SAGESSE MEDIEVALE

 

Il y a un vieux proverbe médiéval (que l'on attribue à Rabelais) qui dit: "Oignez vilain, il vous poindra; poignez vilain, il vous oindra". Comme, pour des raisons d'élégance de sa formulation et de sa musicalité phonétique, il serait absurde de le traduire en langue moderne mais que, simultanément, il est exprimé en "vieil françois", un minimum d'explication s'impose. Il n'y a que trois mots, mais, justement, il faut clarifier le sens des trois.

Commençons par le plus simple: vilain. Souvent, on dit à un petit enfant qui n'a pas été sage qu'il est vilain et cela prend, plus ou moins le sens de méchant. Ce n'est pas tout à fait ça. Un vilain, à l'origine, c'est un paysan libre. Il n'est pas serf, mais il garde son côté paysan, rustique, rustre et grossier. On peut aussi le rapprocher de "vil": sans qualité, sans noblesse. On dit un métal vil par opposition à un métal précieux. Donc, un vilain, c'est un individu grossier, sans noblesse et sans qualité: un individu méprisable, quoi.

Le verbe oindre: cela veut dire passer de l'onguent; c'est à dire de la pommade. Une chose onctueuse est une chose qui a la consistance de l'onguent. En Afrique, encore aujourd'hui, les élégantes ne se passent pas de la crème sur le visage. Elles s'oignent le visage (et pour cela, elles ne se regardent pas dans une glace, mais elles se mirent). Donc, oindre quelqu'un, c'est lui passer de la pommade.

Le plus compliqué, c'est le verbe poindre. Il se conjugue comme le verbe joindre (Je poins, tu poins, il point, nous poignons, etc.). Cela veut dire provoquer une douleur physique cruelle. Instinctivement, on y verrait volontiers un voisinage avec le mot poing à cause de sa similitude phonémique. Il n'en est rien. Il faudrait plutôt le rapprocher de point, pointer, comme le coup d'éperon que l'on donne dans le ventre d'un cheval. On utilise encore une forme, dérivée du participe présent lorsqu'on parle d'une souffrance poignante.

Donc, je résume. Un être mal dégrossi, si vous le caressez dans le sens du poil, il vous agressera en vous rendant des coups. Mais si vous le maîtrisez avec violence, il vous passera de la pommade.

Ça va, jusque là? Tout le monde a compris?

Bien!

Alors, nous allons pouvoir en tirer des conclusions.

Bah oui! Une explication, si belle soit-elle, si elle n'était pas suivie de conclusions serait vaine, stérile et improductive, voire bréhaigne.

Les gens qui nous gouvernent, nous considèrent comme des vilains... A juste titre, du reste. Ils nous administrent des douleurs et des souffrances cruelles et nous continuons de les oindre.

Ils nous poignent et nous les oignons; cela implique que nous nous comportons bien en vilains.

Et si nous jouions au concours du plus vilain des deux? Comme ça, rien que pour rire. Si au lieu de les oindre, nous nous amusions à les poindre un peu de temps à autre... Rien que pour voir s'ils ne seraient pas plus vilains que nous. Hop! un petit coup par-ci, une petite inéligibilité par-là. Et hop, une petite destitution par-ci et un petit emprisonnement par-là.

Je me demande s'ils ne deviendraient pas encore plus vilains que nous. Oh! Comme ils feraient des efforts pour ne pas trop nous déplaire! Oh! comme ils deviendraient zélés dans le maniement de l'onction!

"Oignez vilain, il vous poindra,

Poignez vilain, il vous oindra".

Et si les plus vilains des deux n'étaient pas ceux qu'on pense? Et si les plus vilains des deux n'étaient pas nous, mais eux?

 

 

07 01 16