LES CAROTTES

 

 

 

Farce

 

 

Jean Durier-Le Roux

 

2011

 

 

Les carottes

 

 

L’action se passe dans les arcanes gouvernementales d’un un état hypothétique. Le théâtre représente une pièce avec, sur le côté, une table et quelques chaises. Dans un coin une tribune qui ressemble à une très haute chaise de bébé.

Les personnages :

Monsieur Nose : Le Président. (Il porte une jaquette avec une chemise et une magnifique décoration en sautoir mais en guise de pantalon, il a une barboteuse).

Madame Nose : Son épouse. (Fourreau très distingué)

Monsieur Bêtouillard : Le chroniqueur. (Habillé en chambellan avec de la dorure).

Monsieur Zopa : Ministre de la guerre. (Costume civil chic. Il est très raide et rigide dans ses mouvements et sa parole).

Madame Oriflouille : Ministre de la famille et de la grandeur nationale. (Couronne de fleurs, longue robe claire sans manche, allégorique et ridicule).

Monsieur Toupournou : Ministre de tout le reste. (Costume avec feuillage, fleurs, fruits).

Général Tripaille : Militaire. (En tenue camouflée de commando avec peintures de guerre)

Madame Tripaille : Epouse du précédent. (Costume strict).

Général Bombine : Militaire. (Rose tendre avec des décorations)

Général Logisticus : Militaire. (Couvert d’ustensiles inexplicables)

Madame Mère :Mère du Président (Mémé grande bourgeoise)

 

 

 

 

 

 

LES CAROTTES

 

 

 

ACTE I.

 

 

Scène 1.

 

(M Bêtouillard, M Toupournou, M Zopa, Mme Oriflouille, puis, Mme mère et Mme Nose)

 

M Toupournou : Vive la culture !

M Bêtouillard : Oh oui ! Monsieur le Ministre, vive la culture.

M Toupournou : Vive la culture… De la carotte !

M Bêtouillard : Oui, aussi.

M Toupournou : Le Président n’est pas là ?

M Bêtouillard : Non, pas encore.

M Zopa : Ah ! Il est occupé à réfléchir à de grandes œuvres !

M Bêtouillard : Oui ! Il va arriver. Il n’a pas tout à fait terminé ses tartines.

Mme Oriflouille : Les tartines présidentielles sont l’âme de la Nation.

Mme Mère (entrant): Ne vous impatientez pas Messieurs. Le président va arriver. Mon cher petit bichon… Il est avec ses tartines.

M Zopa : Ha oui, hein, ça se confirme.

Mme Mère : J’y retourne. S’il fallait lui en beurrer encore quelques unes. (Elle sort)

Mme Oriflouille : Mme mère, étant la mère de notre Président, vous êtes la mère de la Nation.

Mme Nose (entrant) : Vous excuserez le Président. Il va arriver. Il n’a pas fini ses…

Tous : Oui, ses tartines.

Mme Nose : Comment le savez-vous ?

M Bêtouillard : Parce que tous les matins, avant de venir, il termine ses tartines.

Mme Oriflouille : Et heureusement, qu’il les termine, ses tartines ! Sinon…

M Toupournou : Nous ne pourrions pas aborder…

Tous : Le grave sujet des carottes.

Mme Oriflouille : Les carottes sont le moteur de la Nation.

M Toupournou : La carotte est l’âme de la société humaine.

Mme Nose : Sans carottes, point de civilisation. Bon, je vais voir où en sont les tartines. (Elle sort).

M Bêtouillard : Je note : la carotte est le centre de la société humaine… Sans tartines, point de carottes. Un jour où ils me laisseront parler, je demanderai quand même des explications. Pas pour les tartines, hein ! Ça, j’ai compris. Non. Mais les carottes…

Mme Mère (entrant): Voici le président. Vite ! vite ! Sortez ! Il ne faut pas qu’il vous voie déjà ici. (Tous sortent sauf Mme mère et M Bêtouillard).

M Bêtouillard : Je note : Le président est forcément devant les autres.

 

 

 

 

Scène 2

(M Nose, M Bêtouillard, Mme Mère)

 

M Nose (Entrant) : Le président : C’est moi !

Mme Mère : Ho oui ! Mon petit bichon. Le président, c’est toi. Attends, Viens ici que je t’arrange un peu. (Elle lui retire la serviette qu’il a autour du cou, lui essuie la bouche et redresse ses vêtements). Voila, tu es mieux comme ça. Tu ne vas tout de même pas régler les affaires du monde en tenue négligée !

Bêtouillard : Je note : Pas négligé… Z’affaires du monde…

Mme Mère :Mon petit bichon, je te laisse. Travaille bien et si tu as des ennuis, tu sais que ta maman est là. (Elle sort).

M Nose : Ah ! Mon bon M Bêtouillard. Mon fidèle chroniqueur. Vous êtes toujours le seul à m’attendre. Faites moi penser, un jour, à vous nommer chef.

M Bêtouillard : Oui, Monsieur le Président. Mais je rappelle à Monsieur le Président que Monsieur le Président m’a déjà nommé chef.

M Nose :Alors, vous serez chef, chef. Chroniqueur chef, en chef.

M Bêtouillard : Et puis, Monsieur le Président, chef de qui ? Je suis tout seul.

M Nose :Cela ne fait rien. Il vaut mieux être chef de rien que rien du tout. Chef de rien, c’est mieux que rien. Voila. Je crois que je commence bien ma journée. Je viens de prendre une sage décision. Notez, M Bêtouillard, notez !

M Bêtouillard : Mais je note toujours tout, Monsieur le Président.

M Nose :Non, je ne vous demande pas de tout noter ! Quand j’ai des idées lumineuses ou que je prends des décisions pertinentes, c'est-à-dire presque tout le temps, vous notez.

M Bêtouillard : Bien sûr !

M Nose :Mais quand j’ai des idées un peu moins bonnes ou que je décide de façon un peu douteuse, vous ne notez pas. Suis-je clair ?

M Bêtouillard :Bien sûr Monsieur le Président. Je note que je ne dois noter que quand c’est notablement notable, quoi.

M Nose : Voila. Mais que font mes ministres ? Ils sont bien en retard, ce matin.

M Bêtouillard : Mais, Monsieur le Président, tout le monde sait que pour le service du peuple, vous êtes toujours le premier !

M Nose :Ah bon ? Tout le monde sait ça ?

M Bêtouillard : Mais oui ! Tiens, je le note ça. Han, han, han, han, han… Toujours le premier. Voila.

M Nose :Oui, Mais les ministres ?

M Bêtouillard : Je vais voir. Oh ! Ils sont là !

M Nose :Faites entrer et dites moi qui est présent.

 

 

 

Scène 3

(M Nose, M Bêtouillard, M Zopa, 

Mme Oriflouille, M Toupournou).

 

M Bêtouillard : Mme Oriflouille : Ministre de la famille et de la grandeur nationale réunies ! M Zopa : Ministre de la guerre !

M Nose : Mais, nous ne sommes pas en guerre.

M Zopa :Oui, Mais bien qu’en temps de guerre il n’y ait pas de ministre de la paix, en temps de paix, il y a toujours un ministre de la guerre.

M Nose :Ha bon.

M Bêtouillard : M Toupournou : Ministre… De tout le reste.

M Nose :Mesdames et messieurs, entrez et installez vous.

M Bêtouillard : Et commençons le conseil.

M Nose :Non, je ne peux pas ! Je ne peux pas commencer le conseil !

Tous :Pourquoi ?

M Nose :Je n’ai pas ma tribune.

M Toupournou : Sa tribune ?

M Bêtouillard : Ha oui ! Sa Tribune.

M Zopa : Vite, sa tribune !

Mme Oriflouille : Un Président sans tribune, c’est comme un baiser sans moustache.

(On apporte la tribune et M Nose grimpe dessus).

M Nose : Mesdames et Messieurs les ministres :

(M Bêtouillard lui tend un papier).

Pain, lait, beurre, œufs, fromage, Récupérer les chaussures de Bébert chez le cordonnier, passer à la poste…

M Bêtouillard : Non, non ! Attendez, je me suis trompé de papier.

M Nose :(sans s’interrompre). Les problèmes que nous évoquions hier et que nous ne résoudrons pas davantage aujourd’hui sont toujours aussi brûlants. Alors, je vous le demande, hein, je vous le demande : Ces problèmes, quels sont-ils ? Y a-t-il vraiment des problèmes problématiques ? Non ! Rien ne saurait nous troubler… que dis-je, troubler ; nous dévoyer dans notre poursuite de l’étude des investigations permanentes de la recherche des améliorations que nous voulons apporter à la bonne marche de notre pays. Jamais nous ne reculerons devant la tâche… (A M Bêtouillard) Elle est où la suite ?

M Bêtouillard : Il faut tourner la feuille.

M Nose :Ha oui… Qui nous incombe. (A M Bêtouillard) C’est tout ?

M Bêtouillard : Bah, c’est déjà pas mal !

M Nose :Oui, ce n’est pas mal. Y a-t-il des questions ?

M Toupournou : Oui, Monsieur le Président, mais, et les carottes ?

M Nose :Ah oui ! Les carottes. Je sais, il y a les carottes. J’ai parfaitement les carottes en tête. Mais, réexpliquez nous quand même le sujet des carottes.

M Bêtouillard : Oui, les carottes… Expliquez nous.

M Toupournou : Les carottes sont le fruit de la discorde.

M Nose :Voyez-vous ça.

M Toupournou : Tout le monde sait que pour faire avancer les ânes, il faut leur tendre une carotte. Toutes nos voitures sont propulsées par des ânes et toute notre industrie a pour moteur les ânes. Il faut donc disposer d’une quantité importante de carottes pour faire avancer les ânes de l’industrie. Sans carottes, pas d’ânes, sans ânes pas d’industrie, sans carottes, pas d’économie.

M Nose : Bravo ! Ho que c’est bien dit ! Je serai donc le gardien et le sauveur de la carotte.

M Bêtouillard : (Ecrivant) Sauveur de la carotte.

Mme Oriflouille : Notre nation qui est une grande nation, cultive la carotte. Mais, si cela était nécessaire, un effort sans précédent des familles, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême,  serait consenti pour en augmenter la production.

M Zopa : Et si le besoin s’en faisait sentir, l’armée, soutien et bouclier de la nation, apporterait son concours à la noble tâche… des carottes.

M Nose :Voila, c’est ça. Tout le monde va planter des carottes.

M Toupournou : Oui… Mais non. Comme ça, ce serait trop simple.

M Nose : C’est vrai que je trouvais cela simple, moi. Nous avons besoin de carottes ; alors, nous cultivons des carottes.

M Toupournou : La carotte est le nerf de la prospérité.

M Nose :Oui.

M Toupournou : Tous les habitants de tous les pays du monde ont besoin de carottes.

M Nose :Oui.

M Toupournou : Donc, celui qui est capable de fournir des carottes à celui qui en manque peut s’enrichir.

M Nose :Bien sûr ! Jusque là, je comprends.

M Toupournou : Alors, celui qui contrôle le commerce mondial de la carotte devient le Maître du monde.

M Nose :Maître du monde ? Bah ça alors !

M Bêtouillard : Je note : « Bah ça alors ».

Mme Oriflouille : Familles de notre pays, cultivons des carottes, vendons des carottes au monde entier et notre grandeur nationale sera le maître du monde.

M Nose :Oh, Madame Oriflouille ! Vous êtes une grande Ministresse.

M Toupournou : Seulement, voila. Il y a une difficulté. Si ! Si ! Il y a un problème.

M Bêtouillard : Le fameux problème des carottes. On y arrive.

M Toupournou : Si au lieu d’être tout seuls à disposer de la carotte, nous sommes plusieurs, fini le monopole de la carotte !

M Nose :Oui, mais, (il descend de sa tribune) ce n’est pas possible, ça.

M Toupournou : Et si ! C’est possible ! La Carie ose nous disputer cette gloire et ce privilège.

Mme Oriflouille : Les impertinents !

M Nose :Les effrontés !

M Bêtouillard : Les mal élevés !

M Toupournou :Vous rendez-vous compte, qu’en nous concurrençant, ils nous font du tord ?

M Bêtouillard : C’est évident.

M Nose :Comment ça, c’est évident ?

M Toupournou : Bah oui ! Ils vendent à notre place des carottes qui leur appartiennent à eux.

M Bêtouillard :Et à des clients qui leur appartiennent, aussi, à eux !

M Toupournou : Si ce n’était pas le cas, ces clients nous appartiendraient à nous.

Mme Oriflouille : Ce qui serait tout de même plus juste.

M Zopa :Donc, ils nous volent des clients.

M Nose : Oh ! Les vilains !

Mme Oriflouille : Voler, ce n’est pas bien. Oh non ! Ce n’est pas bien ! Voler, c’est mal… C’est même très mal.

M Nose :Oh ! Les vilains !

M Toupournou : Oui, Mme Oriflouille, vous avez trouvé le mot juste. C’est mal. En nous dépossédant de nos marchés, les Cariens nous font du mal. Ils agissent pour notre mal. Ils agissent pour le mal. Ils sont des zélateurs du mal. Ils sont le mal.

M Nose :Oh, les vilains !

M Toupournou : Quand nous vendons…

M Nose :Le plus cher possible.

M Toupournou :Des produits à tous les peuples de la terre…

M Zopa : Des peuples pourtant inférieurs puisqu’ils nous sont redevables.

M Toupournou : Nous agissons pour le bien.

Mme Oriflouille : Oh ! Comme ils devraient nous être reconnaissants, ces peuples secondaires que nous acceptions, plutôt que de les jeter à la poubelle de les leur vendre…

M Nose :Le plus cher possible.

Mme Oriflouille : De les leur vendre, nos surplus, nos résidus, nos restes.

M Nose :Le plus cher possible.

M Toupournou : Il s’en suit que si en vendant…

M Nose :Le plus cher possible.

M Toupournou : Nos produits au reste de la planète, nous agissons pour le bien. Cela implique que ceux qui tentent de nous en empêcher luttent contre le bien et sont, de fait des défenseurs, des zélateurs du mal.

M Nose : Oh oui, alors ! Mais je n’ai pas compris.

Tous :Il n’a pas compris.

M Bêtouillard : Il n’a pas compris et moi non plus.

M Toupournou : Bon. M Bêtouillard. Les gens qui luttent pour le bien sont des défenseurs du bien ?

M Bêtouillard : Oui.

M Toupournou : Ceux qui s’y opposent sont contre le bien ?

M Bêtouillard : Oui.

M Toupournou : Et alors ? Ceux qui sont contre le bien ne sont-ils pas pour le mal ?

M Bêtouillard : Ça y est ! Ça y est ! J’ai compris ! Je note : Ça y est, j’ai compris.

M Nose : Bon. Bêtouillard a compris, alors, à mon tour. Expliquez moi aussi… à moi.

Mme Oriflouille, M Bêtouillard et M Zopa.Oui ! A son tour.

M Toupournou : Bon… A son tour. Monsieur le Président, N’êtes-vous pas quelqu’un de bien ?

M Nose :Oh si que je suis quelqu’un de bien. Regardez : Devant, derrière, et même sur les côtés, tout est bien.

M Toupournou : Vous agissez toujours pour bien faire ?

M Nose :Oh oui, alors, toujours !

M Toupournou : Donc, vous luttez pour le bien.

M Nose :Bien sûr !

M Toupournou :Le matin, quand vous vous levez, vous ne vous dites jamais, mais alors jamais au grand jamais : tiens, aujourd’hui, je vais lutter un peu pour le mal ?

M Nose :Oh non ! Ça jamais !

M Toupournou : Vous voyez que c’est facile !

M Nose : Oui, ça, je comprends. Mais après.

M Toupournou : Ceux qui sont de votre côté, ceux qui sont dans votre équipe, dans votre camp,

Mme Oriflouille : C'est-à-dire toutes les familles de notre grandeur nationale…

M Toupournou : Puisqu’ils sont avec vous, luttent aussi pour le bien.

M Nose :Ça va.

M Toupournou : Alors ceux qui luttent contre vous vous font du mal ?

M Nose :C’est vrai.

M Toupournou : Donc, ils luttent pour faire du mal ?

M Nose :Oui.

M Toupournou : Donc, ils luttent pour le mal. Ils sont du côté du mal. Ils sont le mal.

M Nose :Ah oui ! Moi… et mes alliés, nous sommes le bien et nos ennemis sont le mal ?

M Toupournou : Voila.

Mme Oriflouille, M Bêtouillard, M Zopa et M Toupournou : (se prennent la main, font une ronde autour de M Nose et chantent) Il a compris, il a compris, il a… (Puis dans l’autre sens) : Il a compris, il a compris, il a. (Puis une deuxième fois le tout).

M Nose : Arrêtez, vous allez me faire rougir. Et puis, hé ! Ce n’était pas si compliqué !

M Bêtouillard : Oui, mais des fois…

M Zopa : Y a pas de « mais des fois » !

M Bêtouillard : Oui, je sais, il n’y a pas de « mais des fois », mais des fois…

M Zopa : Quoi, « mais des fois » ?

M Bêtouillard : Des fois, il y a des « mais des fois ».

M Zopa :Allons bon… (A M Toupournou) Je vous le laisse.

M Toupournou : Bon, alors, quoi : « Mais des fois » ?

M Bêtouillard : Des fois, les autres, les méchants, en se réveillant le matin, ils ne se disent pas qu’ils vont propager le mal. Je ne sais pas, moi, pas bien réveillés, sans doute, ils oublient.

M Nose :Voyez-vous ça !

M Bêtouillard : Alors, ils disent que le bien c’est eux.

M Toupournou : Justement ! Très bonne remarque, M Bêtouillard ! Et c’est là que c’est pernicieux ! Réfléchissez. Il y a deux choses.

M Bêtouillard : Je note… Deux choses.

M Toupournou : D’abord, nous, nous savons bien que le bien c’est  nous.

M Zopa :Et que donc, le mal, c’est eux.

M Toupournou : Mais eux, étant le mal, ils sont mal informés. Ils ne savent pas qu’ils sont le mal. Alors, par ignorance, ils disent qu’ils sont le bien.

M Bêtouillard : Je vois. Ils ne sont pas très intelligents, alors.

M Toupournou : Ça dépend. Et c’est l’autre raison. Ils peuvent être très intelligents.

M Nose :C’est ennuyeux, ça.

M Toupournou : Etant pour le mal et très intelligents, ils ne vont pas avouer qu’ils sont le mal. Ils essaient de faire croire qu’ils sont le bien pour s’attirer les amitiés des ignorants. Vous comprenez ?

M Bêtouillard : Je n’en suis pas très sûr.

M Nose :Cherchez encore.

M Toupournou : Les gens du mal disent qu’ils ne sont pas le mal mais le bien pour faire croire que le mal est le bien et que le bien est le mal afin que ceux qui veulent être du côté du bien soient du côté du mal en croyant faire bien.

M Nose :Ah ! Voila ! C’est lumineux, non ?

M Toupournou :Vous avez compris ou je recommence ?

M Bêtouillard : Non, je n’ai pas compris mais je ne veux pas me rendre malade. Ce n’est pas la peine de recommencer. Je vous fais confiance.

M Nose :Il est bête, hein.

M Toupournou : Quoi qu’il en soit, et pour conclure, Les gens du mal sont soit benêts, soit pervers, soit les deux. C’est même à cela qu’on les reconnait.

M Nose :M Bêtouillard, vous pouvez noter.

M Bêtouillard : Ha oui : On les reconnait, M Bêtouillard, vous pouvez noter. Voila.

M Zopa :Et même, on sait que depuis la création du monde, le mal soutient une guerre sans merci, une guerre cruelle, une guerre atroce et sanglante contre le bien.

M Nose :Ah bon ? On sait ça? Qui vous l’a dit ?

M Zopa :Je ne sais plus mais il parait que c’est écrit dans un livre… Je ne sais plus lequel.

M Nose :C’est dommage, ça. Mais bon, si c’est écrit dans un livre…

Mme Oriflouille : Même que dans le livre en question dont j’ai comme Monsieur Zopa oublié le titre, il est assuré qu’à la fin des temps, après bien des vicissitudes, des revers et des déboires, le bien triomphera du mal.

M Bêtouillard : Ah bah tant mieux ! Ça, c’est une bonne nouvelle. Si on sait d’avance que le bien doit triompher du mal, il n’y a pas de soucis à se faire. Il suffit d’attendre.

M Zopa :Mais non ! Nous sommes engagés dans cette lutte sans pitié ! Nous sommes les chevaliers de lumière devant contenir les assauts de l’ombre.

M Bêtouillard : Mais puisque le mal sera vaincu… A la fin… On le sait… C’est écrit…

M Zopa :Oui, mais c’est écrit aussi que nous devons lutter.

M Bêtouillard : Ha bon.

M Nose : Moi, il y a quand même une chose qui m’ennuie.

M Toupournou : Ah oui ? Quoi donc ?

M Nose : Bah c’est que ce n’est seulement qu’à la fin que les choses s’arrangent et que le bien triomphe du mal.

Mme Oriflouille : Mais c’est toujours comme ça !

M Bêtouillard : Comment ça ? « C’est toujours comme ça » ?

Mme Oriflouille : Oui, si la fin intervient quand ce n’est pas terminé, cela voudrait dire que ça ne se terminera que nettement après la fin ou bien que la fin arrivera alors que ce n’est pas encore terminé ! Ce qui, avouez-le serait très dérangeant et paradoxal.

M Nose : Oui, mais ça m’ennuie quand même.

Mme Oriflouille : Allons donc !

M Nose :Si, ça m’ennuie.

Mme Oriflouille : Mais pourquoi ?

M Nose :J’aurais préféré que la lutte du bien et du mal qui doit se terminer par la victoire définitive du bien se termine un peu avant la fin des temps. Au moins, on pourrait en profiter un peu.

Mme Oriflouille : Puisqu’on vous dit…

M Nose :Non, n’insistez pas. Je trouve regrettable que ce soit justement au moment où on va être tranquille, au moment où nous allons être bien que précisément c’est la fin des temps. Tenez, je trouve ça presque injuste. Na !

Mme Oriflouille : Oui, mais pourtant…

M Nose :Si, si ! Je réitère. Cela m’ennuie. Et même, si ça se terminait largement avant la fin, ce serait encore mieux.

Mme Oriflouille : Mais je…

M Nose : Vous vous rendez compte ? Plus obligés de lutter sempiternellement contre le mal ! Qu’est-ce qu’on serait tranquille !

Mme Oriflouille : Vous… Nous… vous… Mais…

M Nose : Voila, c’est exactement cela.

M Zopa : En attendant, ce n’est pas encore la fin.

M Bêtouillard : Eh oui !

M Zopa :Eh non !

Mme Oriflouille : Eh oui ! Non, ce n’est pas la fin !

M Bêtouillard : Alors, qu’est-ce qu’on fait en attendant ?

M Nose : En attendant la fin.

M Zopa : Justement ! En attendant la fin, il ne faut pas attendre.

M Nose :Et pourquoi donc ?

M Zopa :Parce que ceux du mal, ils n’attendent pas… eux.

M Bêtouillard : Pourtant, ils devraient ! Puisqu’ils savent qu’ils vont perdre à la fin. Ils devraient traînasser, gagner du temps, et en profiter pendant que ce n’est pas encore fini et qu’ils n’ont pas encore perdu.

M Zopa : Non ! Parce que tant qu’ils n’ont pas perdu, les méchants restent les méchants. Ils ne rêvent que plaies et bosses. Ils cherchent, en permanence, des alibis pour nous chercher querelle. Ils veulent toujours nous attaquer.

M Nose :Nous attaquer ? Hein ? Qui ça ? Quand ? Comment ? C’est qui ? Qui veut nous attaquer ?

M Zopa :Tandis que nous, qui sommes le bien, nous ne cherchons qu’à avoir une bonne raison pour nous défendre.

M Nose :Oui ! Défendons-nous !

M Zopa :Il faut être prêts !

M Toupournou : Il faut nous préparer à nous défendre !

M Zopa :Nous ne nous laisserons pas surprendre.

Mme Oriflouille : La nation sera vigilante !

M Bêtouillard : Mais nous défendre contre qui ?

Tous :Les Cariens !

M Bêtouillard : Ha oui ! Je les oubliais, ceux là.

M Toupournou : Soyez attentif, mon vieux !

M Nose :Nous devons nous défendre contre les infâmes qui ont le front de faire pousser des carottes sans notre autorisation.

M Bêtouillard : Je note : Infâmes, gnin, gnin, gnin… Autorisation.

M Nose : Vous êtes sûrs que c’est bientôt que nous allons nous défendre ?

M Bêtouillard :Cela va effrayer la population !

Mme Oriflouille : Les familles de notre population ne sont pas effrayables.

M Bêtouillard : Si nous voulons nous préparer à nous défendre, il va falloir, quand même, en parler un peu.

M Nose :Nous en parlerons.

M Bêtouillard :Parce que les gens, si on ne les prévient pas qu’ils vont devoir aller dans un pays lointain pour se défendre, ils risquent de ne pas le savoir. Et, ne le sachant pas, de ne pas y aller.

M Nose :Nous en parlerons.

M Bêtouillard : Oui, mais si nous en parlons, cela risque de les déranger.

M Nose :Les déranger ? Comment ça les déranger ?

M Bêtouillard : Les déranger dans leurs habitudes, dans leur travail, dans leur famille, dans leur vie ! Oui, c’est ça, dans leur vie !

M Nose :Nous leur expliquerons que c’est un dérangement qui ne les dérange pas.

M Bêtouillard : Cela pourrait les déranger quand même !

M Nose :Et alors ? En quoi est-ce que cela nous dérange, nous, que cela les dérange ou ne les dérange pas ?

M Bêtouillard : Et alors… Et alors… Et votre popularité ?

M Nose :Quoi, ma popularité ?

M Bêtouillard : Si votre popularité est atteinte, vous risquez de ne pas être réélu.

M Nose :Pensez donc…

M Bêtouillard : Si, pour avoir des suffrages… La popularité, ça aide.

M Toupournou : Un chef d’état dont le pays a été agressé regroupe toujours derrière lui la totalité de ses compatriotes dans un sursaut pathétique d’union nationale. Il crée un élan unanime des siens en les conduisant vers une juste riposte victorieuse.

M Nose : Ainsi, j’aurai une popularité populaire de toute la population.

M Toupournou : Et grâce à la riposte victorieuse, vous serez réélu.

M Bêtouillard : Et si la riposte n’est pas victorieuse ?

M Nose :Impossible !

M Zopa :On les aura !

M Toupournou : Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts !

M Zopa :Acier de la victoire !

M Nose :Ils sont à nous !

Mme Oriflouille : Le soleil illuminera un monde plus beau, plus juste, plus…

M Toupournou : Plus favorable en nous reconnaissant la totalité… de la carotte.

M Nose :Oh ! Que c’est bien, tout ça ! J’en jubile d’avance. Dites, c’est bientôt que nous allons nous défendre ?

M Toupournou : Oui, bientôt.

M Nose :Oui, mais quand ?

M Toupournou : Il va falloir faire encore plusieurs dodos.

M Nose :C’est long.

M Toupournou : Oui, mais il faut attendre et être bien sage.

M Nose :Alors, après, lorsque je serai victorieux, je serai aimé de mes électeurs ?

M Toupournou : Bien sûr !

M Nose :Oh là, là ! Qu’est-ce que j’aimerais qu’on se défende tout de suite !

M Toupournou : Mais oui, mais oui, ça va venir.

M Nose :Je veux voir mes généraux.

Mme Oriflouille : (à M Toupournou) Les généraux, oui, vite, les généraux.

M Toupournou : (à M Bêtouillard) Les généraux, oui, les généraux.

M Bêtouillard : (à M Zopa) Les généraux, vite, les généraux.

M Zopa : (vers la coulisse) Faites entrer les généraux !

M Nose : Non ! Attendez ! Pour les généraux, il faut que je retourne à ma tribune.

M Zopa :Ah oui ! Attendez… La tribune… Bon, c’est fait ? Vous pouvez entrer.

 

 

Scène 4

 

(Les mêmes plus les généraux)

 

Entrée des généraux.

 

(Entre mitraille tournant en toutes directions son fusil d’assaut. Il court dans tous les sens et inspecte la pièce dans une position semi fléchie comme en situation de combat et parle d’une voix rocailleuse).

Mitraille : Je suis le Général Mitraille, le commandant en chef de l’armée de terre. (Il rit) On va les déchiqueter en tout petits morceaux.

M Bêtouillard : Mais, ça va faire mal !

Mitraille :Faire du mal ? A nous ? Non, non ! Nous, nous n’aurons pas mal, nous allons faire très attention. Mais eux, ils vont dérouiller, hein !

M Bêtouillard : Mais, il y aura du sang !

Mitraille :Ouais, ça va saigner… Déchiquetés… tout petits morceaux.

M Bêtouillard : Et il y aura des risque d’épidémie !

Mitraille :Non ! On fera ça sous une asepsie sévère ! Mais on va quand même les déchiqueter en tout petits morceaux.

(Entre Bombine. Il trottine d’une façon maniérée en tenant ses bras raides contre son corps et ses mains en haut de ses cuisses à angle droit comme des petites ailes. Il se déplace en faisant un petit bruit avec sa bouche comme s’il jouait à être un avion. De temps à autre, il fouille dans la poche intérieure de sa veste et mime d’en sortir un objet qu’il laisse tomber. Il regarde la chute et quand c’est sensé arriver au sol, il fait un petit geste gracieux de la main en disant : Pof ! Il parcourt ainsi toute la scène en recommençant plusieurs fois le même jeu. Pour finir, Il prend une grosse poignée dans sa poche jette en dispersant les objets et fait : Pof, pof, pof, pof, pof !

Bombine : Je suis le Général Bombine, le chef de notre puissante aviation. Avec moi, pas d’horreur des combats, pas de corps à corps. On laisse tomber et… Pof !

M Bêtouillard : Vous laissez tomber où ?

Bombine :Voyons, cher amis… cette question ! Sur les ennemis, pardi !

M Bêtouillard : Comme ça ? Sans viser ?

Bombine :Viser ? A quoi ça sert si on en jette partout ?

Mitraille : Ouais, on va les déchiqueter en tout petits morceaux.

(Entre Logisticus. Il a des antennes, des fils, des ampoules qui clignotent, une boite sur le dos, une autre sur la poitrine avec une manivelle qui, lorsqu’il la tourne émet des bruits et allume des lampes, et à la main un clavier sur lequel il tape des choses. Son téléphone sonne. Il répond)

Logisticus : Gra F M25 pilui pilui tiret 24 point Flag Flag encore point point 27 deux fois.

M Nose :Qu’est-ce qu’il dit ?

M Zopa :Chut ! C’est un message codé.

M Nose :C’est grave ?

Logisticus :Non, c’est ma femme qui me demandait si elle pouvait baisser le chauffage.

M Nose : Impressionnant !Mais pourquoi ne se présente-t-il pas ?

M Zopa : Pourquoi ne vous présentez vous pas ?

Logisticus :Parce que je suis top secret.

M Nose :Ah bon… Mais là, nous sommes entre nous.

Logisticus :Si nous sommes entre nous, je vais vous le dire entre nous. (Il grimpe sur le côté de la tribune et parle à l’oreille de M Nose). Je suis le Général Logisticus : L’organisateur de la technologie de notre armée et le chef des renseignements secrets.

M Nose :Je comprends. Mais eux, là, ils ne le savent pas ?

Logisticus :Si, si ! Mais ils ne savent pas que je sais qu’ils le savent.

M Nose :Mesdames et Messieurs, je vous ai réuni pour vous informer…

Logisticus :Hé, ça, moi, je le savais déjà.

M Nose : Pour vous informer que nous allons devoir nous défendre.

Mitraille :Ouais ! On va les déchiqueter.

M Nose :Alors, Messieurs, êtes vous prêts ?

Les trois : (Rectifiant la position chacun dans son style et saluant) Toujours… Prêts !

M Nose : Prêts à quoi ?

Les trois : Prêts à tout !

M Nose :A tout quoi ?

Les trois : A tout ça. (Ils refont ensemble leur démonstration d’entrée).

M Bêtouillard : Il y aura des morts !

Mitraille :Hé ! C’est quand même un peu pour ça qu’on y va !

M Zopa :Les armées ennemies n’ont pas d’autre fonction que de nous servir de cible et d’être exterminées par nous.

M Bêtouillard : Oui, mais il y aura aussi des victimes civiles !

Logisticus :Absolument pas ! Nous avons une armée d’une technologie inégalée. Nous ne sommes plus au moyen âge, là, à la lance… Crac, ça passe à travers… Ah ! Et il tombe. Non ! Plus maintenant. Nous ne voulons que détruire leur potentiel technologique.

M Bêtouillard : Et qu’est-ce que ça change ?

Logisticus :Ça change tout. Je vous explique. Ce sera une guerre sans victime, une guerre propre… Rien que le potentiel technologique, on vous dit.

M Bêtouillard : Une guerre propre ? C’est quoi, ça une guerre propre ?

Logisticus :Il faut vraiment tout vous mâcher, hein, à vous… C’est pourtant facile ! On lance une bombe.

Bombine :Oh oui ! Oh oui ! On lance une bombe… Pof !

Logisticus : Mais la bombe, elle est intelligente. Elle ne va pas comme ça n’importe où. Non. Elle réfléchit, la bombe. Elle choisit, la bombe. Par exemple, sur une caserne : La bombe tombe très précisément dans la cheminée. Elle descend par la cheminée, elle entre dans la pièce ; elle va à la porte, elle entre dans la serrure, elle tourne dans la serrure et boum ! Elle casse la porte. Comme ça, nos hommes n’ont plus qu’à entrer.

Mitraille : Ouais, on va les déchiqueter.

M Bêtouillard : Et si la bombe ne tombe pas sur une caserne ?

Logisticus :Bon, une autre.

Bombine :Oui ! Oui ! Une autre ! Une autre… Pof !

Logisticus :Pareil ! La bombe tombe dans la cheminée…

M Bêtouillard : Encore ? Il n’y a que des cheminées dans ce pays là !

M Zopa : Là, vous chipotez.

Logisticus :Si vous voulez. La bombe entre par la fenêtre. Elle vient dans la salle de séjour et boum ! Elle casse tout : Le réfrigérateur, le téléviseur, la pendule mais, en faisant très attention de ne pas blesser les gens qui sont à table. Vous voyez, une guerre propre. Pas de victimes. Rien que le potentiel technologique.

M Bêtouillard : Bon, d’accord. Mais quand la bombe explose et que, en évitant les gens qui étaient à table, elle casse tout, les murs vont s’écrouler ?

Logisticus : Bien sûr ! Elle casse tout et comme elle est en même temps très puissante, elle casse même les murs.

M Bêtouillard : Alors, les murs vont tomber sur les gens qui étaient à table. Parce que la bombe, elle, elle est intelligente. Je n’en disconviens pas. Mais les murs, eux, ils ne sont pas intelligents. Surtout des murs ennemis !

Logisticus :Vous ne suivez pas, hein. Avec l’explosion, les murs vont s’écrouler vers l’extérieur !

M Bêtouillard : Oui, et alors ?

Logisticus :Et alors, les gens en train de manger étant à l’intérieur, ils ne les recevront pas.

M Nose :Vous voyez, Monsieur Bêtouillard que tout est calculé et que ce sera une guerre propre.

M Bêtouillard : D’accord. Mais les gens qui passaient dans la rue pour aller acheter leur pain, ils sont à l’extérieur, eux. Ils vont recevoir les murs sur la tête et ça va leur faire mal !

M Zopa : Les gens qui sont à l’extérieur, vu qu’on ne tire pas sur eux, ils n’ont qu’à faire attention.

Logisticus : Une guerre propre… Juste le potentiel technologique.

M Bêtouillard : Et puis, il y aura de gros camions qui rouleront très vite entre les ruines et les tas de gravats.

M Nose : Naturellement ! Nos camions sont très modernes et roulent toujours très vite.

M Bêtouillard : Alors, ils écraseront des civils qui n’y sont pour rien, des personnes âgées, des petits enfants et des mères de familles.

Mitraille :Eh, on ne va tout de même pas leur donner la main pour traverser la rue !

M Bêtouillard : Oui, donc, vous voyez qu’il y aura des victimes de guerre.

M Zopa :Ah non ! Les victimes de guerre, ce sont les militaires. Les civils, puisqu’ils ne font pas la guerre, comment voulez-vous qu’ils soient victimes de guerre ?

M Bêtouillard : Ils ne font pas la guerre, mais ils en sont victimes quand même…

M Zopa :Mais oui ! Mais… non ! Mais non, oui ! Ah ! Décidément, vous mélanger tout ! Précisément, non. Les civils ne sont pas victimes de guerre. Ce sont des dégâts collatéraux.

M Nose :Il n’y aura pas de victimes de guerre, rien que des dégâts collatéraux.

Mitraille :En tout petits morceaux, je vous dis.

Logisticus :Et même, tenez, les militaires, avec nos bombes intelligentes, il ne leur arrivera rien.

M Bêtouillard : Pas possible ?

Logisticus :Nous ne visons que le potentiel technologique.

M Bêtouillard : Oui, je sais, vous l’avez déjà dit.

Logisticus :La bombe, elle tombe…

M Nose :Par la cheminée.

Logisticus :Non, sur une division

Bombine :Pof !

Logisticus : Elle cherche ce qui est technologique et quand elle explose,

Bombine :Pof !

Logisticus :Elle détruit le fusil, mais pas le militaire qui est au bout.

M Bêtouillard : A ce point là ?

Logisticus :Alors, les militaires sans fusils n’ont plus qu’à aller à la pèche.

Mitraille :Et c’est là qu’on peut les déchiqueter en tout petits morceaux.

M Zopa :Et comme ce ne sont plus des militaires, puisqu’ils n’ont plus de fusil, ils deviennent des dégâts collatéraux.

M Bêtouillard : C’est pourtant vrai que vous avez pensé à tout.

Mitraille :Bien sûr qu’on pense à tout.

Logisticus :C’est même pour ça qu’on nous paie.

M Bêtouillard : Toutes ces dévastations, cela va créer une misère terrible ! Des épidémies, des famines ! Il n’y aura plus que ruines !

M Nose : Notre industrie proposera ses services pour reconstruire.

M Bêtouillard : Qui va payer ?

M Nose : Eux ! Ce sera leur punition pour avoir résisté.

M Bêtouillard : Ils ne pourront pas puisqu’ils n’auront plus de potentiel technologique.

M Nose :alors, nous convierons la collectivité internationale à un grand élan de solidarité pour que nos industries puissent reconstruire la Carie.

M Zopa :Et même, pour donner l’exemple, nous dépêcherons un contingent de militaires pour aider aux premiers secours d’urgence.

M Toupournou : Et comme ils seront déjà sur place, le transport ne coûtera rien.

Mme Oriflouille : Nous photographierons nos soldats soulevant dans leurs bras des petits Cariens et nous publierons les images dans les journaux de notre grandeur nationale.

M Bêtouillard : Et puis, nous aussi, nous aurons des blessés, des morts, même !

M Zopa :Absolument pas !

Logisticus : Ceci est impossible.

Mitraille :Comment voulez-vous que nous ayons des morts puisqu’on va les déchiqueter en touts petits morceaux ?

M Bêtouillard : Je ne sais pas, moi. Des impondérables, des choses imprévues ou inattendues. L’un se blessera en ouvrant une boite de sardines et mourra de septicémie, un autre, en lavant ses chaussettes dans une rivière tombera et se noiera. Un autre…

M Zopa : Oui, ça va, on a compris ! Mais ça, cela aurait pu leur arriver à la maison. Donc, ce ne sont encore que des dégâts collatéraux.

M Bêtouillard : En même temps, les méchants, les combattants du mal, ne savent pas que c’est une guerre exclusivement contre le potentiel technologique. Alors, ils vont tirer sur nos soldats pour de bon avec de vraies balles… De vraies méchantes balles

Logisticus : Nos hommes auront une telle protection dans des véhicules blindés qu’on ne pourra pas les atteindre.

M Bêtouillard : Je vous entends bien, mais de temps en temps, il faudra bien qu’ils en sortent… Pour faire pipi, par exemple. Et les méchants, ils attendront ce moment là. Ils tireront tous en même temps ; et dans la quantité, c’est bien le diable si une balle n’atteint pas son but !

M Nose :Ça, c’est vrai. Quand on ne peut plus se retenir…

M Bêtouillard : Donc, il y aura des morts.

M Zopa :Très peu.

M Bêtouillard : Très peu, mais il y en aura.

M Nose :Alors, nous les rapatrierons vers la mère patrie avec toute la pompe nécessaire.

M Zopa :Et les funérailles prendront la solennité qui s’impose.

M Nose : Cercueil drapé sous les couleurs nationales.

M Toupournou : Discours officiel.

Bombine :Poignées de main et accolades d’un élu du peuple.

M Nose :Remise de médaille posthume.

Mme Oriflouille : Petits enfants venant déposer des fleurs.

Logisticus :Sonnerie rauque d’un clairon pathétiquement lugubre.

Mitraille :Uniformes impeccables tirant une salve d’honneur.

Mme Oriflouille : Familles raidies dans leur douleur effarée avec des femmes se tordant les mains et sanglotant en silence.

M Zopa :Image sacrée appelant à la vengeance, de nouveaux hommes prêts à la relève.

M Nose :Oh oui ! Oh oui ! Oh que ce sera beau ! Alors, nous érigerons sur chaque sépulture une stèle magnifique de la nation admirative et reconnaissante.

M Bêtouillard : Cela coûtera cher.

M Nose :Alors, un seul mausolée dans la capitale, mais immense avec, gravés dessus, tous les noms des héros ayant consenti le sacrifice total pour la conquête de la carotte.

M Bêtouillard : Bien sûr, bien sûr, bien sûr… Je me pose juste une question.

Tous :Nous vous écoutons.

M Bêtouillard :Etes-vous vraiment certains que nous soyons obligés de nous défendre ? Parce que cela, si on y regarde bien, cela ressemble quand même beaucoup à faire une guerre.

Mme Oriflouille : Mais qu’il est naïf ce petit Monsieur !

M Zopa : Bien sûr que c’est une guerre !

M Toupournou : Et bien sûr qu’il faut la faire !

M Zopa :C’est une guerre préventive pour ne pas avoir de guerre.

M Bêtouillard : Ha bon. Alors, nous faisons la guerre pour ne pas faire la guerre.

Tous :Voila.

M Bêtouillard : Mais la guerre, on dit que ça coûte cher.

M Toupournou : Pensez donc !

M Zopa : Faire la guerre, cela coûte moins cher que ne pas la faire.

M Bêtouillard : Là ; je ne comprends pas. Je croyais que quand on achète quelque chose, ça coûte toujours plus cher que quand on ne l’achète pas !

 M Zopa : Oui, mais là, mais non. Vous allez voir. C’est simple. Vous voulez être en paix. Pour cela, vous vous préparez au mieux pour dissuader les éventuels agresseurs.

M Bêtouillard : Si vous voulez.

M Zopa :Et comment que je veux ! Pour assurer la paix, il vous faut de nombreux hommes entraînés, un armement moderne,

Logisticus :Une logistique,

M Zopa :Du matériel, des munitions, des vêtements, de la nourriture, du carburant, des bâtiments pour ranger tout ça et des terrains pour construire les bâtiments et pour s’entraîner.

M Bêtouillard : c’est bien ce que je dis, cela coûte cher !

M Toupournou : Mais une fois que vous l’avez, Si vous ne l’utilisez pas, cela devient un investissement inutile.

M Zopa :Surtout si vous considérez que ce matériel est très vite dépassé et qu’il faut en permanence le renouveler.

M Toupournou : Donc, tout ce potentiel, si vous ne l’utilisez pas, cela n’aura été qu’un vaste gaspillage.

M Zopa :La guerre est l’aboutissement normal et la rentabilisation des investissements militaires.

M Bêtouillard : Si vous le dites.

M Toupournou : Ne pas faire la guerre quand on y est préparé, c’est aussi absurde que d’acheter une belle voiture, ne jamais s’en servir ; et la laisser se dégrader au fond d’un hangar.

M Nose :Voila, c’est bien dit, ça. Il ne faut pas laisser la guerre se dégrader au fond d’un hangar.

M Bêtouillard : Je note : La guerre au fond d’un hangar.

M Zopa :Surtout lorsque tout est prêts.

M Nose :Et nous, sommes-nous prêts ?

M Zopa : Demandez-le leur !

M Nose :Ah oui ! J’oubliais. Alors : Messieurs, êtes-vous prêts

Les trois : (Rectifiant la position chacun dans son style et saluant) Toujours… Prêts !

M Nose : Prêts à quoi ?

Les trois : Prêts à tout !

M Nose :A tout quoi ?

Les trois : A tout ça. (Ils refont ensemble leur démonstration d’entrée).

M Nose : C’est très beau quand ils sont prêts. J’aimerais bien être prêts aussi et me joindre à eux.

M Toupournou : Mais Monsieur le Président, vous êtes toujours prêts !

M Nose : Vous croyez ?

M Toupournou : Bien sûr !

M Nose : Je peux ?

Tous : Vous ne pouvez pas ! Vous devez.

M Nose : (descendant de sa chaise) Alors dans ces conditions…

Mme Oriflouille : La grandeur nationale l’exige !

M Nose : En plus… Alors vous aussi M Zopa.

M Zopa : Non, pas moi !

M Nose :Si vous ! Zopa ! Allons Zopa, marchons ! Ne soyez pas timide voyons ! Tous les deux ! Allez, marchons ! Marchons Zopa ! Marchons Zopa ! Et tous ensembles : Etes-vous prêts ?

Les trois : (Rectifiant la position chacun dans son style et saluant) Toujours… Prêts !

M Nose : Prêts à quoi ?

Les trois : Prêts à tout !

M Nose :A tout quoi ?

Les trois : A tout ça. (Ils refont ensemble leur démonstration d’entrée, M Nose salue la foule et M Zopa défile au pas de loi. Arrive Mme Mitraille).

 

 

 

Scène V

 

(Les mêmes plus Madame Mitraille)

 

Mme Mitraille : Oh ! Pardon ! Je crois que je dérange.

M Nose : (Se précipitant sur elle et lui faisant le baise main) : Madame Mitraille ! Quelle bonne surprise ! Vous ne nous dérangez absolument pas ! Au contraire !

Mme Mitraille : Je venais juste pour…

M Nose :Mais oui, bien sûr ! Entrez, entrez donc ! Qu’est-ce qui vous amène parmi nous ?

Mme Mitraille : Je venais juste pour

M Nose :Bien sûr, bien sûr. Vous arrivez juste à point nommé. Nous avons une grande nouvelle.

Mme Mitraille : Une grande nouvelle ? Tant mieux ! C’était pour…

M Nose : Et vous serez la prière à en être informée.

Mme Mitraille : Pour dire à…

M Nose : Bientôt la presse en parlera, mais les amis, ce n’est pas pareil. Ils peuvent savoir avant.

Mme Mitraille : Je voulais juste dire à mon mari

Mitraille : Oui, ma Fifine, dis moi.

M Nose :Naturellement, pour le moment, c’est encore sous le manteau. Vous ne le divulguez pas, hein.

Mme Mitraille : Vous pouvez compter sur moi. Vous connaissez le sens de la discrétion dont je suis capable. Je voulais dire à mon mari…

M Nose : Je sais, je sais. Du reste, nous n’ignorons pas, tous ici, que femme de militaire vous avez conscience du devoir de réserve.

Mitraille : Oui, alors, ma Fifine, tu disais ?

Mme Mitraille : Je voulais te rappeler que…

M Nose : Et je suis même certain que les gens ici présents seront ravis que vous soyez dans le secret.

Mme Mitraille : J’en mesure tout l’honneur.

Mitraille :Nous le mesurons tous les deux. Donc, tu disais ?

Mme Mitraille : Je voulais te rappeler que…

M Nose :Je vois que vous brûlez d’impatience de savoir.

M Mitraille : Vous ne pouvez pas savoir à quel point.

Mitraille :Je te comprends ma Fifine. Et tu me rappelais que ?

M Nose :Messieurs Dames, notre décision sort du cadre douillet de notre conseil. Une citoyenne, Madame Mitraille ici présente, va connaître notre décision.

Mme Mitraille : Si vous saviez comme j’en suis fière !

Mme Oriflouille : Je vous comprends, ma chère et j’en suis follement heureuse pour vous.

Mme Mitraille : Bon, Mimi, tu m’écoutes ?

Mitraille :Oui je t’écoute. Mais tu n’arrêtes pas de parler d’autre chose.

Mme Mitraille : Je te rappelle que ce soir…

Mitraille :Oui, ma Fifine. Tu me rappelle que ce soir… Mais ça, tu l’avais déjà dit. Après.

Mme Mitraille : Après ? Ce soir…

Mme Oriflouille : Mais laissez la donc parler ! La pauvre.

(Le téléphone de Logisticus sonne. Il connecte et répond)

Logisticus : Friguli, friguli. 8-0-3 avec. Plus tard, SVWK margueritte, 27, opération chaussettes. 3 modèles pour commencer. (Il écoute). Iuo… Iuo… Iuo, iuo, iuo. Iuo. Clopine BCR3, 245, navet… Iuo, iuo, iuo. Non… Non… Iuo. (Il raccroche).

M Nose : C’est votre femme avec le chauffage ?

Logisticus : Non, c’est un croiseur qui est en panne de carottes.

M Nose : C’est très grave, alors.

Logisticus : Non, c’est pour la cantine des matelots.

M Nose :Ouf ! J’aime mieux ça. Mais il faut quand même les secourir !

Logisticus :Pas de danger imminent. Ils sont à quai. Je leur ai suggéré d’aller au marché.

Mme mitraille : Donc, ce soir, je te rappelle que ta…

M Nose :Pourquoi est-ce que vous dites toujours « iuo » ?

Logisticus :Cela veut dire oui. Mais comme c’est en code, nous le disons à l’envers.

M Nose :Je vois ! Mais « non », pourquoi est-ce que vous ne le dites pas en code ?

Logisticus : Nous le disons aussi en code. Sauf que « non », à l’envers, ça ne change rien.

Mme Mitraille : (Très fort). Mimi, je te rappelle que ce soir, ta sœur vient souper à la maison. Alors, tu ne traînes pas avec tes amis, tu prends ta douche et tu te changes.

Mitraille :Bien sûr ma Fifine, bien sûr ! Je le savais, en plus, mais tu as bien fait de me le rappeler.

Mme Oriflouille :(riant et minaudant). Ah ces hommes ! Il faut lui rappeler de prendre sa douche.

Mme Mitraille : Vous n’imaginez pas ma chère. Il est capable de venir en tenue de travail.

Mitraille :Mais non !

Mme Mitraille : Mais si !

Mme Oriflouille : Ho je vous fais confiance ! Le mien, l’autre jour, croirez vous que

M Nose :Bon, alors, vous voulez la connaître cette nouvelle ou pas ?

Mme Mitraille : Si, justement, j’allais vous en prier.

M Nose :La rivalité de la carotte a atteint son point suprême.

Mme Mitraille :Mais c’est terrible, ça.

M Nose :Le point de non retour a été atteint aujourd’hui vers dix heures quarante deux.

Mme Nose :J’en suis persuadée.

M Nose :Nous n’avons plus que le choix de nous défendre.

Mme Mitraille : Défendons-nous !

M Nose :Général Mitraille, je vous admire et j’avoue… Oui, j’avoue parce qu’il faut bien l’avouer que je vous envie un peu.

Mitraille :Monsieur le Président a toujours raison. Même quand on ne comprend pas pourquoi.

M Nose :Allons, ne nous jouez pas la grande humilité. Je vous admire d’avoir eu la sagacité d’épouser une femme aussi pertinente que Madame Mitraille.

Mitraille :Vous m’honorez… Euh, non, c’est elle que vous honorez… Heu, non, vous nous honorez tous les deux. Mais pourquoi ?

M Nose : Allons… Ne vous faites pas plus niais que vous êtes au naturel !

M Bêtouillard : Niais, que vous êtes au naturel.

M Nose :Mme Mitraille a tout de suite compris, sans que nous lui expliquions que nous allions nous défendre.

M me Mitraille : Oui ! Défendons-nous !

M Nose :Vous voyez !

M Toupournou : Quelle perspicacité !

M Nose : Donc : c’est la guerre.

Mme Mitraille : La guerre ? Chic, chic, chic ! Mon mari va avoir de l’avancement.

Mitraille :Oui, ho, doucement. Ça, ce n’est pas encore fait.

Mme Mitraille : Et, vous voyez ! Il est modeste en plus. J’aime quand il est comme ça. Vous savez, dans le fond, c’est un timide.

Mitraille :Allons ma Fifine…

Mme Mitraille : Tu es vraiment trop mignon. Je te fais la bise, tiens.

Mitraille :Allons ma Fifine…

Mme Oriflouille :Admirons ; admirons tous l’harmonie de la famille : essence de notre grandeur nationale !

M Zopa :Et oui, c’est la guerre… Mais je constate avec plaisir que cela semble vous réjouir.

Mme Mitraille : Bien sûr ! La guerre, c’est magnifique ! Pensez donc. Un officier, en temps de paix, cela s’ennuie. C’est un peu comme s’il était au chômage technique. Alors, il traîne comme une âme en peine. Il se sent délaissé, inutile. Il est grognon.

Mitraille :Grognon ? Moi ? Voyez-vous ça. Moi qui suis la bonne humeur et la joie de vivre personnifiées

Mme Oriflouille : Si votre épouse dit que vous êtes grognon, c’est que vous êtes grognon.

Mme Mitraille : Oh, bien sûr, ils ont des activités de remplacement ! Ils jouent avec leurs petits camarades à organiser des grandes manœuvres plus ou moins concertées.

Mme Oriflouille : Mais ce ne sont que des succédanés.

M Mitraille : Bref, ils s’ennuient.

Mme Oriflouille : Et ils ennuient tout le monde.

Les trois généraux : Allons bon ! C’est nouveau, ça. Nous sommes des parasites de la société.

M Mitraille : Tandis que s’il y a une vraie guerre, ils sont dans leur élément. Ils sont heureux de vivre. La joie illumine leur visage et ils rayonnent de jubilation exaltée.

M Zopa :Et puis, c’est comme au football. L’entraînement, c’est bien. Mais, s’il n’y a pas de temps en temps une petite compétition, on se lasse vite.

M Bêtouillard : On se lasse vite.

Mme Oriflouille : La guerre, cela engendre des sentiments nobles et généreux.

M Zopa :L’esprit de corps.

Mme Oriflouille : Tous ces jeunes gens, beaux, solides, musclés qui unissent leurs vaillances dans un même effort…

M Zopa : Sans parler de la franche camaraderie forgée par la vie militaire !

M Nose :Les uniformes chamarrés dans les cérémonies officielles…

M Zopa : Les différences individuelles qui s’effacent pour unifier tous les hommes et ne former plus qu’une seule unité.

M Nose : Ah ! Que c’est beau la guerre !

M Zopa : Les champs de bataille où les divisions évoluent en harmonie comme un corps de ballet…

M Nose : Oui, oui ! C’est beau, tout ça ! Parlez nous encore de la magnificence de la guerre.

M Zopa : Les régiments en campagne bivouaquant autour de leurs chefs.

M Nose : Oui, oui ! Bravo ! C’est magnifique ! Remercions la carotte de nous apporter des moments d’une jouissance aussi profonde et intense.

M Bêtouillard : Profonde et intense.

M Toupournou : Le soir, écrasés par la tâche sublime, nos hommes s’endormiront sous les étoiles vibrantes avec des rêves de gloire éternelle. Ils graveront dans leur cœur des souvenirs merveilleux à raconter aux enfants quand ils rentreront au pays.

M Nose : La guerre est un bienfait de la nature.

M Toupournou : Et la bravoure de nos hommes nous offrira la carotte.

Mme Mitraille : La carotte soit louée !

M Nose :Non, pas louée… acquise !

Mme Mitraille : Oui, aussi, Monsieur le Président à de l’esprit. Alors, louange à la carotte qui nous permet de la conquérir.

M Zopa :Louange à la carotte et louange aux esprits supérieurs ayant entrepris sa possession.

M Toupournou : Louange à celui qui, s’élevant au dessus des préoccupations banales et vulgaires, aura su en entreprendre la conquête totale et définitive.

M Bêtouillard : Louange définitive.

M Toupournou : Louange au chef capable d’une telle entreprise.

M Nose :Louange à moi ! Louange à moi.

M Bêtouillard : Louange à lui, louange à lui.

Mme Oriflouille : Tous les drapeaux déployés claquent déjà dans la brise du matin !

M Nose :Justement, à ce propos, les drapeaux drapottent-ils bien ?

Tous :Oui, Monsieur le Président.

Mme Oriflouille : Dans le vent, nos drapeaux drapottent, les étendards dardent…

Tous :Et les oriflouilles flouillent.

M Nose :Ha ! Tant mieux ! Tant mieux, tant mieux, tant mieux.

Tous :Voila. Voila, voila, voila.

M Nose :Maintenant, je pense que le moment est opportun pour que je prononce un discours de circonstance. Monsieur Bêtouillard, avez-vous préparé mon discours de circonstance.

 M Bêtouillard : Pardonnez-moi, mais comment voulez-vous que j’aie rédigé un discours de circonstances quand je ne savais pas moi-même en arrivant, ce matin, qu’il y aurait une circonstance.

M Nose :Ah ! M Bêtouillard, vous me décevez, là.

M Bêtouillard : Mais…

M Toupournou : Voyons mon cher, vous devriez toujours avoir, en réserve, un discours de circonstance.

M Bêtouillard : Je veux bien, mais…

M Toupournou : Vous savez bien, un de ces discours creux constitués de phrases vides mais construites de mots ronflants qui donnent autant envie d’applaudir que de se récrier ou de huer. Un discours suffisamment ambigu pour s’appliquer à n’importe quelle circonstance depuis une marée noir jusqu’à une victoire sportive de l’équipe nationale.

M Bêtouillard : Ce n’est pas sot, ça, je n’y aurais pas pensé.

M Toupournou : Et même, zélé comme vous êtes, j’en aurais attendu de vous deux ou trois modèles types différents pour parer au plus pressé

M Nose : Vous voyez, M Bêtouillard, Je ne peux pas compter sur vous. Ce n’est pas bien, ça, pas bien du tout, de ne pas avoir écrit de discours de circonstance par anticipation.

M Bêtouillard : Je ne le ferai plus. Juré, craché.

M Nose :Bon, pour cette fois, je passe. Mais n’y revenez plus. Avec tout ça, moi, Je vais être obligé d’improviser.

Mme Oriflouille : Oui, Monsieur le Président. Mais vous improvisez si bien.

Mme mitraille : Et vous avez tellement l’esprit d’à propos…

Mme Oriflouille : C’en est un délice.

M Nose :(remontant à sa tribune) Chères concitoyennes et chers concitoyens :

Mme Oriflouille et Mme Mitraille : Bravo !

M Toupournou : Jusque là, c’est bien.

M Bêtouillard : Je dois reconnaître que j’aurais écrit la même chose.

M Nose :Oui, mais ne m’interrompez pas tout le temps. Vous me déconcentrez.

M Toupournou et M Bêtouillard : Nous nous taisons.

Mme Oriflouille et Mme Mitraille : Nous écoutons.

M Nose :C’est avec un plaisir inexprimable que j’ai l’agréable mission de vous annoncer que, depuis ce matin, nous avons réussi, malgré tous les efforts des pacifistes et grâce à notre détermination à entrer en guerre contre la Carie dont la conduite inqualifiable dans sa contestation de notre suprématie  sur le contrôle de la carotte nous insupportait particulièrement. Je mesure à quel point cette nouvelle projette notre nation dans l’allégresse et je souhaite que chacun réalise les efforts déployés par notre gouvernement pour réussir à générer la spirale lumineuse nous conduisant à cette fin inespérée. Aussi, maintenant que l’inéluctable est arrivé, avec l’enthousiasme que cela suscite, Je sais que chaque citoyenne, chaque citoyen aura à cœur de tenir son rôle avec ferveur dans la noblesse et dans l’abnégation.

Tous :(En désordre et en applaudissant) Bravo ! Magnifique ! Extraordinaire ! Eblouissant !

M Zopa : C’est exactement ce qu’il fallait dire. C’est exactement ce que nous pensions.

M Bêtouillard : Je ne l’aurais pas mieux écrit moi-même.

M Nose :Mais si ! Mais si !

M Bêtouillard : Et je me demande même à quoi je sers.

M Toupournou : C’est bien… C’est bien… C’est très bien. C’est parfait… Oui, c’est cela, c’est parfait. Oui, c’est parfait. Euh, par-ci par-là… Mais c’est parfait. Sauf que…

M Nose :Sauf que ?

M Toupournou : Non, non ! C’est parfait. Ce qu’il faudrait : C’est le dire dans l’autre sens.

M Nose :Dans l’autre sens ?

M Toupournou : Oui, le contraire.

M Nose :Le contraire ? Mais ce que j’ai exprimé, c’est ce que nous pensons !

M Toupournou :Justement. C’est cela que nous pensons, donc, nous devons dire le contraire.

M Nose :Allons bon…

M Toupournou : Si nous disons cela, le monde entier va croire que nous sommes contents.

M Nose : Ce qui ne sera que la plus stricte réalité. Nous sommes contents. Nous jubilons, même.

M Toupournou : C’est la raison pour laquelle il faut dire le contraire.

M Nose :Voyez-vous ça.

M Toupournou : Quand on prend une grande et grave décision, il faut toujours laisser croire que c’est dans l’obligation, que ce n’est pas de notre faute, que nous n’avons pas fait exprès.

M Nose :Et pourquoi donc ?

M Toupournou : Parce qu’après, si ça tourne à la catastrophe, on peut toujours dire qu’on ne l’a pas voulu.

M Nose :Ce n’est pas bête, ça.

M Toupournou : Donc, vous le répétez, mais…

M Nose :Oui, j’ai compris. Dans l’autre sens. Hé ! Ho ! Dans l’autre sens, c’est dans l’autre sens. Donc, je reprends. Chers concitoyennes, chers concitoyens. Jusque là, c’est pareil. C’est après que ça change. C’est avec la plus grande affliction que j’ai le pénible devoir de vous annoncer que depuis ce matin, nous nous sommes trouvés dans l’obligation, malgré nos efforts et notre détermination pacifiste, et contre notre gré à nous résoudre à entrer en guerre contre la Carie dont la conduite inqualifiable dans la gestion internationale de la carotte insupportait la population planétaire dans son ensemble. Je mesure à quel point cette nouvelle plonge notre nation dans la consternation et je souhaite que chacun réalise les efforts déployés par notre gouvernement pour tenter d’enrayer la spirale infernale nous conduisant à cette dernière extrémité. Cependant, maintenant que l’inéluctable est arrivé, malgré l’horreur que cela implique, je sais que chaque citoyenne, chaque citoyen aura à cœur de tenir son rôle avec ferveur dans la noblesse et dans l’abnégation.

Mme Oriflouille : C’est pourtant vrai que c’est  mieux comme ça.

Mme Mitraille : Monsieur le ministre, on sent en vous l’homme de métier.

Mitraille :Ouais, on va les déchiqueter en tout petits morceaux.

M Nose :Moi, j’aimais bien la première version. Elle me semblait plus vécue, plus sincère, plus spontanée.

M Toupournou : Oui, mais la deuxième est mieux pour les intellectuels.

M Bêtouillard : Mieux pour les intellectuels.

M Nose : Je… M’a… Dres… se aux intellectuel…eu ! Je… M’a… Dres… se aux intellectuel…eu !

M Toupournou : Ceci paraîtra dans les journaux et sera commenté par la presse internationale.

M Bêtouillard : Presse internationale.

M Toupournou : Oui, parce que pour le commun des mortels…

M Nose : Qui c’est, ça le commun des mortels ?

M Toupournou : Le commun des mortels… le tout un chacun, le menu fretin, le contribuable de base, le citoyen moyen…

M Nose : Ah oui ! Le petit peuple !

M Toupournou : Voila !

M Nose :Bah appelez les choses par leur nom, mon petit vieux !

M Bêtouillard : Son petit vieux.

M Toupournou : Si vous voulez. Donc, le « petit peuple », vu que n’importe comment il ne lira pas le communiqué officiel de la présidence, nous tiendrons un autre langage.

M Nose :Un langage pas intellectuel.

Mme Oriflouille : Le langage de la famille et de la grandeur nationale.

M Zopa :Le langage du bon sens.

M Toupournou : Le langage de la raison.

M Bêtouillard : Oui, bon ! Le langage utilisé quand on s’adresse au petit peuple. Tout le monde a compris.

M Nose :Et que lui dit-on au petit peuple ?

M Toupournou : On lui dit ce qu’il a envie d’entendre en flattant de préférences ses plus basses préoccupations, ses desseins les plus vils et le plus sordidement égoïstes.

Mme Oriflouille :Le petit peuple, lorsque vous lui dites qu’il est beau, grand, fort et intelligent est plus enclin à vous croire que si vous lui annoncez qu’il est laid, médiocre, mesquin et borné.

M Nose :Ah bon ? Il est tout ça le petit peuple ?

Mme Oriflouille : Non, mais les gens n’aiment pas qu’on leur dise qu’ils ne sont en toute objectivité statistique et dans leur globalité que moyens.

Mme Mitraille : Chaque individu pris dans une foule se sent au dessus de la moyenne de cette même foule. Cela veut dire que la moyenne est largement au dessous de la moyenne.

M Nose :Heu… Vous voulez bien nous le redire, ça ?

M Toupournou : Oui, je ne suis pas sûr que tout le monde ait suivi.

Mitraille : Ma femme c’est un cerveau.

Mme Mitraille : Je disais que : si ceux qui sont inférieurs à la moyenne se sentent supérieurs à la moyenne, il existe une moyenne fictive qui est inférieure à la moyenne.

M Nose :Bah voila.

Mme Mitraille : Il s’en suit que si la moyenne fictive, inférieure à la moyenne réelle est fictivement supérieure à la moyenne réelle, la moyenne réelle, supérieure à la moyenne fictive est donc fictivement inférieure à la moyenne fictive.

M Nose : Bien sûr, tout cela va de soi !

Mme Mitraille : On peut en conclure, par simple transitivité, que, puisque la moyenne réelle est inférieure à la moyenne fictive laquelle est elle-même inférieure à la moyenne la moyenne réelle est réellement inférieure à la moyenne réelle.

M Nose :Vous voyez comme c’est simple quand c’est expliqué clairement !

Mitraille :Ma femme, c’est un cerveau.

Mme Mitraille : On pourrait même ajouter que plus la moyenne fictive est élevée, plus la moyenne réelle est faible.

M Toupournou : Oui, mais ça, c’est pour nous. Ce n’est pas pour le petit peuple.

M Nose :Cela, c’est pour les hautes sphères gouvernementales. Le petit peuple, lui, il ne peut pas le comprendre.

M Bêtouillard : Vous croyez ?

M Toupournou : Evidemment ! Vous n’avez qu’à le lui demander.

M Bêtouillard : Demandons-le lui.

M Nose :Oui, demandons-lui.

M Toupournou : Attendez ! Je précise la question. (Il parle à l’oreille de M Nose)

M Nose : Oh oui ! C’est bien comme ça. (S’adressant au public) Petit peuple, as-tu compris que tu ne pouvais pas comprendre ?

M Toupournou : (à M Bêtouillard) Vous voyez !

Mme Mitraille : Et même si on le lui redit autrement.

Mitraille :Ma femme, c’est un cerveau.

Mme Mitraille : Si l’on a trois individus, un petit, un moyen et un grand, il ne faut surtout pas, afin de ne pas froisser son ego, tenter de dissuader le petit qui soit plus grand que le moyen.

M Nose :Ah bon ? Pourquoi ?

Mme Mitraille : Parce que, sinon, il risquerait de formuler des revendications.

M Nose :Ah ça, non ! Vous avez raison. Il ne faut surtout pas.

Mme Mitraille : Si vous ajoutez que le moyen aimerait bien qu’on le considère comme plus grand que le grand…

M Nose :Oui, oui, oui, oui, oui ! Abondons dans leur sens.

Mitraille : Ma femme, c’est un cerveau.

Mme Mitraille : Et c’est la même chose pour le petit peuple, le moyen peuple et le haut peuple.

M Nose : Alors, qu’est-ce qu’on lui dit au petit peuple ?

M Toupournou : Mais voyons, c’est très simple ! On lui dit : En avant… Marche !

M Zopa : Au pas cadencé !

Mitraille :Pas de quartier !

Mme Oriflouille : Nous planterons des fleurs sur les ruines de leurs prisons !

M Nose : Nous sommes le droit et la justice !

M Toupournou : Nous sommes les meilleurs !

Mme Mitraille : Nous marchons vers la lumière !

M Bêtouillard : Je peux aussi ?

M Nose :Allez-y mon petit vieux ! Laissez-vous aller !

M Zopa :Oui, profitez-en.

M Bêtouillard : Ce sont des… des…

M Nose :Oui, des quoi ?

M Bêtouillard : Heu… Des vilains… Des vilains pas beaux.

M Toupournou : Ouais, c’est bien ! Mais contentez vous quand même de prendre des notes.

         (A partir de ce moment, peu à peu on entend un tango pathétique et extatique dont le son va s’enfler et les répliques suivantes vont se surajouter à la musique).

Mme Oriflouille : En avant fils de l’avenir !

M Zopa : En avant pour la der des der !

M Toupournou : Les petits devant et les grands derrière !

M Nose :Je ne veux voir qu’une seule tête !

Mme Oriflouille : La discipline étant la force principale des armées…

Mitraille :En tout petits morceaux.

Mme Mitraille : Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts !

Mme Oriflouille : Et nous sommes les plus forts parce que nous sommes les plus forts !

M Toupournou : Nous sommes les sauveurs de l’humanité !

Mme Mitraille : De la civilisation !

Bombine :Et de la paix.

M Nose :Le grand Esprit est avec nous !

Mme Mitraille : Avec les vieilles gamelles, nous forgerons l’acier de la victoire !

M Bêtouillard : Cier de la victoire.

Mitraille :Ma femme, c’est un cerveau

Logisticus : 36 92…36 92 !

M Nose : Ah, Madame ! Vous permettez ?

Mme Mitraille : Et comment donc !

         (Ils se mettent à danser le tango)

Mme Oriflouille : C’est la fête !

M Zopa :Les flonflons !

M Toupournou : Le cœur joyeux et la fleur au fusil !

Mme Oriflouille : Que la kermesse s’amuse !

M Toupournou : Madame…

Mme Oriflouille : Volontiers, Monsieur. J’allais vous en prier.

         (Ils dansent aussi. Les généraux reprennent leur manège du début, M Zopa défile au pas de loi et M Bêtouillard s’agite, trottine et sautille en prenant des notes.)

Mitraille : On va les déchiqueter.

Logisticus :Sept 22. Sept 22. Fort et clair ! Affirmatif !

M Zopa :Et hop ! Et hop ! Une deux, une deux, martial et fier !

Mme Mitraille : La tête haute et la poitrine en avant !

Mme Oriflouille : Nous partirons de nos jardins et nous ne nous arrêterons que dans le palais de leur chef !

Bombine :Et pof ! Et pof ! Et pof pof pof !

M Zopa :Musique en tête !

M Toupournou : Une chanson aux lèvres !

M Zopa :Joyeuse chanson militaire.

M Bêtouillard : Joyeuse militaire.

Mme Oriflouille : Psaume exalté et glorieux !

M Bêtouillard : Et glorieux.

M Nose :La victoire est la propriété des justes !

M Toupournou : Ils ne peuvent pas nous échapper !

Logisticus :Cinq sur cinq ! Et plus si affinité !

M Zopa : Tous en Carie !

Tous :Tous en Carie !

M Zopa :On les aura !

Tous :On les aura !

M Bêtouillard : Z’aura.

M Zopa :Ils sont à nous !

Tous :Ils sont à nous !

M Bêtouillard : T’à nous !

M Nose :Le bien triomphera du mal,

Tous :et vive la carotte libre!

 

 

Noir

 

 

 

 

 

 

 

LES CAROTTES

 

 

ACTE II.

 

(Lumière sur la table et les chaises du côté jardin. On pourra, surtout si la scène est petite, placer un petit paravent symbolique pour séparer cette partie de la scène de l’autre).

 

Scène 1.

      (Madame Mère, Madame Nose, Madame Oriflouille puis Madame Mitraille).

 

Mme Mère : Je vous en prie, ma chère, asseyez-vous. Ma belle fille et moi-même sommes ravies de vous recevoir à notre petit goûter.

Mme Oriflouille : Je suis très sensible à la considération que vous me marquez.

Mme Nose :Mais, chère amie, c’est nous qui sommes honorées par votre acceptation de dispenser un peu de votre temps, oh combien mesuré, pour notre simple récréation domestique.

Mme Oriflouille : Mais non ; mais non ! C’est un plaisir. Du reste, je me suis permis de convier aussi une amie que vous devez certainement connaître.

Mme Mère :Vous avez bien fait. Mais de qui s’agit-il ?

Mme Oriflouille : De Madame Mitraille : La femme du général.

Mme Nose :Mme Mitraille ! Oh, mais oui ! Vous avez bien fait. C’est une très ancienne amie à moi. Nous étions ensemble au  pensionnat. Donc, elle va nous rejoindre ?

Mme Oriflouille : Oui, je l’ai aperçue qui arrivait quand je suis entrée. Tenez, justement, la voici.

(Entre Mme Mitraille)

Mme Nose : Oh ! Fifine ! Que je suis contente de te voir ! Entre, entre ! Viens avec nous.

Mme Mitraille : Moi aussi, il y a tellement longtemps que nous ne nous sommes plus rencontrées. Bonjour Mesdames.

Mme Mère :Venez ; asseyez-vous. Ainsi, vous connaissez ma belle fille de longue date. Vous savez que ce n’est pas bien de ne pas venir nous voir de temps à autre ?

Mme Mitraille :Je sais, mais en même temps, vues les hautes fonctions de Monsieur votre fils…

Mme Mère : Ah ! Mon petit bichon…

Mme Nose : Mais, grande bête ! Cela n’a pas d’importance pour les amis ! Allez, je sers le thé.

Mme Mère :J’ai préparé quelques petits gâteaux. Vous allez voir, on dit que je les réussis assez bien.

Mme Nose :Assez bien… Ma belle mère se sous estime toujours. Vous allez voir, c’est un pur délice. Hélas, elle n’en mitonne plus assez souvent à mon goût ; surtout depuis que nous vivons dans cette maison.

Mme Mère :Oui, je sais. Je le regrette. Mais que voulez-vous ? Il ne faut pas retirer son travail à la domesticité.

Mme Oriflouille : C’est là un noble sentiment de votre part.

Mme Nose :Mais ceux de Madame mère sont largement plus savoureux.

Mme Mitraille : J’en suis convaincue.

Mme mère :On a beau dire : Même si ce sont des professionnels très qualifiés, j’en conviens, ils ne peuvent pas rivaliser avec les traditions des bonnes familles.

Mme Oriflouille : C’est évident.

Mme Nose :Comme c’est agréable de se retrouver ainsi entre bonnes amies.

Mme Oriflouille : Loin de tous les problèmes et des bassesses de la société.

Mme Mitraille : Autrefois, nous nous rencontrions plus facilement et plus souvent.

Mme Nose :Oh oui, Fifine, mais que veux-tu ? La vie est ainsi faite.

Mme Mitraille : C’est au temps où nos maris n’avaient pas atteint des fonctions aussi importantes.

Mme Nose :Ha ! Ces hommes ! Toujours à courir après la gloire. C’est leur faute aussi ! Ils ne se rendent pas compte des sacrifices qu’ils nous obligent à consentir pour leur carrière.

Mme Oriflouille : Et oui, nous ne pouvons même plus prendre le thé en amies.

Mme Mère :C’est décidé. Nous sommes Mercredi. Alors, je vous attends Mercredi prochain à la même heure et ainsi de tous les Mercredi qui suivront. Madame la Ministre, j’en suis persuadée, trouvera bien un moment hebdomadaire dans son emploi du temps pour nos petites folies.

Mme Oriflouille : Je dirai à mon secrétaire que, dorénavant, les Mercredi, j’ai une obligation pour rencontrer, en privé, des personnes représentatives de la famille exemplaire.

Mme Nose :Et personne ne trouvera à y redire.

Mme Mère :Oh qu’elle est futée !

Mme Mitraille : Alors, c’est entendu. Mercredi prochain.

Mme Nose : Tous les Mercredi ?

Toutes :Tous les Mercredi.

Mme Nose : A la même heure ?

Toutes :A la même heure.

Mme Mère :Non mais, nous n’allons tout de même pas nous laisser dicter notre conduite par les hommes !

Mme Oriflouille : Oh non alors !

Mme Mitraille : Madame Mère, réellement, vos tartelettes sont un bonheur.

Mme Oriflouille : Et vos pommes cuites aussi. Vous permettez que j’en reprenne un peu ?

Mme mère :Mais je vous en prie. Elles sont là pour ça.

Mme Mitraille : Dans ce cas, je vais me resservir aussi. C’est trop bon. On ne peut pas résister.

Mme Nose :Ah cette chère Fifine ! Déjà au pensionnat, elle était connue pour sa gourmandise. Nous nous demandions même comment elle faisait pour garder cette ligne svelte que nous lui connaissions car déjà dans ce temps là, elle ne pouvait jamais résister devant un dessert.

Mme Mitraille : Oui, Mais ça, tu n’es pas obligée de la dire à tout le monde.

Mme Oriflouille : Devant de telles délices, la gourmandise n’est plus un péché. C’est un devoir !

Mme Mitraille : Madame Mère, je le déclare haut et fort et face au monde, la main sur le cœur, vous êtes la reine des tartes.

Mme Oriflouille : Et la reine des pommes.

Mme Mère :Oh, Mesdames ! Vous me flattez ! Vous allez me faire rougir.

Mme Mitraille : Non, non ! C’est sincère !

Mme Oriflouille :Oui, vous êtes la reine des pommes !

Mme Mitraille : Et des tartes !

Mme Mère :Comme vous êtes gentilles toutes les deux. Et vous, ma petite Joséphine… Vous permettez que je vous appelle Joséphine ?

Mme Mitraille : Si vous voulez. Mais je vous signale juste que je ne m’appelle pas Joséphine.

Mme Mère : Ah bon ? Delphine, peut-être ?

Mme Mitraille : Pas davantage.

Mme Mère :Et alors, pourquoi est-ce que ma belle fille vous appelle Fifine ?

Mme Mitraille : Oh, c’est simple, Madame. C’est parce que tout le monde m’a toujours appelé Fifine.

Mme Oriflouille : Comme c’est amusant… Moi aussi, je Croyais que… Joséphine : Fifine. Fifine… Fifine… Joséphine… Ou Delphine, si vous voulez, je n’y avais pas pensé.

Mme Nose :C’est pourtant vrai qu’on t’a toujours appelée Fifine.

Mme Mitraille : Et oui. Je ne sais pas pourquoi, mais cela a toujours été ainsi.

Mme Mère :Comme c’est amusant.

Mme Mitraille : Et mon mari, lorsqu’il veut plaisanter en se moquant gentiment de moi, me dit que j’ai beaucoup de chance que l’on m’ait choisi Fifine comme diminutif.

Mme Oriflouille : Ah bon ? Je ne vois pas pourquoi. Parce que Joséphine… Fifine… On comprend mais…

Mme Mitraille :Justement ! Mon vrai prénom…

Mme Nose (riant) : Son vrai prénom, c’est Jessica.

Mme Mère :Oh que c’est drôle !

Mme Oriflouille : Quel homme d’esprit !

Mme Nose :Comme c’est spirituel et fin !

Mme Mère :Et délicat !

Mme Oriflouille : Oui, aussi… Délicat… Délicat… comme Jessica.

Mme Mère :Voila !

(Elles rient et pouffent niaisement).

Mme Nose : Ah, ces hommes ! Il est vrai qu’ils ne sont pas toujours faciles à supporter, mais, heureusement, avec leur humour, ils nous font rire par-ci par-là.

Mme Mitraille : Cela dit, vous savez, les gens ont souvent, de mon mari, une image un peu fausse. Il se donne des airs, comme ça, mais à la maison, c’est un doux, un tendre.

Mme Oriflouille : Ce n’est pas possible… Et moi qui croyais que sa rudesse toute militaire était sa nature première ; et même que c’était sa rugosité native qui l’avait conduit au métier des armes.

Mme Mitraille : Pensez donc ! C’est un sensible, un délicat, un douillet.

Les trois autres : Un douillet ?

Mme Mitraille : Et oui ! Qu’il se coupe un peu en taillant un crayon… Il faut courir à l’hôpital.

Mme Oriflouille : C’est pas possible…

Mme Mitraille : Tenez, l’autre jour, quand l’infirmière est venue pour son rappel de vaccin : Si vous saviez le nombre de choses urgentes qu’il a éprouvé le besoin de faire avant de se décider à retirer sa chemise…

Mme Oriflouille : C’est pas possible…

Mme Mitraille : Et une fois que cela a été fait, il a presque fallu le poursuivre à travers le salon pour l’immobiliser.

Mme Oriflouille : C’est pas possible…

Mme Mitraille : C’est comme je vous dis.

Mme Oriflouille : Alors ce grand Matamore a peur des piqures.

Mme Mitraille : Exactement.

Mme Oriflouille : Voila qui est bon à savoir. Dorénavant, quand il voudra m’en imposer avec son air bestial d’ours mal léché ou de brute sanguinaire, je saurai quoi lui dire.

Mme Mère :(riant) Oh ! Ça c’est méchant… Mais très efficace.

Mme Mitraille : Bien sûr, vous ne lui dites pas comment vous l’avez su !

Mme Oriflouille : Naturellement ! Vous pouvez compter sur moi.

Mme Mitraille :C’est un secret de femmes !

Mme Oriflouille : Bouche cousue.

Mme Nose :(riant) Bouche cousue, mais quand même langue de vipère !

Mme Oriflouille : Ce n’est qu’une gaminerie.

Mme Mère :Voyez cette jeunesse comme elle est espiègle !

 

Noir

 

 

Scène 2.

 

(Lumière en cour)

(M Nose, M Zopa, M Toupournou, M Bêtouillard.)

 

M Nose : Alors, on peut commencer ?

M Toupournou : Non.

M Nose :Comment ça non ?

M Toupournou : Nous ne sommes pas au complet.

M Nose :Pas au complet… Que voulez-vous dire par pas au complet ? Moi, je suis là. Vous, vous êtes là. Eux aussi…

M Zopa :Alors, qui peut bien manquer ?

M Nose :Faisons l’appel. (M Bêtouillard lui tend un registre qu’il compulse). Voyons, voyons. M Bêtouillard !

M Bêtouillard : Présent.

M Nose :M Zopa !

M Zopa : Présent.

M Nose :M Toupournou !

M Toupournou : Présent.

M Nose:M Nose! M Nose? Il n’est pas là M Nose ?

M Zopa:Excusez moi, Monsieur le Président, mais Monsieur Nose, c’est vous.

M Nose : Ah oui ! Très juste. J’oubliais. Monsieur Nose, c’est moi. Donc, je reprends : M Nose ? Présent. Mme Oriflouille ? Mme Oriflouille ? Elle n’est pas là Madame Oriflouille ?

M Toupournou : Non, Apparemment, elle n’est pas là.

M Nose :Ô Madame Oriflouille… Si tu es là réponds-moi… Un coup pour oui, deux coups pour non…

M Bêtouillard : Elle ne répond pas. Elle n’est pas là.

M Nose :Si elle n’était pas là, elle aurait du taper deux coups. Donc, elle n’est pas pas là.

M Bêtouillard : Oui, mais elle n’a pas tapé davantage un seul coup. Donc, elle n’est pas là non plus.

M Nose : Voila un problème grave. Mme Oriflouille est simultanément pas là et pas pas là.

M Bêtouillard : C’est inquiétant, ça.

M Nose :Voyez donc ! Et pourquoi, s’il vous plait ?

M Bêtouillard : Parce que cela remet en cause l’idée de Parménide

M Nose : Qui c’est celui-là ?

M Bêtouillard : Mais, vous savez bien : Parménide ce philosophe présocratique selon lequel rien de peut, à la fois, être et ne pas être.

M Nose :Ha oui ? Il a dit ça ? Comment vous dites qu’il s’appelle ?

M Bêtouillard : Parménide.

M Nose : Il a raison, Parmé…

M Bêtouillard : Nide.

M Nose : Oui, c’est ça. Il faudra penser à donner son nom à des rues. Donc, pour Madame Oriflouille, c’est très grave.

M Bêtouillard : Oui, mais pas tant que ça. Parce que dans le même temps, ça conforte la position opposée défendue par Héraclite.

M Nose : Ah bon. Et qu’est-ce qu’il dit cet autre ?

M Bêtouillard : Il dit, en substance, que toute chose et son contraire (le froid et le chaud, le jour et la nuit, la vérité et le mensonge, la vie et la mort) ne forment, en réalité qu’une seule notion à des degrés différents.

M Nose :Hou là !

M Bêtouillard : Si ! Pensez-y : toute chose porte en elle-même sa contradiction de façon antagonique. Sans la nuit, la notion de jour n’aurait pas de sens. Sans la vie, la mort n’existerait pas.

M Nose : Bah dites donc, vous en savez des choses, vous.

M Bêtouillard : Remarquez, si l’on s’en tient à Parménide, Héraclite ne peut pas exister. En revanche, si l’on se réfère à Héraclite, Parménide étant sa négation devient sa contradiction interne et, de ce fait, les deux ne sont plus qu’une même entité avec des valeurs paradoxales.

M Toupournou : Hé ! Vous croyez que c’est le moment de vous diluer dans des considérations aussi fumeuses ?

M Zopa : Quand Madame Oriflouille a disparu…

M Toupournou : Enlevée, cela est certain, par des êtres malfaisants…

M Zopa : Des ennemis de la paix et de la civilisation…

M Nose : C’est vrai, ça. Mais ce n’est pas moi, c’est lui qui me…

M Toupournou : En s’attaquant à Madame Oriflouille, notre ministre de la famille et de la grandeur nationale, ils ont visé l’essence même de notre sainte patrie.

M Nose : Vous avez raison mais c’est lui qui…

M Zopa : Seuls nos pires ennemis peuvent concevoir une aussi vile infamie !

M Nose : Vous dites vrai. Vous voyez, vous aussi avec vos…

M Toupournou : On reconnaît bien  là la main Sacrilège et la vilenie des Cariens

M Nose : Bien sûr ! Vous vous rendez compte de ce que vous me…

M Zopa : Mais nous ne nous laisserons pas faire !

M Nose : Oui ! Il faut sauver la ministre Oriflouille ! Déclenchons le plan d’alerte rouge !

M Bêtouillard : Mais, Monsieur le Président, nous sommes toujours en situation de plan d’alerte rouge.

M Nose : Très bien. Alors décrétons le plan d’alerte rouge fort… Le plan d’alerte rouge foncé… Rouge brillant… rouge spécial… Le plan d’alerte rouge plus rouge que rouge.

M Zopa : Il faut agir !

M Nose : Il faut agir !

Tous : Il faut agir… Réagissons.

 

 

Noir

 

 

Scène 3

 

(Lumière en jardin)

(Mesdames Mère, Nose, Mitraille et Oriflouille)

 

Mme Mère : Voulez-vous encore un peu de thé ?

Mme Oriflouille : Oui, mais rapidement. Je dois me rendre au conseil.

Mme Nose : Pensez donc ! Ils doivent se raconter des histoires d’hommes.

Mme Mitraille : De toutes façons, vous savez l’importance qu’ils donnent à nos avis.

Mme Oriflouille : C’est vrai. Mais je dois assister Monsieur le Président dans sa lutte du bien contre le mal.

Mme Nose : Vous vous assignez là, ma chère, une fort noble tâche.

Mme Oriflouille : Je dois y être vigilante. Les autres perdent, parfois, de vue, le but que nous devons promouvoir.

Mme Mère : Mon fils, mon cher petit bichon, a toujours eu le sens du bien et du mal. C’était comme inné chez lui.

Mme Mitraille : Je n’en doute pas.

Mme Mère : Un exemple : Lorsqu’il avait dix ou douze ans, nous avions un chien. C’était son chien, un bon chien ; alors, il aimait à le caresser et à jouer avec lui. Mais si le chien du voisin venait rôder sur la pelouse, ce n’était pas son chien. Donc pas un bon chien ; pas un chien du bien alors, il savait, comme ça, spontanément, qu’il fallait lui jeter des cailloux.

Mme Mitraille : Oh ! Comme c’est remarquable.

Mme Oriflouille : Quelle perspicacité !

Mme Mère : Et ceci de lui-même, sans qu’on ne lui dise rien.

Mme Mitraille : Quelle précocité !

Mme Mère : Et puis, tenez, il était plus petit. Il connaissait les abeilles qui nous donnent du miel et qui, de ce fait sont de bons insectes. En revanche, il savait que toutes les autres bestioles qui ne sont pas utiles pour nous ne sont pas de bons insectes. Un jour, il en avait attrapé une poignée qu’il avait embrochés sur un cure dent en me disant : Regarde Maman, Je vais jouer au barbecue.

Mme Mitraille : Oh ! Que c’est mignon.

Mme Nose : Vous voyez ! Déjà tout petit.

Mme Oriflouille : Quelle imagination !

Mme Mitraille : Quelle créativité !

Mme Oriflouille : Quelle poésie !

Mme Mère : Mon fils a toujours été très en avance pour son âge :

Mme Mitraille : Ah ! Que nous sommes bien entre nous !

Mme Oriflouille : Quand je pense que pendant ce temps, ces Messieurs doivent être en train de tenir des propos fades sur la marche du monde !

 

Noir

 

 

Scène 4

 

(Lumière en cour)

 

(Messieurs Nose, Toupournou, Zopa et Bêtouillard).

M Nose : Réagissons-nous ?

Les trois autres : Oh oui ! Monsieur le président.

M Nose : Et où en sommes-nous dans nos réagissages ?

M Bêtouillard : Je ne sais pas, moi, c’est à eux qu’il faut demander

M Toupournou : (A M Zopa) Tout est en place ?

M Zopa : Tout est en place.

M Toupournou : Tout est en place.

M Bêtouillard : Je note : Tout est en place.

M Nose : Mais encore aussi.

M Nose : Allez, ne faites pas les cachotiers ; je suis impatient ; racontez moi.

M Zopa : Le mieux serait de demander le rapport des généraux.

M Nose : Faites entrer les généraux.

Les trois autres : Faites entrer les généraux.

 

 

Scène 5

 

(Les mêmes plus les généraux)

(Entrée habituelle des généraux, mais rapide, ils sont pressés)

 

Les généraux : Présent… chef !

M Zopa : Messieurs, Monsieur le président voudrait savoir si nous avons réagi.

Les généraux : Oui, chef !

M Zopa : Et comment avons–nous réagi ?

Les généraux : Bien chef !

M Zopa : Oui, mais qu’avez-vous fait ?

Les généraux : Tout chef !

M Nose : Oui, mais dans le détail ?

M Bêtouillard : Oui, mais dans le détail ? (Point d’interrogation)

M Zopa : Oui, mais dans le détail.

Les généraux : Dans le détail aussi chef !

M Nose : Alors, détaillez.

M Zopa : Oui, détaillez.

Les généraux : Oui, détaillons, chef !

Mitraille : Tous les axes routiers sont sous contrôle et les carrefours tenus par des unités blindées.

Bombine : Les aéroports fermés

Mitraille : Les routes secondaires verrouillées.

Bombine : Notre flotte a décollé et quadrille tout l’espace aérien.

M Zopa : Seulement notre espace aérien ?

Bombine : Non, un peu plus, mais il ne faut pas le dire.

Logisticus : Les centraux téléphoniques sont intégralement sous écoute.

Mitraille : Des commandos de l’infanterie de choc investissent tous les immeubles et neutralisent méthodiquement les appartements un par un.

Bombine : Tous les navires croisant dans les eaux territoriales et aux environs sont arraisonnés, reconduis à terre et méticuleusement radiographiés.

Logisticus : Les média sont réduits au silence.

Bombine : L’aviation civile est clouée au sol sans explication ni limite de temps.

Mitraille : Les gares sont fermées et tous les trains jusqu’au plus simple métro sont immobilisés.

Logisticus : Les tireurs d’élite des troupes auxiliaires abattent en vol les passages sauvages de pigeons supposés voyageurs.

Mitraille : L’infanterie légère ratisse les égouts.

Bombine : Les satellites espions photographient minute par minute et mètre carré par mètre carré la totalité de la surface de la planète.

Logisticus : Tous les ressortissants étrangers ainsi que ceux qui ont eu, ont ou auront des rapports avec eux sont regroupés dans des sites surveillés.

Mitraille : Les porteurs de barbe et de cheveux longs sont instamment priés de passer séance tenante par les mains des coiffeurs de l’armée et l’on interdit la vente de barbe à papa.

Bombine : Les sous marin de croisière on reçu l’autorisation de tirer sans sommation sur tout navire récalcitrant ou semblant l’être.

Logisticus : Enfin, et c’est notre dernière innovation, Nos agents spéciaux interdisent aux stations service de délivrer du carburant.

Les généraux : C’est tout pour la première phase, chef.

M Nose : Ah oui, c’est bien tout ça.

M Bêtouillard : Ah oui, c’est bien tout ça. Mais la population ?

M Toupournou : Oui, la population ?

M Zopa : Alors, la population ?

Les généraux : La population ? Rien à signaler. Tout est calme. La vie suit son cours habituel.

 

Noir

 

 

Scène 6

 

(Lumière en jardin)

(Les Dames puis M Bêtouillard).

 

Mme Nose : Oh ! Que tu es amusante, toi, ma Fifine.

Mme Mère : Oh oui ! Qu’elle est drôle !

Mme Mitraille : Drôle ? Je ne sais pas. Mais je vous assure que mon mari, qui peut rentrer à cinq heures du matin sans explication et sans trouver cela saugrenu,  est parfaitement capable, à la maison, si je disparais plus de cinq minutes de son champ visuel, d’envoyer une colonne de secours à ma recherche.

Mme Oriflouille : Mais, je vous crois ma chère. Tenez, le mien, s’il doit partir très tôt le matin pour une partie de pèche avec son cousin, si je ne lui prépare pas des vêtements appropriés sur une chaise, la veille au soir, cela ne le perturberait pas de partir avec son costume de ville et ses souliers fins.

Mme Mitraille : Ah oui ? Le mien, c’est le contraire. Cela ne lui cause aucune difficulté de sortir chez des amis en tenue de combat.

Mme Mère : Nous savons bien que ce sont tous les mêmes. Du reste…

(Entre Monsieur Bêtouillard par le jardin)

M Bêtouillard : Oh, Mesdames, que vois-je ?

Les femmes : Que voit-il ?

M Bêtouillard : Je vois, je vois…

Les femmes : Oui, que voyez vous ?

M Bêtouillard : Je vous vois assemblées et en votre présence, je ne sais si vous le distinguez aussi, le spectre de Madame Oriflouille.

Les femmes : Le spectre…

M Bêtouillard : Oui, le spectre.

Mme Oriflouille : (En lui infligeant quelques bourrades et quelques coups de poing) Le spectre… Le spectre… Ai-je l’air d’un spectre ? Ai-je la tête d’un spectre ? Est-ce qu’ici il y a écrit « spectre » ?

M Bêtouillard : Je vous assure que vous avez disparu et que vous ne pouvez donc être, Madame, que votre propre spectre.

Mme Oriflouille : Manquerait plus que ça que je ne soie pas mon propre spectre.

Mme Mitraille : Oui, être le spectre de quelqu’un d’autre, voila qui serait original !

M Bêtouillard : Mais puisque je vous dis que…

Mme Oriflouille : attendez, je vais vous donner une preuve de ma réalité matérielle. (Elle lui attrape la tête à deux mains en lui écrasant un peu le nez et lui applique sur la joue un gros baiser sonore). Alors, suis-je un spectre ou une Oriflouille vivante ?

M Bêtouillard : Je dois reconnaître que… Toutefois, je me demande si la vraie Madame Oriflouille se serait laissé aller à une telle familiarité.

Mme Oriflouille (franchement menaçante) Vous voulez d’autres preuves de mon existence physique ?

M Bêtouillard : Non ! Non ! Je vous crois… contraint et forcé.

Mme Nose : C’est déjà ça.

M Bêtouillard : Je vous assure que votre disparition est officielle !

Mme Mère : allons bon.

M Bêtouillard : Oui, on vous a cherchée partout et vous n’êtes nulle part.

Mme Mitraille : Ah non ! On ne peut pas dire ça !

M Bêtouillard : Mais si on peut le dire. Et, de plus, dans les milieux autorisés, on le dit et on le répète.

Mme Mitraille : Non. N’en déplaise aux milieux autorisés, on ne peut pas dire ça.

M Bêtouillard : Et pourquoi, je vous prie ?

Mme Mitraille : Pour deux raisons. D’abord parce qu’on ne peut pas dire qu’on a cherché partout puisqu’on n’a pas cherché ici. Ici faisant partie de partout, si on avait cherché partout, on aurait cherché ici moyennant quoi on l’aurait trouvée ce qui n’est pas le cas. Donc, on n’a pas cherché partout. Secondement, Madame Oriflouille n’est pas nulle part puisqu’elle est ici. Ici n’étant pas nulle part, Madame Oriflouille, étant ici n’est donc pas nulle part et, en conséquence, dire qu’on a cherché Madame Oriflouille partout et qu’elle n’est nulle part est une double ineptie. Suis-je claire ? Vous avez compris ? D’une part, on n’a pas cherché partout et d’autre part, elle n’est pas nulle part.

Mme Nose : Bravo !

Mme Mère : Quelle puissance de raisonnement !

M Bêtouillard : N’empêche ; on cherche Madame Oriflouille.

Mme Mitraille : Oui, je sais, partout.

Mme Nose : Ou presque.

M Bêtouillard : Madame la Ministre, il faut vraiment que vous vous rendiez vite au conseil afin de dissiper ce malentendu et que l’on arrête de vous chercher.

Mme Oriflouille : C’est à ce point là ?

M Bêtouillard : C’est encore pire que ça.

Mme Mère : Dans ce cas, Mesdames, rendons toute ensemble au conseil. Il faut faire entendre raison à ces Messieurs.

Mme Nose : Au conseil !

Les femmes : Toutes au conseil !

Mme Mère : En avant ! Monsieur Bêtouillard, nous vous suivons.

(Ils enlèvent le paravent)

(Plein feu)

 

 

 

 

 

Scène 7

(Messieurs Bêtouillard, Nose, Toupournou et Zopa

Puis,

Mesdames Mère, Mitraille, Nose et Oriflouille)

 

M Bêtouillard : Messieurs, Madame Oriflouille est saine et sauve !

M Nose : Victoire ! Victoire ! victoire !

M Toupournou : Les mesures que nous avions prises ont donc été couronnées de succès.

M Nose : Ce qui justifie que nous avons eu raison de les prendre. Mais où est-elle.

M Bêtouillard : La voici.

(Les Dames entrent. Les hommes congratulent Madame Oriflouille et la portent en triomphe.)

M Toupournou : Bravo !

M Zopa : Félicitations !

M Nose : Acclamons Madame Oriflouille qui a su résister à ses ravisseurs.

Mme Oriflouille : Mes ravisseurs ?

M Nose : Oh oui ! Ne soyez pas modeste. Nous savons tous le courage et l’abnégation qu’il vous a fallu déployer pour échapper aux ennemis de la nation.

Mme Oriflouille : En fait j’étais chez Madame Mère.

M Toupournou : Justement ! Inconsciemment et intuitivement vous avez senti le risque imminent et, par anticipation, vous avez su vous protéger.

M Zopa : C’est là une preuve de votre grande pertinence.

M Nose : Les zélateurs du mal, les suppôts de Baal vous poursuivaient et par votre intelligence et votre déterminisme, vous les avez déjoués. Nous sommes admiratifs.

M Bêtouillard : Z’admiratifs.

Mme Mitraille : Mais puisqu’on vous dit que nous prenions le thé chez Madame Mère…

M Toupournou : Bien sûr ! Et nous sommes confondus devant le sang froid de cette Dame qui n’a pas hésité, malgré le risque majeur encouru, à cacher chez elle la malheureuse persécutée.

M Zopa : Et nous saluons avec ferveur l’humble héroïsme de Madame Mère.

M Toupournou : Et même, nous n’oublions pas ces Dames qui, de par leur nombre, dissimulaient la misérable au sein de leur foule.

M Zopa : Pourtant, nos ennemis ne s’étaient pas trompés. En s’attaquant à notre Ministre de la famille et de la grandeur nationale, ils visaient le symbole même de l’âme de notre peuple.

M Toupournou : Mais leur plan machiavélique a avorté. Ils se sont confrontés à trop fort pour eux. Notre valeur intrinsèque est trop puissante pour leur bassesse.

M Nose : Gloire à nous ! Gloire à nous !

M Bêtouillard : Gloire à nous ! Gloire à nous !

M Nose : Oui, gloire à nous ! Gloire à nous !

M Bêtouillard : Oui, gloire à nous ! Gloire à nous !

M Toupournou : Ils ont tenté !

M Zopa : Ils n’ont pas réussi.

M Toupournou : Ceci est un signe prémonitoire de ce qui doit arriver.

M Nose : Nous serons, quoi qu’il advienne, victorieux !

M Toupournou : Les nobles projets sont toujours soutenus par la justice immanente.

M Nose : Vive la carotte !

Tous : Vive la carotte !

M Toupournou : La carotte conquise et contrôlée !

Tous : La carotte conquise et contrôlée.

 

Noir

 

 

 

Scène 8

 

(Mme Oriflouille, M Bêtouillard, M Nose, M Toupournou, M Zopa)

 

M Nose : Alors, c’est bon. Avec l’enlèvement de Madame Oriflouille, en représailles immédiates, nous pouvons lancer toutes nos troupes. La guerre, la vraie, peut enfin commencer.

M Toupournou : Surtout pas !

M Nose : Allons donc. Et pourquoi ? Je vous prie ?

M Toupournou : Parce, premièrement, que le rapt a échoué.

Mme Oriflouille : C’est vrai, ça. Mais sans vouloir vous contrarier, vous voyez, personnellement, moi, je préfère.

M Zopa : Ma chère Dame, nous vous comprenons parfaitement.

M Toupournou : Naturellement ! Cependant, avouez que si nous avions retrouvé votre corps déshonoré et atrocement mutilé, Cela aurait été plus convaincant.

M Nose : Voila, c’est ça.

M Bêtouillard : Voila, c’est ça.

Mme Oriflouille : Je vous entends bien et vous savez à quel point j’ai le sens du dévouement ; mais là, Accordez moi d’avoir une légère préférence pour le dénouement actuel.

M Nose : C’est dommage, ça.

M Toupournou : Oui, c’est dommage et c’est pour cela que nous ne pouvons pas déclencher la guerre tout de suite.

M Nose : Ah oui ! Vous voyez que c’est dommage, ça.

M Toupournou : Et puis, il nous faut des alliés.

M Zopa : Des alliés ? Pour quoi faire ?

M Nose : Oui, pour quoi faire ? N’avons-nous pas la capacité d’écraser la Carie sous les bombes en quelques jours ?

M Zopa : Disons, au pire, deux ou trois semaines !

M Toupournou : Bien sûr que si, mais il nous faut des alliés.

M Nose : Il y tient, hein, à ses alliés. Mon cher Monsieur le Ministre, serait-ce trop vous demander que de nous dire à quoi ils vont servir ces alliés ?

M Toupournou : D’abord, pour le principe.

M Nose : Ah, dans ce cas…

Mme Oriflouille : Les principes, cela ne se discute pas.

M Nose : Certes, cela ne se discute pas. Mais quand même…

M Toupournou : C’est pourtant simple. Bon, je vous explique.

Les autres : Expliquez nous.

M Toupournou : Imaginons : Vous avez un différent avec un voisin sur l’endroit où doit être érigée la clôture. Il est clair que si vous êtes un grand costaud et lui un petit freluquet, vous pouvez y aller très persuasif. Après deux ou trois bon coup de manche de pioche, on peut présumer que vous l’aurez convaincu.

M Nose : C’est sûr !

M Bêtouillard : C’est sûr.

M Nose : Alors, pourquoi ne le fait-on pas ?

M Bêtouillard : T’on pas.

M Toupournou : Parce que les habitants du lotissement ne vont pas comprendre votre motivation. Ils risquent d’être fâchés contre vous. Certains risquent même de prendre fait et cause contre vous.

Mme Oriflouille : Ah oui, je n’y avais pas pensé, à ça.

M Nose : Alors, que faire ?

M Toupournou : On y arrive. C’est là qu’il vous faut des alliés. Vous allez voire les gens du quartier et vous leur expliquez que ce mauvais voisin empiète sur ce qui vous revient et donc ce qui revient aux autres. Du coup, ce sont eux qui, prenant votre défense au nom de l’intérêt général envisagent du lui flanquer une raclée. S’ils décident de venir avec vous pour la distribution de coups de manche de pioche, vous pensez bien, qu’au nom de l’équité, ce seront eux qui exigeront que le voisin doit céder la moitié de son jardin pour y constituer une bande neutralisée dont vous aurez la garde et le contrôle.

M Nose : C’est pourtant vrai que c’est mieux, comme ça.

M Zopa : Je dois reconnaître que je n’y aurais pas pensé.

Mme Oriflouille : Nous n’avons jamais douté des capacités de Monsieur le Ministre de tout le reste.

M Bêtouillard : Oui, mais les autres, ils vont vouloir aussi leur part !

M Toupournou : Même pas parce que, naturellement, vous convierez deux ou trois personnes à vérifier que les règles de l’accord sont bien respectées. Pour ces gens, vous construirez, dans un coin, une guérite et, par grand froid, vous leur ferez porter un bouillon cuisiné à partir des légumes récoltés dans le jardin du voisin dont vous avez la jouissance.

M Nose : Bien sûr. Bien sûr, bien sûr, bien sûr.

M Toupournou : Ça y est ? C’est rentré, dans les petites têtes ?

Les autres : Oh oui !

Mme Oriflouille : Oui, mais comment faire ?

M Nose : Ce n’est pas compliqué. Monsieur Bêtouillard va m’écrire une très belle lettre où il explique que nous avons besoin d’alliés pour aller conquérir les carottes de la Carie. Je mettrai ma signature en bas et nous envoyons ça à tous mes collègues chefs d’état dans le monde entier.

M Toupournou : et vous croyez que ça va suffire ?

M Nose : N’est-ce pas de cela qu’il s’agit ?

M Toupournou : Mais non ! Si vous leur demandez de vous aider, après, c’est vous qui leur serez redevables. Tandis que si vous leur montrez à quel point vous volez à leur secours, c’est eux qui ne sauront plus comment vous montrer leur reconnaissance. Vous saisissez la nuance ?

M Nose : Presque.

M Toupournou : C’est pourtant facile. Il suffit de montrer à tous à quel point la Carie est dangereuse pour l’équilibre du monde et l’avenir de l’humanité.

M Nose : C’est tout ?

M Toupournou : C’est tout.

M Nose : Et nous aurons les carottes ?

M Toupournou : Et nous aurons les carottes.

M Nose : Sûr ?

M Toupournou : Sûr.

M Nose : Sûr, sûr, sûr ?

M Toupournou : Sûr, sûr, sûr.

M Nose : Bon, bah quand il faut, il faut, hein.

M Bêtouillard : Il faut hein.

M Nose : Puisqu’il faut nous résoudre, alors, résoudons nous y donc.

M Zopa : Et dans la pratique, vous voyez ça comment ?

M Toupournou : Nous devons nous réunir.

M Nose : Oui, réunissons-nous.

M Bêtouillard : Ça, se réunir, c’est déjà fait. Mais après ? Après que nous sommes réunis ?

M Toupournou : Il faut réfléchir.

Mme Oriflouille et M Zopa : Oui, il faut réfléchir.

M Nose : Je réfléchis. J’essaie de réfléchir ; Oh ! Que j’essaie de réfléchir ! Oh que c’est Difficile de réfléchir ! Oh, que c’est éprouvant ! Je réfléchis ; je réfléchis ! Mes joues et mon dos se contractent, les genoux tremblent, mes yeux se révulsent mais à la vérité l’accouchement est laborieux et il ne sort rien de moi.

M Bêtouillard : Nous sommes admiratifs, mais essayez encore ; Concentrez-vous davantage.

M Nose : Oui ! Je me concentre… Je me concentre… Je suis même tellement concentré que j’ai l’impression que le concentré de moi a nettement diminué de volume. Attendez ! Je crois que… Non, ce n’est pas ça. Je n’y arrive pas ! Je n’y arrive pas. Je suis malheureux ! Je n’y arrive pas ! Mais comment faire ? Vous qui savez tant de choses, dites moi, pour diminuer mon désespoir, Comment faut-il faire ?

M Toupournou : Il faudrait que nous mettions notre activité cérébrale en commun.

M Zopa : Ah oui ? Et comment est-ce que vous faites ça, vous ?

M Toupournou : C’est une technique moderne. Venez, prenons-nous tous par les épaules. Formons un cercle de manière à ce que nos têtes se touchent et ensemble, exécutons le chant et la danse des idées géniales.

(Ils font comme décrit, tournent tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre en psalmodiant de façon rythmique)

Tous : Cherchons, cherchons, cherchons, Chons.

Trouvons, trouvons, trouvons, vons.

(Ils se redressent, lèvent les bras au ciel et dans une espèce de hennissement crient :)

Oui !

(Ils refont le tout deux fois).

M Bêtouillard : Je ne sais pas si c’est très efficace.

Mme Oriflouille : Ah ! Vous avez cassé l’incantation.

M Nose : Oui, je sentais que ça venait. Reprenons

Mme Oriflouille : Reprenons avec plus de conviction.

M Nose : Et de rythme.

(Ils refont tout, éventuellement plusieurs fois mais en sautillant puis en pas chassé. Quand ils crient « oui », Ils prennent des poses grotesques et finissent par se rouler par terre comme s’ils étaient en transe. Puis :)

M Nose : Stop ! J’ai trouvé. Si, quoi, j’ai trouvé ! Si je vous dis que j’ai trouvé, c’est que j’ai trouvé. Et puis, d’abord, hein, pourquoi est-ce que je ne trouverais pas un peu, moi, aussi, de temps en temps ?

M Toupournou : Bon, bah oui, vous avez trouvé.

M Nose : Oui, voila, j’ai trouvé. Bon, j’ai trouvé.

M Bêtouillard : Oui, vous avez trouvé. Vous avez trouvé quoi ?

M Nose : Heu ! J’ai trouvé quoi ? Oui, c’est vrai, ça. Qu’est-ce que j’ai bien pu trouver ? Je ne me souviens plus. (Vers M Bêtouillard) C’est sa faute, à lui, là ! Il me parle ; il me distrait (Il le bat) il me parle, là, hein, et moi… Je ne sais plus. C’est sa faute… J’ai oublié… Sa faute… Si, sa faute.

M Bêtouillard : Mais je…

M Nose : Si ! Votre faute ! Taisez-vous. Tiens et puis tiens ! Comme ça. Et puis, silence. Non mais ! Oui, j’ai des idées et il me les fait perdre. Hou ! Je vais le… Bon, attendez. Je reviens en arrière. Je rembobine et je révise. (Il va pour reprendre seul la danse mais) Attention, vous, je vous surveille. (Il va pour reprendre).Vous, là, pas bouger ! (Il reprend la danse seul comme pour lui-même). Gnagnagna gnagnagna, gnagnagna gnagnagna. Oui ! Gnagnagna gnagnagna, gnagnagna gnagnagna. Oui ! Non. Ça ne marche pas parce qu’en même temps, lui, là, il faut que je l’aie à l’œil. Bon, alors, vous autres, vous le neutralisez et moi, je révise. Gnagnagna… Hé ! Vous le contrôlez hein ! Gnagnagna… Parce que s’il faut que je surveille si vous le surveillez… Bon. Allons. Gnagnagna gnagnagna, gnagnagna gnagnagna. Oui ! Gnagnagna gnagnagna, gnagnagna gnagnagna. Oui ! Non. Ce n’est pas ça. Je refais. Gnagnagna gnagnagna, gnagnagna gnagnagna. Oui ! Gnagnagna gnagnagna, gnagnagna gnagnagna. Oui ! Ça y est, c’est ça. Ouf, j’ai retrouvé. Ça n’a pas été sans mal. Forcément à cause de l’autre, là…

M Toupournou : Bref, vous avez trouvé.

M Nose : Oui.

Mme Oriflouille : Alors, dites nous vite avant de réoublier.

M Bêtouillard : Oui, et là, ça ne sera pas moi.

M Nose : Vous…

M Bêtouillard : Non, non. Je ne dis rien.

M Nose : Bah heureux, encore… Manquerait plus que ça… Non mais… Non Mais… Lui… Non mais.

M Toupournou : Bon, alors, qu’est-ce que vous avez trouvé ?

M Nose : Voila.

M Bêtouillard : Voila.

M Nose : vous silence.

M Bêtouillard (écrivant) : Vous silence.

Mme Oriflouille : Nous vous écoutons.

M Nose : Vous nous avez expliqué, fort justement, que si nous disons que nous voulons leur déclarer la guerre, les gens ne nous suivront pas et seront fâchés contre nous.

M Toupournou : Exactement.

M Nose : Alors, c’est tout simple ; il n’y a qu’à dire que c’est eux qui veulent nous attaquer. Comme ça, c’est eux que les gens ne suivront pas et c’est contre eux que les gens seront fâchés.

M Toupournou : Mais vous savez que c’est astucieux, ça !

M Nose : Et attendez, ce n’est pas tout ! Parce que moi, tout à l’heure, je l’ai fait le Gagnagna Oui ! Et je me suis appliqué. Pas comme certains auxquels je pense !

M Zopa : Ah, parce qu’en plus, il y a une suite ?

M Nose : Quand je dis nous, ce n’est pas rien que nous : pas nous tout seuls dans notre coin. Non, Nous, c’est du pluriel. C’est nous tout le monde ! Voila. Les Cariens veulent attaquer le monde entier. Oui, quoi, tous les pays du monde. Et là, c’est normal que tous les pays du monde aient envie de s’allier pour résister aux Cariens.

Mme Oriflouille : Oh que c’est bien ! Oh que c’est même très bien !

M Bêtouillard : Oui, très bien. Et vous trouvez que c’est crédible, ça ?

M Toupournou : Crédible ? Non. Absolument pas.

M Bêtouillard : C’est bien ce que je craignais.

M Toupournou : Mais raison de plus. C’est encore mieux. Si, c’est même bien mieux. C’est très bien. Monsieur le président, c’est parfait.

M Zopa : Vous pourriez nous aider un peu ? Ce n’est pas crédible et c’est parfait.

M Toupournou : C’est précisément parce que ce n’est pas crédible que c’est parfait.

Mme Oriflouille : J’aime beaucoup quand vous dites des choses lumineuses, comme ça. Surtout quand en plus, vous nous éclairez un peu.

M Toupournou : Si nous annonçons une chose qui semble une douce évidence, les gens ne seront pas surpris. Certains iront sans doute jusqu’à dire qu’ils s’en doutaient ou qu’ils s’y attendaient. Tandis que si la chose est complètement inattendue et semble invraisemblable, c’est comme une bombe qui éclate et la surprise et l’horreur n’en sont que plus violentes et révoltantes.

M Nose : Je suis bon, hein !

Mme Oriflouille : Oh oui ! Monsieur le président.

M Nose : Je le savais déjà, mais je ne savais pas à quel point.

M Bêtouillard : Et si nous disions que le Président des Cariens est un infâme dictateur qui martyrise sa population ? Ça, ce serait crédible !

M Toupournou : Non, Monsieur Bêtouillard. Ceci n’est pas crédible.

M Bêtouillard : Pourtant…

M Toupournou : Non, ce n’est pas crédible. C’est vrai. Comment voulez-vous surprendre les gens en leur assénant une simple vérité, une chose qu’ils savent plus ou moins déjà ?

Mme Oriflouille : effectivement, s’ils le savent et qu’ils n’ont rien fait, on se demande ce que cela changerait qu’on le leur répète.

M Nose : Et puis, dictateur ou pas dictateur, qu’est-ce que ça change ? Je connais des dictateurs qui sont des gens très biens.

M Bêtouillard : Alors, comment faites-vous la différence entre les bons et les mauvais dictateurs ?

M Nose : Un dictateur qui martyrise son peuple pour s’enrichir ou enrichir des amis à lui est un mauvais dictateur. Un dictateur qui martyrise son peuple pour nous rendre service ou pour nous enrichir est un bon dictateur.

Mme Oriflouille : Monsieur le président a toujours le sens du mot juste, de la rigueur et de l’équité.

M Bêtouillard : Je ne savais pas cela. Ceci explique que l’on lutte contre certains dictateurs et que l’on en soutienne d’autres.

M Nose : Vous avez tout compris.

M Toupournou : Quoi qu’il en soit, c’est tout de même une bonne idée cette histoire de dictateur. Cela permettra à des gens bien comme il faut et bien pensants qui se sentent nobles et généreux de se rallier à nous.

Mme Oriflouille : Au nom de la liberté.

M Nose : Moi, j’aimais bien mon idée du pays qui veut attaquer tout le monde.

M Toupournou : Mais bien sûr ! L’un n’empêche pas l’autre.

M Nose : Vous croyez qu’on peut ?

M Toupournou : Bien sûr ! Il suffit de dire que c’est un pays dirigé par un dictateur qui exploite et persécute sa population (ce qui est vrai), au mépris de l’intérêt du monde et pour préparer une guerre totale contre l’humanité.

M Nose : Bravo ! Vous avez tout résumé.

Mme Oriflouille : Oh ! Que c’est bien dit.

M Nose : Vous voyez que c’est parfaitement crédible.

M Bêtouillard : Je dois convenir que Monsieur le « ministre de tout le reste » a le sens de la formule. Il ne reste plus qu’à trouver des arguments probants pour convaincre nos alliés de la pertinence et de l’urgence de nos allégations.

M Zopa : Très juste. Pour cela, il me semble que nous devrions nous en remettre à nos techniciens militaires. Eux seuls seront capables de nous instruire de détails circonstanciés.

M Nose : Oui ! Ne perdons pas de temps. Faites entrer les généraux.

 

 

 

Scène 9

 

(Les mêmes plus les généraux)

 

Les généraux : (Ils entrent l’un derrière l’autre la main posée sur l’épaule de celui qui précède. Ils tapent des pieds en scandant :)

C’est… Nous… Les meilleurs… Illeurs… Illeurs !

C’est… Nous… Les meilleurs… Illeurs… Illeurs !

En disant « illeurs illeurs, ils peuvent lever la patte comme un chien qui pisse. Ils viennent ainsi jusque vers le milieu de la scène).

M Zopa : Fixe ! E…pos… Fixe ! E… pos… Fixe ! Ppos… Messieurs, avez-vous des renseignements récents et détaillés sur l’armée carienne ?

Les généraux : Oui, Chef !

M Zopa : Pouvez-vous nous les dire ?

Les généraux : Oui, Chef !

M Zopa : Alors, faites-le.

Les généraux : Oui, Chef !

M Zopa : Très bien. Général Mitraille, que pouvez-vous dire ?

Mitraille : Tout ce que vous voulez, Chef !

M Nose : Général, nous vous écoutons.

Mitraille : L’armée carienne est constituée de tous les citoyens mâles de la population entre dix huit et quarante ans.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

Mitraille : Quiconque tenterait de se soustraire à la conscription serait considéré comme déserteur et, poursuivi par la justice militaire, encourrait de très lourdes peines.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

Mitraille : Les militaires sont psychologiquement conditionnés par un entraînement féroce et des conditions de vie dégradantes.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

Mitraille : Tout est mis en œuvre pour effacer dans l’esprit des recrues tout sens de libre arbitre et toute capacité de jugement.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

Mitraille : Les militaires cariens sont réduits à la plus stricte obéissance aveugle. De l’homme de base jusqu’au sommet de la hiérarchie, chacun n’est plus qu’un rouage dépersonnalisé d’une machine à détruire et à tuer.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

M Bêtouillard : Bien sûr que c’est monstrueux. Mais, dans les autres armées, ce n’est pas la même chose ?

M Zopa : Si, c’est la même chose. Mais, on ne vous parle pas des autres, on vous parle des cariens et chez eux, c’est comme ça.

Mitraille : L’armée carienne dispose en outre d’un parc de véhicules blindés, de véhicules de service ou de transport de troupes parfaitement à la pointe de la technologie et je ne vous parle pas de l’artillerie classique ou des batteries de missiles qui sont de la plus haute compétitivité.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

M Nose : Oui, c’est monstrueux ! Vous êtes sûr de ce que vous dites ?

Mitraille : Bien sûr, c’est nous qui les leur avons vendus.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

Bombine : Bon, allez, c’est à moi. (Il s’exprime essentiellement par gestes et par bruits à improviser). Les Cariens possèdent une flotte aérienne… Pouh ! Plein ! Plein… Plein ! Alors, forcément, leurs avions, ils… Et puis… Et même des fois… Vous pensez ! Leurs bases sont… et il y en a partout. Partout, partout, partout. Alors, tout ça ensemble, ça… Evidemment.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

M Nose : Et c’est nous aussi qui leur avons tout fourni ?

Bombine : Bien sûr puisque… Il n’y avait rien de mieux.

M Bêtouillard : Alors, ce n’est pas si grave puisque nous aussi nous pouvons… (Il imite Bombine).

Bombine : Oui, mais non. Parce que depuis qu’ils ont ces appareils, leurs ingénieurs ont apporté des modifications les rendant plus adaptés… A leurs… Conditions locales propres. Alors, forcément, depuis, ils… davantage.

M Bêtouillard : Ils… Davantage. Ce n’est pas facile à écrire, ça.

Bombine : Quand à la logistique…

Logisticus : Ah non ! La logistique, c’est moi.

Bombine : Ah oui. J’oubliais, c’est toi. Bon, bah vas-y mon vieux. Dis leur tous. Les… Et puis, les… Enfin, tout, quoi.

Logisticus : Les Cariens disposent d’armes secrètes.

M Bêtouillard : Mais, si c’est secret, comment faites-vous pour le savoir ?

Logisticus : Parce que tout le monde le voit ; mais comme personne ne sait que ce que tout le monde voit est secret, personne ne devine que ce que tout le monde voit constitue, de fait, un terrible arsenal d’armes secrètes.

M Nose : C’est évident. Et que savez-vous au juste ?

Logisticus : Nous savons, en collaboration avec nos moyens aériens et spatiaux…

Bombine : (Il mime un avion qui observe avec des jumelles et qui prend des notes puis un satellite qui prend des photographies). Tout ça ! Facile !

Logisticus : Voila, c’est tout à fait ça. Et nous avons parfaitement déterminé le nombre, la taille et la localisation de tous ces sites secrets.

M Nose : Donc, secrètement, nous contrôlons parfaitement ces bases secrètes ?

M Zopa : Voila.

M Bêtouillard : Et ces armes secrètes, en quoi consistent-elles ?

Logisticus : Ce sont des armes biologiques à effet massif. On en répand un tout petit peu et hop… Plus rien. Tout est détruit.

M Bêtouillard : Tout est détruit ? Tout ?

Logisticus : Tout.

M Bêtouillard : Mais tout quoi ?

Logisticus : Toutes les carottes.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

M Nose : Expliquez nous dans le détail si ce n’est pas trop secret.

Logisticus : Voila. Il y a d’abord la fausse carotte.

M Nose : La fausse carotte ? Voyez-vous ça !

Logisticus : Oui, ça ressemble en tous point à la carotte, mais c’est une fausse carotte. C’est une plante dont le pollen véhiculé par le vent féconde la vraie carotte et les graines donnent de nouvelles plantes génétiquement modifiées qui, au premier abord, sont des carottes. Vous les cultivez avec amour, vous les arrosez, vous les sarclez et quand vous les arrachez, au lieu d’avoir des racines roses et succulentes, vous avez un amas de petits écrous.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

M Nose : Remarquez, des petits écrous, cela peut quand même être intéressant !

Logisticus : Absolument pas ! Dans ces écrous, le tour intérieur, au lieu d’être rond, est ovale. Ce qui fait qu’on ne peut même pas y visser des boulons. Du coup, non seulement vous n’avez pas de carottes, mais vous êtes submergés de faux écrous, dont vous n’avez que faire, donné par les fausses carottes.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

Logisticus : Et il y a pire !

M Nose : Pire ? Est-ce possible ?

Logisticus : Oui ! Il y a les anticarottes.

M Nose : Les anticarottes ?

M Bêtouillard : Les anticarottes… Point d’interrogation.

Logisticus : Ce sont des carottes dont le pollen, emporté par le vent, lorsqu’il arrive sur la vraie carotte, au lieu de la féconder, la fait crever.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

Logisticus : Il plane donc, sur le monde entier, le double spectre de la disparition de la carotte et de l’invasion d’écrous que le trou ovale rend impropre à toute utilisation.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

M Bêtouillard : Bien sûr, bien sûr. Mais avec tout ça, s’ils contaminent la planète entière, les Cariens non plus n’auront plus de carottes.

Logisticus : Absolument pas ! Parce que, eux, ils ont les vaccins et les antidotes. Leurs carottes continueront de croître et de prospérer.

M Toupournou : Les Cariens vont donc régner mondialement sur la carotte et nous tenir à leur merci.

Mme Oriflouille : Mais, c’est monstrueux, ça !

M Nose : La Carie dispose donc d’une armée extrêmement puissante.

M Zopa : On peut dire ça.

M Nose : Alors, je vais répandre la notion, auprès de mes collègues chefs d’état, que la Carie détient l’armée la plus puissante du monde.

M Toupournou : Surtout pas !

M Nose : Et allez donc ! Et pourquoi, je vous prie ?

M Toupournou : Pour deux raisons. Premièrement parce que tout le monde sait très bien que l’armée la plus puissante du monde, c’est la nôtre. Et deuxièmement parce que certains pays un peu timorés préfèreraient s’allier avec le plus fort plutôt qu’avec un autre.

M Nose : Ce n’est pas sot, ça. Alors, disons la deuxième.

M Toupournou : Pas davantage.

M Nose : Vous savez que vous êtes compliqué et contrariant, vous ?

M Toupournou : Certains de nos alliés risqueraient de se vexer de se voir rétrogradés à un rang inférieur à la Carie. Il faut donc laisser quelques places sans dire de qui il s’agit pour que les plus vaniteux puissent se sentir à un rang digne d’eux.

M Nose : Bon, alors. Si nous disions que la Carie possède la quatrième armée mondiale, cela irait ?

M Toupournou : Je pense que ce serait parfait. Voila. C’est cela qu’il faut expliquer aux chefs d’états de tous les pays.

M Zopa : Après ces révélations, aucun ne pourra refuser d’être notre allié.

M Toupournou : Ce sera une guerre sainte et salvatrice.

M Zopa : Monsieur le Président, c’est à vous de convaincre les autres dirigeants de la planète.

Mme Oriflouille : A vous revient, de droit, cette lumineuse et noble tâche.

M Nose : Je vais donc prendre mon bâton de pèlerin et, comme un humble missionnaire, aller prêcher la vraie parole aux peuples obscurs trop longtemps maintenus dans l’ignorance.

M Toupournou : Allez, Monsieur le Président, Nous sommes derrière vous !

Mme Oriflouille : Nous vous soutenons, dans votre héroïsme, de toute notre ferveur patriotique.

M Nose : Vous pouvez compter sur moi. Quand je leur aurai parlé, ils nous suivront tous en criant avec nous : (Ils se mettent à marcher les uns derrière les autres en serpentant sur la scène, en tapant des pieds et en scandant) :

Tous : Nous voulons…  Le vaccin…

Nous voulons…  Le vaccin…

Nous voulons…  Le vaccin…

Etc.

(Leurs voix sont progressivement couvertes par le tango déjà entendu pendant que la lumière tombe)

 

 

 

Noir et silence

 

 

 

 

LES CAROTTES

 

 

ACTE III

 

 

Scène 1

 

(Dans la salle du conseil. Mme Oriflouille, Mm Bêtouillard, Bombine, Logisticus, Mitraille, Nose, Toupournou et Zopa.

M Nose est sur sa tribune.)

 

M Nose : Mesdames et Messieurs, Ça y est, j’ai fini.

M Bêtouillard : Ça y est, j’ai fini.

M Nose : J’ai rencontré tous les meneurs de gouvernements qui eux même ont convaincu leurs satellites. Nous sommes fin prêts.

Mme Oriflouille : Monsieur le président, je ne voudrais pas avoir l’air de vous encenser, mais vous avez fait merveille.

M Nose : Oh, cela a été facile. J’ai montré à mes homologues inférieurs les images (photographiques ou vidéo), prises par nos avions ou satellites espions, de ces immenses serres où ils prétendent cultiver des fruits et légumes mais où nous savons qu’ils mitonnent leurs armes biologiques dévastatrices, et l’affaire a été conclue.

Tous (applaudissant et en désordre) : Bravo ! Hourra ! Vive lui ! Le président Nose est le plus grand !

M Nose : Donc, nous pouvons attaquer demain matin.

M Bêtouillard : Demain matin.

M Toupournou : Demain matin ? Surtout pas !

M Nose : Comment ça surtout pas ?

M Toupournou : Pas encore.

M Nose : Pas encore ? (Il descend de sa tribune). Pas encore ? Après tout ce que j’ai fait ? Ça m’ennuie, ça. Je suis déçu. Je suis très déçu. Si, si ! Ça me rend grognon. Voila, oui, c’est ça. Ça me rend grognon.

M Toupournou : Allons, allons, Monsieur le président : Ça va arriver.

M Nose : Que faut-il faire encore ?

M Toupournou : Rien. Surtout, rien. Si ce n’est entretenir la disponibilité, la combativité et la décision de nos alliés.

M Nose : Mais qu’est-ce qu’on attend, alors ?

M Toupournou : Quand le fruit serra mûr, il tombera tout seul.

M Nose : Oui, mais moi, je voudrais qu’il tombe tout de suite. Na !

M Toupournou : Allons, raisonnez-vous. Il nous faut juste un alibi.

M Nose : Un alibi ? Comment ça ?

M Toupournou : Je ne sais pas, moi. Un Carien qui marche sur le pied d’une vieille Dame dans la rue. Ou bien le chien d’un Carien qui pisse sur la roue d’une voiture officielle. Vous voyez, quoi. Un évènement qui prouve bien que nous sommes agressés.

M Nose : Ah oui, je vois. Je comprends. Si, si, je comprends.

M Bêtouillard : Si, si, je comprends.

M Nose : Mais cet évènement, nous ne pourrions pas le susciter un peu ? Rien qu’un peu… Rien que pour me faire plaisir.

M Toupournou : Nous n’en sommes pas encore là.

M Nose : Ou bien demander à des amis de le faire pour nous.

M Toupournou : Et comment vous feriez ça, vous ?

M Nose : attendez, je réfléchis… Je réfléchis ; je réfléchis… Voila. Si nous demandions à un ami de dire à un Carien : Tu vois cette vieille Dame, là-bas ? Je parie que tu n’es même pas chiche d’aller lui marcher sur le pied. L’autre, pour faire le malin y va… Et voila.

M Toupournou : Certes, nous pourrions demander à des inconditionnels de s’en charger. Mais avouez que si ces même inconditionnels le font d’eux même, c’est encore mieux.

M Nose : C’est encore mieux, mais c’est plus long et on risque de ne pas s’en apercevoir.

M Toupournou : Mais si !

M Nose : Vous êtes sûr ?

M Zopa : Nous sommes vigilants.

M Nose : Alors, attendons. Il remonte à sa tribune et se ramollit avec un air alangui d’ennui. Les autres se vautrent sur le sol et poussent alternativement de profonds soupirs de désœuvrement. On entend dans le lointain le tango.)

 

 

 

Scène 2

 

(Les mêmes plus Mesdames Mère, Mitraille et Nose)

(Les trois femmes entrent surexcitées et piaillent comme dans un poulailler).

Mme Nose : Vous avez entendu ?

Mme Mitraille : Vous avez entendu ?

Mme Mère : Oui, avez-vous suivi ce qu’ils ont dit à la radio ?

Mme Nose : Vous ne savez pas ?

Mme Mitraille : Ils ne savent pas.

Mme Mère : Mon pauvre petit bichon qui n’est pas au courant.

M Nose : Mais, Mesdames…

Mme Mitraille : Non, ils n’ont pas été informés.

Mme Nose : Il faut faire quelque chose !

Mme Mère : Tenez, c’est même dans le journal.

M Toupournou : Dans le journal ?

M Nose : Quoi donc ?

M Bêtouillard : Quoi donc ?

Mme Mitraille : C’est raconté.

Mme Nose : Oui, ils disent tout.

M Toupournou : Tout quoi ?

Mme Nose : Mais toute l’affaire.

Mme Mère : Tenez, écoutez : (Elle lit) Hier soir, vers vingt trois heures, sur la départementale sept cent cinquante deux entre Perlipont et Foillu en Marouais, Une voiture roulait à vive allure. Arrivée au virage de l’étang de Goisy, le conducteur, qui était étranger au lieu fut surpris et perdit le contrôle de son véhicule. Il entra tout droit dans un champ de carottes où il se retourna plusieurs fois avant que la voiture ne prenne feu. Les pompiers de Perlipont alertés en urgence ne purent que constater le décès du pilote et de son passager.

Mme Nose : Alors, vous voyez !

Mme Mitraille : Vous voyez qu’il faut vraiment faire quelque chose pour limiter la vitesse des automobiles !

Mme Nose : Depuis le temps qu’on vous le dit.

Mme Mère : Vous devriez nous écouter davantage !

M Toupournou : Un champ de Carottes ?

Mme Mère : Oui, un champ de carottes.

M Toupournou : Il n’était pas de la région ?

Mme Mitraille : Oui, mais qu’est-ce que ça change ?

M Toupournou : Vous êtes sûre que ce n’était pas un ressortissant carien ?

Mme Mère : Le journal ne le dit pas.

M Nose : C’est vrai que ce serait bien s’il était carien.

M Toupournou : Quoi que, en cherchant bien… Ces gens là, ils doivent bien avoir des voisins qui eux-mêmes ont des beaux frères et des belles sœurs un peu cariens avec qui ils ont des contacts. Ils sont donc douteux. Et c’est bien le diable s’ils n’ont pas été poussés, même à leur insu, par des ressortissants Cariens.

M Nose : C’est sûr !

M Bêtouillard : C’est sûr !

M Toupournou : Donc, nous tenons notre motif : Des individus, instrumentalisés par les Cariens ont perpétré un crime majeur contre la carotte nationale. Nous devons divulguer de toutes nos forces cette agression majeure à la connaissance du monde entier.

M Nose : Et donc, nous pouvons déclencher les hostilités.

M Toupournou : Pas encore.

M Nose : Pas encore ? Mais nous n’y arriverons donc jamais !

M Toupournou : Il faut lancer un ultimatum.

M Nose : Oui, mais lequel ?

M Toupournou : La Carie devra arracher, sous huit jours, la totalité de sa production de carottes sous peine de représailles militaires de la part de la coalition.

Mme Mitraille : Ça, pour eux, c’est totalement inacceptable.

M Toupournou : Bien sûr, c’est fait exprès. Mais comme ils n’obtempéreront pas, ceci justifiera que nous envahissions leur territoire afin d’éradiquer leur production de carottes, de détruire leurs armes biologiques et de nous emparer des vaccins et antidotes pour nous en prémunir.

M Nose : La mission de notre coalition est une croisade !

(On entend de nouveau le tango dont le son monte)

M Zopa : Délivrons le genre humain de la bête immonde !

(Ils se mettent tous à danser)

M Nose : Nos alliés seront fiers d’avoir suivi notre suprématie.

M Bêtouillard : Notre suprématie.

Mme Oriflouille : Les petits vivront comme un honneur le fait de pouvoir servir les grands.

(La lumière tombe et on ne les voit plus qu’en silhouette sur le rideau de fond qui peu à peu s’illumine de couleurs d’incendies et d’explosions).

Mitraille : On va les déchiqueter en tout petits morceaux.

M Nose : Demain sera le premier jour de notre monopole de la carotte.

(Peu à peu se mêlent au son du tango des bruits d’avions, de missiles, de chars, de bombardement d’armes automatiques et d’incendies)

Mme Mitraille : Soyons émerveillés par la splendeur de notre chef !

Mme Mère : Je le savais que mon petit bichon deviendrait un héros immortel de légende.

M Zopa (devant hurler pour couvrir le vacarme qui maintenant est assourdissant): Plus rien n’entravera notre marche vers l’absolu !

M Nose : Jouissons enfin sans limite du contrôle total de la carotte !

Tous : Le bien triomphera du mal.

(Ils dansent encore quelques secondes dans le vacarme puis, brusquement) : 

 

 

 

 

Noir et silence

 

 

 


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