Anecdote vécue ( ô souvenir charmant)

 

 

052 Petite anecdote vécue (Ô! souvenir charmant).

Il y a de nombreuses années, j'ai été gravement malade. Au bout de quelques mois, je constate que mon traitement ne m'était plus versé. Je m'en inquiète et je me rends au service comptable de l'Inspection Académique. J'explique mon histoire à l'employée. Elle consulte ses livres et me rétorque sans rire: "Ah! Mais c'est normal qu'on ne vous paie plus puisque vous êtes décédé". Grande nouvelle! Donc, je lui fais remarquer, en riant un peu, que comme elle peut le constater, ce doit être une erreur. Elle insiste: Ah non! je ne peux rien faire. Pour moi, vous êtes mort. 

C'était donc une personne qui était capable, sans trouver la situation grotesque, incongrue, voire surréaliste de dire à un individu, en le regardant droit dans les yeux: Monsieur, je vous informe que vous êtes mort. Pour elle, la seule vérité crédible n'était pas le fait physique qu'elle avait devant elle, mais le papier officiel serré dans son registre. Elle aurait pu être, au moins, surprise par l'événement et se poser quelques questions. Mais non. De toute évidence, cela ne la troublait pas. J'étais mort; Bon, bah j'étais mort! Il n'y avait pas à revenir là dessus puisque c'était écrit.

Trois ou quatre autres personnes devant d'autres employées installées sur le même comptoir commençaient à sourire. Pour ma part, je sentais monter en moi une forme d'agacement qui, je vous l'accorde, était parfaitement injustifiée.

Alors, d'une façon spontanée liée à un stimulus incontrôlé, je lui ai dit: Madame, imaginez que là, comme ça et sans le moindre préavis, je vous flanque une magistrale baffe. Vous allez appeler police secours. Mais quand, pour légitimer votre appel vous allez spécifier qu'un mort vous a battu, ils vont certes réagir, mais ne craignez-vous pas que leur réaction consiste à vous envoyer deux solides gaillards, très gentils, portant une blouse blanche, qui vous passeront une grande chemise avec les manches qui s'attachent dans le dos et qui vous conduiront vers l'hôpital psychiatrique le plus proche?

Du coup, j'ai provoqué l'hilarité générale et c'était déjà ça puisque j'avais mis les rieurs de mon côté.

Alors, une autre personne qui n'était pas au comptoir mais à un grand bureau plus loin dans la pièce, s'est levée et est venue s'enquérir de ce qui se passait. Ce devait être une chef. Je réexplique mon histoire et avec sa sagesse de chef, elle constate que oui, il y a une anomalie.

Tout heureux, j'ai cru qu'elle allait résoudre le problème. Mais non. Elle m'a expliqué qu'étant malade, j'étais payé par un autre service et que j'étais donc rayé de ses ressortissants. Hélas, j'avais été rayé non pas comme transféré, mais comme décédé. Ce n'était, somme toute qu'une erreur de transcription. Rassuré en pensant que ce ne devait être que le résultat du travail d'un emploi précaire ou d'un contrat à durée déterminée ou d'un emploi jeune, me voici enclin à pardonner la bourde et je demande à la chef de corriger l'erreur afin de clore l'histoire.

Ah, mais non! C'est qu'elle ne pouvait pas! Elle n'avait pas autorité pour réouvrir un dossier classé! Il lui fallait un motif officiel! Comme visiblement, je commençais de nouveau à perdre mon calme et que les gens, dans la salle prenaient de plus en plus fait et cause pour moi,  la chef, pour couper court à toute suite désagréable me dit: Ce qui arrangerait les choses, ce serait que vous nous fournissiez un certificat de vie. Ah bon? Ça existe, ça? Oui. vous pouvez vous le procurer au commissariat ou à la gendarmerie les plus proches de votre domicile.

Me voici donc à la gendarmerie. Je n'étais pas rassuré. J'avais l'impression de venir demander une incongruité et je craignais d'être taxé de provocation. Par chance, le gendarme de service était un peu un ami (nous chantions dans la même chorale).

- Ah, tiens, bonjour. qu'est ce que je peux pour ton service?

- (Moi, bredouillant un peu) Je voudrais un certificat de vie.

Il fait rouler sa chaise d'un mètre vers l'arrière et, sans se lever attrape, sur une étagère, un imprimé et reroule vers son bureau.

- Oui, à quel nom?

- Bah, au mien!

Il me regarde d'un air un peu ahuri et remplit le document. Comme il me connaissait, il ne me demande pas de pièce d'identité. Plic, ploc, signature, coup de tampon. Je lui demande:

- Tu en fais souvent, des papiers comme ça?

- Pour des gens de ton âge, c'est bien la première fois. On nous demande ça surtout au moment des révisions des listes électorales. On nous demande d'aller vérifier si le Pépé Machin est toujours vivant où s'il faut le rayer des registres. Mais toi, qui est-ce qui te demande ça?

Je lui raconte mon histoire. Il fait une moue, hoche la tête de gauche à droite et hausse les épaules.

 

Mon papier en main, tout joyeux d'être ressuscité, Je saute dans ma voiture et je retourne à l'Inspection Académique. J'entre triomphalement; brandissant mon document, je fais signe à la chef qui vient voir. Hé! Pouvoir prouver que l'on est vivant, c'est quelque chose dans la vie d'un homme! Elle examine scrupuleusement la feuille et me dit: C'est parfait. J'ai failli l'embrasser. Je me suis retenu. Heureusement. Oui, heureusement parce qu'elle a ajouté: Je vais pouvoir transmettre à la commission mensuelle de réintégration. 

Vous n'avez pas de chance, celle de ce mois vient de se réunir. Mais ça passera sans problème le mois prochain et ensuite, comme nous traitons chaque mois les salaires du mois suivant, quand nous aurons la consigne, vous percevrez normalement votre argent dans deux mois. Mais, rassurez-vous, vous toucherez un rappel!

 

J'ai effectivement touché un rappel. Il va de soi que ce jour là, pour rattraper le retard, j'ai mangé quinze kilo de nouilles.

Il y a un homme qui doit une large part de sa célébrité au fait qu'il a été mort pendant trois jours. Tu parles! Petit garçon! Moi, j'ai été mort pendant cinq mois et on n'en fait pas toute une histoire.

En y repensant, je revois la moue, le hochement de tête et le haussement d'épaule du gendarme. Avec lui, je pense que la gendarmerie nationale, que l'on aime brocarder, peut être très largement moins bête que l'éducation non moins nationale

Pour cette histoire, je pense que saint Franz Kafka ne suffit pas. Il faut lui adjoindre saint Georges Courteline et saint Georges Feydeau.

 

04 02 16

Commentaires: 3
  • #3

    Barme marie-Pascale (mercredi, 01 mai 2024 13:28)

    INOUÏ DÉSOLANT Je trouve que tu as beaucoup de mérite d'avoir gardé ton calme
    Effectivement kafkaïen !!!

  • #2

    Arlevin (lundi, 29 avril 2024 20:55)

    Excellent!

  • #1

    Georges Boulon (lundi, 29 avril 2024 13:04)

    En ma qualité de GEORGES …��