Les hamadryades

 

 

(Les arbres)

 

 

Théâtre

 

 

J. DURIER-Le Roux 2006









LES HAMADRYADES

 

(LES ARBRES)

 

 

 

Le chœur                    Douze arbres. Au début ce sont des sapins et par  la suite, ce sont des                                       oliviers

 

Le coryphée                         Silène

 

Ulysse                        Roi d’Ithaque

 

Pénélope                     Femme d’Ulysse

 

Trois bergers successifs

 

 

 




Les Hamadryades

 

 

 

 

Le chœur est constitué de douze arbres habités par les Hamadryades. Elles sont numérotées de un à douze de jardin à cour. On parlera de demi chœur jardin et de demi chœur cour et aussi de demi chœur pair et demi chœur impair. Les Hamadryades sont habillées de feuilles et de mousse. Le choeur, très souvent émettra un son obtenu en donnant une note bouche fermée (parfois noté « hm »). Chaque Hamadryade donne une note différente en évitant les accords trop consonants. Théoriquement, puisqu’elles sont douze on devrait obtenir les douze demi-tons de la gamme. Mais comme on peut aussi imaginer des quarts de tons et autres fréquences, le résultat doit être strictement aléatoire. Nous appellerons ce son le bourdonnement. Le son doit être continu. Il faut donc éviter de respirer en même temps. D’une façon générale, dans les périodes de bourdonnement, quand le chœur ne parle pas, il bourdonne.

 

 

 

 

 

Le chœur : (bourdonnement bouche fermée dans les graves. Chaque choriste peut changer de note quand bon lui semble avec des attaques plus sonores dont le son va ensuite decrescendo. Ceci peut durer vingt à trente secondes, voire plus, avant de commencer le texte).

 

Demi chœur jardin :

Déjà le printemps revenu accorde sa douce lumière.

Demi chœur cour :

Le jour, s’allongeant, peu à peu, réchauffe les troncs endormis.

Demi chœur jardin :

Puisée aux racines, la sève rend sa source familière.

 

Demi chœur cour :

Eclos les bourgeons vernissés répandent l’avenir promis ;

Demi chœur jardin :

Le flux parcourant nos rameaux tend nos frondaisons qui s’étalent,

Demi chœur cour :

Gonflées de croissance exaltée poussant vers un ciel mieux soumis.

 

Demi chœur pair :

Ici, les insectes fouisseurs s’agitent dans leur bacchanale,

Demi chœur impair :

Gorgés des parfums de l’humus, foules exaltée de vigueur,

Le chœur :

Ils vont, perpétrant de nouveau, l’ardeur de leurs fêtes nuptiales.

 

Hamadryades 5 :

Tout l’air irisé s’est rempli d’élytres aux parcours fugueurs,

Hamadryade 8 :

Traçant dans l’espace alentour des jets fulgurants d’étincelles,

Hamadryades 1-12 :

Des gerbes dorées traversant les prismes d’ombre et de rumeur.

 

Hamadryades 6-7 :

La mousse des pierres verdit nimbée de vapeurs irréelles.

Hamadryades 4-9 :

La joie revenue dans les bois s’expanse en des sucs anoblis,

Hamadryades 1-2-11-12 :

Liquide chargé d’énergie issu des roches maternelles.

 

Hamadryades 9-10-11-12 :

Alors l’abondance renaît ; l’espoir a remplacé l’oubli.

Hamadryades 1-2-3-4 :

Grimpant vers l’azur éclairé s’enflent les nouvelles ramures

Hamadryades 5-6-7-8 :

Mêlant leurs murmures au vent au sein du printemps rétabli.

 

Demi chœur impair :

Les sols tout garnis de corolles jouent de brillantes parures,

Demi chœur pair :

Ravis de chanter de nouveau après un aussi long sommeil.

Le chœur :

En ses voluptés majorées, partout triomphe la nature.

 

Demi chœur jardin :

Foison enfiévrée de plaisir, chacun magnifie son éveil ;

Demi chœur cour :

L’envol de l’oiseau nous apprend l’essor de la forêt entière

Le chœur :

En houle bruissante de vie chargée des rayons du soleil.

 

Déjà le printemps revenu accorde sa douce lumière.

 

(Le bourdonnement continue pendant que, venant du côté cour, se surajoute la voix avinée de Silène qui chante mal et faut).

Le coryphée :

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        Je la bois, je la bois.

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        C’est très bon ma foi.

(Il entre. Il est visiblement éméché. Le bourdonnement cesse).

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        Je la bois, je la bois.

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        C’est très bon ma foi.

 

                           (Bourdonnement).

Je sais,

            J’ai un peu bu.

            Oh, juste un peu ;

Enfin, pas plus que d’habitude ;

Pas moins non plus d’ailleurs.

            Mais je vais droit.

Enfin, ce qui m’est accoutumé d’être droit.

                        Voila.

Et puis, je me sens bien.

Bon, je me suis un peu égaré.

Je suivais le cortège de Dionysos…

            Euh, ils allaient comme ça.

                                            (Il indique la ligne droite).

Mais, comme ils n’avançaient pas assez vite pour moi,

Et que je risquais de piétiner les derniers,

J’allais un peu comme ça,

                                   (Il indique vaguement vers la gauche).

Et puis un peu comme ça,

                                   (Idem de l’autre côté).

Quelques fois, même comme ça.

                                   (Il titube un peu en arrière).

            Mais pas souvent.

Alors, une fois, j’ai du aller un peu trop comme ça,

            Ou comme ça, je ne sais plus.

Quand je suis revenu, ils n’étaient plus là.

Alors, j’ai avancé tout droit.

            Tout droit comme ça.

                                   (Il fait un geste vaguement ondulatoire                                                   vers l’avant).

Rien que d’y repenser,

            J’ai soif.

                                   (Il prend sa gourde et la contemple puis                                                  il braille).

            Le jus de la bouteille

            Coule dans mon gosier ;

            C’est douceur sans pareille

            Il faut le vérifier.

                                   (Il boit. Le bourdonnement cesse).

Avec tout ça, je ne sais plus où il est, moi, le cortège.

            Le cortège de Dionysos.

Le cortège de Dionysos ? Piout ! Disparu.

            Il est gentil Dionysos.

            Si, si, il est gentil.

Moi, je l’aime bien… Dionysos.

            D’abord, c’est mon filleul.

Quand il était petit, c’est moi qui m’en suis occupé.

Zeus m’a dit : « Silène,

Je connais bien ton sérieux et ta droiture,

Tu vas éduquer le petit Dionysos ».

(Le bourdonnement reprend).

            Si, si, qu’il a dit ça, Zeus.

                        A moi, qu’il l’a dit.

            Alors… Hein… Poupougne.

C’est curieux, j’entends comme un bourdonnement.

            Ouais, ouais, je l’entends…

            Distinctement, même.

Bon, je dois admettre que souvent,

            Ça bourdonne…

            En dedans.

Mais là… Vérifions…

                                   (Il se bouche les oreilles).

Oui, c’est dedans.

                                   (Il débouche ses oreilles).

Mais là, davantage.

Donc, dehors aussi. En plus.

                                   (Il bouche et débouche plusieurs fois ses                                                  oreilles).

Ah ! C’est très net.

Ça bourdonne dans mon intérieur

Et aussi dans mon extérieur.

            Alors là, je dis « Non » !

                        C’est pas bien.

Parce que mon intérieur ; c’est normal.

            J’ai l’habitude.

Mais autour, non !

            C’est méchant !

Ça dérègle ma perception du monde.

Après, moi, je crois que c’est tout dedans ;

Et puis non.

C’est moyen dedans

Et tout le reste autour de dedans.

En dehors du dedans.

                                   (Il boit un coup et fredonne).

            Le jus de la bouteille

            Coule dans mon gosier.

            C’est douceur…

Si, je l’aime bien Dionysos.

C’est pas seulement parce que c’était mon élève.

            Même s’il est reconnaissant.

            Zeus m’avait dit :

« Il faut qu’il devienne un grand Olympien. »

                                   (Il boit).

Alors, j’ai proposé…

            Le délire.

Bah oui, être le Dieu du délire…

            Ça pose quelqu’un…

Succès très mitigé.

                                   (Il fredonne.)

            Quand ma gourde est pleine, je la bois

                        Je la bois…

                                   (Reprenant sa pensée).

Et puis j’ai ajouté : Mystique.

            Et là…

                                   (Geste montrant l’assentiment.)

Le délire… Mystique.

Ouais, ouais. Mystique le délire.

Bon, pour faire bonne mesure,

            J’ai ajouté :

Et de la fécondité de la nature.

Alors là, tous les olympiens,

            Ils se sont levés,

                        Et m’ont applaudi.

Et que je te serre la main

Et que je te tape sur l’épaule…

Ils ne m’ont pas porté en triomphe,

                        Mais presque.

            Ils ont du oublier.

                                   (Il chantonne.)

                        Je la bois, je la bois.

            Quand ma gourde est pleine je la bois

                        C’est très bon pour moi.

                                            (Très fort.)

Et pour ceux qui n’auraient pas compris,

                        J’ai spécifié :

            La fécondité agricole

                        Surtout

De la vigne et du vin.

                        Et hop !

                                   (Braillant.)

            Le jus de la bouteille

            Coule dans mon gosier ;

            C’est douceur sans pareille ;

            Il faut le vérifier.

(Il boit une large rasade, s’essuie   les lèvres et, tout compte fait, en prend une autre.)

Ah ! Mais c’est pénible ce bourdonnement !

Eh ! Vous ne pouvez pas arrêter ?

Moi aussi, je peux le faire.

            Bvvv, bvvv.

Mais, moi, je m’abstiens.

            Bvvv… Bvvv.

Ouais, bah moi,

Bvvv, mélangé avec l’idée d’abstinence,

Ça me dessèche.

                                   (Il boit puis il contemple sa gourde.)

            Remarquez, Dionysos,

            Ce n’est pas un ingrat.

C’est lui qui m’a donné cette gourde…

Une gourde divine… Et magique…

            Donnant un breuvage limpide

            Jamais ne tarit, jamais ne se vide.

                                   (Il chante).

               Je la bois ; je la bois…

                                   (Reprenant).

Et puis, ce n’est pas n’importe quelle vinasse.

                        Non.

Vin de l’Epire, vin de l’Attique,

Vin de Corinthe, vin de Crète ;

Vin de Samos…

            Selon mes humeurs,

Selon les moments ;

Selon mes envies ;

            C’est au choix.

            Alors, hein ?

C’est pas un cadeau, ça ?

            Et depuis…

                                   (Sur un ton très lyrique).

            Le jus de la bouteille

            Coule dans mon gosier ;

            C’est douceur sans pareille

            Je dois le vérifier.

Et pendant tout ça…

            Bvv, bvv, bvv…

Bon, allez, les Hamadryades, arrêtez.

            C’est vous, hein ?

            Hein que c’est vous ?

                                   (A l’Hamadryade 10)

               Toi… Là.

Hamadryade 10 :

            Moi quoi ? Je ne dis rien.

                                   (A la 12)

Le coryphée :

            Alors, c’est toi ?

Hamadryade 12 :

            Non, je te regarde et je t’écoute.

                                   (A la 2).

Le coryphée :

Je t’ai vue ! Je t’ai vue !

Hamadryade 2 :

Et moi aussi je te vois

Et je n’en fais pas une affaire.

Le coryphée :

Tu faisais bvvv…

Hamadryade 2 :

Moi ? Non, je ne faisais rien.

Comment dis-tu que je faisais ?

Le coryphée :

Bvvv.

Hamadryade 2 :

Bvvv ? Non.

                                   (Montrant l’autre côté).

Ça vient de là-bas… Ecoute.

Le coryphée :

Tu as raison.

                                   (Il se précipite en cour, approche                                               son oreille de diverses bouches au                                                       hasard par surprise).

Demi chœur cour :

            Aimable Silène à la gorge asséchée

            Pourquoi ce reproche au fond de ton regard

            Nos lèvres sourient à ton esprit hagard

            Chassant le soupçon de ta tête éméchée.

Le coryphée :

Ce ne sont pas celles-là.

                                   (Il revient en jardin).

Demi chœur jardin :

            Aimable Silène au souffle flamboyant,

            Pourquoi t’agiter autour de nos ramures ?

            Tu crées des torrents, au sein de la verdure,

            D’idées encombrées sous ton front rougeoyant.

Le coryphée :

Bah… La non plus.

Je n’y comprends rien

Et je n’aime pas ça.

            Ça m’agace !

Hamadryades, vous vous moquez de moi.

                                   (Il boit).

Le chœur :

            Aimable Silène au discours colérique

            Ce que tu perçois et ce qui te confond

            C’est la vibration des ombrages profonds

            Venant traverser ton haleine alcoolique.

                                   (Bourdonnement attaqué bien                                                    ensemble et fort).

Le coryphée :

Vous vous moquez de moi !

Et là, je ne plaisante pas.

            Je n’aime pas ça.

D’abord, vous n’êtes même pas

            De vraies divinités.

Demi chœur jardin :

            Chacunes cachées sous un bois protecteur,

            Les nymphes des arbres sont dans les forêts.

Demi chœur cour :

            L’essence sacrée de ce qui transparaît.

            Des mondes de vie, ce sont les seuls vecteurs.

Le Coryphée :

            Han ! De vie…

Vous ne détenez même pas l’immortalité.

Demi chœur jardin :

Du temps limité, nous goûtons mieux le prix

C’est avec ardeur que nous le parcourons.

Demi chœur cour :

L’humus à la terre restitue l’esprit.

(Le bourdonnement décroît et s’éteint)

Le chœur :

Liées à un arbre, avec lui nous mourons.

Le coryphée :

            Et bien moi,

Je n’ai point de commerce

Avec les nymphes inférieures

                        Na !

Des sous choses

            A durée limitée.

                        Non !

Je suis un dieu supérieur

            Et important.

Je suis un immortel,

                        Moi.

D’ailleurs,

Ne détiens-je pas le don

De la divination ?

            Hein ? Alors…

Demi chœur jardin :

            De la divination ?

Demi chœur cour :

            De la divination ?

Le coryphée :

            De la divination.

Hamadryade 6 :

            Et tu devines quoi ?

Le coryphée :

            Tout !

Passé présent et avenir.

Bon, pour le présent, c’est facile.

Pour le passé, ça va encore.

Mais l’avenir…

            Hein… L’avenir…

C’est tout de même pas donné à tout le monde.

Demi chœur pair :

Alors, c’est toi qui fais l’avenir.

Le coryphée :

                        Non !

Je n’ai pas dit ça.

Je ne le décide pas.

            Ah non.

Mais je le devine.

Je sais…

                                   (Il boit un coup).

            Ce qui se passera.

                                   (Il boit un coup).

                        Voila.

Demi chœur impair :

Mais tu ne le dis pas.

Le coryphée :

            Jamais !

Si je le disais…

Vous vous rendez compte ?

            Ça se saurait.

Hamadryade 3 :

            Et alors ?

Le coryphée :

            Et alors, et alors…

Comment voulez-vous décider

Quand vous savez déjà,

Comme si c’était du passé,

Ce que vous allez décider…

                        Ah.

                                   (Il boit).

Non, je le garde pour moi.

Et quand cela arrive, je me dis :

            Je le savais,

                        Je le savais

Que ça allait se passer comme ça.

            Et je suis fier.

Je sais que ce que je savais

            Maintenant se vérifie.

Et même, aujourd’hui,

Ce que je saurais plus tard,

Je sais que je le sais déjà.

            Donc,

                        Je sais que

Ce que je sais que je saurai demain,

Hier, je le savais aussi.

                        Voila.

                                   (Il boit et chantonne).

            Le jus de la bouteille

            Coule…

Hamadryade 12 :

Et tu t’y retrouves, dans tout ça ?

Le coryphée :

            Des fois.

Mais c’est secret.

Et un secret, ça ne se dit pas.

Hamadryade 2 :

                        Hou ! Là, là !

Hamadryade 1 :

Tu ne le dis pas… tu ne le dis pas…

Hamadryade 5 :

Pourtant, si on t’attrape, là…

Hamadryade 6 :

Qu’on te ligote au sol…

Demi chœur cour :

            Et qu’on te bat…

Le coryphée :

            Hé ! Hé ! Hé !

            Attention !

Je suis un devin…

Pas un héros, moi.

Si on me bat…

            Je ne sais pas.

Cela dépend de comment on me bat.

Le chœur : (avec véhémence).

Si on te bat beaucoup,

Si on te bat très fort

Si on te bat… Si on te bat

A te rendre tout plat…

Le coryphée :

Ah non ! Ça, je ne supporte pas.

            A me rendre tout plat…

                        Beuh…

                                   (Il boit).

Dans ces cas là, bien sûr,

            Je n’ai pas le choix.

Alors dans ces cas là,

Bon, Je dis… Un peu.

Mais seulement dans ces cas là

Et des fois un peu avant.

(Il boit. Le bourdonnement reprend progressivement. Il chantonne).

               Quand ma gourde est pleine, je la bois,

                        Je la bois, je la bois.

            Quand ma gourde est pleine, je la bois ;

                        C’est très bon ma foi.

(Moins fort et avec distraction).

            Quand ma gourde est pleine je…

(Il se couche et dort. Entre Ulysse. Il est âgé, hirsute et déguenillé et s’appuie sur sa rame).

Ulysse :

            Adieu nymphes des glaces,

            Bonjour nymphes des bois.

Le Oréades ont voulu me geler

Et les Océanes me noyer.

Hamadryades, qu’allez-vous tenter ?

                                   (Le bourdonnement s’arrête).

Le chœur :

Garantes de ce qui respire,

Nous sommes des nymphes de paix.

Toujours, nous rejetons le pire,

Garantes de ce qui respire.

La vie, méritant le respect,

Chez nous, brille en tous ses aspects.

Garantes de ce qui respire,

Nous sommes des nymphes de paix.

Ulysse :

            Oui, je sais.

Toujours, au début, les paroles sont douces.

Hamadryades 1,2,3 :

            Homme meurtris,

Homme aux mille blessures,

Hamadryades 4,5,6 :

Homme à l’errance infinie,

Homme aux mille tourments

Hamadryade 7,8,9 :

Sois chez nous sans aucune crainte

Nous ne connaissons aucun mal

Ici, nul ne peut te léser.

Hamadryade 10,11,12 :

Demeure un moment si tu veux ;

Ou passe à nos pieds à ton aise

Et nous, nous te verrons passer.

Demi chœur cour :

Tu peux, s’il te plait, profiter de l’ombre de notre feuillage ;

Mais à part cela, pour ton bien, n’attends aucun autre avantage.

Demi chœur jardin :

Respire notre liberté couvrant jusqu’au moindre animal

Car nous ne pouvons ni voulons à l’autre infliger aucun mal.

Ulysse :

Je sais… Les arbres.

Et je suis un sot.

Pourtant…

Laissez moi m’expliquer.

Un songe m’avait informé.

Tout ce qu’il ma montré

            A été vérifié.

Tout ce qui m’était prescrit,

            Je l’ai accompli.

Je devais passer des cimes de glace

            Et je les ai franchies.

            Mais maintenant,

                        Que faire ?

Le songe n’a rien dit.

            Ô vous les arbres,

Hamadryades, âmes des forêts,

Vous ne pouvez rien pour moi.

                        Je sais.

Ni en bien ni en mal.

Mais, je vous prie.

            Donnez moi votre avis.

Que dois-je faire ?

Remonter vers les sommets ?

Descendre dans la vallée ?

Cheminer en gardant la hauteur

La où votre règne expire laissant place aux prairies,

Avec un pied vers l’amont et l’autre vers l’aval ?

Ou bien dans un parcours parallèle

Traverser vos frondaisons obscures ?

Ramures élancées qui ne pouvez agir,

Je suis désemparé.

            Conseillez-moi.

Donnez moi votre avis.

Le chœur :

            Tu veux prendre notre conseil

Mais si, homme aux mille tourments

Nos bouches n’étaient qu’errements,

Plus triste en serait le réveil.

Ulysse :

Une parole exempte de méchanceté

Ne peut pas volontairement tromper.

            J’insiste.

Entre plusieurs idées, mon souffle est partagé ;

            Dites–moi,

                        Selon vous,

            Vers où dois-je pencher ?

Le chœur :

Nos bois ne savent pas ruser

Mais si nous nous leurrions nous même,

Nous t’affligerions à l’extrême,

Pourtant sans vouloir t’abuser.

Ulysse :

Je connais ces risques

Et je les prends.

            Mais conseillez moi.

Hamadryade 7 :

Ulysse, notre conseil est un piètre recours,

Hamadryade 4 :

Mais sache, ô premier et dernier des humains,

Hamadryade 12 :

Ici, sous ces bois, endormi par le vin,

Hamadryade 2 :

Ronfle le plus grand des devins.

Hamadryade 8 :

Si tu es aimable et poli, il te rira au nez ;

Demi chœur paire :

Mais si tu le brusques et l’oblige à parler,

Demi chœur impaire :

Lui seul te dira ce qui doit arriver.

Le chœur :

Silène est à toi si tu sais le forcer.

Ulysse :

Silène ? Endormi ? Ici ? Et seul ?

Ô Hamadryades

            Par les monts et les plaines,

            Par les terres et les mer salées,

            Par le jour et la nuit,

            Par l’hiver et l’été flamboyant,

            Par la mort et la vie,

                        Je promets que pour vous

                        Et tant que je serai,

J’aurai le respect que l’on doit à sa mère

Et la dévotion aux aïeux vénérés.

                                    (Il prend quelques lianes, se jette sur Silène et le ligote).

Le coryphée :

Hé ! Hé ! Qu’est-ce qu’il y a ?

            Qu’est-ce que c’est ?

Je ne peux plus bouger.

Les lianes traîtresses pendant mon sommeil ont poussé.

            Je suis prisonnier !

Au secours ! Aidez moi !

            Venez me libérer !

Hé ! Toi ! Au lieu de me regarder,

Tranche ces liens et je t’en saurai gré !

Ulysse :

Je le ferai

Le coryphée :

Et bien, qu’est-ce que tu attends ?

Ulysse :

Plus tard.

Le coryphée :

Pourquoi plus tard ?

Ulysse :

Attends.

Le coryphée :

Le temps presse,

            Je souffre !

Mes mains deviennent bleues !

Je suis en péril !

            Vite ! Vite !

Ulysse :

            Allons, Silène,

N’es-tu pas immortel ?

Le coryphée :

Immortel, oui, mais délicat.

            Alors,

                        Délivre moi.

Ulysse :

            Après.

Le coryphée :

Mais, après quoi ?

Ulysse :

Après que tu m’auras répondu.

Le coryphée :

Je te répondrai aussi bien si tu me délivres.

Ulysse :

                        Ho ! Ho ! Ho !

Mais, tu sais que tu mens ;

Et je le sais aussi.

Le coryphée :

Alors, je ne dirai rien.

Ulysse :

Alors tu resteras ainsi.

Le coryphée :

Passe-moi au moins cette bouteille.

Ulysse :

Rien ne presse.

(Silène tente de ramper vers la gourde. Ulysse la prend et la déplace deux mètres plus loin).

Le coryphée :

J’ai froid, j’ai faim,

            J’ai soif !

Donnez moi quelque chose !

(Même jeu de la gourde).

Tu es un malfaisant !

Ulysse :

Parleras-tu ?

Le coryphée :

Je me plaindrai

            Je vais le dire…

            Je vais le dire à…

Ulysse :

A qui ?

Le coryphée :

            A… A…

A Dionysos, tiens.

Si, si, je vais l’appeler.

            Il va venir…

Et il te châtiera.

(Pleurnichant).

Et me rendra ma bouteille.

Dionysou… Dionysounet…

Ulysse :

Crois-tu qu’il se soucie de Silène ?

Il va conduisant sa farandole

Au milieu du brouhaha

Des chants et des éclats de rires

Et il ne pense pas à toi.

Le coryphée :

Bon, qu’est-ce que tu veux ?

Ulysse :

Ne le sais tu pas déjà ?

Le coryphée :

Si, mais il faut que tu formalises ta demande.

Ulysse :

Ah.

Le chœur :

            Parle Ulysse ;

Ton histoire est connue

Mais prononce ton vœu une nouvelle fois.

Ulysse :

Dans les vagues amères, un rêve m’a dit

Que pour mon salut je devais trouver,

Par delà les géantes de glace,

Un homme ignorant la mer et le sel

Et qui prenne ma rame pour une pelle à grain.

J’ai franchi les montagnes neigeuses.

            Où est cet homme.

Le coryphée :

Ouh ! Là, là…

Ulysse :

Comment le trouver ?

Plus haut ? Plus bas ?

Où ? De quel côté ?

Le coryphée :

Ouh ! Là, là…

Ulysse :

J’ai parlé.

Le coryphée :

Ouh ! Là, là…

Ulysse :

J’attends ta réponse.

Le coryphée :

Ouh ! Là, là…

Passe moi ma bouteille

Cela éclairci les idées

Et délie le langage…

Allons, passe la moi.

Ulysse :

Nous sommes ici dans la forêt ?

Le coryphée :

Bah oui ! Pourquoi ?

Ulysse :

Je ne devrais pas avoir de mal

A trouver un bon gros bâton ?

Le coryphée :

Bien sûr, pour quoi faire ?

Ulysse :

Mais, cher Silène,

Pour te frictionner un peu le dos.

Le coryphée :

Tu ne feras pas ça.

Ulysse :

Oh, que si !

Je vais administrer une correction

            A un Immortel.

Le coryphée :

            Penses-tu !

Tiens, tu ferais mieux de me donner

            Ma bouteille…

                        Coule dans mon gosier ;

                        C’est dou…

Ulysse :

La bouteille… La bouteille…

Je l’oubliais, celle là.

Oh ! L’idée lumineuse !

Silène, regarde ;

Mais regarde bien.

            La bouteille :

D’abord, je vais la boire ;

            Et ensuite,

D’un coup de pied vengeur,

            Je vais l’expédier

Au fond d’un de ces ravins

Où elle sera délavée

            Définitivement

Par l’eau venant de la neige

Et impropre à toute utilité.

Le coryphée :

Non, pas la bouteille !

Le chœur :

Silène privé de son seul agrément.

Ulysse :

            Regarde,

            Regarde bien.

            Tu as compris ?

            D’abord, je bois ;

            Ensuite, je jette.

Le coryphée :

Non ! Pas la bouteille !

Le chœur :

Verrons nous ce jour Silène réduit à néant ?

Ulysse :

                        Alors,

            Un, je bois.

                                   (Il boit).

Hum ! C’est bon ça !

                                   (Il reboit).

Oui, quel dommage !

            Dommage, pour toi !

Le coryphée :

            Non !

Le chœur :

            Horreur ô horreur !

            Silène peux-tu

            Supporter cela,

Ulysse :

            Oui, vraiment.

(Il boit encore, essuie ses lèvres lentement puis brusquement).

               Et deux…

Il tient la gourde bras tendus devant lui à hauteur de ses genoux, prend deux pas d’élan, arme son geste…)

Le coryphée :

            Attends !

Je vais te dire.

(Ulysse reste suspendu, prêts à taper).

Mais tu aurais pu trouver tout seul…

(Ulysse esquisse un mouvement).

            Non ! Attends !

Ulysse :

(Se détendant).

Je t’écoute.

Le coryphée :

Mais donne moi la bouteille.

Ulysse :

(Se replaçant).

Ah !

Le coryphée :

Bon, bon. Mais…

Ulysse :

Après.

Le coryphée :

Bon, après.

(Avec un débit et une prononciation particulièrement avinée).

Voici le message impérieux

Puisé au fond de la bouteille.

Tu as parcouru trop de lieux

Cherchant la paix qui t’émerveille

 

Reste sans bouger sous ces cieux

Et que ton destin se réveille.

Voici le message impérieux

Puisé au fond de la bouteille

 

Assis dans le matin radieux

Que viennent toucher ton oreille

Les voix des hommes laborieux

Seule une sera sans pareille

Voici le message impérieux.

J’ai parlé,

Donne moi ma bouteille.

Ulysse : (détachant le coryphée).

Prends.

Je dois rester ici ?

Le coryphée :

J’ai parlé.

Ulysse :

Ici ?

Le coryphée :

J’ai parlé.

Ulysse :

Alors, je vais attendre.

                                   (Il s’assied).

Le coryphée :

Et j’ai envie d’attendre avec toi.

(Le bourdonnement reprend et le coryphée chante distraitement).

Le jus de la bouteille

Coule dans mon gosier.

C’est douceur sans pareille ;

Il faut le vérifier.

(Il boit).

Hamadryade 4 :

Les nuages lents dans le ciel

Hamadryade 9 :

                                               Glissent fraîchement leur paresse.

Hamadryade 2 :

Et l’eau qui descend des sommets

Hamadryade 11 :

                                                    Au sol distribue ses caresses.

Le coryphée :

(Il chantonne en bredouillant les paroles de sa chanson puis il boit. On entend des piétinements, des bêlements et des sonnailles de troupeau).

Le jus… hum hum bouteille

Hum hum … Gosier

… douceur sans pareille

Hum… Hum…Vérifier.

Je crois que tu as de la visite.

(Le premier berger entre. Ulysse se redresse un peu. Le bourdonnement cesse).

Le premier berger :

            Ah ! Non !

Pas ça ! Pas lui ! Pas toi !

Pas le vieillard des neiges !

Ulysse :

Hé ! Qu’y a-t-il ?

            Ecoute-moi !

Le berger :

            Non… Pitié !

Ulysse :

Mais écoute-moi !

Le berger :

            Je sais, j’ai blasphémé !

J’ai dit que tu n’existais pas.

Ulysse :

Mais je suis là.

Le berger :

Pardon ! Pardon !

(Il se prosterne).

Je t’en prie… Ne me mange pas !

Ulysse :

Mais te tairas-tu à la fin ?

Le berger :

            Oui ! Oui !

Je me tais… Mais épargne moi

Et je témoignerai de ton existence

            Et de ta bonté.

Ulysse :

Et puis, relève-toi.

(Il s’approche de lui).

Le berger :

(Il bondit sur ses pieds et fuit en gesticulant et en vociférant).

            Au secours ! A l’aide !

J’ai vu le vieillard des neiges !

            Il veut me manger !

L’épouvantable vieillard des neiges !

            Il va me manger !

(Il sort. Le bourdonnement reprend).

Hamadryades 1-2-3 :

Les nuages lents dans le ciel

Hamadryades 7-8-9 :

                                            Glissent fraîchement leur paresse.

Le coryphée :

Ouais, bah celui-là… Hein ?

(Il boit et chante).

Le jus de la bouteille

Coule dans mon gosier…

Ulysse :

Attendons encore.

(Il se rassied).

Hamadryades 4-5-6 :

Et l’eau qui descend des sommets

Hamadryades 10-11-12 :

                                                     Au sol, distribue ses caresses.

(Le coryphée fredonne sa chanson sans les paroles et ensuite, il sifflote. Nouveau bruit de troupeau).

Le coryphée :

            Ecoute…

Cette fois, ne l’effraie pas !

(Le deuxième berger entre. C’est un demeuré. Le bourdonnement cesse).

Le deuxième berger :

Ha ! Ha ! Ha !

Moi… La montagne… Hein ? Moutons.

Moi… Moutons.

(Il voit Ulysse).

Ah ! Toi aussi ? Montagne ? Moutons ?

Moutons… Moi, beaucoup.

            Plein… Montagne.

Toi ? Où ? Moutons ? Partis ?

            Ha ! Ha ! Ha !

Moi, attention… Regarder.

            Les yeux… Partout.

Moi pas partis, moutons.

            Ha ! Ha ! Ha !

Moi content. Toi ici… Aussi ?

            Content, moi

            Content.

Le coryphée :

(A Ulysse).

Celui-là non plus,

Tu n’en tireras pas grand-chose.

Le berger :

            Toi ami… Moi.

Toi, moutons, moi moutons.

Moutons ensemble

Toi, moi, ensemble… Aussi.

            Ah ! Ah ! Ah !

            Moi content

Montagne… Tout seul.

Mais là, ensemble.

            Tous les deux.

            Content.

Ulysse :

Je ne suis pas un berger.

Le berger :

Toi pas moutons ?

            Pareil.

Moi… Content.

Moi rester avec toi.

            Toujours.

Ulysse :

Va, va dans ta montagne.

Ici, je ne te serai d’aucun secours.

Le berger :

            Non,

Moi… Content.

Ici… Bien… Ici.

Ici content beaucoup.

Ulysse :

            Va !

            Mais va donc !

Tu ne me connais pas.

Et si j’étais le vieillard des neiges ?

Le berger :

            Pas peur… Moi.

            Moi… Fort !

Vieillard des neiges pas méchant.

Non, moi… Ici… avec toi…

            Content.

Ulysse :

            Pars ;

Vois là haut comme l’herbe est verte.

Conduis-y ton troupeau.

Plus tard, je t’y rejoindrai.

            Va, ne tarde pas.

Va préparer l’endroit

Où je te retrouverai.

Le berger :

            Oui… Idée bonne.

Moi prépare l’abri et le feu.

            Moi content.

            Très content.

(Il sort, le bourdonnement reprend).

Demi chœur impair :

Les nuages lents dans le ciel glissent fraîchement leur paresse

Demi chœur pair :

Et l’eau qui descend des sommets, au sol, distribue ses caresses.

Le coryphée :

(Il boit et rechante sa chanson avec des effets lyriques).

Ulysse :

Encore ?

Le coryphée :

(Ne chante plus mais mime sa chanson comme s’il la chantait mentalement. Il boit un coup, puis,)

Tu l’aimes pas ma chanson ?

Attends, j’en sais une autre.

(Beuglant).

Quand ma gourde est pleine, je la bois,

            Je la bois, je la bois.

Quand ma gourde est pleine, je la bois

            C’est très bon, ma foi.

Hein ? Qu’est-ce que tu en penses ?

            Moi, j’aime cet air là.

            Je le trouve joyeux.

            Quand ma gourde est pleine, je…

Ulysse :

                        Ah !

Le coryphée :

Je vois que tu n’aimes pas la musique

                        Ou bien,

Que tu n’es pas un homme joyeux.

Ulysse :

            Pf… Joyeux…

(Nouvelles sonnailles le bourdonnement cesse).

Le chœur :

(Fort).

Les nuages lents, dans le ciel, traînent fraîchement leur paresse

Et l’eau qui descend des sommets, au sol, distribue ses caresses.

Le troisième berger :

            Je te salue,

Vieil homme.

Ulysse :

Et ton salut t’est rendu.

Le berger :

            Il me semble que, comme moi, tu ne resteras pas longtemps près des sommets.

Ulysse :

Tel est, en effet, mon souhait.

Le berger :

            Pour ma part, j’accompagne les troupeaux mais dès ceux-ci installés, je rejoindrai la vallée.

            Je vois que pour le voyage dans les rocs et les épines, tu as endossé des vêtements déjà lacérés par l’usage mais qui ne suffiraient pas à une longue estive.

Ulysse :

            Si,

Comme toi,

J’avais assez de bien

Pour parcourir les monts

Avec des habits robustes et neufs,

Je l’aurais préféré.

Le berger :

            Que tu sois pauvre, je le vois. Pourtant, tu portes, avec toi, un outil de belle facture qui ne t’est ici d’aucune utilité.

Ulysse :

C’est ma seule richesse.

Si je l’avais laissé

            En un quelconque endroit,

Qui dit si je l’aurais retrouvé ?

Le berger :

            Tu aurais pu le troquer contre un équipage plus décent.

Ulysse :

            C’est mon outil.

Il m’apporte ma pitance.

On peut vivre nu,

Mais pas sans manger.

Le berger :

            Tu me plais et tu sembles sage. Ecoute, dans la vallée, je possède des terres. J’y fais des récoltes. Chez moi, tu seras libre et tu pourras manger. Si tu veux venir avec ta pelle à grain, tu m’aideras à mesurer les miens.

Ulysse :

Homme, ta sollicitude est grande

                        Mais,

            Si tu veux m’obliger,

Ma personne, même libre,

            Je ne peux te l’offrir.

En revanche, la pelle, si tu la veux,

                        Elle est à toi.

Le berger :

Un outil auquel tu tenais tant ?

Ulysse :

Donne moi un mouton.

Le berger :

Ta pelle contre un mouton ?

Ulysse :

Oui. Un seul mouton.

Le berger :

Et que veux-tu en faire ?

Ulysse :

Un sacrifice.

Le berger :

            Je dois respecter cela.

            Je ne connais pas ton dessein mais un sacrifice est un acte qu’on doit respecter et si tu l’acceptes, je l’offrirai avec toi.

Ulysse :

            Homme,

Si tu ne l’avais pas demandé,

            Je t’en aurais prié.

Le berger :

Allons, donc. Je vais choisir dans mon troupeau un mouton gras et blanc. Installons nous derrière ces arbres. Le terrain y est plus plat et plus propice à allumer un feu. Là, tu officieras mieux.

                                   (Ils sortent. Le bourdonnement reprend).

Le coryphée :

Et moi ? Alors ?

Demi chœur impair :

            Pourquoi t’inviter ? Et pouvais-tu le croire ?

            Ton rôle n’est pas de manger, mais de boire.

Le coryphée :

Mais j’aime bien, aussi, manger !

Des côtes de mouton…

                        A la braise !

La cervelle du mouton…

                        Avec un peu d’ail !

Le gigot du mouton…

                        Grillé sur le feu !

Demi chœur pair :

            Faut-il un peu plus illuminer ta trogne ?

            Silène, es-tu donc autant goinfre qu’ivrogne ?

Le coryphée :

Et puis, les mets relevés,

            Ça altère.

Parfois, quand je n’ai pas soif…

Hamadryades 1-2-3 :

Ce qui n’est pas fréquent.

Le coryphée :

Je vous l’accorde.

            Bon.

Mais, ça arrive…

            Parfois.

Et bien, là, une bonne viande épicée…

            Le jus de la bouteille…

Eh ! Eh ! Les Hamadryades ! Vous sentez ?

                                   (Le bourdonnement cesse).

Le chœur :

Déjà, sur la pierre soudain,, le sang bouillonnant a coulé.

            Aux pieds des humains, la bête aussitôt a roulé.

 

Le feu allumé s’agrandit poussé doucement par la brise

            Qui lance la flamme avec allégresse et l’attise.

Le coryphée :

                                   (Distraitement).

            Quand ma gourde est pleine je la bois…

Le chœur :

La peau arrachée est au sol, marque de l’ultime combat.

            Dessus, bien rangés, alors, sont placés les abats.

 

La graisse exposée près des braises  coule et crépite et consume.

            Les chairs, peu à peu, cuisent près du brasier qui fume.

Le coryphée :

Pourquoi j’en ai pas, moi ?

            Ça sent bon.

J’en voudrais bien un peu.

Le chœur :

Les derniers morceaux sont jetés au cœur du foyer flamboyant.

            Les hommes sanglants sèchent leur torse rougeoyant.

 

Montant de l’autel jusqu’aux dieux, les mets sont fondus dans leur cuve

            L’offrande sacrée lance ses puissantes effluves.

Le coryphée :

Les dieux, ils font ce qu’ils veulent.

            Mais moi.

Je ne veux pas manger avec mon nez.

            Les rôtis,

Je veux les mettre dans ma bouche.

Le chœur :

Enfin, les humains satisfaits espèrent forcer le destin

            En participant, alors au céleste festin.

 

Ce que les divins ont laissé et que l’on trouve encore,

            Chacun s’en empare avec frénésie et dévore.

(Bourdonnement).

Le coryphée :

Bah, moi, je n’ai rien eu.

            Voila.

C’est toujours les mêmes qui ont tout.

(Hurlant).

            C’est injuste !

(Il boit et fredonne sur l’air de : Le jus de la bouteille)

La la la la la la la…

(Ulysse et le berger reviennent. Ils sont maculés de sang, de graisse et de charbon).

Le berger :

Homme, j’ai tenu ma part du marché.

Ulysse :

Et je tiendrai la mienne.

Venons ici où nous nous sommes rencontrés.

                        Regarde.

            Dans le sol,

Je vais planter l’outil

Et je vais m’en aller.

            Quand je serai parti,

Tu feras ce que tu voudras.

(Le bourdonnement cesse. Silence. Il plante la rame. La lumière s’éteint. On entend un immense tumulte avec des musiques sauvages entrecoupées de voix célestes. Peu à peu, le calme revient et la lumière remonte lentement. Quand la clarté est rétablie, les sapins sont remplacés par des oliviers. Les hamadryades imitent maintenant le bruit des cigales en faisant : « Ks, ks, ks… »

              Stridulations. Le coryphée arrive côté cour en dansant et en chantant joyeusement).

Le coryphée :

Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        Je la bois, je la bois.

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        C’est très bon ma foi.

Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        Je la bois, je la bois.

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        C’est très bon ma foi.

Demi chœur jardin :

Silène, te voila bien joyeux !

Le coryphée :

Joyeux, moi ?

Mais je suis un divin

            D’un naturel joyeux !

(Il chante)

         Quand ma gourde est pleine je la bois

                     Je la bois…

         Et puis,

Je veux voir la fin de l’histoire

Demi chœur cour :

La fin de l’histoire ?

Le coryphée :

Oui. Où est-il ?

Demi chœur Jardin :

            Qui, Silène ? Qui ?

Le coryphée :

            Ah !

J’ai du voyager plus vite que lui.

Hamadryades 6 et 7 :

            Allons, joyeux Silène,

Demi chœur cour :

            De quoi parles-tu ?

Le coryphée :

Vous le savez, les arbres,

            J’ai le talent

De deviner ce qui doit advenir.

Et bien, en ce lieu,

Doit s’achever une histoire

Commencée il y a plus de quarante année.

            Alors, je suis curieux.

(Il boit).

Ici, le destin va sceller une fin

Dont nous, nous serons les témoins.

(Il boit).

            Je vous le dis.

(Il boit, puis, distraitement).

               Le jus de la bouteille

            Coule dans mon gosier…

Mais qu’est-ce qu’il fait…

                        Le destin ?

Demi chœur impair :

Ici, chaque jour, la blanche Pénélope

Revient espérer et dormir et rêver.

Demi chœur pair :

Quittant le tumulte où toute vie s’achoppe,

Elle fuit le bruit, mais pour mieux le braver.

 

Demi chœur impair :

Si l’âcre saveur sans fin se développe

Du feu qu’elle veut, de son souffle activer,

Demi chœur pair :

Ici, chaque jour la blanche Pénélope

Revient espérer et dormir et rêver.

 

Le chœur :

Alors, son esprit se transporte et galope ;

Et sa certitude ne peut dériver.

L’ardent souvenir, sans cesse, l’enveloppe

Et elle s’isole pour le retrouver

Ici, chaque jour, la blanche Pénélope.

(Reprise des stridulations).

Le coryphée :

Je le savais ! Je le savais !

(Il boit).

Qu’est-ce que je disais ?

                        Hein ?

(Il boit).

N’avais-je pas raison ?

(Il chante).

            Quand ma gourde est pleine je la bois

            Je la bois…

C’est bien ici que je devais venir.

Hamadryade 1 :

Silène, il faut respecter…

Hamadryade 12 :

Sa tristesse infinie.

Hamadryade 6-7 :

Si tu veux rester dans son cercle de paix,

Hamadryade 3-4 :

Dissimule ta trogne rougeaude

Et demeure pour elle invisible .

Hamadryade 9-10 :

Masquant tes rires et tes chants,

Que ta voix soit pour elle silence.

Le chœur :

            Ici, chaque jour, la blanche Pénélope

            Revient espérer et dormir et rêver.

(Silence).

Le coryphée :

Mais qu’est-ce que vous croyez ?

J’ai du savoir vivre,

                        Moi.

D’ailleurs, comme elle arrive,

Regardez ! Je disparais. Hop !

(Il fait un geste indiquant son silence et son invisibilité. Entre Pénélope. Elle est très vieille mais se tient très droite et semble très digne et altière. Stridulations.).

Pénélope ;

Je vous salue, Ô Nymphes de ce bosquet,

Ames des oliviers, refuges des cigales.

Je te salue aussi Petit Rocher,

Toi qui si souvent

Soutint mon attente songeuse.

Le coryphée :

Si je n’étais pas muet et invisible,

Je lui proposerais

Une gorgée de ma bouteille.

(Il braille).

               Le jus de la bouteille…

                        Je suis sûr

Que ça la revigorerait un peu.

Hamadryade 6 :

Silène tu avais dit…

Le coryphée :

Mais, elle ne m’entend pas.

Hamadryade 11 :

Elle, non,

Le chœur :

Mais nous, si.

Pénélope :

            Gentils arbres,

Depuis si longtemps, je vous parle,

Ou bien je me parle à moi-même,

            Je ne sais plus.

Depuis si longtemps, devant vous,

            Tantôt à haute voix

Et tantôt au fond de mon cœur,

J’évoque mon mari lointain

            J’en ai le sentiment

Que vous le connaissez,

Qu’il est parmi vous,

Que je l’ai peu à peu inscrit sous votre garde

Et que vous en êtes imprégnés.

                        Aussi,

            Venant ici,

Je viens le retrouver.

            Il me semble,

Quand le vent souffle un peu,

Ou quand le soleil exaspère

            La foule des insectes

Que, par un grave murmure,

            Vous me répondez,

Que vous me parlez de lui.

            Parfois, même,

Que vos feuillages ajourés

Me transmettent sa voix

Depuis les horizons perdus.

Le coryphée :

Je vous ferai remarquer

Que je n’ai rien dit.

(Il boit).

Demi chœur jardin :

            Fière pénélope au destin douloureux,

            Parle-nous encore sans la moindre défiance.

Demi chœur Cour :

            Puisse-tu garder cet espoir savoureux

            Qui seul anime ta superbe patience.

Le coryphée :

Moi, je ne dis rien.

Pénélope :

            Mais aujourd’hui,

            Bosquet mon refuge,

Je viens fous faire mes adieux.

Depuis ce matin, sans aucunes raisons,

Mais du fond de mon ventre,

                        Je sais

Que je suis ici pour la dernière fois.

Le coryphée :

Normalement, le devin, c’est moi.

Hamadryade 2 :

Silène, tais toi.

Le coryphée :

C’était juste une remarque entre nous.

Il y a usurpation…

(Il boit).

                                de compétence.

Hamadryades 9-10-11-12 :

Silène, tais toi !

Le coryphée :

Et ça, je n’aime pas.

(Il chantonne).

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        Je la bois…

Pénélope :

            Lorsque mon mari, une seconde fois,

Plaça son destin sur la mer ténébreuse,

Sans craindre de perdre sa bonté joyeuse,

Je le regardai s’éloigner loin de moi,

Ayant contemplé dans un dernier émoi

La voile effacée par la plaine houleuse.

Le coryphée :

            Alors tes regrets se sont multipliés.

Le chœur :

            Après tant d’attente, elle aspire à plier.

 

Pénélope :

Ulysse devait en un ultime exploit

Montrer aux divins son âme généreuse.

Mais lui reparti s’est réveillé l’effroi.

Les mots du devin, dans les plaines ombreuses

Disaient son retour dans ses biens, sous son toit

Mais ils ignoraient l’épouse partageuse.

Le coryphée :

            Et seul le mari portait ce bouclier.

Le chœur :

            Après tant d’attente, elle aspire à plier.

 

Pénélope :

Tous deux pénétrés par une erreur trompeuse

Avons pris marché en toute bonne foi

Mais les immortels avaient faussé le choix.

Simples éphémères aux durées fugueuses,

Le temps appauvrit notre vie qui décroît

Ayant négligé la déchéance odieuse.

Le coryphée :

Jamais le destin ne peut se délier.

Le chœur :

Après tant d’attente, elle aspire à plier.

 

Pénélope :

Ô ! Grands Olympiens à l’image glorieuse

Qu’avions nous donc fait pour subir cette loi ?

Le coryphée :

Pourquoi demander si tu veux oublier ?

Le chœur :

Après tant d’attente, elle aspire à plier.

Le coryphée :

Je vous l’avais dit !

            Hein !

Je vous l’avais dit !

            J’ai dit :

Ici doit s’achever une histoire

Commencée il y a plus de quarante années.

            Vous voyez ?

Elle aussi elle le sait.

            Comment ?

Ça, je l’ignore ;

Mais ma collègue devineresse

                        Confirme…

Ce que je savais déjà.

(Il boit, stridulations).

Pénélope :

Ce matin j’ai quitté ma maison.

            Comme une machine,

                        J’ai cheminé.

Les pierres du chemin au lieu de blesser mes pieds,

            Se sont imprimées dans mes yeux

                        Et j’ai continué d’avancer.

            Je ne marchais pas,

                        Non.

Je progressais sans bouger

Comme si je glissais ;

Comme si j’étais portée vers le lieu

            De mon ultime arrivée

Demi chœur pair :

            On va malgré soi vers un but qu’on atteint ;

Demi chœur impair :

            Et rien ne pourrait contrarier le destin.

Le coryphée :

            C’est curieux,

                        Momentanément,

            Je n’ai pas soif.

Hamadryades 5-6-7 :

Silène tais toi.

Le coryphée :

Oui, mais cela m’inquiète.

(Silence).

Pénélope :

Au long du sentier d’ocre pâle,

Les arbres, tendus d’immobile raideur,

Lançaient, vers mes pas, leurs ramures grisâtres

            Comme s’ils voulaient,

            Une fois encore,

Effleurer la peau de mes épaules.

Demi chœur pair :

            On va, malgré soi, vers un but qu’on atteint ;

Demi chœur impair :

            Et rien ne pourrait contrarier le destin.

Pénélope :

Au fur et à mesure de ma progression,

La voie se traçait devant moi

Les images, d’avance, défilaient dans mon cœur ;

Mais jamais le retour

            N’a traversé mes yeux.

Puis, je me suis trouvée ici

Comme à l’accoutumé,

J’ai regardé ce caillou ;

            Je vais m’y asseoir

Et je ne sais pas ce qui arrivera ensuite pour moi.

            Peut-être plus rien.

Pourtant, il me semblait aller vers un grand soleil.

Le coryphée :

            Ai-je la gorge sèche ?

                        Non.

            Même pas.

Le chœur (bas) :

            Silène tais-toi.

Pénélope :

            Une nouvelle fois,

Je vais m’allonger et dormir.

            Attendre le soir

Qui ne reviendra plus.

Le chœur :

On va, malgré soi, vers un but qu’on atteint

Et rien ne pourrait contrarier le destin.

(Pénélope s’installe sur le rocher et s’endort).

Hamadryade 4 :

Silène, toi qui es un devin pertinent,

Hamadryades 9 :

Explique nous

Hamadryades 1-2 :

Ce qu’elle a voulu dire.

Hamadryades 11-12 :

Pourquoi ce discours mystérieux ?

Hamadryades 5-6-7-8 :

            Dis nous, silène

Le chœur :

Le secret que tu voudrais cacher.

Le coryphée : (beuglant)

            Le jus de la bouteille

            Coule dans mon gosier…

Hein ? Vous me parlez ?

Hamadryade 12 :

Silène, ne fais pas le sot.

Le chœur :

Et dis nous ce que tu sais.

Le coryphée : (rigolard)

Vous dire un secret ?

            Mes pauvres arbres…

Il faut savoir patienter.

Hamadryades 1-2 :

On va,

Hamadryades 3-4 :

Malgré soi,

Hamadryades 5-6 :

Vers un but

Hamadryades 7-8 :

Qu’on atteint ;

Hamadryades 9-10-11-12 :

Et rien ne pourrait

Le chœur :

Contrarier le destin.

Le coryphée :

            Et oui !

            Le destin.

(Ulysse entre par le fond. Il est en bon costume de voyage. Il s’arrête un instant).

            Regardez :

Il arrive le destin.

(Ulysse s’avance jusqu’à Pénélope).

Tiens… Tout à coup,

            J’ai soif.

Demi chœur jardin :

            Silène, tais-toi.

Le coryphée :

            Oh ! Eh, eh !

Vous savez ce que vous voulez ?

Silène, parle…

            Silène, Tais-toi…

Eh… Hein !

(Il boit)

Ulysse :

Tu dors, ô ma reine, en tes rêves nacrés

Perdue dans les fonds de lointains paysages.

Le souffle léger de ton repos sacré

Se mêle au zéphyr caressant ton visage.

 

Je bois ton repos comme un bonheur sucré

Coulant de ton corps à mon unique usage.

Tu dors, ô ma reine, en tes rêves nacrés

Perdue dans le fond de lointain paysages.

 

Tu vois, je reviens où nos sors sont ancrés.

J’ai tout oublié des mes lieus de passage.

Je suis près de toi dans ton soleil diapré

Pour y retrouver nos futurs enfin sages.

Tu dors, ô ma reine, en tes rêves nacrés.

Le coryphée : (Chantonnant).

            Quand ma gourde est pleine je la bois,

                        Je la bois.

Hamadryade 9 :

            Silène !

Hamadryade 4 :

N’es-tu donc pas ému ?

Le coryphée :

            Si, si.

Je suis ému.

Mais l’émotion, moi, ça m’altère.

Le chœur :

Oh !

Pénélope : (Qui s’éveille et voit Ulysse)

Je savais qu’aujourd’hui

Serait le dernier jour.

Le chœur :

Ô, Reine des buissons d’Ithaque,

Voici le jour tant désiré.

Ton cœur était bien inspiré,

Ô Reine des buissons d’Ithaque.

De ceux qui avaient conspiré,

Tu sus conjurer les attaques.

Ô, Reine des buissons d’Ithaque,

Voici le jour tant désiré.

Ulysse :

Pénélope, ma belle,

Enfin, tout est accompli.

Le chœur :

Ô roi au bras lourd, grand Ulysse,

Tu viens retrouver ta maison.

L’errance n’est plus ta complice

Ô Roi au bras lourd, grand Ulysse,

Tu peux retrouver les délices

De vivre une juste raison.

Ô roi au bras lourd, grand Ulysse,

Tu viens retrouver ta maison.

Pénélope :

            Oui, tout est accompli.

Ulysse :

De notre séparation,

Ce jour était bien le dernier.

Pénélope :

Oui, le dernier.

Le coryphée :

Là, je suis content.

Si, si, je suis content.

Je suis très content de voir ça.

Cela me touche là.

(Il montre sa poitrine).

Et du coup, aussi là.

(Il montre son gosier et boit).

Pénélope :

            Ulysse !

Ulysse ô mon ami,

Ulysse ô mon roi,

Mon maître et mon mari,

Ici se termine notre longue histoire.

Dans le grand livre de notre destin,

            Etait écrit :

Il cherchera son chemin

            Et elle l’attendra.

Après bien des combats

Au jour de son retour, elle sera toujours là.

Le chœur (en sourdine) :

            On va malgré soi vers un but qu’on atteint.

Pénélope :

L’image d’Ulysse

Est celle du roi luttant pour sa survie,

            Luttant pour sa maison,

L’image de celui qui, entre mille détours,

            Accomplit sa mission

Et conquiert, malgré tout,

Par les bras, par l’esprit,

Par la force et la ruse

            En bravant les divins,

La gloire de parvenir à ses fins.

            L’oracle le dit :

Au sein de tes biens, tu finiras tes jours.

Le chœur :

            Et nul ne saurait contrarier le destin.

Le coryphée : (distraitement)

            Le jus de la bouteille …

Pénélope :

Quant à Pénélope,

C’est celle qui attend ;

Dont le seul but est d’attendre ;

D’attendre le retour de son mari

Et sa raison s’éteint

Quand celui-ci est accompli.

Le chœur :

            On va malgré soi vers un but qu’on atteint

Le coryphée :

            C’est douceur sans pareille

Ouais, bah c’est pas drôle tout ça.

Hamadryade 12 :

Silène tais-toi.

Le coryphée :

Ah, mais je n’interviens pas.

Je commente pour moi-même.

Hamadryade 4 :

Et bien, commente en silence.

Le chœur :

            Et nul ne saurait contrarier le destin.

Pénélope :

            Ulysse,

Ulysse ô mon ami,

Ulysse ô mon roi,

Mon maître et mon mari,

Ton destin était :

Après bien des tracas et des tourments

De retrouver tes biens et d’y finir tes jours.

Le mien était d’attendre.

            J’ai attendu.

            Te voici revenu

Et si je n’attends plus,

Ma place est consumée

            Et mon rôle est échu.

Le chœur :

            On va malgré soi vers un but qu’on atteint

            Et nul ne saurait contrarier le destin.

Ulysse :

Pénélope ma reine,

Mon amie mon épousée,

Ô Pénélope ma vie,

Ma forte fiancée,

Je suis pénétré de ta tristesse.

Et je mesure combien pesante

            Fut ton existence.

Mais aujourd’hui,

            Tout est terminé.

Pénélope :

            Oui, terminé.

Ulysse :

Nous entrerons dans l’âge

De la sagesse,

De la contemplation,

Dans l’âge de la félicité,

Dans l’âge de l’aboutissement,

Dans l’âge du repos

Pénélope :

Oui, du repos.

Ulysse :

Mais pas de la renonciation.

De nombreuses années

Seront encore à parcourir.

Faisons en un parcours ensoleillé.

Pour parvenir à nos fins,

Le prix fut très élevé.

Peu d’humains ont eu autant à payer ;

Mais nous avons payé.

Goûtons maintenant les fruits

Que nous récolterons dans la félicité.

Pénélope :

Oui, dans la félicité.

Ulysse :

Après tant de misère,

Après tant de combats,

Voici le jour brillant

De la fin des tracas.

Pénélope :

Oui, de la fin des tracas.

Le coryphée : (tristement)

Oui, de la fin des tracas…

            La fin des tracas. (Il boit).

Le chœur :

Silène le joyeux fêtard,

Tu as un bien triste regard.

Le coryphée :

            Pour elle voici la fin de ses tracas

Le chœur :

            Alors que s’achèvent ses peines cruelles ;

            Son cœur a subi tant de sombres fracas !

Le coryphée :

            Pour elle voici la fin de ses tracas.

Le chœur :

            Adieu, pour toujours aux douleurs perpétuelles

            Et que vienne enfin une paix habituelle.

Le coryphée :

            Pour elle voici la fin de ses tracas

Le chœur :

            Alors que s’achèvent se peines cruelles.

Pénélope :

            Ecoute moi Ulysse.

Prends, de mes mots, le sens que je leur donne

Et pas celui que ton rêve bâtit.

                        J’ai su,

Depuis le début d’aujourd’hui

Que ce jour, pour moi,

            N’aurait pas de soir.

D’abord, je n’avais pas compris.

J’avais tant espéré ton retour,

Toutes ces années sans nouvelles…

            Contre tous les avis,

            Contre tout bon sens,

Je savais que tu étais vivant.

Je savais que de toute ta vaillance

            Tu luttais pour ton retour

Et je savais que tu triompherais.

            Et ce retour…

Il n’était pas concevable

Que, moins forte que toi,

            Je ne le vive pas.

La mort m’a donné ce sursis

Et, sagement compatissante,

            Repoussant la date prévue,

Elle a attendu avec moi.

Le chœur :

            La mort a laissé comme une ultime chance

            Repoussant, sans compter, la terrible échéance.

Pénélope :

Ce matin, en quittant la maison,

J’ai senti que je ne la reverrais pas.

            Pourquoi cette impression ?

Cela n’avait aucun sens.

Quand je suis arrivée,

Ce sentiment d’un autre monde,

Aux arbres que tu vois,

            Je l’ai raconté.

Mais quand je t’ai vu,

Lorsque tu m’as éveillée,

            J’ai compris.

J’ai compris pourquoi c’était terminé.

Ces arbres aussi ont deviné.

Ulysse, Si tu les laisses parler,

Si tu te laisses pénétrer

Par le bruissement de leurs feuilles

Sous le souffle de l’air parfumé,

            Eux qui ont la sagesse

Pourront mieux t’expliquer.

Le coryphée :

Allons, Hamadryades,

Votre mission est grave.

Par vos frémissements,

Par vos murmures profonds,

Sachez pénétrer ce pauvre homme,

L’imprégner de son infortune,

            Le désillusionner.

                        Moi,

Il n’est pas dans mon rôle

De tenir de si tristes propos

            Mais je serai là.

Et, sur ce qui m’est cher,

            Je vous assisterai.

                                               (Il boit. Stridulations).

Demi chœur impair :

Lorsque les hommes aux multiples visages,

Ayant poursuivi d’innombrables passions

Comme autant de songes en vaines fictions,

Reviennent remplis de fumeux paysages,

Demi chœur pair :

Trop las de chercher de lointains autres ports,

Ayant échappé aux appels des sirènes,

La réalité enfin, pour eux s’égrène :

Le chœur :

L’immortalité commence avec la mort.

 

Demi chœur pair :

Leur vie n’a été qu’un unique passage

Qu’ils ont visité en petites fractions.

Ils ferment leurs yeux devant leurs démissions

Voulant effacer les lueurs des carnages.

Demi chœur impair :

Ayant consenti de sordides efforts,

Ils portent les traces laissées par la haine

Et trouvent alors que, déposant leurs chaînes,

Le chœur :

L’immortalité commence avec la mort.

 

Demi chœur jardin :

Ils rentrent chez eux envahis par leur âge

Pensant retrouver en grande soumission

Leurs rêves perdus soustraits à toute action

Comme si le temps suspendait ses ravages.

Demi chœur cour :

Ils croient, qu’eux absents, tout s’arrête et tout dort,

Qu’ils vont retrouver leur jeunesse lointaine.

Hélas, leurs attentes, pourtant sont bien vaines.

L’immortalité commence avec la mort.

 

Le chœur :

Ô ! Tristes humains, hantés par le remord,

Vos âmes seraient plus en paix, plus sereines

S’il ne fallait que, terrible et vilaine,

L’immortalité commence avec la mort.

(Silence)

Ulysse :

            Ma Reine,

            Ô ma Reine !

N’as-tu donc pas compris ?

            Je suis là.

Je suis revenu.

C’est bien moi que tu vois.

Nos misères, aujourd’hui,

Sont enfin achevées.

Ce pour quoi nous avons combattu

            Enfin, va commencer.

Le coryphée :

Ma parole, il ne comprend rien !

Lui qu’on disait rusé…

Le chœur :

L’homme aux mille ruses,

L’homme aux mille tourments…

Pénélope :

            Ulysse,

            Ecoute-moi.

Ma vie était une attente

            Et je t’ai attendu.

            Dans ton retour,

J’ai placé toute mon espérance.

Je l’ai dépensée de toutes mes forces

Et puisque te voici revenu,

Je n’ai plus de raison de lutter.

Le chœur :

Accepte, Ô Ulysse ce que te dit la Reine.

Pénélope :

            Je t’en prie,

Laisse moi fermer les yeux,

            Maintenant.

Laisse moi retrouver ton image ;

Laisse moi la goûter

Et quand elle m’aura imprégnée…

Auras tu la bonté d’accepter ?

Laisse moi la douceur de me reposer.

Ulysse :

                        Te laisser ?

Non ! Pas maintenant !

            Ne dis pas cela !

            Ce n’est pas vrai !

Et pourquoi te laisser ?

            Il ne faut pas…

Il ne faut pas accepter cela.

Pénélope, les épreuves sont passées.

                        Non !

            Ne renonce pas

                        A la félicité !

Après avoir si longuement cultivé,

Abandonnerais-tu la récolte ?

                        Non, Pénélope,

            Il ne faut pas…

            Il ne faut pas…

            Tu ne peux pas

                        Ne dis pas cela…

Je t’en prie… Je ne veux pas.

Le coryphée :

Il ne veut pas…

            Allons bon !

Il ne veut pas…

            Sa volonté…     (Il boit)

La volonté humaine…

Le chœur :

            L’homme se réduit en bêtises confuses

            Lorsqu’il est atteint de choses qu’il refuse.

Ulysse :

            Pénélope, entends moi :

Peux-tu ainsi baisser les bras ?

                        Ressaisis-toi.

            Au seuil de la victoire,

Tu ne peux pas rendre les armes

Tu ne peux pas capituler

            Je le redis, Ô Pénélope,

                        Il ne faut pas.

Pénélope :

                        Je sais.

Pour toi, la déception est rude.

Tu aurais aimé retrouver celle

            Que tu avais quittée.

            Pourtant, sache-le :

Plus que les malfaisants,

Plus que les spoliateurs,

Plus que les prétendants

Et plus que les envieux,

            La mort,

Chaque jour ma courtisée.

Mais j’avais fait serment

Que rien ne viendrait déranger

La voie que je m’étais tracée.

Alors, je le lui ai expliqué

            Et la mort a compris.

Avec moi, elle n’a pas négocié.

Elle a su, qu’avant ton retour,

Elle ne saurait m’enlever.

Moi, de mon côté,

Je n’avais rien promis

Mais je savais que ce délai,

Ce répit qu’elle m’avait octroyé

            N’était qu’une trêve.

Respectant mon chagrin,

Elle feignait de m’oublier

En m’accordant cette faveur insigne

            De te revoir encore

Avant de m’emporter.

Le chœur :

            Ainsi négligée par la mort, Pénélope

            En sent maintenant le drap qui l’enveloppe.

Pénélope :

            Ce matin,

Poussée par ma vieille habitude,

            J’ai quitté la maison.

Un sentiment nouveau m’a portée jusqu’ici ;

            Mais je n’ai pas compris.

Déjà le destin était accompli.

            Je ressentais des signes

Qui m’étaient étrangers ;

            Mais je n’ai pas compris.

La mort était au rendez vous.

Elle ne menaçait pas.

                        Non.

Elle n’effrayait pas.

Dans une grande douceur,

Elle tentait de m’informer

            Que mon vœu serait réalisé.

            Et je n’ai pas compris.

Et j’ai marché.

            Et je n’ai pas compris.

Et j’ai marché vers toi ;

Et j’ai marché vers elle

            Et je n’ai pas compris

Que là vers où j’allais,

            Vous seriez réunis

Le chœur :

            Ainsi négligée par la mort, Pénélope

            En sent maintenant le drap qui l’enveloppe.

Pénélope :

            Je n’avais pas compris,

Non, je n’avais pas compris

Le message merveilleux

            Qu’elle m’avait adressé ;

Mais, quand j’ai vu, sur moi, ton visage penché,

                        J’ai su

Que le sursis était expiré.

Le chœur :

            Ainsi négligée par la mort, Pénélope

            En sent maintenant le drap qui l’enveloppe.

Pénélope :

            Ulysse Ô mon aimé,

La mort a su m’abandonner pour toi

Tu dois maintenant m’abandonner pour elle.

Ulysse :

            Ma Reine, ma Princesse,

Toi pour qui j’ai parcouru

Tant de terres étranges,

Je dois donc, à la fois,

Te trouver et te perdre ?

Pénélope :

D’abord me retrouver ;

Mais si tu le veux bien,

Avant que de me perdre,

Sachons profiter de ces quelques moments

Ulysse ;

Oui, Chassons cet effroi qui envahit nos cœurs

Et gardons pour toujours cet instant de bonheur.

Pénélope :

Referme tes bras sur mes épaules sèches

Et laisse couler sur mon corps

Le chaud parfum de tes cheveux.

Ulysse :

Pose ta tête sur ma poitrine en repos alangui.

Abandonne ton poids,

            La matière de ton être

Appuyée contre moi.

Pénélope :

Nos deux corps si longtemps séparés

            Retrouveront un peu

Leurs sensations perdues :

La volupté suave d’un contact inoublié.

Ulysse :

Le son de nos voix à nouveau mêlé

Peut vibrer plus limpide

            Et plus clair

Et retrouver un moment

L’ardeur des printemps égarés.

Pénélope :

Ce qui comptait, Ulysse,

Ce n’était pas après ;

Ce n’était pas une autre histoire

            Qui n’était pas la nôtre,

Une histoire qui se serait passée

            Dans une seconde vie,

            Une histoire différente

Pour laquelle nous n’étions pas inscrits.

            Ce qui comptait, vois tu ?

C’était l’instant unique,

            L’éclair fulgurant

                        De notre retrouvaille.

Ulysse :

Et par lui sidérés,

Restons en éblouis.

Le coryphée : (Aux hamadryades en montrant sa gourde).

            Vous croyez que je leur…

Hamadryade 3 :

            Non, silène !

Le coryphée :

Pour arroser ça…

Pour fêter un peu, quoi !

Hamadryade 9 :

Tiens toi tranquille.

Le chœur :

Laisse les savourer leur idylle.

Ulysse :

Longtemps, au cours de mes voyages,

De mes errances et mes divagations,

            J’ai cru que tout cela

N’était que contre temps,

Que je devais prendre patience

            Et que plus tard…

Plus tard viendrait le temps

Où tout pourrait exister.

Souvent, lorsque retenu

Dans des contrées lointaines

            J’ai du rester,

Hanté par l’espoir du retour,

            J’ai piétiné

Et seul, le soir, j’ai grommelé

Des paroles de rancœur contre l’adversité.

            J’ai gémi et même, parfois, pleuré.

Parfois, la colère en violence stérile

            M’a possédé et m’a détruit.

Je n’étais pas où je devais être

Et je n’allais pas où je voulais aller.

Toujours un sors contraire

Me repoussait plus loin de mon logis.

Le coryphée :

            Tu as voyagé

Le chœur :

            Tu as connu le monde.

Ulysse :

Je voulais être là d’où j’étais parti.

Tous ces pays, ces horizons,

Tous ces gens, tous ces peuples

            Et toutes ces coutumes,

Je n’en ai pas tiré plaisir.

J’ai du, bien souvent dépenser

            Des trésors d’énergie,

Des sursauts de puissance et de ruse

            Pour échapper au lieux

Où le hasard m’avait jeté.

Le coryphée :

            Tu as voyagé

Le chœur :

            Tu as connu le monde.

Ulysse :

Certes, au long de ces années,

J’ai accompli des œuvres

Dont peu peuvent se flatter.

Si cela avait été mon but,

J’aurais pu m’en enorgueillir.

Mais, j’agissais pour survivre ;

Je protégeais ma peau

N’ayant d’autre désir que de rentrer ici.

J’ai rencontré des sorcières,

Des géants et des nymphes

Et j’ai parlé à des divins.

J’ai foulé le royaume des morts ;

J’ai été lavé par la mer,

Séché par le vent,

Brûlé au soleil et gelé dans les glaces.

Le coryphée :

            Et quel autre humain

Le chœur :

            En bravoure, te surpasse ?

Ulysse :

J’ai dépensé beaucoup d’ingéniosité ;

            J’ai lutté

Mais tout ce que j’ai fait

N’était que par nécessité.

            Je voulais mon île,

Ma maison, ma famille ;

Je voulais la paix et l’équilibre ;

Je voulais après tous ces détours

            Me trouver enfin

Là où est le début des choses.

Le coryphée :

            Tu as voyagé

Le chœur :

            Tu as connu le monde.

Ulysse :

Peu à peu, je me suis pris à espérer,

            Après tant de diversions

            Après tant de recul,

                        D’espérer l’instant

Où je pourrai, enfin, me placer

Dans le cercle du départ en me disant :

Maintenant, je vais franchir le premier pas.

Le coryphée :

            Et quel autre humain

Le chœur :

            En bravoure, te surpasse ?

Ulysse :

Tout ce que j’avais traversé

Ne pouvait pas être,

            Non, ne pouvait pas

Être ce à quoi je m’étais préparé.

C’est ainsi que ma vie s’est consumée

            A attendre le moment

                        Où elle allait commencer

Le coryphée :

            Tu as voyagé

Le chœur :

            Tu as connu le monde

Le coryphée :

            Et quel autre humain

Le chœur :

            En bravoure, te surpasse ?

Ulysse :

Oui, enfin j’ai compris

Que ce qui comptais,

Ce n’était pas de parcourir une nouvelle vie ;

Mais seulement de l’initier.

Au delà de toute obligation,

Après avoir tout surmonté,

Franchi toutes les interdictions,

            Toutes les impossibilités,

Pouvoir entrer dans sa carrière

Sans entraves aucunes.

Alors, qu’importent les difficultés,

Qu’importe l’âge et la douleur

Puisque enfin vient s’ouvrir

Cet instant tant attendu.

Le coryphée :

            Et quel autre humain

Le chœur :

            En bravoure te surpasse ?

Ulysse :

Pour moi, cet instant était

Celui de mon retour ;

Celui où je retrouverais

Les pierres du jardin,

Le ciel qu’on y respire,

Les cris de ses enfants.

Cet instant n’est qu’un instant.

Il n’a point de durée.

Alors, la mort peut bien venir

Puisqu’elle ne pourrait ravir

Ce seul moment de liberté.

Le coryphée :

            Tu as voyagé

Le chœur :

            Tu as connu le monde

Le coryphée :

            Et quel autre humain

Le chœur :

            En bravoure te surpasse ?

Pénélope :

Ulysse, je savais que la sagesse

Viendrait habiter ton esprit.

Déjà mes membres n’ont plus de vigueur.

Déjà l’oubli pénètre ma chair.

Déjà le chagrin s’efface de mon cœur.

Ulysse :

Ô pénélope, pas encore, pas déjà !

            Attends moi.

J’ai déjà tant voyagé…

Cette fois-ci, je partirai avec toi.

Pénélope :

                        Non !

            Toi, tu dois rester.

Tu dois rester pour témoigner ;

Pour dire ce qui a existé.

Ulysse :

Voici donc nos dernières minutes

Pénélope :

Sachons savourer le peu d’instant qui nous reste.

Ulysse

Le moment fugitif devient éternité.

            Le temps n’existe plus.

Le coryphée :

Vraiment, je leur offrirais bien…

Hamadryade 3 :

Non, Silène !

Hamadryade 9 :

Tiens toi tranquille.

Le chœur :

Laisse-les savourer leur idylle.

(Stridulations)

Pénélope :

Gardons en seul paysage

Inscrit dans notre regard

La trace de nos visages.

Ulysse :

Qu’ils soient pour nous une image

Que nous, hors de tous hasards,

Gardons en seul paysage.

Pénélope :

Chassons colères et rages.

Elle est notre seul rempart

La trace de nos visages.

Ulysse :

En une très douce image,

Lueur des mondes blafards,

Gardons en seul paysage.

Pénélope :

Alors, qu’au travers des âges,

Luise encore à notre égard

La trace de nos visages.

Ulysse :

Dans d’autres contrées sauvages,

Nous, au moment du départ,

Gardons en seul paysage.

Pénélope :

Comme un parfum d’héritage,

Sachons porter notre part :

La trace de nos visages.

Ulysse :

Nous, cet instant de passage,

En souvenir, à l’écart,

Gardons en seul paysage.

Pénélope :

Ignorant les voisinages,

Choyons l’actuel avatar :

La trace de nos visages.

Ulysse :

Pour nous que la paix engage,

Le feu éteint qui repart,

Gardons en seul paysage.

Pénélope :

Seul souvenir et seul gage

Nos yeux inscrivent sans fard

La trace de nos visages.

Ulysse :

Au grand début du voyage,

Pénélope :

Avant qu’il ne soit trop tard,

Pénélope et Ulysse :

Gardons pour seul paysage

La trace de nos visages.

Le chœur :

L’un partira et l’autre pas ;

Ils ne sont plus de notre monde.

Pour eux, la vie n’a plus d’appas

L’un partira et l’autre pas.

Même si leur amour abonde

Leur lumière brûle à la ronde.

Ils ne sont plus de notre monde.

(Stridulations)

Pénélope :

La tiédeur est douce

Elle engourdit les membres et l’esprit.

Les sons et les parfums

Deviennent plus lointains.

Seul au travers de ta poitrine

J’entends ton cœur qui bat.

Il diffuse à nos corps entiers

L’harmonie et la pulsation douce

Qui me réchauffe et me rassure.

Tout est devenu calme à présent

            Tout est résolu.

La sérénité habite les astres.

L’équilibre si longtemps rompu

            S’est retrouvé.

            Bientôt, même           ,

Ta main qui me soutient

            Ne tremblera plus.

Ulysse :

Retiens encore un peu

Ton reste de souffle.

Ne le disperse pas.

Je sais que tu vas vers un monde d’ombre

            Que j’ai parcouru autrefois.

J’en ai mesuré le silence

            Et la lenteur.

Je sais qu’il t’appelle,

Qu’il t’entraîne comme un fleuve qui coule

            Mais je t’en prie,

Retiens encore un peu

Ton reste de souffle.

Tu vois,

            Egoïstement,

Je ne pense qu’à moi.

Au moment où tu glisse vers le repos,

Je te demande de résister encore

Comme si tu en avais le choix.

Pénélope :

C’est vrai, je glisse vers un autre empire.

Il ne m’appelle pas.

                        Non.

            Il m’attire.

Doucement, il m’aspire.

Je suis portée par un courant

Duquel on ne s’échappe pas.

Ulysse :

Retiens encore un peu

Ton reste de souffle.

Ne le disperse pas.

Pénélope :

L’ombre grise m’enveloppe

Bientôt, je ne te verrai plus.

Bientôt ma pensée aura quitté mon corps.

            Ce corps vide

Que tu tiens entre tes bras

            Tu voudras le garder

Tu n’oseras pas le laisser

            Ne fais pas cela.

Quand il ne résonnera plus,

            Pose-le

Et, en paix, contente-toi

De lui rendre les hommages  ordinaires

            Cela suffira.

Ulysse :

Retiens encore un peu

Ton reste de souffle

Ne le disperse pas.

Pénélope :

            Et puis, Ulysse,

            Ecoute encore ceci.

(Silence)

Tout au long de ma vie

Tu sais que je t’ai attendu.

Au moment de ton retour,

Tu peux être surpris et déçu

            Et penser

            Que je me suis lassée,

Puisque c’est moi qui m’en vais.

Détrompe-toi Ulysse.

Je m’éloigne un moment,

            C’est vrai.

Mais, dans ce nouveau séjour,

Comme au long de ma vie,

Je vais continuer.

            Je t’attendrai.

Je sais que le temps, encore une fois, sera long.

Et tu ne devras rien faire pour l’abréger.

            Mais un jour,

Quand tu me rejoindras,

            Je serai là encore.

Et quand nous nous retrouverons,

                        Cette fois,

Ce sera pour l’éternité.

       (Elle meurt).

Le chœur :

La feuille tombe

Dans le verger.

D’un vol léger,

La feuille tombe.

Elle succombe,

Tout est figé ;

La feuille tombe

Dans le verger.

Le coryphée :                         (Avec affliction)

Quand ma gourde est pleine je la bois

Je la bois…

     (Il boit et crache)

Ulysse :

Poursuis ton chemin au royaume des morts.

Ta voix s’est glacée au fond de ta poitrine.

Ton ombre s’éteint dans les tristes abords ;

Pourtant je la vois, ou bien je la devine.

 

Quand tu parviendras dans ton ultime port,

Conserve, avec toi, ta grandeur enfantine.

Poursuis ton chemin au royaume des morts.

Ta voix s’est glacée au fond de ta poitrine.

 

Tout seul, désormais, je dois être plus fort

Car j’ignore à quoi l’avenir me destine.

Mais toi disparue, je t’en prie sur ton corps :

Sache reposer sans rien qui te chagrine

Poursuis ton chemin au royaume des morts.

Le coryphée :

(Secouant sa bouteille et constatant qu’elle est vide).

            Et oui !

            Tout a une fin.

Au milieu du soleil,

Parfois une histoire se termine.

Chantons, les arbres.

Chantons encore la chanson du printemps.

(Le coryphée dit la totalité du texte qui suit)

Demi chœur jardin :

Déjà le printemps revenu accorde sa douce lumière.

Demi chœur cour :

Le jour, s’allongeant, peu à peu, réchauffe les troncs endormis.

Le chœur :

Puisée aux racines, la sève rend sa source familière.

 

Hamadryades 9-10-11-12 :

Alors l’abondance renaît ; l’espoir a remplacé l’oubli.

Hamadryades 1-2-3-4 :

Grimpant vers l’azur éclairé s’enflent les nouvelles ramures

Hamadryades 5-6-7-8 :

Mêlant leurs murmures au vent au sein du printemps rétabli.

 

Demi chœur impair :

Les sols tout garnis de corolles jouent de brillantes parures,

Demi chœur pair :

Ravis de chanter de nouveau après un aussi long sommeil.

Le chœur :

En ses voluptés majorées, partout triomphe la nature.

 

Demi chœur jardin :

Foison enfiévrée de plaisir, chacun magnifie son éveil ;

Demi chœur cour :

L’envol de l’oiseau nous apprend l’essor de la forêt entière

Le chœur :

En houle bruissante de vie chargée des rayons du soleil.

 

Déjà le printemps revenu accorde sa douce lumière.

 

 

(Stridulations qui vont décroissant tandis que la lumière décline et s’éteint)

 

 

Noir.

 

 

 

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