De la musique ruisselle en moi.

Toujours.

Je suis notes.

Mon être est notes.

Ma pensée est notes.

Ma non pensée est notes aussi.

L'écoulement est permanent ;

C'est une pluie ininterrompue.

 

Comme la pluie, l'intensité varie.

Ce peut être une fine bruine

Imperceptible et insidieuse.

Parfois, l'orage

Et la tempête font rage

Et me bouleversent,

Et m'épuisent,

Et me retiennent du sommeil

Ou m'en extraient

Dans un ronflement sonore et fracassant,

Comme une urgence totale,

Comme une vérité cosmique;

Première et unique.

Parfois, c'est un son ténu

Lointain et envahissant,

Mystérieux et pénétrant,

Faussement faible et ingénu

Mais perfide et lancinant.

Le plus souvent, c'est la pluie

Continue,

Interminable,

Désolée,

Même dans la joie et le lyrisme

Les plus exacerbés.

Mais jamais de sécheresse.

Jamais d'accalmie.

Les notes prennent mes nuits

Et mes jours sont saturés.

Dans les assemblées, je pense notes.

Dans le silence, je pense notes.

Dans le vacarme, je pense notes.

Je pense notes ;

Je pense notes ;

Je pense notes.

Immobile, je suis notes.

En mouvement, je suis notes.

Notes qui se précipitent dans moi.

Notes regroupées en mélodies,

Notes regroupées en harmonies

Ecrites par d'autres.

Notes écrites par d'autres

En formes connues,

Et nommées.

Mais aussi notes anarchiques

Pas encore regroupées

Et répertoriées

En dessins ou en conglomérats.

Notes fantasques et rebelles :

Notes de personne,

Pas encore dressées

Et pas encore domestiquées,

Notes encore sauvages.

Notes qu'il faut poursuivre

Et qu'il faut attraper.

Notes qu'il faut comprendre

Et qu'il faut écouter

Et entendre

Et puis discipliner

Et fixer.

Les notes tombent.

Goûtes obsédées à travers moi

Et me parcourent,

Sans me laver,

Sans me rafraîchir,

Sans se fatiguer,

Et sans finir.

 

Elles tombent à travers moi ;

Mais seulement à travers moi.

Elles ne débordent pas

De ma limite.

Elles ne sont que dans moi

Et pas dans mes "à côté";

Pas dans mon environnement.

Pourtant, je ne fais pas exprès.

C'est comme ça.

Je suis une silhouette creuse

Découpée dans une tôle noire.

Et voilà,

Je suis un pochoir.

La tôle noire est le monde,

Le non moi,

Et moi, je suis le vide du milieu.

Et ce n'est que dans la fenêtre du pochoir

Qu'on peut, sans fin, voir

Les goûtes tomber

Tantôt drues et serrées,

Tantôt fines et espacées,

Tantôt pressées de tomber,

Et tantôt lentes et désespérées.

Les goûtes n'existent pas dans la tôle,

Dans l'univers qui m'entoure.

Elles ne sont que dans la fenêtre.

Elles ne sont que dans moi.

Je suis une fenêtre

Béante,

Ouverte sans fin sur la pluie,

La pluie qui n'est que dans la fenêtre.

L'autre côté de la fenêtre

N'est visible qu'à travers moi.

Et moi, je ne la vois pas

Mais je l'entends.

Les autres ne l'entendent pas.

Et les autres disent que mon corps est opaque.

Ainsi, je ne peux pas me justifier.

Les autres ne les voient pas,

Ne les entendent pas,

Ne les sentent pas.

Les autres ne me croient pas.

Les autres croient que je ne suis pas moi.

Et toujours,

Les goûtes de notes,

Les notes de goûtes

Qui dévalent en moi,

Qui me traversent

Et me dissolvent

Sans qu'on sache pourquoi.

 

 

                                       20/10/96

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