PAROLES

 

ORDINAIRES

 

 

Théâtre

2013

 

 

Jean DURIER-LE ROUX







La pièce est une suite de scènes  indépendantes les unes des autres. Ce sont des conversations courantes dans des lieux variés avec des personnages variés.

 

 

Scène 1

 

Les réverbères

Un réverbère à chaque bout de la scène et accroché sur chaque un ivrogne.

Lumière sur celui jardin

 

Premier ivrogne : Tous pourris ! Elections : piège à cons !

Noir et lumière en cour

Deuxième ivrogne : D’abord, on est en république ! Ouais, on est en république… Nous, on peut voter.  Parce qu’il y en a… Mais nous… Non ! Nous... On peut voter. On est en république.

 

Lumière en jardin

Premier ivrogne : Tous pourris ! Elections : Piège à cons.

 

Noir

 

 

 

Scène 2

 

Ça commence.

 

(Deux vieilles femmes sur un banc.

Au long de la pièce, elles reviennent de temps à autre de façon récurrente. Coco a toujours un journal à la main.

Ninie s’adonne à des tâches variées.

En l’occurrence, elle épluche des pommes de terre).

 

Coco : (elle referme son journal). Et voila ! Ça y est ! Ça commence !

Ninie : Quoi donc qui commence ? Fais voir.

Coco : Tiens, regarde.

Ninie : Oui, qu’est-ce qu’il faut que je regarde ?

Coco : Mais quelle empotée ! Regarde… Là, là, là !

Ninie : Quoi ? Là, là, là.

Coco : Lis donc !

Ninie : Qu’est-ce qu’il faut que je lise ?

Coco : Ça.

Ninie : Les sapeurs pompiers ont été reçus à la pref…

Coco : Non, pas ça, en dessous.

Ninie : En dessous… Bon… Madame Maréchal, nouvelle vice secrétaire générale du parti social démocrate annonce que d’ores et déjà elle est prête à s’engager dans la…

Coco : Tu vois, elle a été battue il y a six mois et elle recommence déjà à…

Ninie : Attends, je n’ai pas eu le temps de lire à quoi elle s’engage. Gna, gna, gna… Gna, gna, gna… s’engager dans la conquête de la présidence dans quatre ans et demi. Oui, et alors ?

Coco : Ça ne te choque pas ?

Ninie : Non, Pourquoi ? Ça te choque, toi, que ça ne me choque pas ? Une personne politique qui fait de la politique, je ne vois pas ce qu’il y a là de choquant.

Coco : Ah oui, toi, j’oubliais. Un jour, on viendra te voler ta soupe dans ton assiette, et tu trouveras cela normal.

Ninie : Hein ? Ma soupe ? Me la voler ? Dans mon assiette ? (Brandissant son couteau) qu’ils y viennent, tiens, qu’ils y viennent. Non mais… Ma soupe… Dans mon assiette. Et puis quoi, encore… qu’ils y viennent, tiens. Mais je ne vois pas le rapport entre le fait qu’une femme politique fasse des déclarations politiques et ma soupe… qu’ils y viennent, tiens.

Coco : Elle a été battue aux élections puis elle est battue pour diriger son propre parti mais elle est prête pour dans quatre ans et demi.

Ninie : Tu as raison. Elle aurait mieux fait d’être prête il y a six mois.

Coco : Tu vas voir qu’ils vont tous nous expliquer qu’il faut être prêts pour la prochaine fois.

Ninie : Nous avons voté il y a six mois et nous sommes déjà en campagne électorale. Je me demande pourquoi ils n’ont pas commencé dès le lendemain matin. Ils ne se rendent pas compte. Ceux qui vont perdre le prochain coup, ce sera peut-être à cause de ça. Ils auront déclenché leur campagne trop tard.

Coco : Mais tu sais que tu as raison ? Ils devraient même, pour être plus sûrs commencer leur campagne pour les élections d’encore après.

Ninie : Comment ça « d’encore après » ?

Coco : Oui, pas pour dans quatre ans et demi, mais pour dans neuf ans et demi. Là, ils seraient plus sûrs d’être partis à temps.

Coco et Ninie : Rien ne sert de courir, il faut partir à point.

Ninie : Le lièvre et la tortue en sont un témoignage

Coco : Gageons dit celle-ci…

Ninie : Et là, tiens, les autres, ils pourraient y venir !

Coco : Arrête de gesticuler comme ça avec ton couteau, tu vas finir par blesser quelqu’un. En plus, cela permettrait de ne pas tenir compte de la période de grâce.

Ninie : La période de grâce ? C’est quoi, ça, la période de grâce ?

Coco : C’est ce que nous avons vécu depuis six mois.

Ninie : C'est-à-dire ?

Coco : Attends, je t’explique. Après des élections, il y a deux sortes de personnes. Ceux qui ont gagné et ceux qui ont perdu.

Ninie : Jusque là, ça va. Je comprends.

Coco : Oui, alors, pose ton couteau. Ceux qui ont perdu ne comprennent pas tout de suite qu’ils ont réellement perdu. Alors, ils pensent que c’est une erreur ; que le peuple s’est trompé mais qu’on va lui expliquer et qu’il va changer son vote. De cette manière, il faudra bien reconnaître que ce n’est qu’une confusion et qu’ils sont réellement vainqueurs. Le temps qu’ils conviennent que la réalité, c’est la réalité, il se passe six mois.

Ninie : D’accord. Et pendant ce temps là, ils nous fichent la paix.

Coco : Ceux qui ont gagné, ils s’imaginent qu’ils viennent d’entrer dans le paradis. Ils flottent dans le bonheur et la béatitude. Ils ont la certitude que tout est résolu. Ivres de volupté, ils attendent que des pluies de lait et de miel viennent les baigner et les oindre d’une félicité totale et définitive. Il leur faut environ six mois pour convenir que dans le fond, tous les problèmes précédents sont toujours présents voire un peu aggravés puisque pendant ce temps, on a laissé les choses évoluer sans avoir l’œil vigilant et la riposte prompte.

Ninie : Et donc, ceux-ci également nous laissent tranquilles pendant six mois.

Coco : Voila. Tu as tout compris… Mais laisse ton couteau.

Ninie : Et on appelle ça la période de grâce parce que c’est grâce à ça qu’ils nous font grâce de leurs ratiocinations électorales aigres et sulfureuses.

Coco : Si tu veux. Mais après la période de grâce, juste après, tout de suite après, on recommence la période de campagne électorale.

Ninie : Mais alors, les hommes et les femmes politiques, s’ils n’ont que la période de grâce et la campagne électorale, c’est à quel moment qu’ils s’occupent de la politique ?

 

Noir

  

 

Scène 3

 

Tu as voté.

 

Dans le bus (ou un autre transport en commun)

Une passagère, deux passagers. Bruit de bus, lumière. Sandrine et Nico se tiennent à une barre.

Le bus s’arrête. La porte s’ouvre, Phiphi monte.

 

Sandrine : Ah tiens ! Voila le plus beau. (Le bus redémarre).

Nico : Comment ça le plus beau ? C’est agréable pour les autres !

Sandrine : Si, si ! C’est le plus beau.

Nico : J’espère que tu as remarqué. Madame te fait une avance de façon non dissimulée… Voire autoritaire.

Phiphi : Oui, oui. J’ai noté.

Sandrine : Vous savez, les hommes que vous êtes très bêtes ?

Nico : Très bêtes ? Oui. Lui, surtout. Très beau, mais très bête.

Phiphi : Vous avez vu le billet de bus, ce matin ? Pan ! Dix pour cent ! De plus, hein, pas de moins…Je spécifie pour le cas où certains auraient confondu.

Sandrine : Oh ! Ça, on ne risque pas de se tromper.

Phiphi : Non, mais vous vous rendez compte ? Dix pour cent, comme ça, d’un seul coup.

Sandrine : Ils disent qu’il y avait longtemps qu’ils n’avaient pas suivi l’inflation courante et qu’ils ont rattrapé le retard.

Phiphi : Ouais. Je me demande même si, emportés par leur élan, ils n’ont pas pris aussi un peu d’avance.

Sandrine : Dix pour cent, ils exagèrent, quand même.

(Le bus s’arrête et repart).

Nico : En même temps, je vous ferai remarquer qu’il n’y a personne dans les rues avec des banderoles.

Phiphi : Pfff ! Des banderoles… Pour les tickets de bus…

Nico : Et pourquoi pas ?

Sandrine : Il parait que c’est à cause de la hausse du coût du pétrole.

Nico : Tu parles ! Il a bon dos le pétrole.

Sandrine : Bah si ! Quand même ! Le bus, ça marche au gasoil. Si le prix du carburant augmente, le pris de revient du transport aussi. Il n’est donc pas étonnant que la TAG répercute tout ça sur le prix du billet.

Phiphi : Bah voyons !

Nico : Reste à savoir si le prix du carburant est lié au prix du pétrole.

Phiphi : Il est drôle, lui. Si le prix du carburant n’est pas lié au prix du pétrole, on peut se demander à quoi il est lié.

Nico : Je ne sais pas, moi ; les bénéfices des émirs propriétaires féodaux des terrains pétrolifères, les non moins bénéfices des compagnies pétrolières, les taxes de l’état. Je me demande si le prix de revient réel du brut joue pour beaucoup dans le prix de l’essence à la pompe.

Sandrine : Tu ne trouves pas normal que tous les partenaires de la production fassent des bénéfices ? Ne dit-on pas que tout travail mérite salaire ?

Nico : Parce que tu crois que quand le prix du brut augmente, c’est parce qu’on paie mieux les ouvriers des puits de forage ? Et quand le carburant est vendu plus cher, c’est pour mieux payer les salariés des raffineries ?

Phiphi : Je ne dis pas ça, mais…

(Le bus s’arrête et repart)

Sandrine : C’est vrai qu’il ne dit pas ça.

Nico : Non, il ne risque pas de dire que quand les propriétaires décident qu’ils peuvent augmenter le racket en jouant strictement sur la situation de l’offre et de la demande, les compagnies répercutent sur les prix et les états empochent plus de taxe.

Sandrine : Il ne faut pas non plus exagérer.

Phiphi : Ce n’est pas si simple que ça. L’économie mondiale obéit à des lois complexes et…

Nico : Et c’est le brave type qui est en fin de chaine qui paie le billet de bus plus cher.

Phiphi : Et oui. Tu le découvres seulement ? Tu ne le savais pas déjà ?

Sandrine : Ça a toujours été comme ça et ça le sera toujours.

Nico : Vous me donnez une idée, on devrait faire ça, nous aussi.

Sandrine : Quoi donc ?

Nico : Puisque les pétroliers répercutent les hausses des pays producteurs, que les états répercutent les hausses des pétroliers, que les distributeurs répercutent les hausses de l’état, et que les compagnies de transport en commun répercutent les hausses des distributeurs, je devrais répercuter les hausses de mon prix de revient pour aller travailler. Je devrais aller voir mon patron et lui dire : Bonjour Monsieur le patron. Je vous informe que le travail que je vous fournis me revient plus cher et donc, à partir d’aujourd’hui, je vais devoir vous facturer davantage ma participation à votre entreprise. En clair, à partir de ce matin, vous me payez dix pour cent plus cher.

Phiphi : Il est fou.

Nico : Bah quoi ? Si tout le monde répercute, pourquoi pas nous ?

Sandrine : Oui, c’est vrai, ça. Pour notre travail, nous devons investir plus. Donc, nous pouvons exiger une augmentation.

Nico : En expliquant bien au patron que ce n’est pas nous qui augmentons notre tarif mais que ce n’est qu’en raison de la hausse sur le prix du pétrole brut !

Sandrine : Tu ne trouves pas ça amusant, toi ?

Phiphi : Oui, c’est ça. Je vais aller revendiquer avec vous une augmentation de salaire justifiée par le cours en hausse du pétrole.

Sandrine : Voila ! Tu as compris. Alors, on y va tous.

Phiphi : Oui, tous.

Nico : Ah non ! Pas toi !

Phiphi : Pourquoi pas moi ?

Nico : Parce que toi, tu es d’accord avec tout ça.

Sandrine : Comment ça, il est d’accord ?

Nico : Oui, il est d’accord. Il a voté pour le gouvernement qui a été élu. Donc, il est content ; il est parfaitement satisfait de la politique de l’état.

Phiphi : Tu dis vraiment n’importe quoi. Qu’est-ce que l’état vient faire là dedans ? Ce n’est pas l’état qui a augmenté le prix du pétrole !

Nico : Effectivement, ce n’est pas l’état qui a augmenté le prix du pétrole. Mais c’est l’état qui n’a pas interdit aux pétroliers d’augmenter le prix du carburant. Et c’est le même état qui continue d’imposer les même taux sur les mêmes taxes sur les mêmes carburants.

Sandrine : Ah oui ! Le gouvernement aurait pu diminuer les taxes.

Nico : Et toi, non seulement tu as voté pour ce gouvernement, mais tu as appelé à voter pour lui. Tu as fait campagne pour lui. Ton candidat a été élu. Celui qui représente tes idées et tes désirs est en place. Tu es donc parfaitement heureux et satisfait. Tu ne vas tout de même pas te plaindre que ton gouvernement fasse ce que tu lui as demandé. Tu ne vas pas répercuter la hausse du prix du bus sur ton pauvre patron qui n’y est peut-être pour rien !

Sandrine : Tu ne crois pas que tu exagères un peu ?

Phiphi : Oui, on ne peut pas discuter avec lui. Il faut toujours qu’il exagère.

Nico : Comment ça j’exagère ? Tu as élu un gouvernement dont les actions aboutissent à l’augmentation du prix du bus. C’est donc toi qui augmente le prix du bus. Tu ne vas donc pas, en même temps te plaindre ! Ce serait trop hypocrite. Moi, à ta place, j’aurais honte, je me cacherais.

Sandrine : Arrête…

Nico : Et oui, M’sieurs Dames. C’est lui qui a augmenté le prix du bus. Il n’a même pas honte et par-dessus le marché,  pour couronner le tout, Sandrine trouve que c’est le plus beau.

 

(Le bus s’arrête, ils descendent)

 

Noir



Scène 4

Voter ou ne pas voter.


(Sur un chantier : Marcel, Nicolas, Mounir, Julien).

 

Julien : Bon, alors, cette tranchée, on la referme ou on ne la referme pas ?

Marcel : On attend ce que dit le chef. Et puis, arrête de râler. N’importe comment, tu ne partiras pas plus tôt.

Julien : Moi ? Je ne râle pas. Je dis juste que c’est bête de perdre son temps.

Nicolas : Profite donc de l’instant présent.

Mounir : Oui, ça ne durera peut-être pas toujours si on se laisse faire.

Nicolas : On ne sait pas ce qui peut arriver.

Marcel : Dans peu de temps, ça peut changer.

Julien : Ah oui ! J’oubliais. Bientôt, ce sera le paradis. Et ils y croient, en plus. Ils sont contents, ils vont bientôt voter.

Mounir : Oui, pourquoi, tu ne votes pas ? Toi ?

Julien : Moi ? Non. Je n’ai jamais voté. Ça ne m’intéresse pas. Je ne fais pas de politique. Tenez, je vais vous dire une chose qui va sûrement vous surprendre et vous ennuyer, Je ne me suis même jamais inscrit sur les listes électorales. Moi, je suis neutre.

Marcel : On ne peut pas être neutre.

Julien : Si, justement ! Moi, comme je ne suis pas inscrit, je ne prends parti pour personne. Donc, je suis neutre. Si vous voulez voter, allez-y ! Comme vous ne serez pas d’accord entre vous, vous vous disputerez mais moi, je suis neutre. Je ne suis pour personne et je ne me fâche avec personne.

Nicolas : Et tu crois que tout seul, dans ton coin, tu peux vivre sans être concerné par le monde qui t’entoure ? Sans que cela n’ait de conséquences pour toi, pour ta femme, pour tes enfants pour ta famille et pour tous ceux que tu aimes? Et même que tu n’aimes pas, d’ailleurs.

Julien : Je trouve que la vie, avec tous ses défauts, est belle et vaut la peine d’être vécue. Le reste, je m’en moque.

Nicolas : Alors, tu trouves que tout est parfait. La santé, la justice, l’école, la sécurité, les fins de mois, tout est parfait.

Julien : Je ne dis pas que tout est parfait mais il y a des pays où c’est tellement pire que je pense que chez nous, c’est plutôt pas mal. Alors, je profite des choses sans chercher plus loin. Dans le fond, je suis plus heureux que vous.

Marcel : Et bien, tant mieux pour toi.

Nicolas : Et tu n’as pas l’impression que ce dont tu penses profiter, tu le dois précisément à ceux qui veillent à ne pas perdre ce dont ils disposent ? Je ne sais pas si tu es plus heureux que nous, mais je crains que tu ne soies surtout beaucoup plus profiteur et, donc, égoïste.

Julien : Egoïste ou pas égoïste, je ne passe pas mon temps à pleurnicher que je suis maltraité. Je vis tous les jours et chaque jour que je vis, je le vis du mieux que je peux. Le soir, quand je me couche, je me dis que je ne m’en suis pas trop mal tiré. Et, le plus souvent, cela me suffit.

Marcel : Ne parlons pas d’égoïsme. La question n’est pas là. Mais si on te disait que cela pourrait être tellement mieux, est-ce que cela ne te tenterait pas ?

Julien : Mieux est-ce que cela existe ? Et, n’y aurait-il pas de risque que ce soit pire ? Moi, je suis neutre.

Mounir : Et bien moi, je vais te dire pourquoi je vote. Mon père, un jour a quitté un pays où il ne pouvait pas voter. C'est-à-dire qu’il en avait le droit, mais le scrutin n’était pas libre. Et crois-moi, pour lui, la vie a été très dure. Quelques années plus tard, je suis né. Et, depuis l’enfance, mon père m’a toujours dit que, quand je serais grand, je pourrais voter librement. Alors, dès que j’ai pu, je me suis inscrit et depuis, je n’ai jamais manqué une élection. Si je ne le faisais pas, j’aurais l’impression de tromper la confiance qu’il avait en moi. Je me dirais que tout ce qu’il a enduré pour moi, tous les sacrifices qu’il a consenti, je ne les respecte même pas et je n’oserais pas, maintenant qu’il est très vieux, le regarder en face. Moi, tu vois, si je vote, c’est pour satisfaire l’honneur de mon père et, je dois avouer que j’en suis très fier. Mes enfants sont encore petits, mais déjà, je leur explique que plus tard, ce sera encore grâce à leur grand père qu’ils auront cette liberté.

Julien : Oui, je veux bien. Mais toi, c’est un cas particulier. Moi, je suis neutre.

Marcel : Tu n’es pas neutre. La neutralité, dans ce domaine, cela n’existe pas.

Julien : Si je ne suis ni pour les uns ni pour les autres, cela veut tout de même dire que je suis neutre !

Marcel : Tu ne peux pas être ni pour les uns ni pour les autres. Tu es forcément pour quelqu’un.

Julien : Je voudrais bien savoir pourquoi.

Nicolas : Et moi aussi.

Marcel : Ce n’est pas compliqué. Ecoute-moi bien.

Julien : Je t’écoute.

Marcel : Imagine : Il y a deux candidats. Que tu votes ou que tu ne votes pas, il y en aura forcément un qui sera élu.

Julien : C’est évident et je me fiche…

Marcel : Tais-toi. Ecoute la suite.

Julien : Ah bon ? Il y a une suite ?

Marcel : Sur les deux candidats, il y en a un qui est le sortant et l’autre le prétendant. Si tu votes, c’est donc soit pour le prétendant, soit pour le sortant. Si tu votes pour le sortant, cela veut dire que tu penses que c’est bien comme ça et que tu penses qu’il vaut mieux ne rien changer. Inversement, si tu votes pour le prétendant, cela veut dire que tu penses qu’on devrait pouvoir améliorer en faisant autrement.

Julien : C’est encore long, comme ça ? Parce que jusque là, je suis ; mais, je pense que je vais bientôt m’y perdre.

Marcel : Attends, on y est presque.

Julien : Tant mieux.

Marcel : Si celui pour qui tu as voté, que ce soit l’un ou l’autre est élu…

Mounir : Tu es content et tu fais la fête toute la nuit.

Marcel : Oui, mais ce n’est pas tout. Tu te dis qu’à ton petit niveau, tu as participé à son élection ; que sans toi et ceux qui sont comme toi, cela aurait pu se passer autrement. Tu lui envoie donc ce message qu’il a pu compter sur toi et que maintenant, tu espères bien compter sur lui.

Nicolas : Et après, il oublie ses promesses, il faut autre chose et tu passes pour un imbécile.

Marcel : Ça, c’est un autre problème. Si c’est celui pour lequel tu n’as pas voté qui est élu…

Mounir : Tu es déçu, tu vas te coucher, mais tu ne dors pas de la nuit.

Marcel : A lui aussi tu envoies un message. Tu lui dis : D’accord, tu as gagné mais méfie toi. Il y a des gens comme moi qui ne te font pas confiance. Essaie de ne pas trop augmenter notre nombre, sinon, la prochaine fois…

Nicolas : De toute façon, lui aussi fera n’importe quoi mais ce sont les autres qui passeront pour des imbéciles et ça, c’est plutôt réconfortant.

Marcel : Tu vois que si tu votes, tu n’es pas neutre.

Julien : Oui, mais ça, je le savais déjà. Et c’est pour ça que je ne vote pas.

Marcel : Maintenant, si tu ne votes pas.

Julien : Ah bon ? Parce que ce n’est pas encore fini ?

Marcel : Il fallait bien que je t’explique ce qui se passe quand tu votes pour que tu comprennes ce qui se passe quand tu ne votes pas.

Julien : Bon, alors, vas-y, mais arrête de traînasser.

Marcel : Quand tu ne votes pas, il y a aussi obligatoirement un élu.

Julien : Oui, j’avais remarqué.

Marcel : La nuance, c’est que quel qu’il soit, c’est toi qui l’as élu.

Julien : Allons bon ! Comme ça, en ne votant pas.

Marcel : Oui, si tu avais voté pour celui qui est élu, cela n’aurait rien changé puisque sans toi, il avait déjà assez de voix. En revanche, si toi et un certain nombre de tes semblables aviez voté pour l’autre, cela aurait pu faire basculer le résultat. En ne votant pas pour celui qui a été battu, tu as permis à l’autre d’être élu. Celui qui a été élu a été élu parce que tu n’as pas voté pour son adversaire. Ne pas voter, consiste à voter pour celui qui est élu. Tu vois que tu ne peux pas être neutre ?

Julien : Oui, si on veut. Mais ne trouves-tu pas ton raisonnement un peu spécieux ?

Marcel : Je ne sais pas ; mais, il est à noter que tu ne trouves rien à répondre. Ne pas voter, c’est, dans toutes les circonstances, voter pour celui qui est élu. Il n’y a pas de neutralité.

Nicolas : Avec tout ça, maintenant, il est trop tard pour reboucher la tranchée. Du coup, puisque tu vas sortir un peu en avance, tu en profites pour passer à la mairie et t’inscrire sur la liste électorale.

 

 

Noir 

 

 

Scène 5

 

Les nouveaux

 

(Salle du conseil municipal.

Le maire, le secrétaire, plusieurs conseillers et un ou deux spectateurs. Pour faire du monde, on peut ajouter quelques mannequins).

 

Le maire : Bon, M’sieur Paillet, ça y est, vous êtes prêts ? On peut commencer ? Je vois que ce soir nous avons des spectateurs. Peut-être que ce sont des gens qui n’ont pas confiance dans le conseil municipal.

Un spectateur : Mais, Monsieur le Maire, ce n’est pas une question de confiance, c’est la loi. Les réunions du conseil municipal sont publiques. Nous avons le droit d’assister.

Le maire : Oui, mais vous n’avez pas le droit d’intervenir.

Le spectateur : Soyez sans crainte. Nous connaissons la législation.

Le maire : Alors, je déclare la réunion du conseil municipal ouverte. (Un conseiller lève la main). Oui, Alain, tu as la parole.

Alain : Monsieur le maire, avant de débuter la réunion, je voudrais que l’on ajoute un point pour commencer l’ordre du jour.

Le maire : Pour commencer ? C’est si urgent que ça ?

Alain : Ah ça ! Pour être urgent, je pense bien que c’est urgent. C’est même très urgent ! Il y a des élections qui approchent et il serait urgent de trouver un moyen pour que les nouveaux habitants de la commune ne puissent pas voter chez nous.

Le secrétaire : Monsieur le Maire, je note ?

Le maire : Non, non ! Vous ne notez pas ! Non, Alain, Non. On ne peut pas faire ça. C’est illégal. Et même en parler, c’est illégal.

Alain : Je sais bien que ce n’est pas prévu. Mais justement, je voudrais qu’on réfléchisse pour trouver un moyen de…

Le maire : Non, non ! Tu n’as pas le droit de dire ça.

Alain : Bah si, quoi ! Ils viennent, ils achètent des terrains, ils construisent… bon, il y en a qui ne bâtissent que des résidences secondaires et qui continuent de voter ailleurs. Alors là, ça va !

Un conseiller : Oui, là, c’est bien. Ils paient des impôts dans la commune, mais ils ne veulent pas tout commander.

Le secrétaire : Je note ou je ne note pas ?

Le maire : Non, vous ne notez pas.

Le secrétaire : Parce que théoriquement, le conseil est ouvert.

Le maire : Oui, mais vous ne notez pas quand même.

Alain : Seulement voila il y en a qui habitent ici en résidence principale et après, ils veulent s’inscrire sur la liste électorale de la commune.

Le maire : Oui, et c’est la loi. C’est même obligatoire.

Alain : Oui, mais après, ils risquent de voter chez nous !

Le conseiller : Et imaginez qu’ils deviennent assez nombreux ! Ils risqueraient peut-être d’avoir des conseillers à eux. Vous vous rendez compte ? On ne serait plus maîtres chez nous.

Alain : Tenez, le fils Tournoud. Il a construit à la Rinette…

Le troisième conseiller : Il est de la commune d’à côté.

Le conseiller : Oui, et bien justement, il n’est pas d’ici. Il n’avait qu’à construire de l’autre côté du ruisseau.

Alain : Il faut arrêter ça !

Le secrétaire : Bon, je continue de ne pas noter, hein ?

Le maire : Oui, vous continuez de ne pas noter.

Le troisième conseiller : Je ne voudrais faire de la peine à personne, mais toi, Alain, c’est bien toi qui a fait classer tes terrains, qui étaient d’anciens parcs à vaches, comme constructibles ?

Alain : Ah oui ! Mais ça, c’était normal. Quand on a révisé le plan d’occupation des sols…

Le troisième conseiller : A ta demande…

Alain : Les terrains qui étaient dans la continuité du village et en dessous de la route ont été classés constructibles.

Le troisième conseiller : Et c’étaient les tiens.

Alain : Oui, et alors ?

Le troisième conseiller : Et tu les as vendus.

Alain : Mais, bon dieu, j’ai quand même bien le droit de vendre ce qui m’appartient ! Tu ne vas pas me l’interdire, ça, non ?

Le troisième conseiller : Oh, ça, rassure-toi, je m’en garderais bien. Mais, les gens t’ont acheté, à toi, des terrains que tu avais, toi-même, fait classer constructibles. Les gens ont construit et maintenant, tu t’étonnes que ces personnes que tu as toi-même incitées à nous rejoindre veuillent devenir de vrais habitants de la commune. Cela te chagrine qu’ils participent en apportant leurs compétences à la vie du village. Tu n’es pas très cohérent, quand même.

Alain : Oui, mais ils ne sont pas d’ici.

Le deuxième conseiller : Les seuls vrais habitants, ce sont les anciens. Ce n’est pas eux, c’est nous. Eux, ils ne peuvent pas savoir. Ils ne peuvent pas comprendre. Ils ne sont pas d’ici ! Et puis, ils risquent de vouloir tout changer.

Alain : Il doit bien y avoir un moyen pour empêcher les nouveaux de voter !

Le deuxième conseiller :Vous vous rendez compte si les nouveaux devenaient majoritaires !

Le maire : Vous n’avez rien noté, hein ?

 

Noir 

 

 

 

Scène 6

 

Il faut inciter au civisme.

Le vote des jeunes et des nouveaux.

(6a deux joueurs de pétanque, une femme)

 

1er joueur: Oui, bon, celui la, il est pour toi.

2ème joueur: Attends, j'en ai peut-être deux.

1er joueur: Eh! Ho! Il ne faut pas exagérer! Deux? Pourquoi pas douze pendant que tu y es?

2ème joueur: Si, regarde. On enlève les autres et j'ai bien celle la en deuxième.

1er joueur: Tu parles! Dans la différence, on y ferait passer une vache.

2ème joueur: Si, si, si! Je te dis que ça se mesure.

1er joueur: Et moi je te dis qu'une vache... Presque deux même. bon, admettons, deux petites. Tiens, quelqu'un d'impartial: Mimi, viens voir.

La femme: Oh moi, vous savez...

1er joueur: Si, regarde. Mets-toi là. C'est laquelle qui tient?

La femme: Là? Bah, c'est net! C'est celle la. Enfin, pour moi, c'est celle la. Si, si. c'est net. C'est celle la.

1er joueur: Ah, tu vois!

2ème joueur: Bon, admettons. si c'est Mimi qui le dit. Mais on aurait pu mesurer.

La femme: Puisqu'on te dit que c'est l'autre. Et puis, tu en as quand même un.

(Ils ramassent leurs boules).

1er joueur: Tu vois, quand j'y pense, avec les évènements qu'on vient encore de vivre, pour lutter contre ces explosions de violence qui se reproduisent régulièrement, je me dis que ce qu'il faudrait faire, c'est une grande campagne d'explication pour décider plus de monde à voter.

La femme: C'est vrai qu'il y a beaucoup de gens qui ne se posent pas la question.

2ème joueur: Et vous croyez que ça changerait quelque chose?

1er joueur: bien sûr! Ceux qui brûlent les voitures, tu crois qu'ils le font parce qu'ils sont heureux de la société dans laquelle ils vivent? Dans le fond, on peut se demander si ce n'est pas une forme de désespoir.

La femme: Et les femmes qui n'osent pas sortir de chez elles parce que des individus désœuvrés occupent le bas de l'escalier. Elles se retranchent dans leur appartement de peur d'être agressées. Vous croyez que c'est une vie, ça?

2ème joueur: Oui, vous avez raison mais, je ne vois pas le rapport avec le fait que les gens votent ou non.

1er joueur: Mais si, réfléchis un peu.

2ème joueur: Ouais, bah rien qu'un peu, alors.

1er joueur: Si tous ces gens oubliés, méprisés, abandonnés ne faisaient seulement que s'inscrire massivement sur les listes électorales, le gouvernement responsable de la situation se sentirait un peu exposé. Les hommes politiques en place se diraient: oh, là, là! attention! Voila que les quartiers misérables en ont assez. Voila qu'ils ne veulent plus subir le marasme dans lequel nous les confinons. Voila qu'ils relèvent la tête. Il faut vite faire quelque chose pour qu'ils ne votent pas contre nous et ceci avant qu'ils ne se laissent séduire par des propositions trop exaltées. voila ce qu'ils se diraient les députés et les ministres en place.

2ème joueur: Et tu crois que cela les conduirait à modifier radicalement leur politique? Je veux dire suffisamment pour que de tels débordements cessent?

La Femme: Changer quelque chose, en ont-ils seulement les moyens?

1er joueur: Qu'ils changent ou qu'ils ne changent pas... Est-ce que vous croyez que tous ces gens, tous les non inscrits, les nouveaux habitants, les jeunes avec leur sang neuf, s'ils sortaient de leur torpeur et de leur hébétude, de leur acceptation servile iraient proclamer leur accord avec cette droite conservatrice qui les méprise et les spolie?

La femme: C'est vrai que si tous les gens misérables se mettaient à voter...

(Ils changent rapidement de costume et jouent dans l'autre sens

Nous somme maintenant dans

 6b Sur un terrain de golfe).

 

2ème joueur: Et hop! C'est dedans. Vous avez vu?

1er joueur: Oui, en cinq coups quand c'est prévu par trois, il n'y a pas non plus de quoi pavoiser

2ème joueur: Oui, mais toi, tu as fait pire.

1er joueur: C'est vrai. Mais moi, je ne prétends pas être un champion. Tu vas voir Mimi. Elle va réussir mieux que toi. Elle, c'est le talent à l'état pur.

 

2ème joueur: Le talent, le talent, disons plutôt la chance. Tu vois, je repense à ce que nous disions tout à l'heure. Avec les évènements qu'on vient encore de vivre, pour lutter contre ces explosions de violence qui se reproduisent régulièrement, je me dis que ce qu'il faudrait faire, c'est une grande campagne d'explication pour décider plus de monde à voter.

La femme: C'est vrai qu'il y a beaucoup de gens qui ne se posent pas la question.

2ème joueur: Et vous croyez que ça changerait quelque chose?

La femme: Et les femmes qui n'osent pas sortir de chez elles parce que des individus désœuvrés occupent le bas de l'escalier, elles se retranchent dans leur appartement de peur d'être agressées. Vous croyez que c'est une vie, ça?

2ème joueur: Oui, vous avez raison mais, je ne vois pas le rapport avec le fait que les gens votent ou non.

1er joueur: Mais si, réfléchis un peu.

2ème joueur: Ouais, bah rien qu'un peu, alors.

1er joueur: Franchement, entre nous, croyez-vous que si, tous ces gens, il faut bien le reconnaître, dans le besoin, votaient, ils ne choisiraient pas la stabilité et l'ordre? Pensez-vous qu'ils seraient attirés par cette gauche qui refuse, au nom d'une démagogie absurde d'avoir un comportement un peu plus sévère envers tous ces délinquants, ces rebelles exaltés qui ne rêvent que plaies et bosses, destruction, pillage et dévastations sordides?

2ème joueur: C'est vrai que les habitants de ces quartiers en détresse, ce dont ils ont le plus besoin, ce à quoi ils doivent aspirer, c'est sans doute la sérénité, le calme et l'équilibre.

1er joueur: Alors, pourquoi iraient-ils se jeter dans les bras de ceux qui tentent de les leurrer avec des promesses faussement angéliques?

La femme: C'est vrai que si tous les gens misérables se mettaient à voter...

 

 

Noir

  

 

 

 Scène 7

 

Les primaires

 

(Dans un bureau

Lili, Toinette, Georgette.

Toinette a fait du café et sert ses deux collègues).

 

 

Toinette: Toi, Lili, c'est toujours sans sucre, hein?

Georgette: Et moi, c'est encore avec sucre et donc, par suite, avec petite cuiller.

Toinette: Oui, Madame la princesse, tu vas l'avoir ta petite cuiller. attends juste que je la passe sous l'eau... Voila, ton altesse est servie.

Lili: (En regardant son ordinateur) Le PS organise ses primaires. Qu'est-ce qu'ils nous fatiguent les socio démocrates avec leurs primaires.

Georgette: Bah quoi? C'est plutôt bien, non? Ils nous demandent de choisir un candidat. c'est quand même mieux que de nous l'imposer!

Lili: Cela veut surtout dire qu'ils sont bien incapables de se réunir et de se concerter pour déterminer lequel d'entre eux sera le plus apte à conduire la politique de leur parti au nom de la population. Plutôt que d'affronter et résoudre leur petite guéguerre de clans, ils préfèrent botter en touche.

Georgette: Ah! Ça y est. Tout de suite, les grands mots: "La guéguerre des chefs de clans".

Toinette: Oui, pourquoi? tu vois ça autrement? Toi?

Lili: Et puis, c'est bien, les primaires. Ça fait bien. Ça fait plus démocratique.

Toinette: Ça fait surtout plus américain. Vous pensez: La démocratie américaine, ça, c'est de la démocratie! Un président américain élu représente moins d'un Américain sur cinq. Ça, c'est un exemple! Ça, c'est un modèle! Eux, ils ont des primaires. Alors, organisons des primaires et tout ira tellement mieux.

Georgette: Mais, nous ne sommes pas aux Etats Unis! Et puis, choisir un candidat, c'est tout de même mieux que de ne pas le choisir!

Lili: Et bien moi, tu vois, quand je voyage, je préfère choisir l'itinéraire et la gare de destination de mon train plutôt que le nom du machiniste.

Toinette: tu as raison. C'est comme moi quand je vais au restaurant. Je préfère choisir mon menu que mon serveur. Et même, je préfère choisir ma sauce plutôt que le nom de l'employé qui tourne la cuiller dans la casserole.

Georgette: Donc, vous ne trouvez pas intéressant de savoir qui va être candidat.

Lili: Oh si, alors! Juste, ça présente quand même quelques inconvénients.

Georgette: Allons bon. Et, lesquels, je te prie?

Lili: D'abord, nous aimerions savoir ce qu'un candidat envisage de faire. Nous aimerions savoir pour quoi nous votons. Au lieu de nous demander pour quoi, on nous demande pour qui. On confond volontairement qui et quoi. C'est ce qu'en bonne logique on appelle un quiproquo. Or, on sait qu'un quiproquo, c'est souvent comique, certes, mais surtout préjudiciable.

Toinette:  En plus, confondre qui avec quoi, c'est voisin de la confusion entre le contenant et le contenu. On dit: je vais boire un verre. Non! C'est le pinard qui est dedans que je vais boire. Boire le verre, c'est très indigeste! Cela s'appelle une métonymie. Sur le plan littéraire, c'est une figure de style évocatrice. Sur le plan politique, confondre le bonhomme et un programme, cela risque d'être fâcheux.

Lili: Et puis, puisque nous en sommes à la logique, il y a une chose qui est facile à comprendre.

Georgette: bon, bah explique.

Lili: S'il y a des primaires, cela veut dire qu'il y a des individus qui vont s'y présenter.

Georgette: Bien sûr! C'est même le but de l'opération.

Lili: Mais, ces individus, Qui est-ce qui les aura désignés? Ils se seront choisis tout seul?

Georgette: Evidemment!

Lili: C'est donc parfaitement antidémocratique! Je pense que pour que ces candidats puissent se présenter, il faudrait organiser un vote. On appellerait ça des pré-primaires. Le peuple, dans sa candeur naïve, pourrait désigner qui peut se présenter aux primaires. Là, au moins, ce serait démocratique!

Toinette: tu as parfaitement raison. Et même que, pour être plus sûr de ne rien laisser au hasard, pour ceux qui vont se présenter au pré-primaires, il faudrait consulter la population. Ce seraient des anté-pré-primaires.

Lili: On n'aurait aucune idée de ce qu'ils feraient une fois élus, mais au moins, on aurait la certitude de les avoir bien choisis.

Toinette: Non mais!

Georgette: Vous n'êtes que de sordides anarchistes.

Toinette: Nous sommes peut-être des anarchistes, mais maintenant, tu vas rincer ta petite cuiller. Je ne suis pas élue pour ça.

 

 

 

Noir

 

 

Scène 8

 

Le meeting

 

 

Une tribune face au public qui devient la foule des militants. Sonorisation d’ambiance de meeting.

Au moment où la lumière s’allume, la candidate a déjà commencé son discours.

On entend des acclamations.

Lumière.

 

 

La candidate : C’est pour cela que, comme je vous l’ai démontré, ma candidature est la seule qui soit digne d’intérêt. Si vous votez massivement pour moi, alors, je serai élue et tout pourra changer. Cela changera, bien sûr pour moi puisque je serai élue. Mais, cela changera aussi pour vous puisque vous aurez voté pour moi et que je serai élue. Vous aurez voté pour celle qui est élue et vous serez fier d’avoir su voter pour celle qui vous représente et qui est élue par vous. (Acclamations. Avant chaque acclamations, la candidate hausse le ton d’une façon lyrique afin de bien faire comprendre que c’est là qu’il faut acclamer). La mission que je me donne est de vous représenter. Quand je vous représenterai, puisque vous allez voter pour moi, je vous expliquerai ce que nous devons faire, ce qu’il faut faire, ce que vous devrez faire. (acclamations).Fini, pour vous, le grave souci de vivre dans l’incertitude et le combat permanent des revendications rudes et en permanence inassouvies. Quand vous m’aurez élue, je m’y engage, je serai toujours présente pour vous expliquer pourquoi vous êtes satisfaits, pourquoi vous êtes contents, que dis-je contents ? Heureux ! Car c’est bien de bonheur qu’il s’agit. Oui, vous serez heureux d’avoir voté pour moi. Et si, vous ne vous en rendez pas compte, parce que, forcément, depuis le temps, vous avez perdu l’habitude et que vous risquez de ne pas constater à quel point les mêmes mesures prises, non plus par les réactionnaires, mais par moi, vous rempliront d’aise, de joie et, comme je vous l’ai promis de bonheur. (Acclamations). Ne vous y trompez pas, ce ne sera pas tous les jours facile. Il faudra faire des efforts. Mais, ces efforts, puisque ce sera moi qui vous les demanderai, ce sera avec plaisir que vous accomplirez ce que vous ne supportez pas quand ce sont les autres qui vous les imposent. (Acclamations). Grâce à une action pédagogique permanente de ma part, vous comprendrez mieux pourquoi cela vous enthousiasme de vivre de façon difficile, médiocre et désagréable. Oui, cet effort pédagogique, je l’assumerai sans faillir. Et cela, je vous le dis de façon solennelle, je m’y engage ! (Acclamations). Et maintenant, pour le cas où j’aurais laissé dans l’ombre quelque sujet d’importance, je vous invite à poser quelques questions.

Une voix off dans la salle :Madame la candidate et chère camarade, vous n’êtes pas sans savoir le combat opiniâtre et déterminé que mènent actuellement les infirmières de notre pays afin de s’élever contre les conditions de travail forcené et déshumanisé qu’elles subissent ainsi que la déconsidération dont elles sont l’objet. Ma question est donc très naturellement : Que pensez vous faire pour les infirmières ?

La candidate : Voila une grave question et vous avez bien fait de la poser. Il est entendu que le problème des infirmières est une grave question. Je pense aux infirmières. Oui, bien sûr que je pense aux infirmières. Aujourd’hui, dans notre pays, elles mènent un combat opiniâtre et combien exemplaire pour s’élever contre les conditions de travail forcené et déshumanisé qu’elles subissent et la déconsidération dont elles sont l’objet. La question qui me vient donc très naturellement c’est: Que pourrions nous faire pour les infirmières. Oui, voila la vraie question ! Que faudrait-il faire pour les infirmières ? (Acclamations).

Une autre voix off : Madame la candidate, dans le nord de notre département, les personnels de l’entreprise BFGM sont en grève depuis plusieurs semaines. Cette entreprise, dont je suis ici le représentant des salariés grévistes, suite à des subventions de la région et de l’état s’était engagée à maintenir cette unité de fabrication. Or, aujourd’hui, alors qu’elle dégage des bénéfices substantiels, la direction décide de délocaliser l’unité ce qui aura pour effet, outre le fait qu’elle aura bafoué sa propre parole, et escroqué l’état et la région, de précipiter dans le chômage deux cent soixante treize personnes. La question de ces deux cent soixante treize personnes est donc, en cette veille d’élection, si vous êtes élue, quelle décision précise prendrez-vous dans notre conflit social. Tous, nous attendons avec angoisse votre position et votre réponse. Selon celle-ci, nous pourrons en conclure pour qui nous devons voter ou en qui nous ne devons absolument pas avoir confiance.

La candidate : La question que vous posez est trop particulière. Je ne suis pas venue ici pour traiter de cas particuliers. Cependant, je vais quand même vous répondre. J’ai été particulièrement et personnellement touchée et émue par la grève de la BFGM. Ces gens ne sont pas des rebelles destructeurs. Ils défendent la pérennité de leur entreprise. Vous avez raison de dire qu’il est proprement scandaleux qu’une entreprise qui aurait reçu des fonds publics, malgré des bénéfices mesurables, ne tienne pas compte de l’insécurité dans laquelle elle va pousser ses salariés. Comme tout le monde, je pense à la BFGM, à la BFGM et à ses salariés. Il faudrait réfléchir à quelle position prendre devant ce cas précis. Vous avez posé une question précise alors, je vous répondrai avec précision. Il faudrait penser à la BFGM. Que pourrions-nous faire pour la BFGM. Tout le monde devrait penser à la BFGM. Oui, je vous le demande de toutes mes forces, que pourrions-nous faire pour la BFGM ? (Acclamations).

Une autre voix off : Madame la candidate, depuis plus de trente ans, la situation des personnes âgées n’a cessé de se dégrader. L’évolution des pensions et retraites n’a pas suivi l’inflation et n’a même pas évolué du tout. Elles sont restées bloquées sur des valeurs archaïques. Nos anciens, qui ont travaillé dur toute leur vie en sont réduits à vivre de façon de plus en plus scandaleuse et misérables et certains en arrivent à tenter de subsister au dessous du seuil de pauvreté. Ma question, la voici, comment envisagez-vous de remédier à cet état de faits ; comment envisagez vous de rendre à nos vieux la dignité dont ils ont été injustement spoliés.

La candidate : Voila une question générale qui est tellement présente à mon esprit que je savais qu’elle serait posée. La situation de nos anciens, nos parents, nos grands parents, vous en conviendrez, est inquiétante. Toute leur vie n’a été que labeur et sacrifice. Ils se sont volontairement privés pour la réussite de leurs enfants et leurs enfants, c’est nous. Serions-nous assez ingrats pour ne pas leur rendre ce qu’ils nous ont offert ? Oui ! La situation de nos anciens en général est tragique et honteuse. La question qu’il faut poser est bien : Que faut-il faire pour nos anciens ? Il faudra y penser. Il faudra penser aux anciens. Nous y penserons et pour ma part, j’y pense déjà. Mais tous ! Nous devrons y penser. Il faudra que nous y pensions ! (Acclamations).

Voila, citoyennes et citoyens ce que je voulais vous dire. Il se fait tard et…

Une voix off : Et le salaire minimum, vous en pensez quoi ?

La candidate : Il se fait tard pour aborder ce sujet et…

La même voix off : Le problème du salaire minimum ne vous intéresserait-il pas ?

La candidate : Je ne dis pas cela mais ceci est un problème essentiellement technique et je ne pense pas que ce soit le lieu pour en débattre et de plus, il se fait tard. Quoi qu’il en soit, il faudra y penser. J’y pense… J’y pense.

Maintenant, vous saisissez mieux pourquoi le seul vote qui ne vous décevra pas est celui qui se portera sur ma personne. Aussi, je vous le demande. Voterez-vous pour ma candidature ? (Acclamations). Voterez-vous pour moi ? (Acclamations). Et vous aurez raison parce que je pense à vous ! (Acclamations).

Alors, puisque nous sommes dans la même volonté, entonnons notre chant d’espoir et de détermination. (Elle lance son chant en faisant les gestes. Un support sonore donne l’illusion que tout une foule chante avec elle. Le but est d’inciter le public à chanter avec elle. On prend pour la chanson bien connue un rythme et un tempo un peu plus martial que d’habitude).

            Ainsi font, font, font,

            Les petites marionnettes

            Ainsi font, font, font,

            Trois p’tits tours et puis s’en vont.

Et encore une fois, avec les gestes.

On chante une deuxième fois

 

 

Noir

 

 

  

Scène 9

 

Faire comme tout le monde

 

(Une table dans un jardin.

Deux hommes prennent l’apéritif).

 

 

Frank : Tu vois, on a beau dire, j’aimerais quand même bien savoir qui va gagner.

Patrick : Gagner quoi ? Les élections ?

Frank : Bah oui ! Pas pour miss Monde !

Patrick : On le saura bien un jour… Le quatorze Mars au soir, pour être précis.

Frank : Oui, mais j’aimerais bien savoir.

Patrick : C’est vrai que ça va être serré.

Frank : Serré oui. Souvent, on arrive bien à deviner à l’avance qui sera élu. Mais là, c’est tellement indécis qu’on ne peut pas savoir.

Patrick : On dirait que cela t’ennuie.

Frank : Forcément, un peu quand même.

Patrick : Rassure-toi, tu le sauras bien assez tôt.

Frank : Non, justement.

Patrick : Comment ça, non ? Celui qui sera élu, tu devras le supporter pendant cinq ans. Donc, il n’y a pas urgence.

Frank : Oui, mais je ne le saurai pas avant.

Patrick : Pas avant… Pas avant ! Tu m’ennuies avec ton « pas avant » ! Pourquoi as-tu absolument besoin de savoir « avant » ?

Frank : Bah, pour savoir comment voter !

Patrick : Parce que toi, pour voter, tu as besoin de savoir qui va être élu ?

Frank : Bien sûr, c’est plus facile !

Patrick : Plus facile ?

Frank : Moi, tu sais, je n’aime pas me singulariser. Je préfère faire comme tout le monde et être en bons termes avec la majorité. C’est pour ça que, quand on vote, je préfère savoir à l’avance qui sera élu.

Patrick : Et tu ne votes pas en fonction de tes idées ?

Frank : Si, mais justement, mon idée, c’est d’être normal.

Patrick : Normal ?

Frank : Oui, normal. Comme la majorité, quoi.

Patrick : Tu sais, les élections, ce n’est pas une devinette. Si tu donnes la mauvaise réponse, tu n'auras pas un gage.

Frank : Un gage, je ne dis pas mais on ne sait jamais. Imagine : si ceux qui sont au pouvoir venaient à savoir que je n’ai pas voté pour eux, cela pourrait m’attirer des ennuis.

Patrick : Je te rappelle que le vote est secret. C’est même fait justement pour ça.

Frank : Oui, je sais. Mais, je n’ai quand même pas envie de prendre le risque. On ne sait jamais.

Patrick : Donc, sur le fonctionnement de la société, tu n’as aucune idée personnelle.

Frank : Si, je t’ai déjà dit. J’aime, dans la rue, sentir que le plus grand nombre sont ceux qui sont comme moi et que ceux qui voudraient contester et apporter le trouble sont les moins nombreux. Tu vois que, dans le fond, j’ai des idées puisque je suis pour la sécurité et pour la paix.

Patrick : Donc d’une fois sur l’autre, tu es parfaitement capable d retourner ta veste.

Frank : Naturellement, mais, qu’est-ce que ça peut faire ?

Patrick : Oui, Bien sûr, rien.

Frank : Tu vois. C’est pour ça que j’aimerais bien savoir qui va gagner.

 

 

Noir

 

 

 

Scène 10

 

Les cinq cents signatures.

 

 

(D’abord dans le bureau du maire puis dans le bistro)

(Le maire au téléphone).

 

 

Le Maire : Mais oui ! Bien sûr ! Vous me connaissez, Monsieur le sénateur… Vous vous… vous vous… vous vous doutez bien que je ne vais pas accorder ma signature à n’importe qui… Evidemment, s’il y avait trop de candidats, cela disperserait, les voix. Au départ, je voulais l’envoyer pour notre candidat, mais on m’a dit qu’il n’y avait pas besoin de la mienne vu qu’il y en avait déjà assez… Mais bien sûr, Monsieur le Sénateur. Je me souviens très bien du soutient que vous avez apporté à mon projet au conseil général… De toute façon, nous formons une grande famille et vous savez que vous pouvez compter sur moi. Oui, c’est ça… N’importe comment, nous nous verrons à la foire de Lermigneux… Au revoir Monsieur le Sénateur. (Il raccroche, se lève, traverse la scène et arrive au café du village). La patronne, Gégé, Tonio, le maire arrive).

La patronne : Tiens voila M’sieur l’maire. Bonjour Joseph. Comme d’habitude ?

Le maire : Oui. Un blanc limonade.

Tonio : Avec plus de blanc que de limonade.

Gégé : Oui, comme d’habitude, quoi.

Le maire : Vous deux, ça va, hein… vous n’allez pas commencer.

Tonio : Oh ! Qu’est-ce qu’il a M’sieur l’maire ? Il est de mauvais poil, ce matin.

Gégé : Il a du se lever du mauvais pied.

Tonio : Ou bien sa Maryse lui aura servi un mauvais café.

La patronne : Vous allez le laisser tranquille ?

Tonio : Mais nous le laissons tranquille ! Hein Gégé que nous le laissons tranquille ?

Gégé : Pour sûr que nous le laissons tranquille.

Tonio : Et nous le laissons même tellement tranquille que, justement, nous nous inquiétons de son intégrité physique et morale. Hein, Gégé que nous nous inquiétons ?

Gégé : Pour sûr que nous nous inquiétons !

Tonio : Lui, d’ordinaire plutôt finaud, patelin et rusé…

Gégé : Oui, c’est ça. On pourrait même dire : Roublard et matois, un rien ficelle voire presque chafouin.

Tonio : Voila. Tout ça. Mais goguenard, quand même.

La patronne : Mais vous allez arrêter, tous les deux ? Joseph, ne les écoute pas. Ce doit être la pleine lune qui les travaille.

Tonio : La pleine lune… La pleine lune ? Non, non, non, non, non. Si la pleine lune agite quelqu’un, ce n’est pas nous. C’est lui. Il n’est pas égal à lui-même.

Gégé : Au lieu de ça,  il est renfrogné et chagrin ; revêche et ronchon.

Tonio : Oh, oui ! Gégé, tu dis bien. Il nous inquiète, aujourd’hui, M’sieur l’maire. Regarde-le, bougon, grognon… Quasi acariâtre. On nous l’a changé. C’est plus not’ Maire.

Le maire : Mais vous allez me foutre la paix ? (à la patronne) Tiens, ressert moi.

Gégé : Oui, comme d’habitude : Plus de blanc que de limonade.

Le maire : Oh !

La patronne : Remarque, Joseph, C’est vrai qu’ils sont pénibles ; mais il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, tu n’es pas dans ton assiette.

Tonio : Bah non, il n’est pas dans son assiette. Il est dans son verre.

Gégé : Comme d’habitude : blanc limonade.

Tonio : Avec plus de blanc que de limonade.

La patronne : Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas, Joseph ?

Le maire : C’est les signatures.

La patronne : Les signatures ? Quelles signatures ?

Le maire : Pour les candidatures à la présidentielle.

La patronne : Ah bon ? Il y en a qui te demandent ?

Le maire : Bien sûr !

Gégé : Et c’est quoi cette histoire de signatures ?

Le maire : Ne fais donc pas l’imbécile ! Tu le sais bien. Pour faire acte de candidature à une élection présidentielle, il faut obtenir le parrainage de cinq cents maires.

Gégé : Cinq cents ? Et pourquoi pas cinquante mille ?

Le maire : Parce qu’il n’y a pas cinquante mille communes.

Tonio : Ah bon ? Et il y en a combien ?

Le maire : Environ trente six mille.

Tonio : Alors, ils devraient demander vingt mille signatures.

Le maire : vingt milles ? Tu es fou ! Et pourquoi vingt mille ?

Tonio : Parce que comme ça, il n’y aurait qu’un seul candidat et on n’aurait plus besoin de voter.

Gégé : Ça coûterait moins cher.

Tonio : Et nous aurions la paix.

Gégé : On appellerait ça un scrutin au deuxième degré. Comme pour les sénateurs. L’élu serait élu par les élus.

Tonio : Et ce ne serait plus du tout démocratique.

Gégé : Tout s’arrangerait discrètement entre gens qui s’entendent bien et on n’aurait plus besoin de demander l’avis des citoyens.

Tonio : Tu ne trouves pas que ce serait tellement mieux ? Tiens, remets-nous une tournée… Que l’on puisse parler sérieusement.

Le maire : Sérieusement ? Toi ? Parlons-en ! Je ne te vois jamais autre part qu’au bistro.

Tonio : Très juste ! Mais si tu ne me vois qu’au bistro, ça prouve que tu y es aussi !

Gégé : Bon, alors. Les signatures : A quoi ça sert au juste ?

Tonio : A part embêter les maires.

Le maire : A empêcher que n’importe qui puisse se présenter.

Gégé : Allons bon ! Parce que tout le monde n’a pas le droit de se présenter ? Voila encore une chose fort démocratique !

Tonio : C’est vrai, ça. Aux municipales, tout le monde peut se présenter.

Gégé : Ouais. Même que le p’tit Mimi, il se présente à chaque fois.

Le maire : Et bien, justement. C’est pour empêcher les « p’tit Mimi » de se présenter.

Gégé : Qu’est-ce que ça peut faire ? Personne ne vote pour lui.

Tonio : Si, des fois, il a deux ou trois voix.

Gégé : Même que ça fait rire tout le monde et ça ne gène en rien.

Tonio : Tu as Raison, Gégé. Il faudrait supprimer cette histoire de signatures. Ça ne changerait rien et ce serait plus démocratique. Tu vois, M’sieur l’maire que contrairement à ce que tu crois, nous sommes des démocrates… Nous.

Gégé : Oui, ce serait mieux et not’ maire viendrait plus souvent et moins grognon boire avec nous son blanc limonade.

Tonio : Avec plus de blanc que de limonade.

Le maire : Oui, mais ce ne serait pas possible.

Gégé : Ah bon ? Voyez-vous ça ? Et pourquoi, je te prie ? Patronne, remets-nous une tournée.

Le maire : Réfléchis donc un instant. Dans notre village, nous avons un « p’tit Mimi ».

Tonio : Oui.

Le maire : Dans tous les autres villages, il doit y avoir aussi des « p’tit Mimi ».

Gégé : Jusque là, je te suis.

Le maire : trente six mille communes ; trente six mille petits Mimis.

Tonio : Ah là, là, là ! Je dois reconnaître qu’il n’a pas tord.

Le maire : Sans compter que, dans chaque grande ville, il doit bien avoir plusieurs petits Mimis. On pourrait ainsi arriver à, environ cinquante mille petits Mimis.

Gégé : Oui, et alors ?

Le maire : Et alors, et alors, ce n’est pas possible.

Tonio : Au moins, ce serait démocratique. Tous ceux qui veulent se présenter pourraient se présenter.

Gégé : Même les « p’tit Mimi ».

Le maire : Démocratique, oui ! Mais possible, non.

Tonio : Et pourquoi, je te prie ?

Le maire : A cause de la campagne.

Tonio : La campagne ? Quelle campagne ?

Le maire : La campagne télévisée.

Gégé : Mais on s’en fiche de la campagne télévisée !

Tonio : Le p’tit Mimi, quand il se présente chez nous, pour la mairie, il n’a pas de campagne télévisée. Il n’en demande pas et il ne s’en porte pas plus mal.

Gégé : La campagne électorale à la télévision, il faudrait tout simplement la supprimer. Comme ça, il n’y aurait pas de jaloux.

Le maire : Oui, bien sûr, et, ce serait parfaitement injuste. Chez nous, tout le monde le connaît tandis qu’au niveau national, personne ne sait qui est le « p’tit Mimi ». Du coup, il faudrait entendre tous les « p’tit Mimi » du pays ; tous les « p’tit Mimi » nationaux. Vu le nombre, chaque candidat n’aurait que cinq secondes et on entendrait : bonjour, je suis le p’tit mimi : ivrogne de Villard Gulain. Et on en aurait cinquante mille de suite comme ça. Sans compter qu’à raison de cinq secondes chacun, on en aurait pour plus de cent heures.

Gégé : Mais puisqu’on te dit qu’on supprime la campagne Télévisée pour le premier tour.

Le maire : Et je te réitère que ce serait parfaitement injuste. Les candidats important seraient connus et pas les autres

Tonio : Oui, mais ça, c’est leur problème. Ils n’ont qu’à se faire connaître.

Le maire : Et seuls les plus riches auraient les moyens. Tu vois, je te dis que ce serait parfaitement injuste, donc, parfaitement antidémocratique.

Tonio : Oui, bon, ça va. On a compris. Tu ne veux pas que le p’tit Mimi se présente. Ni lui, ni les autres. C’est toi qui décide qui peut ou ne peut pas être candidat.

Le maire : Et puis, tiens ! Tu imagines, le jour du scrutin : La table avec cinquante mille tas de bulletins différents ? Avant de trouver celui que tu cherches, tu en aurais pour un moment ! Et je te rappelle que normalement, avant de passer à l’isoloir, tu dois en prendre un de chaque.

Gégé : Ah, là, je dois reconnaître que tu n’es pas sot. Ça, c’est un argument. Eh ! Tonio ! Tu la vois, toi, la taille de la table ?

Tonio : Oui, bon, d’accord. Il faut limiter un peu. Mais si c’est juste pour éliminer les « p’tit Mimi », il n’y a pas besoin d’exiger cinq cents signatures. Il me semble que trois devraient suffire. Tu le vois, toi, le p’tit Mimi obtenir trois signatures ?

Gégé : Oui, trois, ça devrait suffire.

Tonio : Oui, trois, ça devrait suffire. Parce que dans le fond, cinq cents signatures, ce n’est pas pour dissuader les « p’tit Mimi », mais surtout pour éliminer les p’tits partis.

Gégé : Ah oui, tiens, je n’y avais pas pensé, à ça. Le candidat doit obligatoirement appartenir à un grand parti.

Tonio : Ou être soutenu par lui.

Gégé : Ce qui revient au même.

Tonio : Sinon, à la niche… Coucouche panier… Papattes en rond.

Gégé : Pour se faire élire, il faut se présenter. Pour se présenter, il faut être connu des élus.

Tonio : Un nouveau parti encore mal connu, pour se faire élire doit avoir l’accord de ses adversaires.

La patronne : Bah oui. Pour se faire élire, il faut être déjà élu.

Gégé : Est-ce que ce ne serait pas ça qu’on appelle une caste ?

Tonio : Oui, une caste. On pourrait aussi dire une secte.

Le maire : Oui, bon, c’est comme ça. Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? C’est la loi. Je n’y peux rien. Jeannine, remets-nous ça. Mais sans limonade.

Gégé : Tu as raison. La limonade, il ne faut pas abuser. C’est mauvais pour la santé.

Tonio : Oui, les bulles, ça gonfle et ça fait roter… De toute façon, toi, tu ne peux pas donner ta signature.

Le maire : Comment ça, je ne peux pas donner ma signature ? Si, justement ! Ce sont les maires qui donnent leur signature. Je suis maire, donc je peux donner ma signature.

Tonio : Ah… Oui ! Mais… Non. Pas toi. Précisément, pas toi.

Le maire : Et pourquoi pas moi ?

Tonio : Donner sa signature, cela consiste à soutenir un candidat, donc un parti ?

Le maire : Oui

Tonio : Et bien ça, tu ne peux pas. Tu n’en a pas le droit.

Le maire : Allons bon !

Tonio : Tu as bien été élu sur une liste d’entente communale ?

Le maire : Oui.

Tonio : Une liste apolitique ?

Le maire : Oui.

Tonio : Donc, tu ne peux pas soutenir un parti quel qu’il soit puisque tu es apolitique et que c’est sur ce critère que les gens t’ont élu.

Le maire : Hé ! Hé ! Hé ! Ma liste est apolitique. Mais moi, en tant que citoyen, j’ai quand même le droit d’avoir mes opinions !

Tonio : En tant que citoyen, oui, bien sûr ! Mais ce n’est pas l’avis du citoyen que l’on demande.

Gégé ; Sinon, on nous demanderait aussi le nôtre.

Tonio : Voila. Ce n’est pas l’avis du citoyen que l’on demande. C’est celui du maire et le maire, lui, il est apolitique.

Gégé : Et, étant apolitique, il n’a pas le droit de donner son avis.

Tonio : Un maire apolitique, pour donner son avis, doit démissionner.

Gégé : Et s’il ne démissionne pas, alors, il trompe ses électeurs.

Tonio : Il renie sa parole.

Gégé : Il la trahit.

Tonio : C’est ça. Donner sa signature quand on est apolitique, c’est une trahison.

Gégé et Tonio : (En défilant autour du maire, en tapant des pieds et en scandant comme dans une manifestation) Trahison ! Démission ! Trahison ! Démission ! Etc. (ils crient de moins en moins fort au fur et à mesure que la lumière baisse)

 

 

Noir

 

 Scène 11

 

Le changement, c'est maintenant.

 

(A la cantine. Une table.

Des gens, Milou, Josy, Malika, Laurent et Jojo,

 arrivent avec leur plateau et s'installent)

 

 

Jojo: (En s'asseyant le dernier) Bon, alors, quoi d'neuf?

Josy: Rien du tout. Il n'y a que Malika qui a refait son henné.

Malika: Ouais! Oh, ça va hein! Je suis allée chez le dentiste, aussi mais ça ne se voit pas.

Laurent: Et puis s'il y avait des choses neuves, on l'aurait remarqué.

Jojo: Rien qu'à la cantine, il faut bien reconnaître que ce n'st pas très varié.

Malika: Pas très varié... Pas très varié... Tu peux parler, toi. Tu prends tous les jours la même chose.

Jojo: Et alors, qu'est-ce que ça peut te faire?

Malika: Oh, je m'en moque bien. Mais je constate juste que tu ne manges pas très équilibré. Hé, regardez moi ça! Mais regardez moi ça! Charcuterie, viande en sauce, purée, fromage et un gâteau. Ni fruit, ni légume et pas de crudité.

Jojo: Mais de quoi je me mêle?

Malika: Tu sais, ce que j'en dis, c'est juste pour ta santé.

Jojo: Rassure-toi, je me porte très bien.

Malika: Pour le moment, certes. Mais tu avoueras que tous les jours de la charcuterie...

Jojo: Là, ce n'est plus de ma santé physique que tu t'inquiètes. C'est du repos de mon âme. Tu crains que je n'aille en enfer.

Malika: Ce n'est pas une affaire de religion. Que tu manges du porc, ça m'est bien égal. Malgré ça, si en entrée tu prenais des carottes ou du céleri, ou de la salade ou autre chose, ce serait quand même mieux.

Jojo: De temps en temps, je prends un œuf dur mayonnaise.

Malika: Ouais, bah c'est pas mieux.

Jojo: Ah si c'est mieux, ça change tout parce qu'avec, ils mettent toujours un petit bout de feuille de laitue

Josy: Non, mais! Ce n'est pas bientôt fini tous les deux? Vous n'allez pas commencer à vous chamailler pour rien!

Malika: Ce n'est pas de la chamaillerie, c'est un conseil.

Jojo: Tes conseils, tes conseils... Je fais ce que je veux, non!

Josy: On devrait les marier ces deux là.

Laurent: Oui, comme ça, ils se disputeraient à la maison et à la cantine, ils nous foutraient la paix.

Malika: Hein? Moi? Mariée? Avec lui? Ah bah non, alors. N'importe qui, mais pas lui.

Jojo: Vous voyez, elle ne veut pas de moi. Un vrai coup de chance parce que, justement, moi non plus, je ne veux pas d'elle.

Josy: Ah! Voila au moins un point sur lequel vous êtes d'accord. vous ne voulez de l'autre ni l'un ni l'autre. C'est comme ça qu'on construit les couples solides. Pas d'illusions, donc pas de désillusions.

Laurent: N'empêche que les menus ne sont pas très variés.

Malika: S'il n'y avait que les menus de la cantine qui ne sont pas très variés...

Jojo: Mais quelle râleuse, celle là, jamais contente.

Malika: Jamais contente... Jamais contente... Parce que toi tu trouves que ça change beaucoup les conditions de vie?

Josy: Ça, il faut bien admettre que les salaires, les prestations sociales et autre, ça n'évolue pas tellement.

Laurent: Et quand ça évolue, c'est dans le mauvais sens.

Milou: Ouais, bah justement. On vous le dit et on vous le redit mais vous ne voulez pas l'entendre. Si vous le voulez vraiment, le changement, c'est maintenant... Le changement c'est maintenant... Le changement, c'est maintenant.

Laurent: Attends; attends; attends. Le changement c'est maintenant. Oui, mais quel changement. Ça, vous ne le dites pas.

Milou: Hé! Ho! Ça va hein. Ne te fais pas plus idiot que tu n'es. Il n'y a pas plus bête que celui qui ne veut pas comprendre. Le changement, c'est le changement. Il y a deux cas de figure: Ou bien tu trouves que c'est très bien en l'état ou bien tu veux que ça change. Et le changement, c'est nous. Si les socio démocrates étaient élus, ça créerait un tel élan dans le pays que, les conditions n'étant plus les mêmes, ça ne pourrait que changer. Tout devrait changer.

Laurent: Je t'entends parfaitement. Tout devrait changer. Mais quoi, par exemple, qui devrait changer? Parce que pour promettre des changements, vous êtes forts, mais vous n'êtes pas capable de donner un seul exemple.

Milou: Mais, des exemples, il y en a des légions!

Laurent: Alors, donnes-en un seul. Rien qu'un seul. Vas-y. Rien que pour me faire plaisir.

Milou: Je ne sais pas, moi, par exemple... Euh...

Malika: Tout ça?

Josy: Oui, c'est trop. Tu nous impressionnes

Laurent: Bon, alors, voyons la chose autrement. Le lundi matin, le lendemain de votre victoire, vous faites quoi? Vous avez bien du le prévoir, ça.

Jojo: Passe-moi un bout de pain s'il te plait.

Milou: Non, mais...

Malika: Le lundi matin, tu es peut-être un peu exigeant. disons: Dans la première semaine.

Jojo: Il doit bien y avoir des choses que vous allez faire en urgence!

Milou: Oui, mais...

Jojo: Oui, mais quoi?

Milou: Je ne sais pas, moi, mais...

Laurent: Comment? C'est ton parti; tu milites pour lui; tu appelles à voter pour lui et tu ne sais pas ce que vous allez faire après la victoire?

Josy: Vous n'en parlez pas entre vous?

Malika: Les choses qui vous semblent les plus scandaleuses, les plus néfastes à la population, il doit bien y en avoir un certain nombre auxquelles vous envisagez de remédier tout de suite, dans les premières heures, les premiers jours, les premières semaines!

Milou: C'est plus compliqué que ça.

Josy: Si vous annonciez les points précis que vous allez modifier immédiatement, cela pourrait, peut-être, inciter davantage les gens à voter pour vous.

Milou: On ne peut pas savoir d'avance...

Laurent: Tu ne sais pas ce que les gens réclament?

Milou: Oui, mais après, ce ne sera plus pareil, la situation sera différente

Jojo: Tu vois, je sais bien que je ne suis pas très malin, mais j'ai quand même l'impression que tant que vous n'aurez rien changé, la situation sera la même. Malika, tu veux bien me verser de l'eau?

Josy: Malika, allons, le verre de ton soupirant est vide et tu ne le sers même pas.

Malika: Ah! ça va avec ça!

Milou: Oui, mais vous ne comprenez pas.

Jojo: Tout de même, si vous nous faisiez une petite liste des situations que vous allez réformer, on y verrait plus clair. Je ne sais pas, moi, vos projets précis pour le premier mois, la première année et l'ensemble du mandat.

Milou: Vous ne voudriez tout de même pas que nous en revenions à l'époque des programmes en dix, douze ou je ne sais trop combien de points? C'est dépassé, ça. C'est le moyen âge de la politique! Ça ne se fait plus. c'est tellement démodé. Passe moi le sel.

Jojo: Non.

Milou: Allez, ne fais pas l'imbécile!

Jojo: Non. Pas avant que tu n'ais dévoilé vos projets.

Milou: Mais qu'il est bête: Allez, donne.

Jojo: Le programme d'abord. Pas de programme, pas de sel.

Josy: Et ce sera meilleur pour tes artères.

Milou: Ah, mais, passez moi ce sel! (Se tournant derrière un paravent): Vous voulez me prêter votre sel, s'il vous plait?

Josy: Non, non! Ne lui donnez pas! On le lui a confisqué. C'est mauvais pour sa santé.

Laurent: Remarquez, je comprends son embarras.

Malika: Ah bon? Tu crois que le lendemain de l'élection ils vont réaliser plein plein plein plein de choses pour nous rendre heureux mais qu'ils ne peuvent pas nous le dire parce que c'est pour nous faire une surprise?

Laurent: Ah ça, je ne sais pas. Eh? tu veux le sel? Et le poivre en plus?

Milou: Vous êtes trop bêtes. vous m'agacez.

Josy: Il va bouder, tu vas voir.

Laurent: J'ai une autre idée:

Jojo: Dis voir?

Laurent: Voila: Il nous a dit que l'époque des programmes en "n" points était révolue. Alors, pour être plus modernes, ils ont retiré un point, puis un autre puis encore un autre. Du coup, maintenant, ils ont un programme qui n'a plus de points du tout. Alors, bien sûr, c'est beaucoup plus moderne! Mais plus difficile à exposer.

Jojo: (En riant)J'imagine la fête de l'école. Quand tu arrives, on te vend un programme avec dessus un joli dessin fait par un enfant. Et dedans, il n'y a rien. C'est un programme en zéro points.

Josy: Oui, c'est ça. Les gens arrivent, ils s'installent... Bon... tout ça... et on leur joue le programme en zéro z'épisodes. Remarquez, c'est vite fait. Alors, les gens sont très contents. Rien n'a été loupé; tout c'est passé comme prévu. Les gens applaudissent très fort et ils s'en vont.

Jojo: Remarquez, dans un programme en zéro points, il vaut mieux ne rien faire. Sinon, vous imaginez la déception? Il ne devait rien se passer et voila qu'il se passe quelque chose. c'est très laid! Ça.

Malika: Et les gens ne sont pas contents! Ouais! Il ne devait rien y avoir! On nous a trompé! Il faut nous rembourser.

Josy: Oui, bien sûr et ils crient: Remboursez! Remboursez! Remboursez!

Milou: Vous êtes vraiment de mauvaise foi. Puisqu'on vous dit que le changement c'est maintenant, c'est que le changement c'est maintenant. Vous trouvez que tout va bien, vous, en ce moment? vous voulez que ça change? Alors, en ce moment, nous en avons la possibilité. Le chang'ment, c'est maint'nant! (se levant et criant) Le chang'ment, c'est maint'nant! Le chang'ment, c'est ...

Jojo: Eh! Arrête! Tu vas nous faire mettre à la porte. En guise de changement, je n'ai pas très envie de me faire exclure de la cantine!

Milou: Vous n'êtes que de sales conservateurs. Vous ne voulez pas que ça change. On vous l'aura dit, hein! Si vous voulez le changement, c'est avec nous. sinon, vous n'aurez qu'à vous en prendre à vous même. Nous vous disons que nous sommes, que nous incarnons l'essence même du changement. si vous revotez pour les mêmes, vous aurez la même chose.

Laurent: Là, il a parfaitement raison. Les mêmes, ce sont les mêmes. Mais quand j'y pense, j'en arrive à cette remarque qui peut sembler saugrenue.

Malika: Ah oui? alors, vas-y pour ta remarque saugrenue.

Laurent: Jusqu'à preuve du contraire, si un chef d'une opposition se présente à une élection, c'est, a priori, parce que les électeurs pensent qu'on pourrait conduire la politique de la cité autrement. Vous l'imaginez, vous, le chef de l'opposition qui dirait: Votez pour moi et je ne changerai rien. Les gens qui sont satisfaits de leur sort voulant proroger la situation en place votent naturellement pour le parti sortant. Il est donc normal qu'un candidat d'opposition ne puisse s'adresser qu'à des mécontents. Il s'en suit qu'un candidat d'opposition, quel qu'il soit, ne pouvant pas promettre la continuité, ce qui serait absurde, ne peut parler que de changement. Un candidat d'opposition ne peut être, par nature, par essence et par définition qu'un candidat de changement. Du coup, ne se définir que comme étant une modification, comme cela ne peut pas être autre chose, cela revient à enfoncer une porte ouverte.

Malika: Bah dis donc, quand tu dis des choses saugrenues, toi, tu ne perds pas ton temps.

Laurent: Pour un homme politique d'opposition, ne se définir que comme un éventuel changement, c'est comme une bergerie de moutons ou des gants pour les mains. Ce n'est pas un programme, c'est un pléonasme.

Jojo, Malika, Josy: (ensemble et en désordre) Ouais! Bravo! Il est fort! Vive lui! C'est le meilleur! (etc.)

Jojo: Ce n'est pas un programme, c'est un pléonasme. Il faudra que je m'en souvienne pour le resservir plus tard.

Josy: Tu ne veux pas que je t'épluche ton orange?

Milou: Vous n'êtes vraiment qu'une bande de réacs.

Laurent: Et en y réfléchissant bien, il me semble qu'on pourrait aller plus loin dans le raisonnement.

Josy: Oui, vas-y! Réfléchis-y encore bien!

Jojo: C'est ça. Juste histoire d'aller un peu plus loin dans le raisonnement.

Malika: rien que pour faire plaisir à Milou.

Milou: Et allez donc! On continue allez-y les conservateurs!

Laurent: Si un homme politique d'opposition est élu en promettant uniquement le changement, comme cela implique qu'il n'avait qu'un programme en zéro points, il ne change rien. Déjà, ça, c'est un changement qui consiste à ne rien changer. C'est donc un abus de confiance.

Jojo: C'est vrai, ça.

Laurent: Cependant, on ne peut pas lui reprocher de n'avoir rien changé.

Malika: Ah bon? et pourquoi donc?

Laurent: Il y a une chose qui a fondamentalement changé.

Josy: Et quoi alors?

Laurent: L'équipe ministérielle. Elle, elle a complètement changé.

Jojo: (avec fougue) Et alors? Qu'est-ce que ça change? puisque tu nous as dit que promettre le changement qui ne change pas c'est un pléonasme et que ne vouloir être qu'un changement en zéro points qui ne change rien cela revient à échanger le changement contre une absence de changement.

Josy: Oh! bravo! Il a tout compris! Si tu deviens, comme ça un grand intellectuel, tu vas plaire encore plus à Malika;

Malika: Ah! bah non alors!

Jojo: Bah quoi? (à Laurent) C'est pas c'que t'as dit?

Laurent: Si, si! en substance.

Jojo: Ah! (à Josy) Tu vois... En substance.

Laurent: Si l'équipe ministérielle et la présidence changent sans que cela n'entraîne aucune modification notable pour le reste de la population, cela implique que ce qu'ils attendaient en guise de changement n'était en somme qu'un changement pour eux, une promotion personnelle, autrement dit, un aboutissement de leur carrière.

Jojo: Ils voulaient juste être chef à la place du chef.

Laurent: Voila. Je n'osais pas le dire. Utiliser comme subterfuge l'ambigüité du mot changement pour, simplement, assouvir son narcissisme profond n'est dans le fond qu'une escroquerie intellectuelle.

Jojo: Voila. J'ai compris. Quand ils sont au pouvoir à la place de ceux qui auraient voulu y rester, comme c'est justement ça qu'ils recherchent et qu'ils aiment, ils ne se sentent plus pisser.

Malika: Ce n'était pas la peine de le dire de façon aussi grossière.

Josy: Là, Jojo, tu n'aurais pas du. Tu vois, Malika veut moins t'épouser.

Laurent: Reste une dernière problématique. Lorsqu'un homme ou une femme politique se présente de cette façon, il y a deux possibilités. Ou bien il le fait sciemment, ou bien il ne s'en rend pas compte. S'il le fait exprès en ayant bien mesuré tout ce que nous venons de dire, c'est un aventurier égoïste qui, pour sa gloire personnelle ne recule pas devant l'escroquerie. On ne peut donc pas lui accorder une grande confiance.

Jojo: Ah bah non, alors!

Laurent: S'il n'a pas pensé à tout ça, cela implique qu'il ne compte un peu que sur le hasard et qu'il n'est somme toute, pas très malin.. En conséquence, nous serions bien mal inspirés et bien imprudents de remettre notre sort entre ses mains et de nous inféoder à un esprit si peu pertinent.

Jojo: Voila. Tu as tout dit. Si un candidat nous annonce un changement sans dire lequel, il ne faut surtout pas le suivre puisque c'est soit un escroc soit un imbécile qui, pour nous tromper utilise des arguments pléonasmatiques.

Josy: Malika, tu peux vraiment épouser Jojo.

 

 

Noir

 

 

  

Scène 12

 

L’abri de bus

 

(Un abri de bus. Il pleut.

Trois passagers une passagère).

 

Premier passager : C’est sûr, ils ont encore supprimé des bus !

Deuxième passager : Sans doute ! Ils veulent faire des économies.

Premier passager : Des économies… C’est toujours les mêmes qui les paient, les économies.

La passagère : Heureusement, il va bientôt y avoir des élections. Si les gens réfléchissent un peu…

Troisième passager : Parce que vous croyez que ça va changer quelque chose ?

La passagère : Ah, évidemment, si les gens revotent pour les mêmes, ça ne risque pas de changer.

Premier passager : Et si les mêmes sont réélus, ils se diront qu’on leur donne raison. Alors, ils feront pire.

Troisième passager : Oui, bien sûr. Tandis que si c’est la gauche qui passe, vous allez voir. Ils vont vouloir tout contrôler. Ils vont supprimer toutes les libertés.

Deuxième passager : Parce que vous trouvez qu’on est libre en ce moment ? Libres d’avoir des bus, par exemple.

Troisième passager : Si c’est la gauche, il y aura peut être des bus, mais on n’aura plus le droit de les prendre.

La passagère : Allons bon et pourquoi ?

Troisième passager : Pour prendre le bus, il faudra avoir la carte du parti.

Deuxième passager : Et puis, avec ces abris trop petits, avec le vent, on n’est même pas protégés de la pluie.

La passagère : Justement, si vous voulez que ça change, il faut changer de gouvernement.

Troisième passager : Ouais, c’est sûr ! Si on change de gouvernement, ils nous agrandiront notre abri de bus.

Deuxième passager : Bon, d’accord. Pas le lendemain matin, mais le jour suivant, c’est promis !

La passagère ; Vous faites comme vous préférez, mais si vous voulez que ça continue pareil, vous n’avez qu’à revoter pour les mêmes.

Deuxième passager : Ceux là ou d’autres, qu’est-ce que ça changera ?

Troisième passager : On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on risque.

La passagère : Parce que vous croyez que ça pourrait être tellement pire ?

Troisième passager : En tous cas, si la gauche passe, moi, je sais ce qu’il me reste à faire.

Deuxième passager : Ah oui ? Quoi donc ? Prendre le maquis ?

Troisième passager : Non, mais je tiens trop à ma liberté. Si la gauche passe, Je sais que je n’ai pas le choix. Il faut quitter le pays.

 

Noir

 

Scène 13

 

La pause café

 

(Une machine à café

Un chef de service, Jérémie, un délégué syndical).

 

Le délégué : Et toi ? Tu prends quoi ?

Jérémie : Long sucré.

Le chef (qui arrive) : Ça, c’est le flagrant délit.

Le délégué : Hé ! Ho ! C’est notre moment de pause. C’est tout à fait règlementaire.

Le chef : Je ne vous parle pas de ça. Je me garderais bien de porter ombrage aux sacro saintes conquêtes syndicales.

Le délégué : Ouais ! Ce n’est pas parce que tu as gagné quelques galons que tu es obligé de renier tes origines prolétariennes

Le chef : Je ne renie rien. Je dis juste que je viens d’être témoin d’un flagrant délit.

Jérémie : Un délit de quoi ?

Le chef : Je n’ai que le choix : Concussion, prévarication, clientélisme, subornation etc. etc. etc.

Jérémie : Qu’est ce qu’il raconte ?

Le délégué : Ne cherche pas, c’est de la provocation.

Jérémie : De la provocation ?

Le délégué : Oui, de la provocation de sbire à la solde du pouvoir patronal. C’est la manœuvre habituelle pour dévoyer les masses laborieuses et désolidariser les représentants syndicaux de leurs bases.

Le chef : Et ça, c’est le verbiage habituel par lequel tout bon délégué refuse le dialogue quel que soit le sujet… Et tout ça pour refuser de reconnaître un flagrant délit. Au début, je disais ça pour plaisanter, mais, peu à peu, je commence à me poser des questions.

Le délégué : Bien sûr, bien sûr. Mais enfin, des questions sur quoi ?

Le chef : Tu étais bien en train de lui payer son café ?

Le délégué : Oui, et alors ? C’est interdit par la convention collective ?

Le chef : C’est de la concussion. Tu achètes des voix pour la prochaine consultation professionnelle.

Jérémie : Mais, qu’est ce qu’il dit, lui ? Hé, ce n’est pas parce que tu es devenu chef qu’il faut nous embrouiller avec des mots, hein !

Le chef : Et toi, ce n’est pas mieux. Tu te laisses acheter avec de la pacotille. Tu perds, pour un rien, ta liberté de penser et ton indépendance d’esprit. Pour une valeur insignifiante, tu vends ton âme au diable.

Le délégué : C’est moi ? Le diable ?

Le chef : Le diable lui-même, je n’irai pas jusque là. Mais un sous fifre diabolique, je ne dis pas… Un suppôt de Satan de classe inférieure.

Jérémie : Oui, bien sûr. Et il est entendu que la classe supérieure, c’est toi. Même là, tu fais partie de ceux qui sont bien vus.

Le chef : Je…

Jérémie : Le dessus du panier.

Le chef : Je…

Jérémie : Le gratin.

Le chef : Mais je…

Jérémie : Ceux qui commandent.

Le chef : Tu me laisse…

Jérémie : Mais bien sûr, quand on est chef, on est chef.

Le chef : Je te…

Jérémie : Chef un jour, chef toujours !

Le délégué : Ça, c’est bien dit. Bien envoyé. Chef un jour, chef toujours. Ouais, ça, c’est bien. Oui, c’est bien dit ; et tellement vrai, en plus !

Le chef : Oh ! Je pourrais en placer une de temps en temps ?

Jérémie : Mais je t’en prie, chef.

Le délégué : Parle ! Parle ! C’est toi le chef.

Le chef : Je disais que quelqu’un de malintentionné pourrait, avec beaucoup de mauvaise foi et une évidente volonté de nuire, considérer que toi, Valentin, tu monnaies la reconnaissance de Jérémie en lui offrant des cafés, moyennant quoi, à la prochaine occasion, tu attendras de lui qu’il vote ta motion en lui rappelant que tu es son ami, qu’il peut compter sur toi, qu’il peut compter sur toi et que là, même s’il ne comprend pas pourquoi, il peut te faire confiance les yeux fermés.

Jérémie : Et tout ça pour un café long sucré.

Le chef : Quant à toi, ce n’est pas mieux. Sans t’en rendre compte, tu lui es redevable. Tu es son débiteur. Tu viens de t’aliéner ton droit de lui dire non.

Le délégué : Ça, c’est bien un discours de conservateur. Tous les moyens sont bons pour salir et discréditer la confraternité propre aux victimes du patronat.

Jérémie : Plus simplement, je te signale que hier, il n’avait pas de monnaie et que c’est moi qui lui ai payé son café. Donc, je lui avais fait une avance. Il me le devait. Il ne faisait rien d’autre que me payer sa dette.

Le chef : Oui, bon, ça va ! Je vous rappelle que je disais ça pour plaisanter, pour rire.

Le délégué : Et si tu ajoutes, au cas où tu aurais oublié que Jérémie, c’est mon beau frère…

Le chef : Ton beau frère ?

Le délégué : Oui, c’est le frère de ma femme.

Le chef : Ça, je ne savais pas.

Jérémie : Bah quand on ne sait pas, on se tait.

Le chef : Bon, ça va, c’est un détail.

Le délégué : Bien sûr, si dans ton monde de conservateurs il n’est pas dans vos coutumes de s’offrir le café entre beaux frères, nous te comprenons.

Jérémie : Hé, Val ! Tu te rends compte, chez eux, quand la famille se réunit pour les fêtes de fin d’année, ils font bien attention que tous les participants paient strictement chacun leur part.

Le délégué : Normal ! Ce sont des gens biens.

Jérémie : Des gens comme il faut.

Le chef : Bon, parlons d’autre chose. Mais il faut quand même remarquer qu’il y a une qualité dont vous manquez vraiment.

Jérémie : Et quoi donc ?

Le chef : Le sens de l’humour.

Le délégué : Tu vois comme ils sont les réacs. Quand, dans la conversation, il devient trop visible qu’ils ont tort, ils tournent tout à la dérision.

Jérémie : Ouais, ils disent qu’ils n’ont pas dit ça.

Le chef : Et vous, les gens de l’opposition, vous êtes tellement mieux… Et justement, les gens ne s’y trompent pas. Vous n’êtes pas au gouvernement, vous êtes dans l’opposition. Les citoyens savent bien que vous n’êtes que forts en gueule mais que vous seriez bien incapables de diriger le pays.

Le délégué : Là, tu es sur un terrain mouvant. Tu vas voir aux prochaines élections. Toute votre bande de droite, là, elle va sauter. On va vous renvoyer tout ça dans ses foyers !

Le chef : Ah bon ? Tu en es sûr de ça ?

Le délégué : Evidemment ! Le pays tout entier n’en peut plus de supporter cette droite archaïque et réactionnaire.

Jérémie : Ça ne peut pas durer toujours comme ça !

Le chef : Si la gauche arrive au pouvoir, selon les cas, si elle est réaliste, elle ne changera rien et si elle change quelque chose, ce sera pour tout casser et faire largement pire.

Le délégué : Vous devez croire sans doute que le pouvoir vous appartient, que vous en êtes propriétaires ; mais, attendez. Aux prochaines élections… Plouf ! Dans le trou !

Le chef : Tu sais, Valentin, il y a un proverbe qui dit qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Alors, « plouf dans le trou », on verra bien qui va y tomber.

Le délégué : Mais, ne vois-tu pas que la population n’en peut plus de vous ? Qu’elle vous vomit de toutes ses tripes !

Le chef : Justement, tu verras que cette population qui nous vomit de toutes ses tripes trouvera plus intelligent et plus prudent de nous renouveler sa confiance. Ce n’est que renforcés que nous sortirons de l’épreuve.

Le délégué : Renforcés ? Ce qui veut dire que si vous gardez le pouvoir, vous irez encore plus loin ?

Le chef : Bien sûr ! Le gouvernement réélu pourra enfin, grâce à l’appui populaire, mener à bien toutes ces réformes que les criailleries de la rue ont tenté de ralentir et de contrecarrer.

Le délégué : Tu vois, s’ils reviennent, ils le disent sans se cacher, ils le proclament sans pudeur et sans honte, ils feront pire.

Le chef : Ils accompliront plus complètement et plus définitivement ce qui est le bons sens le plus élémentaire. Et cette fois-ci, ils iront jusqu’au bout.

Le délégué : Oui, c’est ça. Un état encore plus policier, les droits les plus élémentaires bafoués et les conquêtes sociales les plus fondamentales remises en cause et finalement supprimées.

Le chef : Un peu d’ordre n’a jamais fait de mal à personne.

Le délégué : En tous cas, si la droite passe, moi, je sais ce qu’il me reste à faire.

Le chef : Ah oui ? Quoi donc ? Prendre le maquis ?

Le délégué : Non, mais je tiens trop à ma liberté. Si la droite passe, je sais que je n’ai pas le choix. Il faut quitter le pays.

 

Noir



 

Scène 14

Le vote utile.

Les deux vieilles. (Ninie raccommode des vêtements)

 

Ninie : Et toi, en définitive, tu vas voter pour qui ?

Coco : Outre le fait que le vote est, comme on apprenait autrefois en instruction civique…

Ninie : Oui, je sais.

Les deux : Confidentiel et secret afin de garantir l’indépendance et la sécurité des votants. Le vote est un droit imprescriptible de toutes les citoyennes et tous les citoyens non privés de leurs droits civiques par la loi du 21 Avril 44…

Coco : Tu te souviens de Madame Maurin en classe de certificat d’études ?

Ninie : Oui, quand elle parlait de la République, elle se levait et se tenait droite comme un « i » comme si elle était au « garde à vous ».

Coco : Dans une autre vie, elle avait du être adjudant d’infanterie. Avec, elle, ça ne plaisantait pas.

Ninie : Pour elle, la république, c'était la république. Il faut dire que son mari avait été fusillé comme otage en quarante trois.

Coco : N’empêche, c’était une sacrée bonne femme.

Ninie : Hé ! C’est quand même grâce à elle que nous avons eu le « certif ». Tu ne m’as pas répondu

Coco : Quoi ?

Ninie : Tu vas voter pour qui ?

Coco : Si, je t’ai dit : Outre le fait que le vote…

Ninie : Oui, ça, tu l’as déjà dit.

Coco : Ah, tu vois !

Ninie : Mais tu vas voter pour qui ?

Coco : Tu ne m’as pas laissée terminer.

Ninie : Bon, bah termine !

Coco : Outre que Gna, gna, gna… Gna, gna, gna ! Cela ne te regarde pas.

Ninie : Que tu es bête ! Tu me connais !

Coco : Justement. Toi, quand on te fait une confidence, Dans le quart d’heure qui suit, tout le quartier est au courant.

Ninie : Ça, c’est pas vrai.

Coco : Effectivement, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas dans le quart d’heure, c’est dans les dix minutes. Si on veut répandre, en urgence, une nouvelle, il n’y a qu’à te la glisser à l’oreille en te faisant promettre le secret.

Ninie : Bon, alors, tu votes pour qui ?

Coco : J’hésite encore.

Ninie : Bon, procédons par élimination. Tu ne votes pas pour Fayet.

Coco : Là, tu m’offenses. Tu me vois voter pour l’extrême droite ?

Ninie : Non, mais c’était une simple confirmation. Tu ne votes pas non plus pour Rasini.

Coco : Non.

Ninie : Donc, tu votes pour Maréchal.

Coco : Hein ? Moi ? La mère Maréchal ? Ça ne va pas, non ? Plutôt crever !

Ninie : Bah qui, alors ?

Coco : Le choix est encore large. Il y en a onze en tout.

Ninie : Oui, mais les autres, ce n’est pas sérieux.

Coco : Pas sérieux… Pas sérieux… C’est toi qui le dis.

Ninie : Tu ne vas quand même pas voter pour le conducteur de locomotives ?

Coco : Je ne sais pas encore. J’hésite entre lui et la caissière du super marché. Tu ne voudrais pas poser tes ciseaux ?

Ninie : Encore pire. Tu es folle. Tu dis ça pour me faire marcher ? Hein, avoue. Tu dis ça pour te moquer de moi ?

Coco : Non, je te dis, je n’ai pas encore décidé entre les deux. Je ne suis pas très sûre d’être d’accord avec chacun d’entre eux, mais ce sont les deux les moins épouvantables. Pose tes ciseaux.

Ninie : C’est bien ce que je dis. Tu es folle.

Coco : Bon, tu les poses tes ciseaux ? Là, voila comme ça. Je me sens plus tranquille. Je n’arrive pas à me déterminer, mais je crois bien que je vais voter pour Richalet.

Ninie : Oui, c’est bien ce que je dis. Le gros conducteur de locomotives.

Coco : Tu as quelque chose contre les cheminots ?

Ninie : Non, mais…

Coco : Et contre les gros ?

Ninie : Non, mais tu ne vas quand même pas voter pour lui ?

Coco : Bah si.

Ninie : Mais il n’a aucune chance !

Coco : Ça y est. Elle a encore repris ses ciseaux. Donne-moi ça.

Ninie : Il n’a aucune chance.

Coco : Attends, attends, attends. Je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Je te parle de l’élection. Je ne suis pas en train de jouer au tiercé ou au loto. Je ne cherche pas qui sera le bon numéro en espérant gagner un lot. J’essaie d’exprimer mon espérance politique.

Ninie : Oui, mais il ne peut pas être élu.

Coco : Et alors ?

Ninie : Et alors, tu gaspilles ton bulletin. C’est comme si tu le mettais à la poubelle.

Coco : Non, c’est comme si je disais ce que je pense. Remarque, ce que je pense, on le met souvent à la poubelle. J’ai l’habitude. Mais ça ne m’empêche pas de continuer.

Ninie : Mais enfin, si tu votes Richalet, ta voix risque de manquer à un autre mieux placé.

Coco : Mais, ma chère, c’est précisément pour cela que je le fais. Tu voudrais me voir voter pour qui ?

Ninie : Je ne sais pas, moi. Maréchal ! Tu peux me prêter mes ciseaux ?

Coco : Et bien, précisément, Maréchal ne me plait pas, mais alors, pas du tout, du tout. Donc, je ne vais pas voter pour elle au risque de la faire élire et, en toutes circonstances, élue ou non, lui laisser croire qu’elle a beaucoup de partisans.

Ninie : Et tu n’as pas envie de barrer la route à Rasini ?

Coco : J’aimerais bien, mais ce n’est pas en votant pour la mère Maréchal que ça changera grand-chose. Imagine. Tu es dans la brousse. Tu es attaquée d’un côté par un léopard et de l’autre par un boa. Est-ce que pour échapper au boa tu vas te jeter dans les griffes du léopard ? Moi, je préfère tenter de m’allier avec le petit berger qui passe par là. Il y avait autrefois dans la mer deux rochers terribles ; Charybde et Silla. Souvent, les marins, pour échapper à l’un allaient se fracasser sur les abords de l’autre. L’expression en est restée et ne dit-on pas encore tomber de « Charybde en Silla » ?

Ninie : Donc tu préfères laisser passer Rasini.

Coco : Je n’ai pas envie de choisir entre la peste et le choléra.

Ninie : Et tu ne veux pas voter contre Rasini.

Coco : (Elle prend la paire de ciseaux et va la poser par terre deux mètres devant). Je ne veux pas voter contre quelqu’un ; je veux voter pour mes idées. Je ne veux pas voter contre, je veux voter pour. Je ne veux pas m’exprimer de façon négative, mais de façon positive.

Ninie : Tu as toujours été une extrémiste.

Coco : Et puis, ne m’échauffe pas trop les oreilles. Sinon, suivant tes conseils, si j’ai bien compris, pour voter contre Maréchal, je risquerais de voter Rasini.

Ninie : C’est bien ce que je dis. Tu es une extrémiste.

Coco : La question que l’on me pose, ce n’est pas contre qui voulez-vous voter mais pour qui voulez-vous voter. Donc, je réponds à la question. Je dis pour qui je veux voter. Je sais très bien qu’il ne sera pas élu. Mais celui qui gagnera les élections, quel qu’il soit et dans toutes les circonstances, saura qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec lui et qui ne se sont pas laissés endormir.

Ninie : Tu ne veux pas que ton vote soit utile ?

Coco : Je ne veux pas que mon vote soit suicidaire.

Ninie : Suicidaire… (Elle ramasse ses ciseaux et avec une attitude menaçante) Tu es vraiment une extrémiste.

 

Noir




Scène 15

 

L’abstention.

 

(Trois ménagères : Lucette, Angèle et Maria revenant du marché

Puis deux jeunes hommes Kévin et Bédi)

Les trois femmes entrent et se dirigent vers les boites aux lettres.

 

Lucette : (Sortant un gros tas de papier) Regardez-moi ça ! Mais regardez-moi ça ! Rien que de la publicité. Allez hop… Poubelle !

Angèle : Attends ! Il y a les présentations des candidats aux élections.

Lucette : C’est bien ce que je dis. Rien que de la publicité.

Angèle : Mais, tu ne regardes pas ? Tu as déjà décidé ?

Lucette : Oui, j’ai déjà décidé, et depuis longtemps. Moi, je ne vote pas. Je n’ai jamais voté.

Angèle : Jamais ?

Lucette : Jamais.

Angèle : Depuis toujours ?

Lucette : Depuis toujours.

Angèle : Et tu n’as pas l’impression de ne pas faire partie de la vie ?

Lucette : Non, pourquoi, je devrais ?

Angèle : Maria, explique-lui. Moi, ça me dépasse.

Maria : Chez nous, mon mari va toujours voter. A chaque fois qu’il y a une élection, il y va.

Angèle : (à Lucette)Ah ! Tu vois ? (à Maria) Ton mari va voter, mais, toi aussi.

Maria : Moi ? Non. Puisque c’est lui qui y va.

Angèle : Attends, attends, attends. Ce n’est pas parce que ton mari vote que toi tu ne peux pas.

Maria : Si, chez nous, nous nous sommes mis d’accord. C’est lui qui va voter.

Angèle : Et c’est comme ça depuis que vous êtes mariés ?

Maria : Oui, depuis plus de vingt ans.

Angèle : Mais avant que tu ne soies mariée ?

Maria : Ah ! Avant, c’était différent. Avant, c’était mon père.

Angèle : Donc, tu n’as jamais voté.

Maria : Non.

Angèle : Mais tu sais que tu as le droit de voter aussi ?

Maria : Oui, mais ce n’est pas la peine puisque mon mari y va.

Angèle : Tu sais qu’autrefois, les femmes se sont battues pour obtenir le droit de vote. Elles ne l’ont obtenu, chez nous qu’en mille neuf cent quarante cinq. Dans d’autres pays, elles votaient déjà depuis longtemps mais chez nous, cela a été plus long et plus difficile. Maria, tu as le droit de voter même si ton mari le fait déjà. Et tu n’es même pas obligée de voter comme lui.

Maria : Ah bah si ! Si je votais, je voterais comme lui. C’est même pour ça que ce n’est pas la peine.

Angèle : Je te dis que tu n’es pas obligée. Ton mari peut avoir ses idées, toi les tiennes et Lucette les siennes.

Lucette : Moi, je n’y comprends rien.

(Entrent Kevin et Bédi)

Angèle : Tenez, les jeunes, eux au moins, ils votent. Ils expriment leurs revendications

Kévin: Ouah ! Voter ? Oh ! Ça va pas la tête ? Je vote pas, moi, je suis libre ! Et toi Bédi, tu votes ? Toi ?

Bédi : Voter ? Moi ? Non, je peux pas !

Kévin : Tu vois, moi je suis libre et lui, il ne peut pas.

Angèle : Et pourquoi est-ce que tu ne peux pas,

Bédi : Eh ! Elle, elle demande pourquoi je ne peux pas. Moi, je ne peux pas. Non, je ne peux pas parce que moi, j’ai la haine !

Kevin : Oui, voila. Moi aussi. Je suis libre et aussi, j’ai la haine.

Bédi : Ouais. J’ai la haine. Je suis un rebelle.

Angèle : Justement, si tu es un rebelle et que tu as la haine, tu devrais…

Bédi : Ceux qui votent, c’est ceux qui sont d’accord : Ceux qui z’ont pas la haine.

Kévin : Ouais, il faut avoir la haine et être des rebelles : Des rebelles qui ont la haine.

Angèle : Mais la haine de quoi ?

Bédi : De tout ce qu’ils font ceux là qui z’ont pas la haine.

Kévin : Tous ceux qui n’ont pas la haine, ce sont des petits toutous. On leur dit : vas voter. Alors, ils vont voter. Tandis que nous, nous sommes des rebelles. Nous, c’est désobéir ! Nous, si on nous dit : va voter, nous, c’est le refus. Nous, c’est la rébellion.

Angèle : J’ai bien compris. C’est par révolte, par rébellion que vous ne votez pas.

Bédi : Oui, voila. Et pour te révolter aussi, tu devrais faire comme nous.

Angèle : Ta révolte, ta liberté, ta haine, en ne votant pas, tu les gardes pour toi. Et si tu mettais toute cette révolte, cette rébellion, cette envie de vivre mieux, cette passion dans ton bulletin de vote, tu ne crois pas que cela aurait un peu plus d’influence et d’efficacité ?

Maria : Mais pour qui veux-tu que l’on vote ?

Angèle : Ah ça, c’est ton affaire. Tu votes pour qui tu veux, pour celui qui te semble le plus proche de tes vrais problèmes.

Kévin : N’importe comment, ils sont tous pareils. Tu votes pour un, il te met le doigt dans l’œil. Tu votes pour l’autre, il te met aussi le doigt dans l’œil.

Bédi : Et c’est pour ça qu’on a la haine.

Angèle : Alors, il faut que ton vote dise clairement que tu ne veux ni l’un ni l’autre.

Bédi : Ouais, bah c’est ce que je fais. Je n’y vais pas. Je ne me déplace même pas. Moi, je suis au dessus d’eux. Je les méprise.

Angèle : C’est là l’erreur. Je vais vous donner mon avis. C’est juste mon avis, hein ! Vous faites comme vous voulez mais, c’est mon avis quand même.

Bédi : Ouais, donne ton avis, mais moi, j’ai la haine.

Maria : Alors si tu es si fine, dis nous comment, selon toi, nous pourrions voter sans être trompés.

Angèle : S’il y a un candidat qui te convient, quel qu’il soit, alors, il n’y a aucune hésitation : tu votes pour lui.

Lucette : Oui, mais s’il n’y en a pas ?

Bédi : Oh attends ! Hé, laisse la parler !

Angèle : S’il n’y en a pas, tu vas voter et tu mets dans l’urne un bulletin blanc.

Kevin : Ça ne sert à rien puisque on n’en tient pas compte.

Angèle : C’est là qu’est l’erreur. C’est ce qu’on voudrait bien nous faire croire. Mais c’est faux ; c’est un mensonge. En fait, c’est très important. Oh, bien sûr, s’il y a un pour cent de bulletins blancs, c’est dérisoire. Mais s’il y en a beaucoup… Vous y avez pensé, vous, à la situation s’il y en a beaucoup ?

Bédi : Je ne vois pas ce que ça change.

Angèle : Justement, ça change tout.

Kévin : Ça change que, comme tu as voté, tu ne peux plus avoir la haine.

Angèle : C’est le contraire. C’est là que tu auras fait savoir ta révolte.

Maria : Et pourquoi ?

Angèle : Il y a deux choses.

Bédi : En plus?

Kévin : Oui, en plus.

Angèle : A l’heure actuelle, quand il y a une élection, beaucoup de gens ne se déplacent pas. Du coup, les hommes politiques en profitent pour accuser la population : « Oui, regardez ! Les gens se désintéressent de la vie de la société ! Ils n’assument pas leur devoir de citoyen ! Ce n’est tout de même pas de notre faute, à nous, si tout va mal puisque les gens manquent du civisme le plus élémentaire ! Comment voulez-vous que nous fassions bien notre travail d’élu si la population ne se sent pas concernée ? Ça va mal, oui, ça va mal mais c’est pas d’not’ faute ! C’est pas d’not’ faute ! C’est pas nous, M’sieur, c’est eux. » Et le pire, c’est qu’ils ont plus ou moins raison. Alors, prenons-les au mot. Si tous les gens qui ne votent pas se rendaient aux urnes pour, précisément, affirmer qu’ils ne veulent plus de cette vaste mascarade, s’ils se rebellaient effectivement en allant, par leur vote, exprimer qu’ils ne sont pas dupes, cela changerait déjà un peu quelque chose. Les hommes politiques ne pourraient plus accuser la population de manque de civisme. Et, si les citoyens ne faisaient plus preuve de manque de civisme mais que ça ne fonctionne quand même pas mieux… Alors, à qui serait-elle imputable la faute ?

Kevin : Bon, d’accord, si tu veux. Ça fait un changement. Et après ?

Bédi: Quoi après?

Kevin: Bah, elle a dit qu'il y avait deux choses.

Angèle : Ah! Ça fait plaisir. Il y en a au moins un qui suit.

Kevin: Ouah! J'suis un cerveau, moi!

Angèle: A l’heure actuelle, dans une élection, il y a beaucoup d’abstention mais très peu de bulletins blancs. Le nombre de bulletins blancs est donc dérisoire dans le résultat. Que pense celui qui est élu ?

Bédi : Il pense qu’il va être tranquille pour un moment.

Angèle : Il se dit qu’il est majoritaire dans le pays. Il peut donc faire ce qu’il veut. Le parti adversaire est minoritaire et le reste des gens s’en moque et ne bougera pas quoi qu’il advienne. Il y a ceux qui sont pour lui : les plus nombreux, ceux qui sont contre lui : les minoritaires et le reste qui est indifférent. Maintenant, imaginons le contraire.

Maria : Le contraire de quoi ?

Angèle : Il y a très peu d’abstentions mais beaucoup de bulletins blancs. Les gens qui ont voté blanc ne manquent plus de civisme puisqu’ils ont consenti l’effort de se déplacer et qu’ils sont allés, bien en face, dire, à l’un et à l’autre, qu’ils ne faisaient confiance ni à l’un ni à l’autre. Que pense maintenant celui qui est élu ?

Kévin : Il pense qu’il est élu et que pour le reste, il s’en moque.

Bédi : Il pense qu’il va être tranquille pour un moment.

Angèle : Non, justement. Il se dit qu’en cas de difficultés il n’aura avec lui que ceux qui ont voté pour lui, c'est-à-dire dans la population une minorité flagrante. Il sait qu’il aura contre lui d’une part, ceux qui ont voté pour son adversaire mais aussi, tous ces gens qui sont venus lui exprimer qu’ils ne le soutiendraient pas.

Bédi : Oui, mais il est élu quand même. C’est lui qui a le pouvoir.

Angèle : Avec cette situation, s’il y a un tiers de bulletins blancs à la place d’un tiers d’abstentions, celui qui serait élu, sachant qu’il ne peut s’appuyer qu’environ sur trois citoyens sur dix se méfierait un peu plus avant de faire n’importe quoi. Croyez-moi. Ceux qui se sont battus ou se battent encore, parfois au péril de leur vie, pour que nous ayons le droit de vote ne le font pas pour rien. C’est à nous de trouver le moyen le plus adapté pour leur montrer notre admiration et rendre hommage à leur héroïsme.

Maria : Hou là ! Voila que tu deviens bien grandiloquente !

Angèle : C’est vrai, je l’avoue. Mais que veux-tu, ce que nos anciens nous ont transmis, il me semble que ce n’est pas seulement le droit de vote, mais le devoir d’en tirer les fruits qu’ils en espéraient. (à Kévin) Et toi, en sauvegardant ta liberté, ne crois-tu pas que, en déstabilisant l’élu que tu réprouves, en lui retirant de sa légitimité, tu serais effectivement allé la crier ta révolte ?

 

Noir




Scène 16

 

Votez pour moi et après pour lui.

 

(A la poste dans une file d'attente. deux ou trois mannequins

Une cliente, Cyrille, Lionel.

La cliente est la dernière de la fille.

Cyrille arrive. Il regarde la situation).

 

 

Cyrille: Bon, ça va. Il n'y a pas trop de monde.

La cliente: Oui, mais la dame, la bas, il y a au moins un quart d'heure qu'elle est au guichet et ça n'avance plus.

(Entre Lionel)

Lionel: (A Cyrille) Ah tiens, salut! tu es là aussi, toi? Pour une fois, ce n'est pas plein de gens.

La cliente: Oui, mais c'est bloqué. La dame, là bas, je me demande si elle n'est pas en train d'acheter le bureau de poste.

Cyrille: Alors, comment ça va? qu'est-ce que tu racontes?

Lionel: Rien. Mais alors, rien de rien. c'est calme plat. Ah si! tiens! tu as vu? Robichet a annoncé qu'au second tour, il appellerait à voter Maréchal.

Cyrille: Oui, et alors?

Lionel: C'est plutôt bien, non?

Cyrille: Je ne vois pas pourquoi. Je trouve même que ça nous fait une belle jambe.

Lionel: Si, quand même. Cela implique une cohésion des forces de gauche et une volonté commune de barrer la route au conservatisme.

La cliente: Ah oui? vous trouvez ça, vous?

Lionel: Naturellement!

Cyrille: Je ne sais pas si c'est naturel, mais je n'en vois pas tellement l'intérêt. C'est peut-être une manœuvre tactique judicieuse et pleine d'astuce, mais, franchement, je n'en vois pas la pertinence.

Lionel: Tu ne vois pas qu'il y a à cela deux résultats?

Cyrille: Bah, excuse-moi, mais non.

Lionel: D'abord, cela lance à la droite l'information que, malgré ses prétentions, la gauche est plus unie que jamais et que c'est main dans la main qu'elle va aux élections. Et, deuxièmement, c'est une incitation à la gauche à resserrer ses liens pour aller ensemble à la bataille.

La cliente: Donc, si je comprends bien, cela dit à la droite que la gauche est unie et à la gauche qu'il serait bien qu'elle s'unisse. vous ne trouvez pas ça contradictoire et paradoxal?

Cyrille: Et bien sûr, immédiatement, Maréchal a déclaré que la réciproque était vraie.

Lionel: Non pas encore.

Cyrille: Donc, c'est une union qui n'est pas réciproque. On y va ensembles mais tout seul, chacun de son côté. C'est la grande alliance tout seul.

Lionel: Attends, ça va venir!

Cyrille: Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi ne pas appeler tout de suite à voter Maréchal? En effet, si au premier tour on part de façon divisée, chacun avec sa bannière, il va bien falloir que Robichet explique en quoi son programme est supérieur à celui de Maréchal. Et puis, le soir du premier tour, hop! On efface tout. On ravale son acrimonie et on déclare que l'adversaire d'hier est devenu le plus grand des alliés paré de toutes les vertus imaginables. J'ai tout de même un peu de mal à y croire.

Lionel: Tu n'as rien compris.

Cyrille: C'est bien ce que je dis. Alors, explique moi.

La cliente: Oui, expliquez-nous puisque la queue n'avance pas... Ils devraient sérieusement mettre des chaises.

Cyrille: Et des rafraichissements.

Lionel: Au premier tour, chaque groupe fait campagne pour ses propres couleurs. Au soir du premier tour, tous s'unissent derrière celui qui est arrivé en tête. C'est la démocratie, ça.

Cyrille: Tu en es vraiment persuadé?

Lionel: C'est une évidence! quand la minorité se rallie à la majorité, c'est la démocratie.

La cliente: Dans l'absolu, cela semble vrai. Mais dans la réalité, n'est-ce pas un peu simpliste?

Lionel: Simpliste, simpliste... Je ne vois pas ce qu'il y a de simpliste là dedans. Vous voudriez quoi? Le contraire? que la minorité impose ses dogmes à la majorité?

La cliente: Je ne parle pas d'imposer des dogmes. Je crains seulement que ce ne soit un marché de dupes.

Cyrille: Oui, la Dame a raison. Un marché de dupe... Ou une tromperie organisée, ce qui revient au même.

Lionel: Une tromperie organisée: tu vois le mal partout, toi.

Cyrille: Non, non. Pour que ce ne soit pas le cas, il faudrait que les choses se présentent autrement.

Lionel: Et comment devraient-elles se présenter, selon toi?

Cyrille: Pour qu'un désistement ait une valeur quelconque, encore faut-il qu'il soit réciproque. Il faut que ce soit l'issue d'une négociation et le fruit d'une entente de gouvernement.

La cliente: Pour créer une association, il faut être au moins deux à vouloir s'associer. On en peut pas décider, tout seul, de s'associer avec un autre qui n'en a pas envie.

Lionel: L'autre, en l'occurrence, à un moment, il faudra bien qu'il l'accepte l'association. Et ce moment, cela s'appelle le deuxième tour.

Cyrille: Mais à ce moment la, ce ne sera plus une association entre deux groupes consentants, mais l'inféodation d'un vassal qui va s'incliner devant son suzerain en lui jurant son allégeance.

Lionel: Ah! Tout de suite, là! des métaphores exagérées!

Cyrille: Et puis, dans un mariage, s'il est bon que chacun apporte quelque chose dans la corbeille de la mariée, il est normal aussi que l'un et l'autre sache ce qu'il va pouvoir y trouver. J'ai du mal à imaginer une coopérative où l'un apporte tout et ne récolte rien pendant que l'autre n'apporte rien et récolte tout.

La cliente: Il est certain que dans cette situation, le divorce serait rapidement au coin de la rue.

Lionel: Mais enfin, qu'est-ce qu'il faudrait pour que cela vous satisfasse?

La cliente: Il faudrait, au minimum, que ce soit réciproque.

Cyrille: Et que l'on déclare comment, en fonction des résultats du premier tour, on répartira les fauteuils ministériels.

La cliente: effectivement. Ce serait un gage de bonne volonté qui pourrait attirer les électeurs.

Lionel: Donc, pour vous, il faudrait que ce soit tout ou rien.

Cyrille: D'autre part, dire que le moins bien placé se désistera automatiquement en respectant le choix des votants, cela se comprend si au moment de l'union, on ne peut pas vraiment savoir lequel arrivera en tête. Que ce soit l'un ou l'autre, on décide que ça fonctionnera dans les deux sens.

La cliente: Et c'est ça le sens de la réciprocité.

Cyrille: Or, en ce moment, il n'y a aucun doute sur le placement des deux protagonistes. on peut parier que Maréchal aura, au minimum, le double de voix que Robichet. Donc, il n'y a pas d'incertitude pour savoir qui apportera ses voix à l'autre.

La cliente: Et c'est le même qui décide d'apporter sa manne électorale sans contrepartie.

Cyrille: Et sans garantie.

Lionel: Donc, vous ne trouvez pas que cette information soit une bonne nouvelle.

Cyrille: Non. Il semblerait même que ce soit un peu inquiétant. Je ne sais pas trop pourquoi ni comment, mais il me semble que cela aurait facilement des relents de manipulation pas très honnête.

Lionel: rien que ça.

Cyrille: Non, pas seulement.

Lionel: Quoi d'autre encore?

Cyrille: Moi, vous voyez, ce Robichet, j'ai du mal à le situer. J'ai un peu l'impression que ce n'est qu'un aventurier, certes, plutôt intelligent qui, en constatant que la vraie gauche revendicative voire révolutionnaire n'a plus de véritable organisation, se pose en chantre de ses positions traditionnelles afin de récupérer, à son usage propre les illusions perdues des populations laborieuses. Il est à noter, au passage, qu'il ne propose rien de très précis. Dans le fond, il joue un jeu populiste et démagogique qui, faute de mieux, peut sembler conquérant, novateur et généreux.

Lionel: Et allez donc!

La cliente: Ah bon? vous ne voyez que ça? Moi, il me semble que ce peut être pire.

Lionel: Bah voyons.

Cyrille: Peut-être que je n'ai pas tout vu. Comment est-ce que vous le comprenez, vous?

La cliente: Vous avez raison quand vous dites que la vraie gauche combattante a perdu son âme. Elle s'est pendant longtemps fourvoyée en suivant les chants de sirènes de cette fausse gauche de centre droit.

Cyrille: C'est ce que je dis.

La cliente: Oui, et je suis d'accord avec vous. Mais, dans le même temps, la fausse gauche de centre droit se rend bien compte qu'elle s'est aliéné cet électorat de gauche suite aux déceptions qu'elle lui a infligé et que celui-ci est en train de lui échapper.

Cyrille: C'est vrai aussi.

La cliente: Il est donc fondamentalement urgent pour la fausse gauche de récupérer les voies qui la fuient. Elle sait qu'au premier tour c'est irréalisable. Donc, il lui faut un mercenaire qui jouera la carte de la grande gueule radicale et regroupera ainsi de façon artificielle les espoirs trahis. De cette façon, au second tour, au nom d'une hypothétique union mensongère, et grâce au sacro saint dogme de la discipline de parti, la fausse gauche se verra déverser, en paquet cadeau, la masse des électeurs qu'elle n'a plus la capacité de tromper.

Cyrille: Ah oui, vous avez raison. Je n'y avais pas pensé. Ce Robichet, ça ne pourrait être, dans le fond, qu'une taupe.

Lionel: Ouais, bah moi, je crois bien que j'ai perdu une bonne occasion de me taire.

 

 

 

Noir

 

 

 

Scène 17

 

L’Europe et l’euro.

 

Dans un bistro.

La patronne, Marco (c’est une grande gueule. Il ne parle pas, il hurle) Fifette, Roro, Stef.

Ils parlent plus ou moins tous en même temps en disant chacun leur discours dans un brouhaha confus.

 

 

Roro, Fifette et Stef : (Ils disent des choses, en même temps mais pas dans le même ordre et de façon aléatoire en puisant dans les exemples suivants) :Ouais, les députés, ils augmentent leur paie, eux. Les élus, ils nous connaissent seulement quand il y a des élections mais après, on ne les voit plus. Les gouvernements, ils nous… Les ministres, ça ne respecte pas le code de la route. Ils disent que pour garder la courge, il faut lire. Les intello, ils veulent tout diriger. D’abord, le percepteur, moi je lui ai dit que s’il n’était pas content, les sous, il n’avait qu’à venir les chercher chez moi. Forcément, avec les impôts, on est le cul nu. Moi, j’veux plus payer la sécu parce que je suis jamais malade.

Roro : (de façon distincte dans un silence relatif) Louisette, tu nous remets une tournée, pour moi.

Fifette : Ah non, c’est pour moi. Toi, tu as déjà payé.

Roro : Non, non ! C’est moi. Reprends ton billet. (Ils se chamaillent pour le billet puis reprennent le texte précédent).

Marco : (Très fort pour couvrir le brouhaha) Bah moi, j’vous l’dis, tout ça, c’est la faute à l’euro.

Les autres : Oui, c’est vrai. C’est la faute à l’euro. Avant l’euro, c’était pas pareil.

Marco : Vous avez vu les prix ? Avec l’euro, on ne peut plus rien avoir.

Les autres : Oui, tu as bien raison.

Marco : Avec le passage à l’euro, tout est trop cher.

Steph : Mais c’est pareil ! Qu’on paie en francs, en euros ou en cacahuètes, c’est la même chose. Si c’est trop cher, c’est trop cher.

Marco : Comment ça c’est pareil ?

Steph : Oui, c’est la même chose.

Marco : Non, Monsieur, ce n’est pas la même chose. Moi, Monsieur, moi qui te parle, je te dis que ce n’est pas la même chose. Depuis qu’on a les euros, on ne gagne plus rien. Avant, en francs, on gagnait sept mille, huit mille. Maintenant, en euros, on a à peine mille deux cents, mille cinq cents. Et monsieur trouve que c’est pareil.

Steph : Oui, mais…

Marco : Tu te rends compte ? Tiens, par exemple, des jaunes… Louisette, remets nous ça… Oui, des jaunes, avec huit mille ou avec mille cinq cents, c’est quand même pas la même chose.

Steph : Oui, mais l’euro, c’est pour toute l’Europe ! Tu peux voyager !

Marco : Voyager ? Moi, je voyage jamais. Tu voyages, toi, Fifette ?

Fifette : Non.

Marco : Et toi, Roro, tu voyages ? Non, Roro, lui, il ne sait pas lire. Alors, tu penses, voyager… Et toi, Louisette tu voyages ?

Louisette : Bah moi, tu sais, avec le bar…

Steph : Et bien moi, l’an dernier, je suis allé à Genève.

Marco : Oui, mais les Suisses, justement, ils ont gardé les francs. Tu avais l’air malin avec tes euros.

Louisette : Une fois, je suis allée à Lyon. Mais c’était encore les francs.

Roro : Louisette, remets nous une tournée.

Marco : Tiens, c’est comme l’Europe.

Fifette : Oui, l’Europe, c’est pas nous ! L’Europe, c’est tout ceux qu’on ne connait pas et qui sont les autres. Ailleurs, quoi, pas nous.

Marco : On nous explique que Bruxelles, qui n’est même pas en France, décide des choses pour des pays qu’on sait même pas où c’est.

Steph : Oui, mais l’Europe, c’est quand même mieux que la guerre.

Marco : Toi, tu ne comprends vraiment rien. La guerre… La guerre… C’est pas l’Europe qui fait la guerre. L’Europe, c’est des pays qui se mettent d’accord pour que, quand ils ont besoin d’argent, Bruxelles décide que c’est nous qu’on paie. Oui, Monsieur ! C’est ça l’Europe. Moi, je te le dis, si c’était moi qui commande, je dirais l’Europe, c’est une arnaque ; alors, on quitte l’Europe. D’abord, l’Europe, c’est plein d’étrangers. Je dirais même, oui, Monsieur : L’Europe, c’est rien que des étrangers. Oui, Monsieur, si il n’y avait que moi, on quitte l’Europe et on va ailleurs. Oui, Monsieur.

Steph : Alors, tu préfères qu’on se fasse voler par Paris que par Bruxelles ?

Marco : Justement. Je dis qu’on sort aussi de Paris. Il n’y a pas de raisons que ce soient les gens de Paris qui commandent chez nous.

Steph : Et tu verrais ça comment, toi ? Le conseil général qui se débrouille tout seul avec le département ?

Marco : Oui, par exemple. Et même, le nord du département, c’est des plaines. Ils ne peuvent pas comprendre la vie dans la montagne.

Steph : Alors, on vit entre nous dans notre vallée ?

Marco : Même pas parce qu’en face, ils sont tournés vers l’ouest tandis que nous, nous avons le soleil levant.

Steph : Alors, le plateau indépendant !

Marco : Et pourquoi pas ?

Fifette : Ah non ! Pas nous avec ceux de Sinty ! Ils ont déjà tous les commerces et toutes les installations. Si on reste avec eux, on n’aura plus rien.

Steph : Ouais ! Proclamons la commune libre de saint Pancrace.

Roro : Oui, rien que saint Pancrace, on serait tranquilles. Mais quand on dit saint Pancrace, tu comptes les Meunières ou pas ? Parce que les Meunières, c’est quand même de l’autre côté de la Gorgette

Marco : Ah oui, c’est vrai, ça. Et puis, rien que le ramassage des ordures, aller jusqu’aux Meunières, ça coute cher au village.

Roro : Les Meunières, ils n’ont qu’à se débrouiller entre eux.

Fifette : Nous, est-ce qu’on y va aux Meunières ? Ce sont ceux des Meunières qui viennent toujours au village. Il n’y a rien aux Meunières. Heureusement qu’il y a le village pour ravitailler ceux des Meunières !

Marco : Alors, on devrait mettre un péage sur le pont de la Gorgette.

Fifette : Tu vois, Steph. Pour venir boire ton jaune avec nous, il faudra que tu paies le passage.

Marco : Tu parles ! Aux Meunières, ils ne sont même pas capables d’avoir un bistro !

 

 

Noir

 

 

 

Scène 18

 

Le face à face.

 

(Un studio de télévision.

Madame Maréchal, Monsieur Rasini, le présentateur).

 

 

Le présentateur: Et bien, Madame, Monsieur, vous allez pouvoir débattre mais, méfiez-vous. Comme vous avez le même temps de parole chacun, si vous monopolisez trop l'antenne au début, vous risquez de manquer de temps à la fin. Le tirage au sors a décidé que c'est vous, Monsieur Rasini qui preniez le premier la parole. Je vous suggère, comme premier sujet, la politique intérieure.

Monsieur Rasini: Très bien, Monsieur Langlois et je trouve particulièrement pertinent que nous commencions par la politique intérieure. S'il y a un point sur lequel je suis fier de l'œuvre que nous avons accomplie lors de mon mandat écoulé, c'est bien celui là. Dans tous les domaines, nous avons commencé une réforme globale de fond qui n'est certes pas achevée mais dont, précisément, il serait regrettable de remettre en cause le bien fondé alors que les résultats ne sont encore que balbutiants.

Madame Maréchal: Je suis bien d'accord avec vous et je suis heureuse que vous constatiez, de vous même, que toute votre agitation n'a pas réussi à apporter d'amélioration significative et, votre constat d'échec, même s'il est respectable, voire attendrissant ne peut pas inciter nos concitoyens à vous renouveler la confiance qu'ils avaient placée en vous. En revanche, pour ce qui me concerne...

Monsieur Rasini: Madame, je vous saurais gré d'abord de ne pas m'interrompre mais surtout de ne pas travestir mes paroles ni de dévoyer mes propos. Je n'ai pas dit que nous n'avions pas obtenu de résultat. Je dis que ceux-ci n'en sont qu'à leurs débuts. Pour voir les améliorations se développer clairement, il faut du temps. Entre les semailles et la moisson, il doit se passer plusieurs saisons.

Madame Maréchal: Vous avez eu cinq ans et votre moisson n'a toujours pas muri!

Monsieur Rasini: Justement. Dans le premier mandat, nous avons semé et dans le second, nous allons récolter... Si toutefois vous ne venez pas annihiler toutes nos espérances en détruisant ce que nous avons eu tant de mal à organiser.

Madame Maréchal: Nous ne voulons pas détruire mais revivifier. Par l'essence même de notre parti, jeune et conquérant, novateur et intelligent, nous apporterons du sang neuf et frais à la direction de notre pays. Ce dont nous avons le plus besoin, c'est d'inventivité et de générosité. Nos compatriotes sont lassés de votre conformisme désuet et de vos malfaçons dépassées.

Monsieur Rasini: Madame, sans vouloir vous offusquer en vous opposant une contradiction formelle systématique, j'aimerais attirer votre attention sur le fait que votre parti n'est pas le seul détenteur de la jeunesse et de l'intelligence. Chez nous aussi, il y a des femmes et des hommes modernes et, contrairement à ce que vous semblez imaginer, nous ne sommes pas tous des imbéciles.

Madame Maréchal: Je n'ai pas dit ça! Je prétends seulement que, de par notre histoire, nous sommes plus enclins à la modernité et au progressisme.

Monsieur Rasini: Je ne sais pas comment vous mesurez cela, mais, sans vouloir vous faire de la peine quant à la modernité, le parti que vous représentez a tout de même un bon siècle de plus que le mien.

Madame Maréchal: Oui, mais...

Le présentateur: Je vous suggère que nous passions au point suivant.

Madame Maréchal: Oui, mais...

Le présentateur: Donc, pour cette deuxième partie qui sera la mission sociale du gouvernement, cette fois-ci, Madame Maréchal, c'est à vous de commencer.

Madame Maréchal: Et bien justement. Lors du mandat écoulé, nous avons vu se multiplier les reculs et les pertes de tous ordres: L'augmentation des impôts, le report de l'âge de la retraite, la suppression d'établissements de soins et de santé, les ...

Monsieur Rasini: Et vous, Madame, si vous êtes élue, envisagez-vous de revenir en arrière sur ce que nous avons fait?

Madame Maréchal: Enfin, Monsieur, reconnaissez-le, il est indéniable que vous avez pris des mesures strictement antisociales...

Monsieur Rasini: Hé oui. Nous avons eu le courage de prendre les décisions nécessaires. Et vous, je vous repose la question. Supprimerez-vous ces dispositions?

Madame Maréchal: Votre mandat n'a été qu'une succession ininterrompue de décrets impopulaires...

Monsieur Rasini: Madame, je vous en prie, ne vous lancez pas dans ce verbiage populiste dont vous avez le talent et le secret. Je vous repose la question. Si vous êtes élue, annulerez-vous toutes nos actions que vous dites impopulaires ou, vous en servirez-vous pour asseoir plus confortablement votre mode de gouvernement? Reviendrez-vous en arrière? Ferez-vous autre chose? Ces cliniques désuètes, les réouvrirez-vous? Vous voyez, j'essaie de vous poser une question simple. Que ferez-vous?

Madame Maréchal: Grâce à vous, la nation exsangue...

Monsieur Rasini: Je vois bien que vous ne voulez pas répondre à ma question.

Madame Maréchal: Ce n'est pas à moi de répondre mais à vous d'assumer vos actes.

Monsieur Rasini: Donc, nous ne connaîtrons pas vos projets.

Madame Maréchal: Et vous, nous ne connaissons que trop votre comportement.

Monsieur Rasini: Mais, Madame, ce qui nous différencie, c'est que moi, j'ai déjà pratiqué le pouvoir. J'en ai tiré une expérience dont vous ne disposez pas.

Le présentateur: Là, Monsieur Rasini, permettez moi de vous interrompre. Vous ne pouvez pas, en toute bonne logique, reprocher à votre adversaire de ne pas être candidate sortante puisque c'est vous qui l'êtes.

Madame Maréchal: Ah oui. Oui, c'est bien vu, ça. Et...

Monsieur Rasini: Je vous l'accorde. Mais vous ne pouvez pas, non plus, me reprocher d'être le sortant puisque il ne peut y en avoir qu'un et que ce n'est pas vous.

Madame Maréchal: Monsieur, ce n'est pas en tenant des propos qui tiennent du sophisme que vous ferez oublier aux électeurs les choix calamiteux qui ont émaillé votre mandat.

Monsieur Rasini: C'est facile de dénigrer l'œuvre des autres lorsque, personnellement, on n'a rien fait.

Madame Maréchal: C'est précisément pour cela que je vous dis: laissez-nous faire, et vous verrez.

Monsieur Rasini: Oui, ça, pour voir, nous verrons. Mais nous verrons trop tard. Dans le meilleur des cas, vous vous refusez à annoncer quelque programme que ce soit et, simultanément, au pire, vous laissez volontairement planer des rêves d'utopie édénique et dévastatrices sur le plan économique que vous démentirez dès que les gens s'apercevront que vous bafouez leurs espérances les pus viscérales en leur rappelant, à juste titre, que vous ne leur avez jamais promis cela.

Madame Maréchal: Monsieur, vous me faites là un procès d'intention. vous ne pouvez pas juger par avance de ce que je ferai.

Monsieur Rasini: Je dois reconnaître que je vous accorde ce point d'autant plus facilement que vous n'en savez rien vous même.

Le présentateur: Allons, allons! Madame, Monsieur, ne nous égaillons pas dans une chamaillerie infantile. Et... Oui? On me dit dans l'oreillette que le temps imparti à l'émission touche à son terme. Alors, chacun, juste une phrase de conclusion. Mais juste une phrase, hein, pas plus. Monsieur Rasini, puisque vous avez commencé, c'est votre adversaire qui terminera. Donc, c'est à vous, juste une phrase.

Monsieur Rasini: Et bien, en une phrase, j'en fais appel aux électeurs. Je parie sur leur bon sens et leur droiture. Je leur conseille de ne pas se laisser bercer par je ne sais trop quel chant de sirène aussi enjoliveur que mensonger. Je leur rappelle qu'on ne change pas d'attelage au milieu du gué. L'autre rive est proche et, s'ils me laissent faire, je les aurai bientôt tirés de là. Plus que quelques pas et nous aurons rejoint la terre ferme. Chers concitoyens, ne perdons pas courage. Ne gaspillons pas tous les efforts qu'ensemble nous avons consentis. Ne baissons pas les bras quand les résultats escomptés se dessinent. C'est par la persévérance que nous toucherons ensemble au but.

Le présentateur: C'est bien. C'est fini. Merci Monsieur. Madame, à vous. Juste phrase de conclusion.

Madame Maréchal: Et bien, je voudrais revenir sur plusieurs points que Mon adversaire a évoqué sans que je puisse...

Le présentateur: Non, non, Madame, c'est terminé, il faut conclure.

Madame Maréchal: Mais, Monsieur Rasini, tout à l'heure...

Le présentateur: Non, nous ne revenons plus en arrière. le débat est terminé. Vite! Une phrase!

Madame Maréchal: Pourtant, nous n'avons pas parlé de...

Le présentateur: Vite une phrase! Le micro va être coupé!

Madame Maréchal: Avant toute chose, il faudrait que le...

 

 

Noir

 


Scène 19

 

Match nul.

 

(Dans un vestiaire, deux sportifs, Paulo et Mathieu se rhabillent.)

 

 

Paulo: Tu as vu la rencontre, hier soir?

Mathieu: La rencontre? Hier soir? Non. Il y avait une rencontre hier soir? J'ai pas vu d'rencontre.

Paulo: Oui, quand même, il n'y avait même que ça. Tu as une télé en bois ou quoi?

Mathieu: Hier, je n'ai pas vu d'match. Sur quelle chaîne?

Paulo: Sur toutes. Ce n'était pas un match mais la rencontre.

Mathieu: Ah! Tu veux dire le face à face?

Paulo: Oui, oh, c'est pareil!

Mathieu: Oui, bien sûr que j'ai vu. Tu en penses quoi?

Paulo: Pas grand chose.

Mathieu: Oui, c'est vrai, pas grand chose. Mais quand même, j'ai bien aimé. Il avait l'engagement et tout de suite elle a intercepté et l'a repoussé dans sa surface en lui signalant son constat d'échec.

Paulo: Oui, mais il a aussitôt contrattaqué avec les résultats qui allaient arriver

Mathieu: Contrattaqué... Contrattaqué... Elle a quand même su parer et la moisson n'a pas vraiment muri.

Paulo: En même temps, il a bien vu qu'il avait du mal à s'organiser

Mathieu: Oui, c'est même à ce moment là qu'elle a essayé de revivifier avec un jeu jeune conquérant et novateur.

Paulo: Voila. Mais l'inventivité et la générosité ne suffit pas toujours quand ce n'est pas construit et appuyé sur des bases solides.

Mathieu: C'est grâce à ça qu'il a pu résister à la pression.

Paulo: Hé! Tu penses, normal! Dans son équipe, il n'a pas non plus que des imbéciles!

Mathieu: Ça, elle n'a pas compris. Elle a bien essayé d'en remettre une deuxième couche avec l'âge de ses joueurs mais il a taclé sévèrement avec son siècle de différence.

Paulo: Bref, à la mi-temps, le score était nul.

Mathieu: Dès la reprise, elle a tout de suite essayé d'exploiter les pertes et les reculs mais sans succès.

Paulo: Et c'est là qu'elle a fait de l'anti jeu.

Mathieu: Ah bon? Comment ça?

Paulo: Tu n'as pas remarqué? A chaque fois qu'il la poussait dans ses retranchements pour l'obliger à répondre, elle, elle bottait en touche.

Mathieu: Oui, peut-être. N'empêche qu'elle a réussi à le pousser à la faute. L'arbitre a sifflé le coup franc indiscutable.

Paulo: Juste un coup franc. Sans même sortir un carton.

Mathieu: Et puis, le jeu a dégénéré. C'est devenu un gagne terrain a celui qui dégagerait le plus loin.

Paulo: Pendant les arrêts de jeu, il a encore essayé de marquer un point mais sans vraiment pouvoir conclure.

Mathieu: Et elle, elle n'a pas compris que c'étaient les arrêts de jeu. Elle a cru qu'il y avait encore des prolongations.

Paulo: Et cela s'est terminé sur un score nul.

Mathieu: Oui. Zéro zéro. Match nul.

Paulo: Ouais... complètement nul

Mathieu: Normal. Les joueurs, c'est eux qui étaient des zéro.

Paulo: Ils auraient mieux fait de nous passer du foot!

 

 

 

Noir

 

 

  

Scène 20

 

Ceux qui gagneront

 

(Les deux vieilles)

(Ninie tricote)

 

 

Ninie : Ah ! Là, là ! Que ça va mal ! Bon sang que ça va mal !

Coco : Allons bon ! Tu es malade ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Ninie : Non, pas moi !

Coco : Ah bon ? Pas toi ? Tu me rassures. Mais qui est-ce qui va mal, alors ?

Ninie : Je ne te dis pas que quelqu’un est malade ! Je te dis que ça va mal. Ça va mal en général… Les évènements, les choses, tout ça !

Coco : Tu veux dire la politique ?

Ninie : Oui, la politique.

Coco : Bah dis-le ! Ce n’est pas un gros mot !

Ninie : Oui, mais ça va mal : Les licenciements, les fermetures d’usines, les grèves, les manifestations, tout ça, ça me fait peur. Je te le dis, ça va mal.

Coco : Et c’est ça qui t’inquiète ?

Ninie : Tu ne trouves pas ça inquiétant ?

Coco : Si c’était une nouveauté… A la rigueur… Mais, depuis que tu étais petite, as-tu connu beaucoup de moments où il n’y avait pas de grèves et de manifestations ?

Ninie : Je ne dis pas. Je ne dis pas. Mais en ce moment, c’est grave. Ça va mal, très mal.

Coco : Et tu crois que pendant l’occupation, ou la guerre d’Algérie, ou en soixante huit, c’était tellement mieux ?

Ninie : Je ne dis pas… Je ne dis pas.

Coco : Admettons que je t’accorde qu’en ce moment, il n’y a pas beaucoup de lueurs d’avenir. Il n’y a pas beaucoup d’espérances enthousiasmantes. Ça, c’est vrai.

Ninie : Et ce n’est pas avec le gouvernement qu’on a qu’il faut attendre quelque chose. Depuis qu’ils sont au pouvoir, ils n’ont fait qu’aggraver les choses.

Coco : Et tu crois qu’avec l’opposition ce serait tellement mieux ?

Ninie : Bah oui ! Bien sûr ! Evidemment ! Dans tous les grands mouvements, ils sont avec les gens. Ils sont toujours là avec leurs écharpes. S’ils passaient au pouvoir, ça devrait changer !

Coco : Mais que tu es bête. Tu ne crois tout de même pas que l’opposition va dire qu’elle est tout à fait d’accord avec la majorité et que s’ils étaient au gouvernement, ils feraient rigoureusement la même chose, voire pire ?

Ninie : Quand même, tu imagines si les socialistes passaient au pouvoir ? Tu imagines le soir de l’élection ? Tu imagines la fête ? Tu imagines ?

Coco : Oh ça, oui ! Pour imaginer, j’imagine. Les gens qui exultent en criant dans les bureaux de vote, qui s’embrassent en pleurant de joie, qui sortent en chantant et en dansant dans les rues avec des étoiles plein les yeux et le cœur. Ça, pour imaginer, j’imagine. Oui, j’imagine et j’imagine d’autant plus facilement qu’ils l’ont déjà fait.

Ninie : Ah, tu vois. Tu vois que, toi aussi, tu trouves que ce serait bien.

Coco : Je ne dis pas que ce serait bien. Je dis que les gens croiraient que ça va être bien. Mais six mois plus tard…

Ninie : Quoi six mois plus tard ?

Coco : Six mois plus tard, quand ils se seront aperçu que les transports en commun sont toujours aussi chers, que l’on décide de diminuer encore les prises en charge pour la santé, que l’on n’a pas réouvert les hôpitaux et les maternités de proximité, que le nombre de chômeur a continué de s’aggraver, que l’on a augmenté les taxes et les impôts et que l’on a, une fois de plus dégradé les garanties des contrat de travail pendant que les grosses sociétés cotées en bourse continuent d’accroitre leur enrichissement…

Ninie : Tu ne crois pas que tu exagères un peu ?

Coco : Tu verras, je suis prête à prendre les paris.

Ninie : Tu vois toujours tout en noir.

Coco : Ce jour là, la désillusion sera amère. La déception sera à la hauteur des espérances bafouées. Quand les gens comprendront qu’ils ont été trompés, que feront-ils, hein, je te le demande : Que feront-ils ?

Ninie : Je n’en sais rien, non je n’en sais rien parce qu’alors… (Elle brandit son tricot)

Coco :Arrête ! Fais attention ! Tu vas éborgner quelqu’un.

Ninie : Ce n’est pas possible. Les socialistes ne pourraient pas faire une chose pareille. Pas eux… Ce n’est pas possible. Pas de leur part.

Coco : Je te le demande encore une fois. Est-ce que tu veux parier ? Moi, ce qui m’inquiète, c’est quand les gens mesurerons l’ampleur de la tromperie dont ils sont victimes, quand ulcérés par les conservateurs ils seront écœurés par les socialistes, dans les bras de quelle démagogie monstrueuse iront-ils se réfugier et dans quelle aventure extrémiste ultra réactionnaire je jetteront-ils par le désespoir de ne plus avoir d’espoir ?

Ninie : Ça va ? Tu te sens mieux ? Tu as craché ton venin ?

Coco : Tu verras. Moi, c’est ça qui m’inquiète.

 

 

Noir

 

  

 

Scène 21

 

Le changement, c’est inquiétant.

 

(Dans un salon de coiffure.

La coiffeuse, Madame Martinon, une cliente.

La cliente est sous le casque).

 

La coiffeuse : Allez, M’ame Martinon ! A nous ! Qu’est-ce qu’on vous fait ? Comme d’habitude ?

Madame Martinon : Oui, comme d’habitude. Ce n’est pas à mon âge que je vais changer de coiffure.

La coiffeuse : C’est vrai. Je vous ai toujours vue vous coiffer de la même manière. Déjà du temps de ma mère, c’était la même chose.

Madame Martinon : Oh oui ! Ça fait pas loin d’une quarantaine d’années ; sauf que du temps de ta mère, la couleur, c’était la vraie. Mais bon, les vingt ans, ça ne dure pas toujours. A un moment, il faut aider un peu.

La coiffeuse : Y a pas d’mal à ça !

La cliente : Comme quoi, il faut changer un peu de temps en temps.

La coiffeuse : Ça va ? Ce n’est pas trop chaud ?

La cliente : Non, non ! C’est bien.

Ma coiffeuse : Si ça ne va pas, il faut le dire, hein !

La cliente : Je disais juste à la Dame que parfois, c’est bien de changer un peu.

Madame Martinon : Oui, mais moi, j’ai changé pour que ça reste pareil.

La cliente : Bien sûr, mais parfois, on change pour changer. On change parce qu’on trouve que ce sera mieux autrement.

Madame Martinon : Ah, il faut se méfier. On croit que ce sera mieux autrement et puis, une fois que c’est fait, on s’aperçoit que c’est pire.

La coiffeuse : Pour le changement, il faut être prudent.

Madame Martinon : Souvent, on ne s’en doute pas, mais on prend des risques.

La coiffeuse : Oh oui, alors ! Tenez, vous la connaissez Madame Lenoyer.

Madame Martinon : Non, qui est-ce ?

La coiffeuse : La grande maigre rousse avec des cheveux qui tombent à la taille.

Madame Martinon : Je ne vois pas.

La coiffeuse : Mais si ! Avec des lunettes, qui sort au milieu de sa coiffure pour aller fumer une cigarette dans la rue, mais qui est toujours pressée.

Madame Martinon : Tu veux dire la grande Clairette ?

La coiffeuse : Oui, c’est ça.

Madame Martinon : Bah, appelle-la par son nom !

La coiffeuse : Justement, elle s’appelle Madame Lenoyer.

Madame Martinon : Ça, je ne savais pas. Il faut dire qu’avec le nombre de fois où elle a changé, on ne sait plus où elle en est.

La cliente : Et tous ces changements, est-ce que ça lui a réussi ?

Madame Martinon : Non ! Justement ! Sinon, elle aurait changé moins souvent. Mais la grande Clairette, tout le monde sait qui c’est.

La coiffeuse : Oui, bon, d’accord. La grande Clairette… Vous voyez comme elle est avec ses cheveux jusque là. Une fois, elle avait voulu se les faire couper tout court : Comme ça. Et bien, ça ne lui allait pas du tout. Mais alors, pas du tout du tout.

La cliente : Qu’est-ce qu’elle a du être déçue !

Madame Martinon : Et puis une fois coupé, c’est coupé. On ne revient pas en arrière comme ça.

La coiffeuse : Il a fallu plusieurs années pour que ça repousse.

Madame Martinon : Il y a des gens comme ça. Ils veulent tout bouleverser, tout chambouler et après, ils n’ont pas les moyens d’assumer le désordre qu’ils ont créé.

La cliente : Ça dépend des fois. Moi, j’ai fait construire une petite entrée devant la porte de ma maison. Et bien, c’est bien mieux, maintenant. On n’entre plus avec les pieds crottés dans la cuisine. Je suis mieux protégée du froid l’hiver et, comme c’est vitré, j’ai mis des fleurs et c’est très joli.

La coiffeuse : Oui, bien sûr. Parfois, c’est mieux de changer.

Madame Martinon : Parfois… Oui. Mais pas toujours. Ce n’est pas parce qu’on change que c’est obligatoirement mieux.

La coiffeuse : Voila. C’est ça. Quand on change, on ne peut pas deviner si ça sera mieux ou pire qu’avant. Il faut être méfiant.

Madame Martinon : Exactement. On sait ce qu’on perd, mais on ne sait pas ce qu’on trouve.

On modifie juste un peu le décor et les costumes et avec les trois mêmes on joue la scène suivante.

 

 

Scène 22

 

S’ils gagnent, ils feront pire

 

(Dans une pharmacie.

La pharmacienne et deux clientes).

 

La pharmacienne : Voila. Vous me devez vingt deux euros et quarante centimes.

1ère cliente : Ah bon ? D’habitude, je n’ai rien à payer.

La pharmacienne : Oui, je sais. Mais ce produit a été déqualifié. Il est maintenant considéré comme médicament de confort. Il n’est plus pris en charge totalement.

1ère cliente :Pourtant, ce n’est pas moi toute seule qui décide de le prendre. Il est sur mon ordonnance.

La pharmacienne : Cela n’a rien à voir. S’il n’était pas sur l’ordonnance, je n’aurais pas le droit de vous le donner. Là, il est prescrit ; donc, je peux vous le remettre mais il n’est plus remboursé à cent pour cent.

2ème cliente : Et oui ! Que voulez-vous, c’est le progrès !

1ère cliente : Je ne vois pas ce que le progrès a à voir là dedans.

La pharmacienne : Ce n’est pas une question de progrès. C’est une décision gouvernementale sur les taux de remboursement de la couverture de santé.

2ème cliente :C’est bien ce que je dis. Autrefois que nous avions des techniques archaïques, des moyens de productions lourds et inadaptés, des connaissances théoriques et pratiques frustes, des capacités de production faibles et des rendements industriels médiocres avec des prix de revient élevés, nous pouvions assurer une protection sociale importante. Mais maintenant, grâce aux progrès dans tous les domaines que nous avons su réaliser, nous n’en avons plus les moyens. C’est pour ça que je dis : Si les médicaments ne sont plus remboursés, c’est grâce au progrès.

La pharmacienne : Mais c’est absurde ce que vous dites !

2ème cliente : Ah bon ? Vous croyez ? Pourtant, je ne vois pas d’autre explication. A moins que ce ne soit une mauvaise volonté gouvernementale et une spoliation des richesses de la nation pour enrichir encore et encore les laboratoires pharmaceutiques… Mais ça, non, je ne veux pas y croire. Ce serait trop malhonnête et indigne de nos dirigeants. Non, non ! Nous ne pouvons pas penser cela.

La pharmacienne : Et puis, je ne veux pas que l’on parle politique dans mon officine. Ce n’est pas le lieu.

2ème cliente : Et vous avez bien raison. Du reste, il n’y a pas vraiment de lieus pour aborder ces sujets.

1ère cliente :Comment ça ? Que voulez-vous dire ?

2ème cliente : La dégradation de la sécurité, il ne faut pas en parler dans les commissariats de police. Le recul de l’enseignement, il ne faut pas le dire dans les écoles. Le prix des patates ne sera pas abordé chez le marchand de fruits et légumes et le mauvais remboursement des médicaments ne doit pas être évoqué dans les pharmacies. En revanche, il y aura bientôt des élections. Alors, on verra bien.

1ère cliente : Parce que vous croyez que cela pourrait changer quelque chose ?

2ème cliente : Je ne dis pas ça et je suis bien d’accord avec vous. Quand la soupe est mauvaise quel que soit le cuistot que l’on choisisse, si on ne décide pas de changer la recette, le résultat risque d’être le même.

La pharmacienne : Ah là, c’est vous qui avez bien raison. Mais vous en voyez une autre, vous, de recette ?

1ère cliente :Changer de recette… Changer de recette… C’est facile à dire. Voila trente ans que j’entends répéter qu’il faudrait faire autrement. Mais, ça fait aussi longtemps que personne n’a été capable de proposer de solutions. Et l’opposition, si elle arrive au pouvoir fera rigoureusement la même chose.

2ème cliente :Oui, c’est hélas très vraisemblable. Cependant, il me semble qu’il y a une chose qui est une certitude et que personne ne peut nier.

La pharmacienne : Ah bon ? Et laquelle s’il vous plait ?

2ème cliente : La majorité actuelle, elle sait ce qu’elle fait. Dans ses décisions, elle a des intentions bien précises. Elle ne se détermine pas par hasard de façon aléatoire.

1ère cliente : Ça, c’est sûr.

2ème cliente :Nous, nous avons vu comment dirige l’actuelle majorité et il y a deux possibilités : Ou nous trouvons que sa façon de gouverner est bonne pour nous ou, nous trouvons que cette méthode est mauvaise pour nous.

La pharmacienne : Oui, et alors ?

2ème cliente : Si nous trouvons que son action, par exemple : diminuer le taux de remboursement des médicaments, est bonne pour nous, nous devons voter pour elle afin de lui permettre de poursuivre son œuvre et d’aller plus loin dans ses réformes.

1ère cliente :Oui, mais…

2ème cliente :inversement, si nous trouvons que cette actuelle majorité nous est néfaste, nous devons voter pour n’importe qui mais pas pour elle. Si l’actuelle majorité est de nouveau majoritaire, cela impliquera que le gouvernement reconduit dans ses fonctions, fort de sa nouvelle légitimité se sentira renforcé dans ses options. Il sera donc incité à poursuivre ses réformes dans la même direction (par exemple diminuer le taux de remboursement des médicaments) et, conforté par une nouvelle représentativité populaire, il ne s’en privera pas.

1ère cliente :Oui, mais…

2ème cliente :Plus généralement : Si un gouvernement en place qui nous semble prendre des décisions défavorables à notre égard (par exemple diminuer le taux de remboursement des médicaments) est réélu, il en tirera la conclusion bien compréhensible que la population est derrière lui et le soutient. Il agira, en conséquence, dans la même direction de façon renforcée et, ces choix que nous trouvons défavorables (le moindre remboursement des médicaments), il va les confirmer et les accroître.

La pharmacienne : Vous êtes un peu…

2ème cliente : En clair : On peut avoir une certitude. Si un gouvernement, dont certaines actions sont défavorables (remboursement minoré des médicaments) est réélu, il n’y a aucun doute, il fera pire.

Noir



 

Scène 23

 

Le sortant

 

(Deux personnes dans leur salon.

Le candidat sortant est dans un cadre représentant un récepteur de télévision.

Le poste est éteint)

 

La femme : Tu es sûr que tu veux regarder les candidats ?

L’homme : Oui, pourquoi ? Tu voulais voir autre chose ?

La femme : Pas spécialement. On dirait qu’ils ont fait exprès. Sur toutes les chaînes, ou bien c’est sans intérêt, ou bien c’est la campagne électorale

L’homme : C’est le dernier jour. J’ai envie de savoir ce qu’ils vont dire.

La femme : Et depuis deux ans, tu ne le sais pas encore ?

L’homme : Si, mais après, nous allons avoir la paix pour cinq ans.

La femme : Penses-tu ! Dans trois moi, ils vont recommencer. Bon, j’allume. (Elle allume le téléviseur. Ils s’assoient tous les deux sur le canapé. On entend un générique puis le panneau s’efface et le candidat apparait).

Le candidat : Mes chers concitoyens, c’est avec une grande émotion que je m’adresse à vous aujourd’hui. En effet, cette campagne électorale touche à sa fin. Ce soir, à minuit, elle sera officiellement terminée. Il ne vous restera que quelques heures pour réfléchir dans le calme et la sérénité. Vous allez considérer au fond de vous-même, dans votre âme et conscience tout ce qui vous a été dit.

L’homme : Oui, d’accord, ça, on le savait déjà.

La femme : Bon, bah tais-toi ! Tu voulais l’écouter, alors, écoute.

Le candidat : Il y a cinq ans, vous m’avez demandé de conduire le pays. Je m’y suis employé de toutes mes forces. Pendant mon mandat, nous avons accompli de grandes choses. Nos industries ont rayonné sur toute la planète.

L’homme : Ouais ! Mais si tu n’as que les voix de leurs actionnaires, tu risques de ne pas aller loin.

La femme : Tais-toi.

Le candidat : Toujours porteuses de l’étendard des libertés, nos armées sont intervenues tous les théâtres d’opération où la démocratie était menacée.

L’homme : La démocratie ou les intérêts pétroliers ?

La femme : Mais tais toi, il ne t’entend pas.

Le candidat : Dans diverses coalitions des nations unies, notre pays à montré sa présence indéfectible…

L’homme : Excellente publicité pour présenter son matériel militaire à des petits dictateurs locaux.

La femme : Je vais te bâillonner.

Le candidat : Suscitant le respect au plus haut niveau.

L’homme : Ouais, et qui c’est qui paie ?

La femme : Tais-toi donc. Tu vas t’énerver et tu dormiras mal.

Le candidat : A l’intérieur, bien que, comme tous les états développés, nous ayons été frappés par une crise financière mondiale sans précédent, nous avons su en limiter les effets.

L’homme : Ah bon ? Parce que ça aurait pu être pire ?

La femme : Mais tu vas arrêter ?

Le candidat : Grâce à notre action spécifique, notre pays a été parmi les moins pénalisés dans le monde.

L’homme : C’est nous les meilleurs. Les autres sont tous des nuls. Vivent nous ! Vivent nous ! On a gagné on a gagné on a… On a gagné on a gagné on a… On a

La femme : Si tu continue, j’arrête la télé.

Le candidat : Enfin, malgré les conditions déplorables, nous avons obtenu une régression notoire de l’insécurité.

L’homme : Menteur.

La femme : Tu ne peux pas te retenir, hein !

Le candidat : Et mon adversaire, que vous propose-t-elle ? Des promesses irréalistes des projets irresponsables ? Et la volonté délibérée de détruire tout ce que nous avons eu tant de mal à élaborer. Si vous suivez son discours mensonger, vous précipiterez, derrière elle le pays dans une aventure hasardeuse et catastrophique.

L’homme : Oui, allez, abrège !

La femme : Ne l’interromps donc pas.

Le candidat : Mes opposants, si vous leur faites confiance, Pendant quelques mois, un an, peut-être, Ils vous berceront d’illusions stériles et à terme calamiteuses. Tôt ou tard, ils devront se rendre à l’évidence que nous avions raison et ils reviendront sur nos positions.

L’homme : Donc, ce sera pareil.

La femme : Donc, ce n’était pas la peine d’écouter.

Le candidat : Hélas, ce temps passé sera perdu. Il sera trop tard. Je vous le dis, oui, je vous le dis, chers concitoyens, en toute conscience, je vous le dis de façon solennelle, ne vous laissez pas suborner par des sirènes trompeuses. La seule vraie voie pour continuer dans le bon chemin consiste à me permettre de vous conduire plus loin sur la voie du progrès de la démocratie et de la liberté.

L’homme : (Il se lève et entonne la Marseillaise). Ta ta ta tan  ta ta ta tan ta ta. Allez hop ! (Il éteint la télévision). Au lit.

La femme : Eh ! Et moi ? Je voulais regarder ma série !

L’homme : Oh ! Excuse ! (Il rallume).

 

Noir

  

 

Scène 24

 

Le prétendant

 

(Les mêmes au même endroit.

La femme est assise devant le récepteur,

l’homme arrive).

 

L’homme : Je croyais que tu voulais regarder ta série !

La femme : Oui, mais elle est supprimée. Sur l’autre chaîne, c’est la même chose.

L’homme : C’est ce qu’on appelle la liberté de penser. Tu as le choix entre ça et… Rien d’autre. Tu ferais mieux de venir dormir.

La femme : Oui, mais maintenant que j’en ai vu un, je vais regarder l’autre.

L’homme : Ah oui ! Je te comprends. Tu ne veux pas avoir une information à sens unique. Tu veux rester objective.

La femme : Mais bien sûr, qu’est-ce que tu crois ?

(Générique, la candidate apparait).

La candidate : Mes chers concitoyens, c’est avec une grande émotion que je m’adresse à vous aujourd’hui. En effet, cette campagne électorale touche à sa fin. Ce soir, à minuit, elle sera officiellement terminée. Il ne vous restera que quelques heures pour réfléchir dans le calme et la sérénité. Vous allez considérer au fond de vous-même, dans votre âme et conscience tout ce qui vous a été dit.

L’homme : Oui, d’accord, ça, on le sait déjà.

La femme : Tais-toi et laisse moi écouter.

La candidate : Il y a cinq ans, vous avez élu un candidat qui, aujourd’hui encore, malgré des résultats calamiteux, brigue vos suffrages. Dimanche, si vous décidez de choisir une voie nouvelle, et que vous m’élisez, je m’y emploierai de toutes mes forces. Pendant mon mandat, nous accomplirons de grandes choses. Nos industries et nos grandes compagnies rayonneront sur toute la planète…

L’homme : Alors, adresse-toi à leurs actionnaires, pas à nous, tu te trompes de cible.

La femme : Tu ne vas pas recommencer !

La candidate : Sur les différents théâtres d’opérations où nos armées se sont engagées, elles ne se sont manifestées que de façon trouble, indécise et timorée alors que la démocratie y était menacée.

L’homme : La démocratie ou les intérêts pétroliers ?

La femme : Ça, tu l’as déjà signalé à l’autre, tout à l’heure.

L’homme : Oui, mais ce n’est quand même pas de ma faute s’ils disent les mêmes âneries !

La candidate : A l’intérieur, La crise financière a servi d’alibi pour justifier une gestion chaotique. Cette crise, elle-même, n’a été traitée que de façon inconséquente et sans vision d’ensemble. Du coup, notre population en a subi, de plein fouet, les résultats parfaitement injustifiés. Les pires effets n’ont pu qu’être supportés par nos citoyens par leur courage et leur stoïcisme.

L’homme : C’est nous les meilleurs ! Vivent nous ! Vivent nous !

La femme : Je croyais que tu voulais aller te coucher.

La candidate : Enfin, notre politique sécuritaire s’est manifestée par un cinglant échec et la délinquance, suite à ces procédés dépassés s’est développée de façon effrayante.

L’homme : Menteuse.

Ma femme : C’est compulsif, hein !

La candidate : Et mon adversaire, que vous propose-t-il ? Rien. Rien de plus que de persister dans les mêmes erreurs. Ce qu’il n’a pas fait depuis cinq ans, pourquoi s’y résoudrait-il maintenant ?

L’homme : Bon, allez, abrège !

La femme : Ne l’interromps donc pas.

La candidate : Prenez la bonne décision avant qu’il ne soit trop tard. Je vous le dis, oui, je vous le dis, chers concitoyens, en toute conscience, je vous le dis de façon solennelle, ne vous laissez pas abuser par des sirènes trompeuses. La seule vraie voie pour aller dans le bon chemin consiste à me permettre de vous conduire plus loin sur la voie du progrès, de la démocratie et de la liberté.

L’homme et la femme : (se lèvent comme mus par un ressort. Ils mettent leur main devant leur bouche comme s’ils tenaient une trompette et, en marchant en rond au pas cadencé, entonnent la Marseillaise). Ta ta ta tan ta ta ta tan ta ta ta tan ta ta ta tan ta ta

L’homme : Allez, hop ! (Il éteint le téléviseur)

La femme : Au lit !

 

 

Noir

 

 

Scène 25

 

Prête pour demain?

 

(Les deux vieilles.

Ninie astique une poêle avec une éponge métallique.

Coco arrive).

 

Ninie: Alors, tu es prête?

Coco: Prête à quoi?

Ninie: Prête pour demain!

Coco: Ah! Pour les élections? Bien sûr! Mais qu'est-ce que tu fais, là?

Ninie: Bah comme tu peux voir, j'astique une poêle. J'avais mis des pommes de terre à cuire et je les ai oubliées. Ça a collé et maintenant, il faut que je gratte.

Coco: Ouais. Bah, c'est agaçant.

Ninie: Tu n'as jamais de gamelle à ravoir, toi?

Coco: Si, mais je ne le fais pas en public.

Ninie: Madame est une grand discrète!

Coco: Non, mais je n'étale pas mes inconséquences sur la voie publique.

Ninie: Donc, pour demain, tu es prête.

Coco: Oh, tu sais, ce n'est pas très compliqué. Je vais à la mairie; bonjour M'sieurs Dames; je vote; au revoir M'sieurs Dames et puis je rentre à la maison. Arrête un peu de gratter, là.

Ninie: J'ai presque fini.

Coco: Oui, mais ça m'agace.

Ninie: Ah oui? tu trouves ça agaçant, toi, que je nettoie une poêle?

Coco: Non, mais c'est le bruit.

Ninie: Le bruit? Quel bruit?

Coco: Toi, là: Cr cr cr cr cr...

Ninie: Ah, ça? (elle frotte)

Coco: Oui, c'est pénible.

Ninie: Toi, il ne faut vraiment pas grand chose pour t'agacer.

Coco: Ouais, bah arrête quand même.

Ninie: Donc, pour demain, tu es prête.

Coco: Je te l'ai déjà dit au moins cinq fois.

Ninie: Parce que demain, si le hasard fait bien les choses... (Elle chante en défilant et en brandissant sa poêle)  La victoire en chantant, nous ouvre la barrière...

Coco: Oh! Eh! Oh! Du calme!

Ninie: Demain, tu vas voir!

Coco: Ah bon? Demain, c'est le grand soir? c'est le début des lendemains qui chantent?

Ninie:  Demain, avec un peu de chance, ça pourrait être le grand ménage. (Avec de grands gestes de sa poêle): Et hop: Celui-là... A la porte! Et celui-là... Dehors! Et l'autre là-bas... Ouste!

Coco: Qu'est-ce que tu fais? Tu t'entraînes pour jouer au tennis?

Ninie: J'anticipe.

Coco: Tu anticipe sur quoi?

Ninie: Sur le grand ménage.

Coco: Ah ouais? Parce que toi, tu fais le ménage avec une poêle? Même pas nettoyée.

Ninie: J'anticipe sur la grande raclée. (Elle chante) La liberté guide nos pas.

Coco: Non, mais tu vas te calmer?

Ninie: Me calmer? Non, au contraire. Je suis toute excitée. (Elle chante de façon tragique):Rois ivres de sang et d'orgueil, le peuple souverain s'avance

Coco: Stop! tu chantes faux en plus.

Ninie: Moi? Faux? Tu plaisantes? Je l'ai chanté pour le certif... Même que j'ai eu une bonne note.

Coco:  Bah l'examinateur devait être sourd.

Ninie: (Dramatique)Tyrans descendez au cercueil...

Coco: Tu veux vraiment ameuter tout le quartier.

Ninie: N'importe comment, demain sera un grand jour.

Coco: Si tu le dis...

Ninie: Oui, si ce sont les mêmes qui repassent, on en reprend pour cinq ans et si c'est pas les mêmes...

Coco: On en prend aussi pour cinq ans.

(Elles sortent toutes les deux en chantant, au pas cadencé et en tapant des pieds Ninie brandit sa poêle et Coco la suit en lui mettant la main sur l'épaule)

Les deux: La République nous appelle.

Sachons vaincre ou sachons périr...

Etc.

 

Noir progressif

 

 

Scène 26

 

Chœur final

 

(Tous les acteurs)

 

Cette scène est un chœur parlé. Le rythme permanent est une brève une longue, ce que les hellénisants appellent un iambe. Cependant, certains vers commencent par une longue isolée mise en anacrouse. Lorsque c'est nécessaire, des barres de fraction sont mises pour matérialiser la séparation entre les iambes donc la fin d'une longue avant une brève, ce qui, souvent, peut sembler arbitraire. Les rimes féminines, au lieu d'être estompées, sont, au contraire, fortement appuyées (comme dans la java).Le tempo doit être alerte, évoquant la susdite java et les paroles sont énoncées un peu dans le style du rap. Le ton doit être gouailleur et un rien canaille

.

 

Un acteur (ou une actrice): Et maint'nant, M'sieurs dames, maintenant que nous avons vu tout ce dont nous sommes capables, nous allons vous interpréter la ballade de la grande réconciliation.

Un autre: Et allez! en avant pour la ballade!

 

 

Une femme:

Il/ arriv' de temps en temps qu'un beau dimanch' matin

Tout bien débar/bouillé, frais et la mine dou...ce,

Un homme:

On/ s'en va rénover l' monde on en est bien certain

C'est jour des élections et l'espoir nous y pou...sse.

Les femmes:

On s'ren/gorge un /peu plus comm' un' vieill' poul' qui glou...sse.

Un hommes:

Y a/ les gens d'tous les partis et y a mêm' les anars

Un autre:

Et/ aussi tous les réacs qui en fil' de canards

Suiv' les/ grands utopist', y aura/ pas un'/ fauss' no...te.

Une femme:

Et,/ si ça/ n'marchait pas bien par un mauvais hasard,

Les femmes:

Oui, ça,/ sachons-/le bien ça s'rait aussi d'not' fau...te.

 

Un homme:

Mais,/ malgré tout' les envies l'av'nir est bien lointain

Les hommes:

Et on/ fait tout c'qu'on peut sans avoir trop la frou...sse.

Une femme:

Les/ grands es/crocs du pouvoir nous prenn' pour des crétins

Les femmes:

Nous dis' n'impor/te quoi et s'paient bien not' frimou...sse;

Les hommes:

Dans leurs/ palais dorés, ils rient et nous détrou...ssent.

Un homme:

Nous/ nous traî/nons dans/ la boue, nous com/prenons trop tard

Une femme:

Et/ nous gas/pillons nos vies grugés par des pillards

Un homme:

Qui nous/ endor/ment tous nous voulant à leur bo...tte,

Une femme:

S'il/ pouvaient nous bouf/fer crus en plus de leur caviar,

Les hommes:

Oui, ça/ sachons-le bien ça s'rait aussi d'not' fau...te.

 

Deux femmes:

I'/ s'peut bien qu'par un beau jour, nous chang'rons not' destin,

Deux hommes:

Sans plus nous four/voyer, et sans d'trop grand' secou...sses

Les femmes:

Nous/ aurons bien su choisir parmi tous les bull'tins

Les hommes:

Ç'ui la qui nous mettra/ au de/hors de/ nos hou...sses

Tous:

Et qui/ viendra enfin pour nous à la rescou...sse.

Les hommes:

Quand/ c' jour-la viendra enfin nous s'rons/ tous bien gaillards

Et pour/ nous tirer d' là forcé/ment dé/brouillards

Les femmes:

Pour bran/dir nos espoirs afin qu'au vent ils flo...tent.

Si/ tous les/ hommes a/ffranchis/ se com/ptaient par milliards

Tous:

Oui, ça,/ sachons/-le bien/ ça s'rait aussi d'not' fau...te.

 

Les femmes:

Princ'/ qui mal nous gou/vernez, il ne s'ra pas trop tard

Les hommes:

Pour pouvoir vous oublier, vous perdr' dans du brouillard.

Tous:

Lorsque, tout beaux, ils sor/tiront de votre cro...tte

Les hommes:

A/lors les humains ravis chant'ront d'un air roublard

Les femmes:

Et,/ si d' la frater/nité ils sort' les é/tendards

Tous:

Oui, ça,/ sachons/-le bien ça s'rait aussi d'not' fau...te.

 

(Plus fort)

Oui, ça,/ sachons/-le bien ça s'rait aussi d'not' fau...te.

 

(En criant et plus lent)

Oui, ça,/ sachons/-le bien ça s'rait aussi d'not' fau...te.

 

 

Noir

 

 

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