Les asclépiades

 

(Les infirmières)



                                                                     Farce


 

                                      Jean DURIER-LE ROUX 2010













Asclépiade blanche ou Dompte venin ou (abusivement) Contre poison. N’ayant pas trouvé de référence de nymphes antique pour les infirmières, nous en avons inventé. Asclépios dieu de la médecine a donné son nom aux plantes asclépiades. Par analogie avec les Naïades, les Oréades et les Hamadryades, voici donc les Asclépiades. Mais, dans le fond, n’est-ce pas que justice ?


 

 

 

LES ASCLEPIADES

 

(LES INFIRMIERES)

 

 

Le chœur                   douze infirmières: les asclépiades. Ce sont des infirmières à l’antique.                                       Comme les joueurs d’une équipe sportive, elles ont de gros numéros    

Le coryphée                            Asclépios dieu de la médecine

Ulysse                                    Roi d’Ithaque

Statue d’Athéna                    Déesse de la science

Statue d’Hermès                    Dieu des voleurs

 

            Les personnages sont pris dans leur dérision. Leurs costumes leur vont mal, un peu comme les caricatures de Daumier représentant les acteurs tragiques. Athéna, sous son costume héroïque doit ressembler à une brave mère de famille et Hermès à un galopin de banlieue. Pour le coryphée, il faut garder en tête que c’est une dérision. Seul, de temps à autre, Ulysse gardera un semblant de sérieux. En revanche, il est vieillardissime.

               La scène est ornée de deux statues (en jardin : Athéna et en cour Hermès). Deux ou trois sièges de différentes hauteurs.

 

 

 

 

 

LES ASCLEPIADES

 

(LES INFIRMIERES)

 

            Le chœur forme une mêlée indistincte d’où partent des cris Ulysse est caché dessous.

 

 

Ulysse: Non! Pas la soussoupe!

Le chœur : Si ! Si ! Si ! La soussoupe !

Ulysse : Elle n’est pas bonne la soussoupe !

Infirmière 2 : Mais si elle est bonne !

Le chœur : Elle est bonne la soussoupe !

Infirmière 4 : Oh ! Qu’elle est bonne !

Infirmière 6 : Hum ! C’est bon ça !

Ulysse : (Se dressant et crachant)

Bah ! C’est mauvais !

C’est mauvais !

(Sur un ton pleurnichard) Je vous dis que c’est mauvais !

Infirmière 8 : allons ! Allons !

Infirmière 10 : On ne fait pas sa mauvaise tête.

Infirmière 12 : Allez, on ouvre grand !

Ulysse : Non !

Le chœur :(se jetant sur lui) Ho ! Là ! Voilà, hop !

Infirmière 1 : Hum ! C’est bon, ça !

Infirmière 3 : Et puis, la soussoupe, elle a été composée tout exprès par ce bon docteur Asclépios.

Infirmière 5 : Et il s’est appliqué ce bon Docteur Asclépios.

Le chœur : Oh oui, qu’il s’est appliqué !

Le coryphée : Mais il s’applique toujours le docteur Asclépios.

La question ne se pose même pas !

Infirmière 7 : Oui, mais là, encore plus.

Infirmière 9 : Vous pensez, pour papy Ulysse !

Infirmière 11 : Qu’est-ce qu’on ne ferait pas ?

Le chœur : La soussoupe ! La soussoupe !

Ulysse : C’est pas bon !

Le chœur : La soussoupe ! La soussoupe !

Le coryphée : Pas bon ? Avec des feuilles d’olivier, des racines de pissenlit, des chardons (pour le piquant), Plus des orties (contre les rhumatismes), quelques toiles d’araignée, de la bave d’escargot (pour lier un peu) et de la balayure de grange pour tout ce qui manque ?

Ulysse : Non, ce n’est pas bon.

Le coryphée : Si, c’est très bon pour la santé d’un vieillard acariâtre.

Ulysse : D’abord, je ne suis pas acariâtre.

Le chœur : Hou ! Là !

Le coryphée : Oui, mais très bon pour la santé quand même.

Ulysse : Pour la santé, je ne sais pas mais pour la bouche c’est … A mi chemin entre immangeable et franchement dégueulasse.

Le chœur : Oh !

Le coryphée : C’est une médecine. Il faut la prendre.

Ulysse : Une médecine ? Mais je ne suis pas malade !

Le coryphée : La vieillesse, c’est la maladie.

Le chœur : Et quand on a la maladie, il faut prendre la médecine pour avoir la guérison.

Le coryphée : La vieillesse est une maladie incurable.

Ulysse : Alors, si c’est incurable, cela ne sert à rien. Il n’y a pas besoin de médecine.

Le coryphée : Si, justement. La question ne se pose même pas ! Dans ce cas, il faut prendre la médecine pour luter contre l’absence de guérison.

Le chœur : (Très scandé avec une chorégraphie burlesque).

               Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : Je ne veux pas !

Infirmière 1 : Il va falloir sévir.

Infirmière 2 : Un : on pince le nez.

Infirmière 3 : Deux : Pour respirer, il ouvre la bouche ;

Infirmière 4 : Hop ! On verse.

Infirmière 5 : Et aussitôt on relève le menton.

Infirmière 6 : Pour re-respirer, il faut bien qu’il avale.

Infirmières 7-8-9-10-11-12 : Ensuite on recommence.

Ulysse : Mais je vous dis que… Blp… Gl…

Infirmière 7 : Et une cuillerée pour pénélope…

Infirmière 8 : Et une cuillerée pour Agamemnon…

Infirmière 9 : Et une pour Ménélas !

Ulysse : Mais je… blp… Gl…

Infirmière 10 : Et une cuillerée pour Hermès !

Infirmière 11 : Et une pour Athéna.

Infirmière 12 : Oh, elle est belle celle là !

Infirmière 1 et 2 : Allez, encore une pour Athéna.

Le chœur : Et une pour Poséidon !

Ulysse : (Se redressant hagard au dessus de la mêlée). Ah non ! Pas pour Poséidon !

Le chœur : Po… séidon ! Po… séidon ! Po… séidon !

Ulysse : Poséidon ! Je le (il mime de l’étrangler). Et puis je le (il lui allonge le cou et fait un nœud). Et puis après (il le comprime entre ses mains. Quand c’est devenu tout petit, il le jette par terre et le piétine avec une danse vengeresse). Et je vous passe les détails ! Poséidon… Non mais… Et puis quoi encore !

Infirmière 1 : Ô divin porteur de la médecine

Infirmière 2 : Regarde ce vieillard bougon !

Infirmière 3 : Il faut inventer un remède savant,

Infirmière 4 : Puisé au fond des sagesses divines,

Infirmière5 : Pour rendre, enfin, le patient : patient.

Demi-chœur cour : (Comme si elles touillaient dans une grande bassine avec un grand bâton)

Rogueumeuleu, Rogueumeuleu !

Trempons sa tartine !

Demi-chœur jardin :

Rogueumeuleu, Rogueumeuleu !

Et sans l’affliger,

Demi-chœur cour :

Rogueumeuleu, Rogueumeuleu !

De bave et d’urine

Le chœur :

Rogueumeuleu, Rogueumeuleu !

Il faut l’obliger !

Ulysse : Ha oui !

Elle est belle la science moderne !

Je vais vous en donner, moi du

«  Rogueumeuleu, Rogueumeuleu ! »

Je résisterai ! Je résisterai !

Vous ne m’aurez pas !

Rogueumeuleu, Rogueumeuleu !

Je résisterai !

Le coryphée : Silence ! Attendez !

Le chœur : Silence… Attendons.

Le coryphée : Je sens une grande vibration.

Il va sortir de moi une invention mirifique.

Le chœur : (en applaudissant et en désordre)  Bravo ! Bravo !

Le coryphée : Attendez ! Ce n’est pas encore sorti.

Le chœur : Ha oui ! Attendons.

Ulysse : Ouais, Bah moi, je m’attends au pire.

Le coryphée : En ce matin du vingt quatre Avril de l’année mille deux cent quatorze… avant Jésus Christ…

Ulysse : Qui c’est celui là ?

Le coryphée : On ne sait pas encore.

On ne le saura que dans mille deux cent quatorze ans.

Ulysse : Très juste.

Le coryphée : La question ne se pose même pas.

Moi :

Asclépios le divin,

Je vais inventer la potion miraculeuse

Qui prolongera la vie du grand Ulysse.

Le chœur : (en applaudissant et en désordre)  Bravo ! Merveilleux ! Magnifique !

Ulysse : C’est quoi qu’il veut faire à ma vie ?

Le chœur : La prolonger.

Ulysse : La prolonger ?

Le chœur : C’est cela même.

Ulysse : Hé mais je n’ai rien demandé ! Moi.

Le coryphée : Je présume que tu mesures la grandeur inouïe de cette chance ! 

Ulysse : Ça, pour mesurer, je mesure !

Mais, c’est vous qui ne mesurez pas à quel point je ne veux pas.

Le coryphée : Tu ne veux pas ? Comment ça tu ne veux pas ?

Ulysse : Non, je ne veux pas.

Le coryphée : Pourtant, les autres Olympiens,

Infirmières 10 11 12 : Ses collègues de bureau,

Le chœur : Et ses chefs !

Le coryphée : Ont décidé,

Pour récompenser ta vie héroïque

De t’accorder cette grâce unique.

Ulysse : Mais puisque je vous dis que je ne veux pas !

Hé ! Quand même ! Ce dont il s’agit,

C’est de ma vie, de ma vie à moi !

Le coryphée : Ts, ts, ts, ts, ts !

Voyons Ulysse…

Quand les divins décident,

Les mortels obéissent.

La question ne se pose même pas.

Ulysse : Oui, oh, ils obéissent lorsqu’ils n’ont pas le choix. Parce qu’à chaque fois qu’ils peuvent… Hop ! Ils font autre chose.

Infirmière 12 : Et, pourrait-on savoir ce que tu voudrais ?

Infirmière 11 : Homme à la courte vue !

Infirmière 10 : Et à la reconnaissance fuyante.

Ulysse : Je ne veux plus rester ici.

Le chœur : Impossible !

Ulysse : Je ne veux plus vieillir.

Le chœur : Impossible !

Ulysse : (Pleurnichant) Je veux retrouver Pénélope !

Le chœur : Impossible ! Impossible ! Impossible !

Le coryphée : Ulysse, homme aux mille tourments,

Rends-toi compte. (Emphatique)

            Tu as la liberté

            Ici dans ces parages

            Dans la félicité

            De vivre sans dommage.

 

            Portes-en la fierté

            Sans rien qui te ravage

Le chœur et le coryphée :

            Tu as la liberté

            Ici dans ces parages

 

Le coryphée :

            Avenir concerté

            Hors des combats sauvages,

Des plaisirs collectés,

S’offrant en pure image,

Le chœur et le coryphée :

Tu as la liberté.

Ulysse : La liberté ! Oui, la liberté !

La liberté de faire ce que je ne veux pas.

La liberté de choisir ce qu’on a décidé pour moi.

La liberté de renoncer à ma liberté.

Infirmière 7 : Mais quel mauvais caractère !

Infirmière 9 : Tout ça pour échapper à la soussoupe.

Le chœur : (crescendo en se dirigeant sur lui, menaçant)

            Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : Non !

Le coryphée : (persuasif et pathétiquement démagogue)

Songe, Ô Ulysse !

Ulysse le grand,

Ulysse le sublime,

Ulysse le sage

Songe à cette sagesse dont tu t’enorgueillis…

Hein ? Qu’est-ce qu’elle va penser de toi

Ta Déesse tutélaire ?

(La statue d’Athéna jusque là immobile commence à s’animer et, au fur et à mesure des compliments, se met à minauder comme une gamine).

Athéna la noble !

Athéna l’inégalée !

Athéna l’incomparable !

Athéna porteuse de la science !

Athéna, la sagesse divinisée !

Hein, que va-t-elle penser ?

Ulysse : Bah justement !

Puisqu’elle est la sagesse ;

Ce que je suis le premier à reconnaître,

Athéna… Elle pense…

Elle pense ce qu’elle veut ! Na !

Le chœur : La soussoupe… La soussoupe… La soussoupe !

Le coryphée : Et puis, Ulysse,

Ce n’est pas tout.

Toi, l’homme aux mille ruses…

(Hermès, croyant qu’on v a parler de lui prend des poses et se rengorge comme un paon. Il se montre de la main, se donne des allures d’athlète, salue la foule, etc.).

La ruse, cette sagesse ultime,

N’est-ce pas encore Athéna ?

(Hermès déçu marque son désappointement de façon grotesque en insistant pour qu’on le regarde. Athéna se moque de lui, rit, se tape sur les cuisses, le montre de l’index gauche et le nargue en passant dessus son index  droit. Hermès la menace d’une grande gifle puis d’un coup de pied. Athéna mime une fausse frayeur).

Le coryphée : Ulysse, tu appartiens à Athéna.

(Hermès saute sur place en agitant les bras pour qu’on le voie. Il essaie d’accaparer les regards du chœur tourné vers Athéna).

Infirmière 6 :

Ô ! Grande Athéna, montre à ce vieillard bougon,

Infirmière 7 :

En l’empoignant par son oreille ou par sa croupe,

Infirmière 8 :

Du haut, du bas, il faut qu’il sorte de ses gonds.

Le chœur :

Et dis lui qu’il faut toujours manger la soussoupe.

(Athéna fait comme si elle se concentrait et se préparait à envoyer un sors puissant. Au dernier moment, Hermès ramasse des petits cailloux et les jette sur Athéna).

Athéna : (Sur un ton un peu niais) Ah bah non alors !

Hermès : (La singeant) Ah bah non alors !

Ah bah non alors !

Athéna : Tu m’as fait manquer mon coup !

Hermès : Gna, gna, gna !

Gna, gna, gna !

Athéna : Bon, je recommence. (En le surveillant, elle refait les mêmes préparatifs. Il prend des airs innocents et au dernier moment, lui relance des cailloux. Elle tape du pied)

Hermès !

Si tu continues, je vais le dire à Papa !

Hermès : Dire à Papa ! Dire à Papa !

Checreu, checreu, checreu !

            Dire à Papa !

Alors, moi, je lui dirai, à Pâpâ !

Que ce n’est même pas vrai ;

Que c’est toi, pour m’embêter,

Pour me porter tord,

Pour me dévaloriser face à la postérité

Qui a inventé cela.

Athéna : Il ne te croira pas.

Hermès : Voyez-vous ça !

Et pourquoi ?

Athéna : Mais parce que tu es,

Et tout le monde le sait,

Le Roi des menteurs.

Hermès : Heu… Le dieu.

Si tu n’y vois pas d’inconvénients.

Le Dieu… Pas le Roi… Le Dieu !

Simple rectification hiérarchique.

Athéna : Justement ! Raison de plus !

Hé ! (S’adressant au chœur et au public et se montrant de la main) : La science et la sagesse.(Montrant Hermès) : Le commerce, le vol et le mensonge. (Se montrant elle-même et Hermès) : La sagesse… Le mensonge… Le mensonge… La sagesse.

Lui ou moi.

Qui croyez vous que l’on croira.

Le coryphée : La question ne se pose même pas !

Le chœur et le coryphée : Qui croyez-vous qu’on croit Que Papa Zeus croira ?

Hermès : Ô nuée ignorante !

Ô foule sans esprit !

Faut-il vraiment tout expliquer ?

Le coryphée : La question ne se pose même pas !

Hermès : La réalité pure,

La vérité toute nue,

L’évidence première et fondamentale,

La loi naturelle et universelle…

Si cela tombait sous le sens commun

De tout un chacun,

Croyez vous qu’il serait nécessaire,

Pour les promouvoir,

D’avoir une Olympienne sagace ?

Plutôt pas trop mal conservée de sa personne,

J’en conviens.

Le chœur : Il en convient… Il en convient.

Hermès : Mais non !

Pour avérer une douce connaissance,

Il faut dépenser des trésors d’énergie.

La sincérité n’est pas admissible

Et la sagesse et la science ne sont pas crédibles. 

Le chœur : Ne sont pas crédibles.

Hermès : En revanche,

Une énorme contre vérité,

Une absurdité flagrante

Une bonne grosse niaiserie bien scandaleuse,

Voila qui plait bien davantage !

Plus c’est monstrueux

            Et délirant,

Plus l’auditeur ébloui et hébété est séduit.

Alors, vous pensez !

Un vrai gros mensonge,

Bien préparé,

            Bien agencé,

                        Bien ordonné

                                   Et bien ficelé…

Dit avec un ton de naïve candeur,

La main sur le cœur

Et avec des élans d’émouvante sincérité,

Cela passe avec une inexprimable facilité.

Le chœur : Facilité… Facilité.

Hermès : Le mensonge, par définition,

Cela est fait pour être cru.

Si le mensonge n’était pas cru,

Il n’existerait plus.

Le coryphée : La question ne se pose même pas. !

Hermès : Si toutes les vérités les plus élémentaires

Etaient choses automatiquement acquises,

Elles seraient, avec un ennui sans nom

D’une désolante banalité.

En revanche, l’industrie du mensonge,

Avec son inventivité, sa verve,

Son habileté, son intelligence et sa créativité,

Si elle n’existait pas,

Il faudrait l’inventer.

Le chœur : Il faudrait l’inventer.

Athéna : N’empêche, c’est moi que Papa croira !

Hermès : elle n’a rien compris.

Athéna : Si ! C’est moi.

Hermès : Non, moi !

Athéna : Si ! Moi !

Hermès : Tu veux parier ?

Athéna : Non, je ne parie jamais.

Hermès : Ah ! Bah voila !

Elle est certaine de tout ! Mais elle ne parie pas.

Tu n’es pas sûr’ de toi… e !

Tu n’es pas sûr’ de toi… e

C’est moi que Zeus croira… e

Athéna : (Se tournant de l’autre côté et se bouchant les oreilles) : Tu peux dire ce que tu veux !

Je ne t’entends plus !

Hermès : (Sortant un téléphone portable, compose un numéro) : A…thé…na. (Le téléphone d’Athéna sonne).

Athéna : Oh ! On m’appelle !

Oui, bonjour !

Hermès : Mademoiselle Athéna ?

Athéna : Oui, c’est moi-même !

Hermès : (Hurlant) C’est moi qu’il croira !

Athéna : Oh ! (elle range son téléphone)

Hermès : (tape un message).

« C » tout seul ça fait c’est.

Moi : M, W, A.

Oui, pour simplifier, « M, W, A », c’est plus court que « M, O, I ».

Qu’il : K, I, L.

Alors : « croira » : « que, re, double ve, a, re, a.

« c mwa kil crwara ».

Voila. Hop !

Athéna: (Regarde son message et répond)

« M,M pas (P,A) vrai : V,R,E accent aigu.

Il n’y a pas d’accent aigu.

Bon, tant pis, il s’en passera.

Hermès : (Déchiffrant)

Hmmm pa vreu.

Ulysse : Et Voila !

Ah ! Elles sont belles

Les entités supérieures

Qui gèrent le monde des vivants

Et maintiennent l’équilibre de l’univers !

Et ils voudraient que je devienne comme eux…

Bah, ce n’est pas très motivant, hein !

Infirmière 6 : Non, non ! Ulysse !

Infirmière 7 : Le vieux râleur ;

Infirmière 5 : Insolent,

Infirmière 8 : Irrespectueux,

Infirmière 4 : Et malappris !

Infirmières 4 5 6 7 8 9 :

Surtout ne crois pas qu’on t’oublie, qu’on te loupe !

Le chœur : tu ne pourras pas éviter la soussoupe.

Le coryphée : La question ne se pose même pas !

            Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Athéna : Attendez, tous !

Taisez-vous !

Je crois que j’ai une idée !

Hermès : Allons bon.

Athéna : Je sais que c’est un peu saugrenu,

Mais quand même…

Si, si ! Je crois que c’est une bonne idée.

Nous pourrions, pour tout résoudre,

Je ne sais comment vous dire.

Hermès : Moi, quand j’ai des idées,

Je ne tergiverse pas si longtemps que ça.

C’est beaucoup plus rapidement mis en œuvre.

Le coryphée : La question ne se pose même pas.

Ulysse : Vous voyez, là, je suis très inquiet.

Quand ça commence comme ça,

Généralement, à la fin, c’est moi la victime.

Le chœur : Bon, alors, cette idée ?

Athéna : Je sais, c’est osé.

Hermès : Oui, vas-y ! Ose ! Ose !

Athéna : Pour régler tous les différents avec Ulysse,

Ulysse : Qu’est ce que je disais !

Athéna : D’un côté, il le mérite…

Mais c’est un précédent sans…

Sans précédent.

Le chœur : Oui, alors ?

Athéna : Nous devrions lui conférer…

Cela me met mal à l’aise.

Lui conférer l’immortalité.

Ulysse : Et allez donc !

Hermès : Oui, et puis, c’est nouveau, ça comme idée.

Personne n’y avait jamais pensé.

On n’en avait jamais parlé.

Athéna : Mais comment faire ?

Le coryphée : Il faut agir en Olympien.

Athéna : Et invoquer les instances supérieures.

Le coryphée : Unissons nos forces et,

Ensemble, invoquons.

(Le coryphée se place entre les deux socles et tend les bras vers les statues qui tendent un bras vers le coryphée et l’autre vers le ciel. Tous trois regardent vers le haut avec un air inspiré).

Les trois : Ma…Gninmagninmagnin…

Ma…Gninmagninmagnin…

Ma…Gninmagninmagnin…

(Avec une voix grave de robot et en regardant en bas) :

Ma voix est dans votre bouche.

Pourquoi dérangez-vous la céleste assemblée ?

(Voix normales)

Ma…Gninmagninmagnin…

Ma…Gninmagninmagnin…

Ma…Gninmagninmagnin…

(Voix graves)

Faites ce que vous voulez

Et fichez nous la paix !

Athéna : Ils sont d’accord !

Ils sont d’accord !

Le coryphée : Ils ont approuvé !

Ils ont approuvé !

Athéna :

Ulysse ! Ô humain au dessus des humains !

Le coryphée :

Les dieux ont pour toi cette bonté extrême,

Infirmière 7 :

L’ultime cadeau d’infinis lendemains.

Infirmière 6 :

Ta consécration, ainsi, est donc suprême,

Infirmière 9 :

Couvrant ton destin tant de miel que de crème.

Infirmière 4 :

Tu peux regarder les divins en égaux

Infirmière 10 :

Laissant aux humains leurs baves d’escargot.

Infirmière 3 :

Ils ont décidé dans leur hauteur affable

Infirmière 5 :

De te délier de ton rude fagot,

Le chœur :

Sachant mieux que toi ce qui t’est agréable.

 

Athéna :

Pour te déplacer, ils t’ouvrent le chemin.

Le coryphée :

Pour chaque matin, résolvant tous problèmes,

Infirmières 5 6 :

Ils te conduiront en te donnant la main ;

Infirmières 7 8 :

Tu avanceras dans leur lumière même.

Infirmières 3 4 :

Sans plus réfléchir à tout ce que l’on sème,

Infirmières 9 10 :

Tu es dispensé d’établir ton magot.

Infirmières 1 2 :

Flottant doucement au-dessus des ragots,

Infirmières 11 12 :

Tu peux savourer la durée ineffable ;

Hermès :

Les dieux t’ont offert la ferveur des bigots,

Le chœur :

Sachant mieux que toi ce qui t’est agréable.

 

Athéna le coryphée :

Ainsi, Ô Ulysse, admiré des gamins,

Infirmières 7 8 9 :

On te montrera ce qu’il faut que tu aimes.

Tu peux jour à jour reporter à demain ;

Infirmières 1 2 3 :

Finie la hantise de mort au teint blême,

L’immortalité te servant de diadème.

Infirmières 4 5 6 :

Enfin libéré de mets plats et frugaux,

Mors à pleines dents ce festin délectable,

Infirmières 10 11 12 :

Les doigts pleins de gras comme dans un gigot.

Pour toi on décide de tes embargos,

Tous (sauf Ulysse) :

Sachant mieux que toi ce qui t’est agréable.

 

Athéna le coryphée :

Il n’est plus besoin de sortir tes ergots ;

Le chœur :

L’immortalité rend ton être admirable ;

Hermès :

Tu es, désormais, au dessus des nigauds ;

Le chœur :

Chacun t’enviera de désir misérable,

Tous (sauf Ulysse) :

Sachant mieux que toi ce qui t’est agréable.

 

Ulysse : Mais puisque je vous dis que…

Le coryphée : Tais-toi !

Tu n’as pas à choisir.

Ceci n’est pas une proposition.

Nous ne te demandons rien.

Le choix d’en haut est fait.

Tu n’as qu’à obéir.

L’Olympe a décidé de mieux te rendre heureux.

La question ne se pose même pas.

Et c’est pour cela que :

Le chœur : Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : Et allez donc !

Et fais ci ! Et fais ça !

Et ne fais pas autre chose !

Remonte tes chaussettes ;

Essuie ton nez ;

Ne parle pas si fort ;

Dis bonjour à la Dame ;

Traverse la rue dans les passages autorisés ;

Défense d’uriner !

Ouais, défense d’uriner…

Et quand on a très envie…

Hein, comment fait-on ? Quand on a très envie ?

Et mets ton chapeau quand tu vas au soleil

Et retire-le quand tu entres dans les temples.

Ne traîne pas les pieds dans l’eau.

Mets une petite laine

Et quand tu manges des sardines à l’huile,

Ne t’essuie pas les doigts dans les cheveux.

Regarde où tu marches.

Ne mange pas trop.

Lave-toi les mains.

Baisse les yeux.

Courbe-toi

Et rampe dans la boue.

Le coryphée : Et ce sera tout pour Monsieur ?

Ulysse : Ha non que ce n’est pas tout !

Il y a aussi : Vas à la guerre !

Et si tu survis, vas payer tes impôts.

Incline-toi devant les chefs, les Rois et les Dieux.

Remercie-les de leur bonté.

Ne parle que si on t’interroge.

Quand tu seras habitué au moule

Dans lequel on t’enferme,

On te contraint et on te conditionne,

Sois heureux de la servitude

A laquelle on t’astreint.

Quand tu en seras là,

De jubilation frénétique,

Bave et roule-toi par terre dans ta salive.

Le chœur : (En le poursuivant en tous sens et en désordre) :

Attrapez-le ! Sus à lui ! Faites-le taire ! Tenez-le ! Attachez-le ! (etc.). On finit par l’attraper et on le ficelle comme un saucisson).

Le coryphée : Tu n’as rien compris.

Ulysse : Oui, je sais, je suis très bête !

Là. Comme ça. Très bête.

Hermès : Mais c’est qu’il répond l’insolent !

Infirmière 7 : Mais faites-le taire !

(On bâillonne Ulysse).

Le coryphée : Mais bien sûr que tu es bête !

Tu crois que la sagesse consiste à agir

En pensant par soi même,

A réfléchir avec sa tête,

A être perspicace,

A ne pas se laisser mener

Par les habitudes des autres.

Hein que tu penses ça ?

Fais nous voir que tu penses ça.

Oh qu’il est mignon

Lorsqu’il pense en silence !

Dis-le encore un peu…

Oui, c’est bien ça !

Le chœur : Oui, mais voila !

Le coryphée : Et c’est là que tu te fourvoie.

Erreur !

Erreur grave !

Confusion totale !

Le chœur : Et cela nous surprend de ta part.

Le coryphée : La sagesse,

Cela consiste à ne pas avoir d’ennuis,

A se faire petit dans son coin,

A se faire oublier,

A se fondre dans le décor,

A se laisser porter par le courant de la foule,

A se rendre où il vous conduit

Sans prendre d’avance ni de retard,

Sans courir devant ni traîner derrière.

La sagesse c’est l’immobilité relative :

L’acceptation totale.

La sagesse, c’est l’art de ne rien inventer,

De ne rien refuser

Et de disparaître dans la multitude

Qui, autour de toi,

Masse larvaire, gluante et marasmatique,

Danse l’hymne à la gloire des choses établies.

 

Le chœur : (dansant autour d’Ulysse d’une façon compassée)

            L’amour des choses établies

Engendre la force du monde

Ainsi se meurt la bête immonde

Quand la pensée est ramollie.

 

Tout ce qui dépasse on l’émonde ;

Buvons le fiel jusqu’à la lie !

L’amour des choses établies

Engendre la force du monde.

 

De nos égouts suivons les ondes

Dans des existences pâlies.

L’intelligence se replie

Et la félicité inonde

L’amour des choses établies

Le coryphée : Oh ! Que c’est beau !

Oh ! Que c’est enthousiasmant !

Oh que la crème glisse dans nos cœurs

Hein Ulysse, que tu la sens glisser,

Dans ton cœur la crème.

Tu la sens, hein ?

Hein ! Que tu la sens :

Cette douceur extrême.

 

Le chœur :

            L’amour des choses établies

Engendre la force du monde

Fuyons la novation qui gronde !

Soumise, la vie est remplie.

 

Vidons nos esprits de faconde !

Faudrait-il qu’on nous en supplie ?

L’amour des choses établies

Engendre la force du monde.

 

Bâtie de bêtise jolie,

Le vide est le seul qui féconde ;

La médiocrité anoblie

Devient le ferment ou abonde

L’amour des choses établies.

 

Hermès : Et vous voyez ça comment ? Vous,

Dans la pratique.

Le coryphée : La question ne se pose même pas !

Le chœur :

            Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : (Après s’être débarrassé de ses liens).

Mais, vous m’ennuyez avec vos chefs !

Parce que les chefs…

Dans le fond…

Ils ne sont pas toujours si brillants !

Tenez, Achille, par exemple.

Infirmière 10 : Oh oui ! Achille, le guerrier inégalable !

Ulysse : Beau garçon, mais une grande brute.

Capricieux et pas très malin.

On lui prend son jouet, et hop !

Il va bouder dans son coin.

Et puis entre nous,

Ne pas être fichu de protéger son talon,

Alors qu’il le savait ?

Et que tout le monde le savait

Ça confine quand même à la niaiserie !

Et Ménélas. Il est bien lui aussi.

Infirmière 3 : Oh oui ! Ménélas, le mari de la belle Hélène.

Ulysse : Ayant la plus belle femme de la terre,

Il s’en va.

Il la laisse seule et va traîner en Crète

On ne sait pas trop pourquoi.

Ensuite, il a besoin de tous les rois de la Grèce

Pour la récupérer.

Athéna : tu en étais Ulysse.

Ulysse : Oui, mais moi, je ne voulais pas.

Eux, ils voulaient.

Ils voulaient surtout aller en Troade

Pour y remplir leurs poches ;

Pour piller, pour razzier et dévaster.

Ça, pour dévaster, ils ont dévasté.

Mais, qu’ont-ils rapporté ?

Je parle des survivants, hein !

Parce que les autres…

Et je ne vous parle pas d’Agamemnon.

Infirmière 8 : Agamemnon, le roi des rois.

Ulysse : Lui, il part dix ans de chez lui.

Quand il revient,

Avec une favorite sous le bras,

Il s’étonne que sa femme

Qui entre temps lui a trouvé un remplaçant,

Ne soit pas contente

Et lui fasse un mauvais sort.

Le chœur : Que de hauts personnages !

Ulysse : Ah ! Ils sont bien les chefs !

Ce sont eux qui commandent.

Et tout le monde trouve ça normal.

Et les dieux ? Ils sont encore pires.

Mais pourquoi ne nous laissent-ils pas

Cultiver nos olives dans notre coin ?

Le chœur : C’est la mission des dieux et des Rois de décider.

Ulysse : Mais, je n’ai pas besoin qu’on m’aide !

Je suis assez grand pour décider moi-même

De mes propres catastrophes

Le chœur : Attention Ulysse, nous allons nous fâcher !

Ulysse : Et alors ?

Pourquoi vouloir s’ingérer

Dans notre indépendance ?

Dans notre intégrité ?

Eh ! Il est où notre libre arbitre ?

Pendant les répliques suivantes, Ulysse est acculé dans un coin et maîtrisé)

Infirmière 4 : Il ne faut pas le laisser dire ça !

Infirmière 8 : Il faut le contrôler !

Infirmière 1 : Il faut le maîtriser !

Athéna : Il faut agir !

Hermès : Oui, agissez !

(Il est maintenu les pieds en l’air. Le coryphée arrive avec une énorme seringue)

Le coryphée : La question ne se pose même pas !

Il faut le neutraliser.

(Il fait une piqure)

Ulysse : (Vociférant et agitant ses pattes). Hou là là ! Hou là là ! Hou ! Aïe aïe aïe aïe aïe !

(Silence. On le repose au sol et on s’écarte).

Le chœur : (avec éblouissement)

            Soussoupe de la paix de l’âme,

Par sa fesse tu es entrée

Finie la folie qui l’enflamme.

Soussoupe de la paix de l’âme,

Oubli des paroles outrées,

Tu as convaincu cet infâme.

Soussoupe de la paix de l’âme,

Par sa fesse tu es entrée.

Ulysse : (se relève lentement et se meut maintenant comme dans des images au ralenti).

Oh ! Que je suis heureux !

Oh ! Que le monde est beau !

Je suis un papillon.

Regardez comme je suis un papillon.

Le ciel est tout rose

Et l’herbe toute bleue.

Je suis léger ;

Je suis diaphane

Et tout est merveilleux.

Hermès : (Au coryphée)

Tu n’aurais pas, un peu, forcé la dose ?

Le coryphée : Non ! Non ! Il fallait ça !

La question ne se pose même pas.

Ulysse : Tout est doux et tiède et léger.

Et toi, Infirmière numéro huit,

Ne voudrais-tu pas sur ma couche torride

Avec moi t’allonger ?

Infirmière 8 : Allons, allons ! Papy Ulysse !

Ulysse : tu ne veux pas !

Oh comme tu as raison !

Et toi numéro quatre ?

Serais-tu moins intimidée ?

Je comprends ;

Je vous comprends.

Ma grandeur vous illumine

Et vous n’osez pas !

Infirmière 4 : (se dégageant)  Mais non, Ulysse, pas moi !

Regarde là-bas !

Ulysse : Oh oui ! Comme tu as raison !

Je vais bondir sur elle.

Elle me tend les bras.

Je cours ; je vole.

Ma tendre, attends-moi !

            La grenouille qui saute

Voudrait s’enfuir d’abord

Mais elle attend son hôte

En ouvrant ses yeux d’or.

Le coryphée : Allons bon !

Voila que numéro 11 a des yeux d’or.

Ulysse : Excuse-moi la belle

Mais je repense à Achille :

Un si gentil garçon.

Beau, généreux et habile au combat !

Et si intelligent, avec ça !

Quelle fin tragique.

Une flèche sournoise

Juste où il ne fallait pas.

Je pleure… Oui, je pleure.

Oh que je pleure !

Mon cœur se viderait de toutes ses larmes

Si on les rangeait là.

Athéna : Allons Ulysse, n’exagérons rien !

Ulysse : Si, si j’ai envie de pleurer

Alors je pleure, na !

Hou ! Hou ! Hou que je pleure !

(Vers l’infirmière 2)  Mais tu sais que tu es mignonne, toi ?

Infirmière2 : (se protégeant) Oui, oui, je sais.

Tout le monde me le dit.

Ulysse : tout le monde ?

Ah tu vois que je ne me trompe pas.

Voudrais-tu…

Infirmière 2 : Non, pas maintenant. Je n’ai pas le temps.

Ulysse : Pas le temps ?

Oh que je te comprends !

Mais plus tard, hein, plus tard !

Infirmière2 : (riant) Plus tard, oui, c’est ça.

Ulysse : Oh que je suis content !

Le coryphée : Vous voyez ! Il est content ?

C’est bien qu’il soit content.

La question ne se pose même pas ?

Ulysse : Et Agamemnon…

Lui aussi c’était un grand roi.

Et un bon garçon.

Et rusé avec ça !

Hermès : Rusé ? Ha bon. Et comment ça ?

Ulysse : Quand son frère Ménélas

Lui a demandé de l’aider

A reconquérir Hélène et d’aller à Troie,

Agamemnon, malin qu’il était Agamemnon,

Il a tout de suite compris

Ce qu’il pouvait tirer de la situation.

Il s’en fichait éperdument, de sa belle sœur.

Mais il s’est frotté les mains.

Comme ça.

Pas comme ça, hein ! (Il frotte ses mains dos contre dos)

Non, comme ça.

Oui, c’est ça, comme ça.

Athéna : Oui, bon, d’accord, comme ça.

Ulysse : Non, pas comme ça, comme ça.

Athéna : Oui, si tu veux. Mais après.

Ulysse : Après ? Je ne sais plus où j’en étais.

Hermès : Après, tu en étais au moment

Où Agamemnon se frottait les mains.

Ulysse : Ah oui ! Comme ça.

Hermès : Voila.

Ulysse : Donc Agamemnon, il se frotte les mains :

Comme…

Tous : Bon, ça va !

Ulysse : Bref, il se frottait les mains

C…

Tous : Houp !

Ulysse : Oui, mais je voulais juste dire

Pas comme ça non plus ! (il se frotte les mains en tournant les bouts des doigts d’une main vers le poignet de l’autre).

Non, non ! Comme ça.

Tous : Agamemnon se frottait les mains

Comme ça. Pas comme ça ni comme ça, comme ça.

Bon, après.

Ulysse : Oui, hein, qu’est-ce qu’on perd comme temps !

C’est votre faute aussi !

Avec toutes vos questions.

Et vous savez pourquoi il se frottait les mains ?

Tous : Comme ça…

Ulysse : Oui, c’est ça.

Vous voyez quand vous voulez !

Et bien, il s’était dit,

Juste avant de se frotter les mains

Que de sa belle sœur,

Il s’en fichait éperdument.

Mais ça, je vous l’ai déjà dit,

Je crois.

Hermès : Le premier qui répond,

Je lui fous mon poing sur la G…

Le coryphée : Mais personne ne répond !

Hermès : Bah il a rudement raison,

Personne de ne pas répondre.

Ulysse : Bon, alors, vous voulez ou vous ne voulez pas

Que je vous dise ce qu’il avait compris Agamemnon,

Juste après avoir constaté

Qu’il se fichait éperdument de sa belle sœur

Et juste avant

Tous : De se frotter les mains (hurlant) Comme ça !

Ulysse : Et bien, Agamemnon, il s’était dit

Qu’il pourrait aller piller la Troade

Juste histoire de s’enrichir un peu.

Alors, hein, vous voyez

Qu’il était intelligent…

Agamemnon… comme ça.

Athéna : Ha, ça, pour voir, on voit !

Ulysse : C’est vrai qu’après, il a eu des misères.

Athéna : Ha bon ? Voyez-vous ça.

Ulysse : Oui,

Rendez vous compte :

Il était parti à la guerre.

Déjà, rien que ça, ce n’était pas beaucoup de chance.

Mais après, il revient :

Tranquille, serein et décontracté.

Il revient la bouche en cœur avec sa nouvelle favorite.

Il s’attendait à ce que son épouse

L’attende sur le pas de la porte

En lui tricotant des chaussettes.

Bah, pas du tout !

Pas du tout, du tout, du tout.

Il arrive et elle lui dit :

Tu es un grand négligé depuis dix ans ;

Tu sens la crasse et la poussière !

Vas te laver.

Lui, conciliant, il accepte.

Et voila-t-il pas que,

Pendant qu’il ferme les yeux,

Parce que quand on se lave les cheveux,

La mousse de la savonnette,

Ça dégouline

Et ça pique les yeux.

Donc, pendant qu’il se lave les cheveux

Et que donc il ferme les yeux,

Hop, elle lance sur lui un filet :

Un grand filet méchant.

Ça, ce n’est pas bien.

Ce n’est pas gentil.

Non, ce n’est pas gentil du tout

De lancer un grand filet méchant

Sur son gentil petit mari

Qui a de la mousse dans les yeux.

Et après, elle le pourfend

D’un nombre indéterminés de coups de hache sur la tête.

Ça aussi c’est très vilain

Parce qu’il a eu très mal.

Si Messieurs Dames, être pourfendu

De coups de hache sur la tête,

Ça fait très mal.

Et puis, l’enquête a été un peu bâclée.

On n’a jamais su exactement

De combien de coups de couteau elle l’a lardé.

Toujours est-il que lui,

Cela ne lui a pas fait plaisir !

Il a été très déçu

Du comportement de son épouse.

Alors, cela me rend triste

Et je pleure.

Athéna : Ah non !

Tu ne vas pas recommencer à pleurer !

Ulysse : Si, si ! Je repleure.

Hou ! Hou ! Hou ! Que je repleure.

Le chœur : Il pleure ! Il pleure ! Il pleure !

Et il repleure ! Et il repleure ! Et il repleure !

Ulysse : Remarquez, il y a aussi Ménélas.

Hermès : Allons bon !

Je l’oubliais, celui là.

Ulysse : Lui, on ne sait pas.

Hermès : Ouf ! Tant mieux ! C’est déjà ça.

Ulysse : C'est-à-dire, on sait le début.

C’est la fin qu’on ne sait pas.

On lui avait pris sa femme.

Alors, comme c’était un bon garçon,

Il a convoqué tous les guerriers de la Grèce

Pour aller la récupérer.

C’était la guerre !

La guerre !

Avec plein d’horreur et plein de morts.

Mais, Ménélas, qui était un brave garçon,

Lui, à la guerre, il n’a pas fait parler de lui.

Non, non.

Il ne se battait pas trop.

Pas fier du tout,

Il laissait sa place aux autres.

Oui, il ne leur disputait pas

L’honneur de s’illustrer dans les combats

Pour retrouver Hélène

Puisque les autres, eux,

Ils n’étaient venus que pour ça.

Et puis, quand ça s’est terminé,

Qu’Hélène, toujours aussi belle

Malgré ses dix ans de plus,

A été retrouvée,

Clopin-clopant,

Bras dessus, Bras dessous,

Ils sont rentrés à la maison.

Et c’est là qu’on ne sait plus.

Hermès : Bon, bah on va parler d’autre chose, alors.

Ulysse : Oui, mais non.

On ne sait plus.

On ne sait plus rien.

Que sont-ils devenus ?

Moi, je l’aime bien Ménélas.

Je voudrais avoir des nouvelles de Ménélas.

Toi, asclépiade numéro cinq,

As-tu des nouvelles de Ménélas ?

Non, tu n’en as pas ?

Et toi, numéro neuf ?

Pas davantage.

Et toi, Hermès qui sait tout ?

Non, tu ne sais rien.

(Au public)

Et vous, quelqu’un a-t-il des nouvelles de Ménélas ?

(Le coryphée fait signe au public de répondre non)

Hein, je vous le demande :

Quelqu’un a-t-il des nouvelles de Ménélas ?

Le public : Non, non.

Ulysse : Il y en a qui ont dit oui ?

Alors, qu’ils viennent nous expliquer, ceux là.

J’attends.

Ah bah alors !

C’est facile hein, de crier comme ça dans la foule,

Mais venir s’exprimer seul face au peuple…

On est moins fier

Donc, même pas vous ? Pourtant, vous êtes nombreux !

Et alors, comment je vais savoir, moi ?

Je sens au fond de moi

Comme un chagrin qui remonte, là.

Ça part d’ici (Il montre son nombril)

Peut-être même un peu plus bas…

Pas trop quand même ;

Et ça remonte comme ça.

Et ça va déborder !

Athéna : Ah non ! Tu ne vas pas pleurer sur Ménélas !

Puisque tu as dit que pour lui,

Tout s’était bien fini.

Ulysse : Mais, je ne pleure pas sur Ménélas !

Enfin, pas encore.

Non, je pleure parce que

Je n’ai pas de nouvelles de Ménélas.

Je veux des nouvelles de Ménélas !

Oh que je les veux !

Oh que je suis malheureux !

De ne pas avoir de nouvelles de Ménélas.

Oh que je suis malheureux !

Oh que j’ai envie de pleurer !

Ça y est ! Je ne peux pas me retenir !

Athéna : Et allez donc ! C’est reparti !

Ulysse : Je re-repleure ! Hou que je re-repleure.

Je suis étouffé par les sanglots du re-repleurage.

Je sens que je vais me jeter au sol dans mes larmes

Et me tordre dans d’affreuses convulsions.

Le chœur : Ulysse, pour ton cœur déchiré,

Si Rempli de larmes amères,

Afin d’éviter d’empirer,

Oui, hurle et roule toi par terre.

Ulysse : (toujours au ralenti se roule par terre).

Hou là, là ! Hou là, là !

Je suis au désespoir !

Hou là, là ! Hou là, là !

Je veux des nouvelles de Ménélas

(Se redressant à moitié)

C’est vrai, ça ! Pourquoi n’écrit-il pas ?

Ne serait-ce que pour la bonne année.

Le chœur : On voit que cela tout à coup t’emprisonne.

Tu es écrasé d’un chagrin si amer

Que le flot des larmes salées t’empoisonne

Et, coulant de toi fait déborder la mer.

Ulysse : La mer, oui, la mer.

Je l’ai parcourue la mer.

(Se relevant)

Vous croyez vraiment, qu’avec mes larmes,

Elle va déborder, la mer ?

Infirmière 8 : Bien sûr qu’elle va déborder !

Infirmière 12 : Si tu n’arrêtes pas de pleurer.

Ulysse : Alors, les îles seront submergées ?

Bon, arrêtons de pleurer.

La mer… La mer…

Et Poséidon.

Voila un dieu important !

Et avec ça, bon, généreux et bénéfique !

Hermès : Tiens ! C’est nouveau, ça !

(Au coryphée) Je crois vraiment que tu as exagéré.

Le coryphée : Non, non, non ! Il fallait ça.

La question ne se pose même pas.

Ulysse : Vous savez, moi, je l’aime bien, Poséidon.

Si, si ! Je l’aime bien.

Je le révère et je sacrifie dans ses temples.

Hermès : Ah bon ? Tant que ça ?

Ulysse : Bien sûr !

C’est lui qui fait les calmes plats.

Alors, on peut naviguer.

Comme on peut naviguer, on construit des bateaux.

Comme on construit des bateaux,

Il y en a de plus en plus.

A la longue, la mer risquerait

D’être remplis de bateaux.

Alors, faute de place,

On ne pourrait plus naviguer.

On serait obligés de sauter

De bateau en bateau

Et de faire tout à pied.

Vous imaginez la calamité ?

Le chœur : Nous n’avions pas pensé à cela.

Ulysse : Alors, Poséidon, comme il est grand

Bon noble et généreux,

Il organise une petite tempête

Et il en coule la moitié.

Comme ça, ceux qui restent

Peuvent de nouveau naviguer.

Le chœur : Nous n’avions pas pensé à cela.

Ulysse : Et puis, parfois, Poséidon,

Il organise des tremblements de terre.

Ça, je ne sais pas à quoi ça sert.

Je ne suis pas un spécialiste de la terre.

Je ne sais pas, moi.

Ce doit être comme quand on tamise.

On met le tout venant dans le tamis

Et on secoue.

Ce qui est fin passe au travers

Et le plus gros reste dedans.

Il doit faire ça, Poséidon.

Pour trier.

Pour trier quoi ? Je n’en sais rien.

Mais il secoue.

Le chœur : Nous n’avions pas pensé à cela.

Ulysse : Je vous dis que je l’aime Poséidon.

D’abord, j’aime tous les Dieux.

Ils nous donnent des alibis

Pour justifier nos guerres.

Sans eux, nous en serions réduits,

Dans nos conflits et dans nos dissensions,

A reconnaître que nous combattons pour des rapines

Et à avouer des causes économiques.

Mais où irions-nous ? Si les dieux

Ne nous donnaient pas de raisons

Pour exterminer de vastes populations.

Le chœur : Nous n’avions pas pensé à cela.

Le coryphée : La question ne se pose même pas !

Ulysse : Je vous dis que j’aime tous les Dieux.

D’ailleurs, j’aime tout le monde.

Par exemple, toi, Numéro trois, je t’aime !

Toi aussi, Numéro neuf.

Tu veux que je te montre à quel point ?

Numéro neuf ?

Infirmière9 : Non, ce n’est pas la peine ?

Je te crois sur parole.

Ulysse : Toi aussi, Asclépios,

Je t’aime.

Le coryphée : La question ne se pose même pas.

Ulysse : Si, si ! Asclépios, je t’aime.

Et puis, je t’aime même tellement

Que tien, comme ça,

Je vais te faire un bisou

Le coryphée : Hé ! On se calme !

Ce n’est pas utile.

Ulysse : Mais si ! Que c’est utile.

C’est même fondamental !

Le coryphée : Mais fiche moi la paix !

Ulysse : Un bisou… Un petit bisou

Rien qu’un ?

Le coryphée : Je crois effectivement

Que j’ai forcé la dose.

Hermès : Ah ! Tu vois ce que je disais.

Ulysse : Toi, alors, fais moi un mimi.

La, sur la joue.

Un ‘tit mimi

Un ‘tit mimi d’Asclépios…

Sur ma joue à moi.

Hm ! Un ‘tit mimi

Le coryphée : (Se débattant devant les assauts d’Ulysse).

Je ne sais pas ce que vous en pensez,

Mais je trouve qu’il était mieux avant.

Le chœur : Il faut voter !

Ceux qui pensent qu’il était mieux avant

Levez la…

Le coryphée : Non ! On ne vote pas

C’est une décision…

Ah ! Laisse-moi !

Ulysse : Un bisou… Un mimi…

De mon Asclépios à moi.

Le coryphée : C’est une décision de

Ah ! Arrête !

Une décision technique

Donc de vrai technicien

Qui n’appartient qu’à moi

Ulysse : Un bisou… Un bisou

De mon Asclépios sur ma joue à moi.

Le coryphée : (se dépêtrant comme il peut).

Donc, je décide…

Mais laisse-moi !

Je décide qu’il faut appliquer l’antidote.

Le chœur : Oui ! Oui ! L’antidote !

Mais l’antidote, c’est quoi ?

Le coryphée : L’antidote !

Le remède universel :

Le médicament qui guérit tout…

Toi, ne t’approche pas !

Allons, Asclépiades diplômées d’état !

Vous avez le remède ;

Vous avez le patient…

Toi, ne me touche pas !

Vous avez le nombre

Et vous connaissez la méthode et la procédure.

La question ne se pose même pas !

Il est à vous !

Le chœur : (tout en entourant Ulysse pour le cacher, apporte un chaudron et quelques grandes louches et verse sur Ulysse au fur et à mesure du texte suivant).

            Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : (Emerge au dessus de la mêlée. Il a retrouvé une vitesse normale. Il est même un peu gesticulant. En revanche, il continue d’aimer tout le monde).

Oh ! Asclépiade Numéro six ! Comme je t’aime !

Et toi aussi Numéro deux !

(Il essaie d’attraper les infirmières qui, pour lui échapper, courent en tous sens, s’entrechoquent et tombent en poussant des cris variés).

Bonjour Numéro douze, comme je t’aime !

Oh Numéro sept ! Comme tu es aimable !

(Il va vers Hermès qui, du haut de son socle, le repousse à coups de pied).

Et toi, Hermès, je ne t’oublie pas !

Je t’aime aussi !

Hermès : Bas les pattes !

Couché !

Sale bête !

Ulysse : (Continue de poursuivre les infirmières de ses assiduités et arrive devant Athéna).

Lumineuse Athéna !

Athéna aux yeux pers !

Athéna l’éternelle vierge !

Comme je sens que je t’aime !

Et que je suis, de plus en plus, prêts à t’aimer !

Athéna : (En le voyant s’approcher de son socle, sautille sur place et pousse des cris aigus et inarticulés comme une personne qui, ayant peur d’une souris s’est juchée sur un tabouret).

Non ! Pas moi ! Aidez-moi ! Aidez-moi !

Au secours ! Au secours !

Il est là ! Il va grimper !

(Puis, elle crie de façon étranglée et incompréhensible)

Le coryphée : (Pendant qu’Ulysse continue de se précipiter sur tout ce qui l’entoure)

Je crois que ce n’est pas assez.

Il faut augmenter la posologie

(Hurlant sur un ton de fausset aigrelet)

Ça suffit ! Attrapez-le moi !

(On court encore un peu. Ulysse ceinture l’infirmière 5)

Infirmière 5 : Je le tiens ! Je le tiens !

Vite ! Aidez-moi !

(On reforme une mêlée confuse. On maintient Ulysse au sol. Le coryphée s’approche du groupe avec le chaudron et, par-dessus la tête des infirmières en vide le reste du contenu).

(Tout redevient calme. On s’écarte et Ulysse s’assied avec sur la tête et les épaules de grandes lanières comme des algues vertes).

Le choeur: Il faut toujours manger la soussoupe

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Le coryphée : attendons un peu le résultat.

Ulysse : (Se relevant et se débarrassant des algues)

Je crois bien que je n’aime plus personne.

Tous sauf Ulysse : Ouf !

Le coryphée : Oui, ouf.

Mais, cela dit,

Le problème n’est pas résolu.

Athéna : Quel problème qui n’est pas résolu ?

Le coryphée : Il est redevenu comme avant,

Soit, Mais, justement,

La question ne se pose même pas,

Déjà avant, cela ne nous convenait pas.

Le chœur :

            Puisque nous avons supprimé son emplâtre

Posé sur son cœur de façon saugrenue,

Sa hargne antérieure nous est donc revenue

Et c’est à nouveau un vieillard acariâtre !

Athéna : Il faut faire quelque chose.

Hermès : Oui, c’est ça, fais quelque chose.

Athéna : Quelque chose de grand,

Quelque chose de beau,

Quelque chose d’intelligent,

Quelque chose de généreux,

Quelque chose de jamais fait avant.

Hermès : Oui, oui !

Tu es dans la bonne voie !

Tu es sur le bon chemin.

Vas-y ! Vas-y !

Cherche encore !

Allez cherche ! Cherche !

Hou ! C’est bien ça !

C’est une bonne Déesse, ça…

Une bonne grosse Mémère de Déesse.

Allez cherche, cherche !

Athéna : Ho ! Ça va, hein !

On voit bien que ce n’est pas toi !

Hermès : Oui, mais c’était pour aider.

Athéna : Bah justement, ça n’aide pas.

Ça me fait perdre le fil

Et ça m’embrouille.

Hermès : Oui, mais…

Athéna : Tu m’embrouilles !

Hermès : Bon, bon !

Athéna : Qu’est-ce que je disais ?

Ah, oui.

Hermès : Je n’embrouille plus.

Athéna : Toi, tu arrêtes, hein, tu ne dis plus rien.

Hermès : (Sifflotant et regardant ailleurs).

Tout le monde remarque que je n’embrouille pas.

Si quelqu’un embrouille, ici, ce n’est pas moi.

Athéna : Bon, alors.

Hermès : En tous cas, pas en ce moment.

Athéna : Mais tu vas te taire, oui ?

Hermès : Justement, je disais que je ne dis rien.

Athéna : Si tu…

Hermès : Oui, tu vas encore le dire à Papa.

Athéna : Mais je vais le…

Hermès : Moi, en attendant, je vais me reposer un peu. (Il s’assoit sur son socle).

Athéna : Je… Tu… Je vais… Tu me…

Hermès : Remarque, tu fais comme tu veux, hein !

Athéna : Il me…

Hermès : Ce n’est pas moi qui vais te contrarier !

Le coryphée : Allons, allons, allons !

Tantine et Tonton,

Arrêtez de vous chamailler !

Sinon, je vais le dire à Papy.

Hermès : toi, si tu nous ennuies,

Athéna et Hermès : Nous le dirons à ton père.

Le coryphée : Oui, mais si vous le dites à Papa

Et que moi je me plains à Papy,

Vu que les Papy sont plus conciliants

Que les papas,

Papy, qui est le papa de Tantine et Tonton,

Fera les gros yeux à Tantine et tonton ;

Et Papy, qui est le papa de Papa,

Dira à Papa

De ne pas s’occuper du cas.

Hermès : Mais quel sale garnement !

Athéna : Et oui ! Il n’y a plus d’enfant.

Hermès : Alors, Athéna, tu disais ?

Avant que le petit

Ne vienne perturber ton propos

Athéna : Je disais que :

Puisque Ulysse est

Un mortel fatigant pénible et arrogant,

Pour qu’il ne soit plus

Un mortel fatigant pénible et arrogant,

Vu que fatigant, pénible et arrogant,

Nous n’y pouvons pas grand-chose,

Le seul paramètre sur lequel nous pouvons jouer,

C’est sa mortalité.

Ulysse : Et voila que ça recommence.

Vraiment, cela tourne à la manie !

Hermès : Comme ça, nous aurons un immortel

Fatigant, pénible et arrogant.

Je ne sais pas si nous aurons beaucoup gagné au change.

Athéna : Mais si !

Ulysse étant promu au rang des immortels,

Il baignera sans cesse

Dans la tiédeur et la félicité.

Plus de soucis pour sa survie,

Plus de quête de nourriture,

Et toujours richement vêtu.

Le coryphée : Plus de maladies !

Donc plus besoin de soins…

Ni de remèdes.

Athéna : Il voguera

Dans les éthers diaprés et évanescents,

Donc nimbé d’une infinie sérénité

Et il n’aura plus aucune réclamation.

Tous (sauf Ulysse et Athéna) : (Applaudissements et acclamations).

Hermès : Si tu le dis…

Infirmière 8 : Et nous n’aurons plus à nous en occuper ?

Athéna : Bien sûr !

Le coryphée : La question ne se pose même pas !

Infirmière 11 : Alors, mes sœurs

Brandissons le drapeau de la révolte !

Infirmière 9 : Descendons dans la rue

Pour faire valoir nos droits !

Infirmière 11 : Et, toutes ensembles :

Le chœur : (En scandant comme dans une manifestation et en défilant en rythme) :

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Le coryphée : Oui, bon, on a compris.

Le chœur : Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Le coryphée : Nous avons pris bonne note de votre revendication

Et nous y apporterons satisfaction…

Le chœur : Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Le coryphée : Dès que la conjoncture sera favorable.

Le chœur : Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Pour Ulysse… L’im… mor… talité !

Ulysse : Et mon avis ?

Hein ? Qu’est ce que vous en pensez de mon avis ?

Cela ne vous intéresse pas ?

Infirmière 1 : Quand on fait un cadeau,

On ne demande pas l’avis de celui qui le reçoit.

Infirmière 12 : Et celui qui reçoit doit remercier…

Infirmière1 : et aussi être content.

Infirmière 12 : Même si le cadeau est très laid.

Infirmière 3 : après, il en fait ce qu’il veut, du cadeau.

Infirmière 6 : Il peut le donner à quelqu’un d’autre.

Infirmière 10 : A quelqu’un qu’il n’aime pas.

Infirmière 11 : Ou le mettre à la poubelle.

Ulysse : Et comment voulez-vous que je me débarrasse D’une immortalité dont je ne veux pas

Infirmière1 : Ah, ça, c’est ton problème !

Infirmière 12 : Tu es assez rusé pour ça !

Ulysse : Le plus simple serait tout de même

Que cette immortalité, je ne l’aie pas !

Infirmière 2 : Cela est impossible.

Infirmière 11 : Un cadeau, ça ne se refuse pas.

Infirmière 3 : Et ça ne se refuse pas parce que

Ça fait surtout plaisir à celui qui offre.

Infirmière 10 : Et justement, pour nous, c’est bien le cas.

Infirmière 5 : En te donnant l’immortalité,

Nous nous débarrassons de toi.

Ulysse : Oui, ça, je crois que j’avais compris.

Mais franchement, vous me voyez, moi,

Avec une grande robe blanche,

Assis sur le coin d’un nuage,

Immortellement occupé

A regarder le temps qui passe ?

Infirmière 9 : Mais non, Ulysse, ce n’est pas comme ça !

Infirmière 6 : Pour les immortels, le temps ne passe pas.

Ulysse : Ah bon ? Et pourquoi ?

Infirmière 1 : Parce que le temps qui passe,

C’est une mesure.

Infirmière 9 : Cela se mesure

Parce qu’il y a un début et une fin.

Infirmière 7 : S’il n’y a, soi pas de début

Soi pas de fin…

Infirmière 2 : On ne peut pas mesurer

Ce qu’il y a entre les deux.

Infirmière 12 : On ne peut pas mesurer entre les deux

Parce qu’il n’y en a qu’un.

Infirmière 3 : Donc, pour les dieux,

Qui de par leur immortalité, n’ont pas de fin…

Infirmière 10 : Il n’y a pas de mesure du temps qui passe.

Infirmière 4 : Et donc, pour les Dieux,

Le temps ne passe pas.

Infirmière 5 : Pour les dieux immortels,

Passé, présent et avenir ne sont qu’une seule chose.

Infirmière 11 : Toute compactée

Dans un instant unique et permanent.

Infirmière 6 : Pour les dieux, le temps est hors du temps.

Ulysse : Bien sûr ! Comme c’est clair, tout ça.

Alors, justement, c’est encore pire !

Si je résume ce que vous m’expliquez

Et ce que j’ai dit avant :

Franchement, vous me voyez, moi,

Avec une grande robe blanche,

Assis sur le coin d’un nuage,

Immortellement occupé à regarder

Le temps qui n’en finit pas de ne pas passer.

Le coryphée : Ulysse, tu es de mauvaise foi.

Hermès : Mais laisse-les donc faire !

Athéna : Puisqu’on te dit que c’est mieux pour toi !

Ulysse : Mieux pour moi… Mieux pour moi !

C’est vous qui le dites ! Ce n’est pas moi !

Tenez, cela me rappelle une histoire

Que l’on dit être arrivée à Corinthe il y a longtemps.

Le chœur : Oh oui ! Raconte-nous une histoire !

Ulysse : Un matin, un pédagogue s’entretenait

Avec ses jeunes disciples.

Il leur demande qui avait, la veille,

 

Accompli une bonne action.

L’un d’eux, bien coiffé,

Vêtu en premier de la classe, déclare :

Moi, Maître.

Hier, j’ai aidé une vieille personne

A traverser la rue du temple d’Artémis.

Le maître : Oh ! C’est bien, ça !

Vous voyez, les enfants,

Plus tard, votre camarade Arastides

Sera un bon citoyen.

Et toi, Lythis, Qu’as-tu fait ?

Moi, Maître ? J’ai aidé Arastides

A aider une vieille personne

A traverser la rue du temple d’Artémis.

Ah, c’est bien aussi, dit le pédagogue.

Et toi, Iroméné ?

Moi, Maître, j’ai aidé Arastides et Lythis

A aider la vieille personne

A traverser la rue du temple d’Artémis.

Oui, bon, C’est bien aussi.

Et toi, Gomenon ?

Moi aussi, Maître, j’ai aidé

Arastides, Lythis et Iroméné à aider…

Le maître : Oui, je sais, à aider

Une vieille personne à traverser

La rue du temple d’Artémis.

De proche en proche, tout le monde avait aidé

La vieille personne à traverser…

Alors, le pédagogue se fâche.

Mais enfin, il n’est pas nécessaire

D’être vingt pour aider une vieille personne

A traverser la rue du temple d’Artémis !

Athéna : Oui, c’est vrai, ça.

Le pédagogue avait raison.

Elle n’est pas si large, cette rue !

Ulysse : Alors, Totemias, le cancre de la classe, ajoute :

Oh, si Maître ! Il fallait bien être tout ça !

Parce que elle, elle ne voulait pas !

Tu aurais vu comme elle se débattait !

Le coryphée : Oui, et bien toi,

Que tu le veuille ou non,

La question ne se pose même pas,

Tu vas la traverser la rue du temple d’Artémis.

Et en vitesse.

Et pour commencer :

Le choeur: Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : Oui, je sais, vous me l’avez déjà dit.

Le coryphée : La constance de nos propos

Ne prouve-t-elle pas notre certitude ?

Et l’universalité de cette certitude

N’est-elle pas un gage de sa véracité ?

Ulysse : Cela peut être aussi

Une persistance dans l’erreur. Et une bêtise collective.

Ce n’est pas parce que tout le monde se trompe

Que l’absurdité devient juste.

Le coryphée : Ulysse, tu dois t’amender.

Ulysse : Je ne dois rien.

Vous, vous aimeriez que je doive quelque chose

Mais non.

Pas du tout.

Vous aimeriez que ce qui est ne soit pas.

Ulysse :

Bien que, malgré tout, vous ne le puissiez pas,

Devoir me changer, pour vous, est chose sûre.

Pourquoi, contre moi, vouloir cette mesure ?

Cela change-t-il chaque jour mon repas ?

 

Et vous me tenez des propos qui rassurent

En me proposant d’échapper au trépas.

Biens que, malgré tout, vous ne le puissiez pas,

Devoir me changer est, pour vous, chose sûre.

 

Puis, pour diriger le moindre de mes pas,

Vous vous accrochez à tenir mes chaussures.

Vous me présentez de bien faibles appâts,

Croyant m’affliger de contrainte et d’usure

Bien que, malgré tout, vous ne le puissiez pas.

Athéna : Je te trouve bien présomptueux.

Ulysse : Présomptueux ? Moi ? Même pas.

Ecoutez-moi.

Les choses ne sont pas ce qu’on aimerait

Même si on le veut très fort.

Elles ne sont que ce qu’elles sont.

Eh ! Vous le voyez, vous,

Le lapin qui se mettrait à se goinfrer de souris ?

Même râpées ?

Pendant que le chat, dans le jardin,

Traquerait la carotte sauvage ?

Athéna : Tu dis n’importe quoi.

Ulysse : Et heureusement que c’est comme ça.

Les gens n’ayant pas tous les mêmes désirs,

On aurait le cheval avec des nageoires,

Des rivières qui remontent de la mer vers la source

Et des oiseaux avec des carapaces de tortues.

Athéna : Tu dis n’importe quoi.

Le chœur : Mais toi, tu dois être immortel.

Ulysse : Moi, je suis un humain,

Un mortel, un éphémère.

Et c’est pour cela que j’ai fait ce que j’ai fait.

Réfléchissez seulement deux minutes.

Le cheval de bois, le cyclope, les sirènes…

Si j’avais été un Dieu, cela aurait été sans intérêt !

D’abord parce que les Dieux ayant, par essence,

Des capacités largement supérieures aux nôtres,

S’ils avaient réalisé mes travaux,

Cela ne leur demandant pas beaucoup d’effort,

Aurait été d’une rare banalité.

Et ensuite, ils ne couraient aucun danger

Puisque immortels, ils ne jouaient pas leurs os.

Bah oui ! Un mortel qui risque sa peau,

C’est tout de même plus impressionnant

Qu’un immortel qui ne risque rien.

Hermès : Je dois reconnaitre que sa problématique

N’est pas dénuée de fondement.

Athéna : Hé ! Ho ! Tu ne vas pas changer de camp, toi !

Hermès : Je ne sais pas, je me demande.

Ulysse : J’ai agi en homme, pour les hommes ;

Et c’est pour cela

Que je suis dans la mémoire des hommes.

Le coryphée : Mais les hommes étant mortels,

Tu disparaitras avec eux.

Ulysse : Vraiment, tu n’y comprends rien.

Les hommes meurent, c’est certain.

Mais ils se transmettent, génération après génération,

Leur mémoire.

La mémoire des hommes s’enflera de plus en plus.

Et je serai dans la mémoire des hommes.

Athéna : Et tu préfères être dans la mémoire humaine

Que toi-même en définitive immortalité.

Le coryphée : Quelle piètre consolation.

Il me semble que cela revienne,

La question ne se pose même pas,

A lâcher la proie pour l’ombre.

Le chœur : Mais toi, tu dois être immortel

Hermès : Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

Qu’Ulysse soit ceci ou cela : caillou ou végétal,

Plante ou animal, mortel ou immortel.

Athéna : Hermès ! Tu ne retournes pas ta veste !

Hermès : Si, si ! J’ai envie.

Rien que pour agacer… Déjà.

Bon, alors, Ulysse… Tu disais ?

Ulysse : Parmi les hommes, je suis un des plus admirés.

Parmi les divins, je serais un des plus misérables.

Hermès : Ce n’est pas bête, ça.

Athéna : Hermès, tais toi.

Ulysse : Etant immortel, je n’aurais plus rien à faire ?

Le coryphée : Oui !

La question ne se pose même pas.

C’est le but !

Ulysse : Alors, comme je suis capable

D’accomplir de nombreux travaux,

Pour me récompenser,

Vous me condamnez à l’oisiveté.

Hermès : Quand je vous dis qu’il a raison.

Athéna : bon ça va, hein !

Hermès : Oui, je sais, tu vas le dire à Papa.

Ulysse : Alors, moi, écoutez-moi bien, je vous le dis :

A partir de ma mort

Et pour l’éternité humaine,

Je serai dans la mémoire des hommes.

Le coryphée : et le pire, c’est qu’il y croit.

Le chœur : Mais toi, tu dois être immortel.

Ulysse : Et si un jour, comme ça, par inadvertance,

Les humains oubliaient les immortels

Dans leur immortalité ?

Hermès : Ah, ça, c’est moins bien.

Athéna : Ah, tu vois !

Hermès : Oui, mais ça seulement.

Ulysse : Et quand les Dieux seront oubliés des humains,

Moi, je resterai dans leur mémoire.

Hermès : Quoi que, si les humains nous oubliaient

Et nous fichaient la paix,

Ce ne serait pas plus mal.

Athéna : Vraiment tu es fou.

Hermès : Non, non ! Parce que les humains,

Ils sont toujours à nous demander ceci,

A nous demander cela.

Il faut intervenir sans cesse dans leurs petites histoires,

Comme si nous n’avions que ça à faire.

Et que je te quémande et que je te supplie.

Ils nous fatiguent, à la fin.

Alors, eux chez eux ; et nous chez nous.

Chacun pour soi.

Ulysse : Voila ! Hermès.

Au moins, il y en a un qui suit.

Et puis, pour les immortels, quelle curieuse façon,

Pour se débarrasser de moi,

Que de m’accueillir parmi eux.

Hermès : Tu vois qu’il a raison.

Athéna : Bon, ça va maintenant !

Tu vas te taire, à la fin ?

Non mais… quand même.

Ulysse : Dans trois mille ans, plus, peut-être,

Les hommes, pour amuser leurs enfants,

Feront encore des dessins racontant mes aventures

Et même, m’en prêtant d’autres ;

Et si on y évoquera encore les divins,

Ce ne sera, dans le fond,

Que pour parler de moi.

Infirmière 3 : Mais quelle horreur !

Infirmière 7 : Il ne faut pas accepter ça !

Infirmière9 : Il ne faut pas !

Infirmière 12 : Il ne faut pas !

Le chœur : (Très scandalisé et impérieux)

            Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : Ecoutez-les, celles-là, avec leur soussoupe !

Et la soussoupe par ci et la soussoupe par là !

Hermès : Vas-y Ulysse ! Vas-y ! Ne te laisse pas faire !

Ulysse : Vous voyez, déjà je vous échappe.

Vous voudriez me rendre immortel

Et vous ne le pouvez pas.

Athéna : Assez !

(Discours de meeting politique)

Ô peuples variés, écoutez-moi !

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : Vous avez entendu

Ce que dit le vermisseau.

Ce sous être ! Cette forme inférieure !

Il veut nous supplanter,

Nous chasser de chez nous.

Mais nous n’accepterons pas !

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : Tous ces proto humains

Qui envahissent notre univers,

Il faut les refouler vers la boue d’où ils sont venus !

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : Ces éphémères sont déjà

Des humains trop humains.

Ils voudraient régenter

Ce monde qui est le nôtre.

N’attendons pas qu’ils deviennent surhumains !

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : Il faut contre carrer

La prophétie abjecte de cet illuminé.

Non ! Elle ne se réalisera pas !

Luttons ensemble pour que les humains

Ne deviennent pas les maîtres de la terre !

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : Si celui-ci reste mortel,

Il sera un exemple que d’autres suivront.

Non ! Il faut le neutraliser

Et tout le monde sait que

Pour se débarrasser de quelqu’un,

Le mieux c’est de lui donner une promotion.

Alors, promouvons-le !

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : N’attendons pas qu’il fasse des émules ! Eteignons ce sarment avant que le feu brûle !

Etant humain, il veut initier le triomphe des humains ;

Alors, s’il ne l’est plus,

Son projet sera sans lendemain.

Non à l’émancipation des mortels !

Non à l’humanité conquérante !

Et c’est pour notre gloire

Que nous devons y travailler.

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : Chaque fois qu’un humain

Tente d’élever l’humaine nature,

Nous devons de sa fiente l’éradiquer

Le chœur et le coryphée : Ouais !

Athéna : Demain, quand nous aurons réaffirmé notre suprématie,

Assis sur le sommet de l’édifice cosmique,

Lorsque les mortels seront revenus

A leur rôle subalterne,

Caressés de douceur et de mets succulents

Nous pourrons continuer de régner.

Le chœur et le coryphée : (en désordre) Ouais ! Ouais ! Ouais !

Bravo ! Encore ! Une autre !

Hermès : Athéna… Président !

Athéna : Ho, toi, je ne t’en demande pas tant.

Le coryphée : Elle a raison.

Infirmière 4 : Oui, elle a raison.

Infirmière 6 : Elle a raison.

Infirmière 1 : Alors, mes sœurs, pour elle,

Entonnons notre chant de combat !

Le chœur : (Avec fougue et enthousiasme)

            Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Ulysse : C’est drôle, hein

Mais je ne me sens pas plus immortel qu’avant.

Je me tâte, là, et puis là…

Non, il me semble que rien n’a changé.

A moins que le changement consiste

A ne plus sentir ce qui a changé.

Infirmière 11 : Tu n’es pas encore Divin,

Mais tu es de moins en moins homme.

Infirmière 2 : Et ta déshumanisation va s’aggraver.

Ulysse : Ah bon ? Vous êtes sûres ?

Moi, je ne ressens rien.

Infirmière 5 : C’est parce que tu n’es pas encore assez divin

Pour savoir que tu es divin.

Ulysse : A moins que ce ne soit

Parce que je suis trop homme

Pour pouvoir ne plus être humain.

(A partir de ce moment, Et jusqu’à la fin de cet épisode, le chœur et le coryphée, en rythmant beaucoup le texte, vont exécuter une chorégraphie gesticulatoire, progressivement de plus en plus sauvage et exacerbée Qui se terminera dans une bacchanale folle en rondes ou en farandoles. Athéna, depuis son socle pourra indiquer sa participation)

Infirmière10 : Tu feras ce qu’on te dira !

Ulysse : Et allez donc !

Infirmière1 : La discipline, c’est la discipline !

Infirmière 7 : La discipline est la force principale des armées.

Infirmière 11 : En avant… Marche !

Infirmière 2 : Et au pas cadencé !

Infirmière 9 : Musique en tête !

Infirmière 4 : Bannières déployées !

Infirmière 12 : Drapeau de la victoire !

Infirmière 6 : Les dieux sont avec nous !

Infirmière 8 : Nous irons jusqu’au bout !

Infirmière 3 : Pas de quartier !

Infirmière 10 : Les chefs sont les élus des dieux !

Ulysse : Vous dites ce que vous voulez,

Mais moi, je ne sens toujours pas de différence.

Le coryphée : Si la différence changeait quelque chose,

La question ne se pose même pas,

Il faudrait changer la différence.

Ulysse : J’ai beau me tâter, me pincer… Ouille !

Tirer la langue, là, comme ça, jusqu’à être très laid,

Ecarquiller les yeux… Non, vraiment…

Infirmière 1 : Contestation égal blasphème !

Infirmière 8 : Les grands ne sont grands

Que parce qu’ils sont grands !

Infirmière 3 : La seule voie du bonheur,

C’est la voie hiérarchique !

Infirmière 11 : Obéissance aveugle !

Infirmière 5 : Obéissance sacrée !

Infirmière 3 : Obéissance chérie !

Ulysse : C’est bien, tout ça

Mais ça ne vient pas, hein !

Je vais sautiller un peu pour voir…

Infirmière 12 : En avant troupeau de l’illusion !

Infirmière 6 : Jusqu’à en retordre les horizons !

Ulysse : Et si je battais un peu des bras

On ne sait pas, des fois que je m’envole…

Infirmière 9 : Les petits devant, les grands derrière !

Infirmière 2 : Je ne veux voir qu’une seule tête !

Ulysse : Ouais, pas très efficace, tout ça.

Infirmière9 : Le jardin est fleuri.

Infirmière 4 : La pluie mouille les toits.

Infirmière 1 : La lune carrée dévore les cris !

Ulysse : Je suis impressionné par la débauche d’énergie

Que tout le monde dépense

Pour une chose que je ne veux pas.

Infirmière 6 : Le balai est cassé.

Infirmière 10 : Le feu réchauffe les plats.

Infirmière 11 : Le matin écrasé illumine le soir.

Ulysse : Mais continuez, je vous en prie.

Infirmière 7 : Peau de lapin et boyau de chat !

Infirmière 3 : Langue aigüe de vipère !

Infirmière 12 : Couleuvre sanglante et venin de hibou !

Infirmières 1-2-3-4 : Taratapoum tapoum tata !

Rass tapiol et galimatias.

Infirmière 10 : Chapeau de crevette et rivière d’écus.

Infirmières 5-6-7-8 : Suçons les glumettes de pattes de rats

Ulysse : Je crois que ça s’aggrave, là.

Infirmière 5 : La plaine verdoie et le chemin poudroie.

Infirmière 12 : Crachoir d’éléphant et char de combat !

Infirmières 9-10-11-12 : Bouillie de cervelle et badine de soie,

Le vent qui recèle l’amour en festin nous échoit

Infirmière 7 : Carcasse brisée, dépotoir à poisson,

Infirmière 4 : corne ne vache et nuage flambant,

Infirmière 1 : L’herbe des prairies sous le serpent ondoie.

Le chœur : Taratapoum tapoum tata !

Rass tapiol et galimatias.

Ulysse : Pouh ! Là, là ! Et tout ça pour moi.

J’en suis ému.

Si, si ! Ne riez pas ! Si je vous dis que je suis ému,

C’est que je suis ému.

Infirmière 8 : Chantez oriflammes gluants !

Infirmière 6 : Tartine de fiel pour les gros matous,

Infirmière 11 : La nuit éclatante s’emplir d’escargots.

Le chœur : Taratapoum tapoum tata !

Rass tapiol et galimatias.

Infirmière 9 : Le temps du silence reviendra bientôt,

Infirmière 2 : L’orgue du silence résonne de haut,

Infirmière 8 : Crions en cadence le chant des ragots.

Le chœur, le coryphée, Athéna :

Taratapoum tapoum tata !

Rass tapiol et galimatias.

Suçons les glumettes de pattes de rats

Taratapoum tapoum tata !

Rass tapiol et galimatias.

Bouillie de cervelle et badine de soie,

Le vent qui recèle l’amour en festin nous échoit

Taratapoum tapoum tata !

Rass tapiol et galimatias.

Taratapoum tapoum tata !

Rass tapiol et galimatias.

(Silence)

Le coryphée : La question ne se pose même pas.

Ulysse : Ça y est ? C’est fini ?

Vous avez fait tout ça pour me rendre immortel, C'est-à-dire pour me soustraire à la mort

Et je vous en remercie

Mais vous ne le pouvez pas.

Oh, il ne s’agit pas

Du triomphe de ma volonté sur la vôtre !

Vous ne le pouvez pas parce que c’est impossible

Et non seulement ce n’est pas possible,

Mais est-ce vraiment souhaitable.

Mon désir, à moi, est de rejoindre Pénélope

Le coryphée : La question ne se pose même pas.

Ulysse : Elle m’a juste demandé

De ne pas avancer le moment.

Alors, j’attends.

J’attends et je sais que le moment viendra.

Vous pouvez beaucoup de choses,

Le coryphée : La question ne se pose même pas.

Ulysse : Mais vous ne pouvez pas me retirer cela.

Les hommes rêvent d’immortalité

Parce qu’ils ont peur de mourir.

Alors, écoutez la ballade de la vie et de la mort.

 

Pourquoi craignez-vous l’ombre du jour fatal ?

Puisque vous savez qu’au loin on le devine.

Vous seuls, au dessus de tout autre animal,

Savez reconnaître à quoi la fin destine.

Pourquoi ce refus et cette peur coquine ?

Seriez-vous empreints d’une lourde faiblesse,

Pouvant vous noyer dans de sombres tristesses Que vous voudriez repousser au dehors ?

Alors votre vie n’est plus que de détresse.

La vie ne peut pas s’épanouir sans la mort.

 

Athéna : La vie se répand en soleil estival

En long flamboiement qui s’exalte et s’affine.

Elle a des instants d’un goût de festival

Hermès : Et puis, par moments, elle blesse ou échine ;

Ulysse : Alors, on la voit en féroce mâtine.

Le coryphée : La mort est néant sans rien qui ne progresse.

C’est le vide absolu sans le moindre remord

Ulysse : Finis les plaisirs d’aller de port en port,

Hermès : La vie est une bien plus belle maîtresse.

Tous : La vie ne peut pas s’épanouir sans la mort.

 

Le coryphée : Avant que la mort ne plante son fanal,

A peine sorti des douceurs enfantines,

Il faut se hâter car tout serait banal

Ulysse : S’il n’y avait pas cette fin qui nous mine.

Nous persécutant de rancœurs intestines.

Puisque le temps est petit et nous presse ;

Hermès : Il faut déployer de multiples adresses.

La peur d’échouer sans atteindre le bord

Ulysse : Nous fait avancer vers d’immenses promesses.

Tous : La vie ne peut pas s’épanouir sans la mort.

 

Ulysse : Humains innombrables de toutes espèces !

Chantons cette vie en hymne d’allégresse.

Sachant qu’on ne peut modifier notre sort,

Tous : La vie sans la mort ne serait que mollesse.

La vie, de la mort, recevant ses hardiesses,

La vie ne peut pas s’épanouir sans la mort.

 

Le coryphée : Puis qu’il en est ainsi

Et qu’Ulysse l’a voulu,

Jusqu’à la fin des temps,

Tous les humains mourront.

Alors, dans votre éternité,

Ne vous en étonnez pas,

Sans cesse, on vous répètera…

Et puisque vous avez compris,

Pour vous entraîner à ce que l’avenir sera

Vous allez le dire avec nous :

(Le coryphée va jouer son vrai rôle de maître de chœur et incite le public à glorifier la soussoupe. Pour ce faire et aider le public, les infirmières, deux à deux vont brandir des banderoles ou les paroles sont écrites).

Tous:   Il faut toujours manger la soussoupe

Même parfois, si ce n’est pas bon.

Pourquoi bouder comme un vieux barbon ?

Il faut toujours manger la soussoupe.

Elle renforce l’homme de troupe

Et nourrit mieux que tous les bonbons.

Il faut toujours manger la soussoupe,

Même parfois si ce n’est pas bon.

Le coryphée : (au milieu de l’avant scène)

La question ne se pose même pas.

 

 

 

 

 

 

Noir

 

 

Commentaires: 0
Télécharger
z05 Les asclépiades.doc
Document Microsoft Word 1.3 MB