s'entassent,

S'écrasent,

Se recouvrent,

Se déchirent,

Se dévorent,

Se multiplient.

La grouillance lente et irraisonnée

Ondoie dans sa vicissitude magmatique et molle, Et patauge sur les déchets de ses propres morts. Sans les voir,

Sans les savoirs,

Sans les croire,

Sans les falloir,

Sans les asseoir,

Sans les mangeoire,

Sans les espoir,

Sans les déboires,

Sans les mouchoir,

Sans les ouvroir,

Sans les échoir,

Sans les ostentatoire,

Sans les expiatoire.

Des morts, comme si cela ne suffisait pas, elle en fabrique d'autres, et d'autres, et d'autres :

Pour le pouvoir,

Pour le vouloir,

Pour l'usurpatoire,

Pour le crachoir,

Pour le fouloir,

Pour l'exutoire,

Pour l'exécutoire,

Pour le mouroir,

Pour le dépotoir,

Pour le noir,

Pour le dilatoire,

Pour le faire valoir,

Pour le jubilatoire.

 

Et puis, la porte.

Elle n'est pas quelque part.

Elle est partout.

Elle est n'importe où.

Elle est devant nous.

Elle est toujours devant nous.

Ouverte ou fermée,

Cela n'a pas d'importance,

Elle est là.

 

On frappe à 1a porte.

Vite ! Il faut ouvrir.

On n'a pas le temps

De changer de chaussures,

De se recoiffer,

De se confiturer un tartine,

De remonter la pendule,

De vider l'eau de l'évier,

De remplir la facture d'électricité.

Non.

On doit se dépêcher.

 

Trop tard.

C'était l'aventure.

Elle est partie

Voila ce que c'est de traîner.

 Elle reviendra, c'est sûr.

Mais quand ?

L'intervalle n'est pas connu.

Peut-être tout de suite,

Dans un très long moment.

Et dans le temps qu'on attend,

Tant qu'on attend longtemps,

Tant que le temps attendu s'étend,

Et pourtant se détend,

Il faut sans prétendre s'y attendre,

Il faut se préparer.

Etre vigilant.

Etre paré,

A tout :

A courir',

A sauter,

A gravir,

A dévaler,

A chevaucher,

A naviguer,

A voler,

A parcourir,

A se régénérer,

A parfaire,

A essayer,

A réussir,

A anticiper,

A deviner,

A imaginer,

A comprendre,

A construire,

A réaliser '

A connaître,

A reconnaître,

A surmonter,

A élaborer,

A goûter,

A profiter,

A apprécier.

On n'est jamais tout à fait prêt.

Il faut:

Aussi savoir,

Aussi apprendre,

Aussi étudier,

Aussi ingérer

Aussi digérer,

Aussi analyser,

Aussi synthétiser,

Aussi distancer,

Aussi relativiser,

Aussi s'approprier,

Aussi régurgiter,

Aussi s'entraîner.

Etre capable

De résister,

De persévérer,

De continuer,

De lutter,

De faire face,

De surprendre la surprise,

De transformer les savoirs en sensations tactiles Ténues et irraisonnées,

Les savoir-faire laborieux en réflexes prémédités,

De réagir instantanément en irraisonné raisonné.

L'entraînement n'est jamais satisfaisant.

Mais, plus qu'un peu,

C'est mieux que rien.

Même si mieux que rien

C'est "pas assez",

Plus que "pas assez",

C'est déjà presque bien.

 

Une feuille a bougé.

C'est elle, elle revient.

Courons !

Où s'est-elle cachée ?

Rayon de soleil

Qu'un nuage a masqué.

Ou bien, a-t-elle fui ?

La poursuite est lancée.

On ne sait pas pourquoi,

Mais on sait que c'est par-là qu'elle est.

Cela se sent.

Cela se reconnaît.

Par là c'est mieux,

Plus exaltant,

Plus chatoyant,

Plus enivrant,

Plus attirant,

Plus beau.

La pente est avalée,

La rivière franchie,

La plaine se déroule.

Le pied survole et non ne foule.

La lumière blanchie

S'enfuit de la vallée.

La montagne se hisse,

Haut rempart médusant,

Enflant son torse proche :

Sommet où la lumière accroche

Le soleil au jusant

Comme un dernier délice.

Montons; n'attendons pas,

Poursuivons 1a clarté.

Vers sa rougeur dernière

Hissons aussi notre matière

Dépassant 1a beauté

Du jour à son trépas.

Mais, le soleil qui sombre

N'attend pas notre course.

Quand le col est atteint,

Le flux nous perd, quand il s'éteint,

Tout seul, sous la grande ourse,

Au royaume des ombres.

 

Manqué.

Dommage.

C'était presque ça.

Ce n'est pas grave.

C'était un entraînement.

Un de plus.

La prochaine fois,

L'efficacité sera accrue.

Peut-être ...

 

La boite.

Elle est toujours là.

Endormie mais phagocytante.

Préparons-nous.

Préparons-nous encore.

Préparons-nous mieux.

Préparons-nous, mais sans nous préparer. D'abord, préparer quoi ?

II ne s'agit pas de préparer quelque chose,

Mais de se préparer.

Quels objets ?

On ne sait pas.

On risque de prévoir une multitude de choses inutiles,

Mais de manquer du pertinent.

        Les chaussures ? Il faut deviner celles qui seront le plus aptes à tout et les ranger autour de ses pieds.

        Un vêtement ? II est là pour nous vêtir de façon efficace. C'est tout. Il risque d'être mouillé, certes. Alors, on a le choix. Ou on décide qu'il séchera comme il pourra, éventuellement directement sur la bête, ou on en prend un deuxième. Mais alors, Il faudra le transporter, le ranger dans un sachet, le sachet dans une housse, la housse dans une malle et la malle empilée parmi les autres malles. En cas de besoin, c'est toujours la plus inaccessible qu'il faudra ouvrir. Le vent fera voltiger les emballages déchirés et épars. On ne réussira pas à tout remettre à la même place. La malle ne fermera plus et, de ce fait, refusera de retourner d'où elle vient.

        De toute façon, on ne saurait ranger un vêtement mouillé parmi les affaires sèches. La malle vide deviendra alors nécessaire; et dès qu'on y place quelque chose, la malle vide perd sa qualification. Il faudra donc prévoir des récipients vides à l'intérieur de la malle vide ; laquelle contenant des récipients de moins en moins vides est de plus en plus impropre à laisser sécher quoi que ce soit et, en tous cas, impropre à y entreposer des objets devenus inutiles mais secs. Cependant, les malles pleines sont de moins en moins pleines et tout en occupant le même volume sont incapables de fournir ce que l'on cherche puisque des migrations ont commencé à s'établir des plus pleines vers les moins pleines, des moins pleines vers les moins vides, des presque vides vers les complètement vides et qu'ainsi, certaines "pleines" peuvent devenir abusivement vides, ce qui n'était pas leur mission.         -        

        L'idéal serait d'être complètement nu ...        Avec des poches_

        Pour y garder quelques nécessités de première importance ...

        Vues les rigueurs éventuelles du climat, on pourrait, autour des poches, ajouter quelques pièces de tissus que, pour ne pas les perdre, on taillerait en forme de vêtement. Si ceux-ci avaient une certaine esthétique, ce serait parfait,

        De toute façon, les nécessités de première importance seront sûrement inutiles. L'aventure étant, par définition, un événement imprévu, comment voulez-vous qu'on prévoie les besoins échéants imprévus.

        Et puis, l'aventure, quand elle reviendra, quelle forme affectera-t-elle ? Un voyage ? Un poème ? Une musique ? Une rencontre avec un ami ? Ou avec quelqu'un qu'on ne connaît pas encore ?

        Faut-il rôtir une volaille ou cirer ses chaussures ?

        S'installer à son instrument, ou tailler ses crayons ?

        La préparation n'est pas matérielle.

        Elle n'est pas préparatrice,

        Elle est préparatoire.

        Elle prépare à se tenir prêt.

        Elle prépare à se tenir prêt à être paré sans préparation.

        Elle prépare à parer

        Ce contre quoi on n'est pas préparé.

        Elle prépare à savoir dépasser

        Ce à quoi on n'avait pas pensé.

        Elle prépare à savoir compenser

        Ce de quoi il faudra se passer,

        Se passer sans penser au passé ; Compenser le passé et penser à parer le passé       Sans se déparer de penser,

Et se dépenser pour se dépasser.

            Etre seulement prêt :

        C'est penser au passé.

        C'est avoir été prêt la seconde passée.

        Mais celle d'après ?

Chaque seconde est conditionnée par la précédente.

        Soit.

Donc, chaque seconde conditionne la suivante.

        Pour n'être pas déçu dans une seconde,

        Il faut :

        Dès celle-ci,

        Surveiller du coin de l'oeil,

        Ne pas l'attendre,

        Mais 1a susciter.

 

Le présent est déjà passé,

        Dépassé,

                            Surpassé,

                            Outrepassé.

Le futur n'est certes pas encore arrivé ;

Mais il ne saurait tarder.

Etre prêt est insuffisant.

Encore faut-il se tenir prêt

        A être prêt.

A être prêt dans l'instant qui vient ;

Pour se tenir prêt à être prêt pour le suivant.

Et comme ça jusqu'à la fin des temps.


 

            Alors,

Si d'aventure,

L'aventure vient à passer,

On pourra la saisir,

        Si on veut,

Par les cheveux,

Et ne plus la lâcher.

        Etre traîné dans le gravier

        Ou roulé dans la boue,

Mais ne plus la lâcher.

        Déchiré dans les ronces

        Ou brûlé des orties,

Mais ne plus la lâcher.

        Noyé par la vitesse

        Ou broyé dans les airs,

Mais ne plus la lâcher.

        Dévoré par l'angoisse

        Ou gelé de frayeur,

Mais ne plus la lâcher.

        Ne plus la lâcher!

        Ne plus la lâcher !

        Et peu à peu,

S'y habituer.

N'être plus un cadavre

Agrippé à la queue

D'une hémione de feu,

        Mais se rétablir.

S'accorder au mouvement.

        Se rétablir encore.

Participer à la course ;

Empoigner la crinière,

        Puis l'encolure.

Se rétablir encore.

Du gueux qui accompagne,

Devenir le maître qui chevauche,

Le maître chevauchant excitant sa monture

Et dont les cris stridents

Dépassent la cavale.

La force révélée emporte l'aventure

Et, dans un tourbillon de lumière exaltée,

        La précède.

Maintenant,

Elle semble la tenir

Comme un toutou en laisse.

Tourner, de temps à autre, la tête.

Et, dans un grand rire cosmogonique

        Ivre de tendresse,

Hurler à l'indomptée : "Alors ?

Tu traînes ?"

  

                                                         10/01/96

 

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