Al Géza'ir, la belle,

A1 Géza'ir, la grande,

A1 Géza'ir la noble,

Al Géza'ir l'indomptée,

Al Géza'ir, la déchirée,

Al Géza'ir, l'amante inconsolée,

Toi qui sus faire éclater le joug,

Toi qui n'a pas fléchi sous le poids étranger,

Toi qui fut admirée par le monde éveillé,

Toi qui a redonné, aux petits, leur honneur,

A1 Géza'ir, la riche,

A1 Géza' ir, la victorieuse,

Al Géza'ir, la conquérante,

Al Géza'ir, maîtresse de la liberté,

Aujourd'hui, tu péris

 Devant nos yeux épouvantés.

 

*          *

 

Terre de tous parfums, emportée dans tes cris.

Tu traverses nos cœurs comme une déchirure.

Partagée dans tes feux en perle de verdure,

Tu élèves dans l'air l'ardeur qui est ton prix.

 

Tu clames ton vouloir de ce qui est écrit;

Et la terre se ferme et ferme la nature.

Terre de tous parfums, emportée dans tes cris

Tu traverses nos coeurs comme une déchirure.

 

Vienne l'amour, vienne la vie, et pour qu'ils durent,

Que tombent les fusils, les couteaux malappris,

 Que le jeune berger retrouve son abri,

Qu'un sourire nouveau fleurisse ta figure,

 Terre de tous parfums, emportée dans tes cris.

 

*          *

 

Terre de tant de rêves,

Terre de nos passés,

Terre de souvenir

Et de chansons lissées,

Terre de paradis frais,

Terre de labeur

Et de peine,

Terre de l'enthousiasme,

Terre de reconquête

Et de fertilité,

Terre de lait,

D'huile pure,

D'agrumes ensoleillées,

De fruits savoureux,

D'eau limpide

Et d'ombre douce,

Terre de pâturages,

De chaudes épices

Et d'aromates parfumées,

Terre de viandes saines,

Terre aux grandes moissons,

Faut-il qu'écrasée de misère

Et de haine,

Tes fils meurent au fond de tes vallons ?

 

*          *

 

Palme de vent, datte dorée,

Oeil de gazelle, oeil d'enfant,

Paupière de feu adorée, 

Craint ce qui te défend.

Beauté minérale implorée,

S'assombrit ton regard de faon,

Palme de vent, datte dorée.

Dans ton coeur, l'honneur se défend,

Lumineuse pierre diaprée;

Tu veux aimer la paix sacrée

Poussant ton courage étouffant,

Palme de vent, datte dorée.

 

*          *

 

Villes, cités, vieilles citadelles,

Elevant, au ciel bleu, les doigts aigus

De vos orgueilleuses puissances,

Monuments, palais,

Ecoles, universités, mosquées,

Tout ce que votre âme a de pur

Et de clair s'unit

Pour affirmer votre brillante gloire.

Jardins verts des quartiers et des berges,

Fleurs odoriférantes de délice et de miel,

Promenades polies où chacun se repose,

Exultez vos douceurs aux passants alanguis.

Rues parcourues de tant de foules fortes,

Marchés chatoyants,

Rues habitées de tant d'habile négoce,

Redonnez à l'espoir qui s'enfuit et qui flotte

Le désir souverain de se réinstaller.

 

*          *

 

Enfants rieurs, courant dans les ruisseaux,

Voulez-vous donc, encore, quelques temps, vivre ?

Vous criez, en coeur, le chant qui délivre...

Enfants rieurs, courant dans les ruisseaux,

Poursuivez-vous derrière l'arbrisseau,

Laissez pousser le bonheur qui enivre ;

Enfants rieurs, courant dans les ruisseaux,

Voulez-vous donc encore, quelques temps, vivre ?

 

*          *

Al Géza'ir, notre inconnue,

Tu as crié dans notre enfance ;

Par delà la mer nous séparant,

Tes cris sont parvenus.

Il a fallu du temps pour comprendre ;

Mais nous avons compris.

Certains plus tôt,

D'autres plus tard ;

Et, ceux qui comprirent les premiers

Ont expliqué aux autres.

Peu à peu,

Malgré le silence,

Malgré le mensonge,

Malgré l'arrogance,

Malgré les violences,

Nous avons crié avec toi,

De toutes nos forces,

Même quand nous étions très peu;

Et nous t'avons aimée ;

Et avec toi nous avons pleuré

 

*          *

 

Adolescents zélés que le savoir exhorte,

Jeunes jaloux d'apprendre ce que demain porte,

Ecoliers attentifs à conquérir la vie

Vers un désir certain et que nul ne dévie,

Portez à vos familles le mot rassurant.

Soyez le donateur du discours mesurant;

Soyez fiers d'apporter aux frères d'alentour:

Bonheur vient de la paix et la paix de l'amour.

 

Que meure la discorde, l'insolente traîtresse,

Elle qui désunit afin que l'on agresse...

L'agression crée la mort, mort génère l'effroi.

L'effroi est abandon. L'abandon désarroi,

Entraîne la misère et Misère la peur.

La peur n'est que souffrance et souffrance rancœur.

Après la rancoeur, violence agresse à son tour...

Bonheur vient de la paix et la paix de l'amour.

 

Tuez, pillez, égorgez ! Le sang répandu

Fécondera la terre où il n'est pas perdu.

Autre sang, autre haine y seront engendrés

Et la malédiction pourra tout dévorer.

Allez par les villes, les champs, les villages !

Allez perpétrer vos massacres sauvages !

Qui que vous soyez, assombrisseurs du jour,

Bonheur vient de la paix, et la paix de l'amour.

 

Les destructeurs d'espoir, les destructeurs de vie

Les destructeurs d'aurores, les destructeurs d'envie 

Se détruisent eux même et s'ils peuvent tout tuer,

Que leur restera-t-il dans leur vide institué ?

Il faudra pourtant bien que quelques uns survivent...

Qu'auront-ils devant eux après cette lessive?

Pourront-ils, ce jour là, repartir à rebours ?

Bonheur vient de la paix, et la paix de l'amour.

 

Hommes aveuglés du sang de vos carnages,

Voulez-vous persister, massacrer davantage ?

Alors, souvenez-vous, non, ne restez pas sourds !

Bonheur vient de la paix, et la paix de l'amour.

 

*          *

 

Avec toi, malheureuse, nous avons pleuré ;

Mais avec toi lumineuse,

Nous avons chanté,

Et espéré.

Le temps a passé.

Et le temps a passé, et,

Nous avons oublié.

Nous avons oublié

Que de l'autre côté de la Méditerranée,

Les choses n'étaient pas terminées.

 

*          *

 

            Du haut des montagnes

             Au fond des vallées,

            Tout ce qui se gagne

            Ne peut s’oublier

 

            De ville en campagne,

            Le désert brûlé

            Rejoint sa compagne

            La mer bleue salée.

 

            Le calme accompagne,

            En parfum mêlé,

            L'oasis cocagne, 

            Verdure étalée.

 

La profonde douceur, mystère savoureux, 

Coule dans les eaux de la palmeraie sage,

Et l'ombre des rameaux tend le frais chaleureux

En flattant, dans ses doigts, les hommes de passage.

 

            La vie suit son cours ;

            Le soleil crépite ;

            Au jardin toujours,

            La récolte invite.

 

            Le travail s'ajoure ;

Le calme bien vie,

Revient à son tour

Sans plus de limites.

 

Quand finit le jour,

Le ciel se délite ;

La lune parcourt

La voûte prescrite.

 

*          *

 

Combien de temps, encore, 

Combien de temps ? 

Combien de mois,

D'années peut-être ?

Combien de temps ?

Combien de vies ?

Combien d'horreur ?

Combien de larmes,

Combien de haines

Faudra-t-il que tu paies

Pour avoir transgressé la puissance insolente ?

Insolente toi même,

Tu n'as pas respecté la loi de l'oppresseur ; 

Et, avatar de ta détermination,

L'insolence livide

Tue ta saine insolence.

Combien de temps encore ?

Combien d'années

Devras-tu donc payer ?

Et quelle sorcière rancunière,

D'obscénité jalouse,

Repoussée dans ses prétentions sordides,

Aigrie d'avoir du te rendre

Ce qu'elle t'avait volé,

T'accable de sa vindicte méprisable ?

Pourquoi dresse-t-elle encore,

L'un contre l'autre, en conflit sanguinaire,

Les moitiés de ton corps écartelé ?

Est-ce l'incohérence de faibles perdus

Qui ayant tout gâché,

S'attachent à briser

Ce qui résiste encore ?

Combien de temps, alors,

Combien de temps

Devras-tu donc payer ?

 

*          *

 

Lumière de l'été,

Pavillon de Mystère,

Epi de blé jeté

Qui grandit de la terre,

Volez pour secourir,

Déversez au passage,

 Au ciel d'Al Géza'ir

Un rassurant message.

 

*          *

 

Assez !

Assez !

Si vous voulez que les bouches se taisent,

Ne coupez plus les gorges !

 

*          *

 

La lumière qui vient dans les grottes obscures

Déchire son manteau aux rochers acérés.

C'est la clarté première toute dilacérée : 

Pour chasser à jamais les coins d'ombre trop dure,

La lumière qui vient dans les grottes obscures

Il lui faut insister, croître, persévérer

Pour chasser à jamais les coins d’ombre dure,

La lumière qui vient dans les grottes obscures

Déchire son manteau aux rochers acérés.

 

*          *

 

La terreur se répand 

Et la terreur s'enfle

Elle emplit les esprits

Et ravage les coeurs.

La folie carnassière récuse l'avenir,

Et pour obtenir quoi ?

Faut-il vraiment

Asseoir quelques temps

Un semblant de puissance

Qui ne sera gardée, envers et contre tout,

Que par une terreur multipliée,

Elle même justifiée par la peur

Et l'insécurité ?

 

*          *

 

Il chante le fer qu'on frappe.

 Forgeron, sonne à nouveau,

Vers demain c'est une étape.

 

Tisserand, tresse la nappe,

Et teins la dans tes cuveaux.

Il chante le fer qu'on frappe.

 

Menuisier pousse ta râpe

Affinant le baliveau,

Vers demain c'est une étape.

 

Carrier, la pierre qu'on sape

Renforcera le caveau;

Il chante le fer qu'on frappe.

 

Prépare-nous ton agape,

Aubergiste qui prévaut,

Vers demain c'est une étape.

 

Attention qu'il ne dérape, 

Sculpteur, l'outil, le niveau,

Il chante le fer qu'on frappe.

 

Médecin, rien ne t'échappe,

Tes savoirs sont sans rivaux,

Vers demain, c'est une étape.

 

Ecoutez comme il tape,

Le pas de nos chevaux;

 Il chante le fer qu'on frappe.

 

Professeur, il faut que l'on happe

Le savoir en nos cerveaux ;

Vers demain c'est une étape.

 

 Vienne le fruit et la grappe,

L'homme tisse ses travaux ;

Il chante le fer qu'on frappe,

Vers demain, c'est une étape.

 

*          *

 

Et après,

Demain,

Plus tard,

Quand tout sera fini,

Dans dix ans,

Dans cent ans,

Mille, peut-être,

Quand les générations auront oublié,

Quand le souvenir de l'espèce

Se sera substitué

A celui des individus, 

Que restera-t-il de tout cela ?

Que laisserons-nous à nos petits enfants effarés ?

L'incompréhension ?

La stupeur écoeurante ?

Le goût amer de la répulsion ?

Et nos petits enfants nous répudieront.

Ils nous refuseront comme ancêtres,

Comme ascendants,

Pour avoir fait cela,

Pour l'avoir laissé faire,

Pour avoir été, seulement,

Contemporains,

De cela,

Pour avoir été ceux

Qui ont terni à ce point

Le souvenir qu'ils ont de nous.

 

*          *

 

Miel,

Lait,

Onde pure,

Ombre douce,

Rayon d'étoile,

Frais visage.

 

*          *

 

Leur bouche sera muette. 

L'hébétude les sidérera.

Leur frisson de dégoût,

De refus nauséeux 

Nous anéantira,

Effaçant, de leur coeur,

Notre existence même

Et notre temps inaccepté.

Seules resteront, blafardes, les victimes

Dans leur cadavres mutilés.

Nous, visages morts aux noms effacés,

Serons reniés par le rejet d'épouvante

De nos enfants effrayés.

Ils sauront simplement

Que dans des temps anciens,

Qu'on ose plus dater,

Des hommes ont laissé,

Entre la source et eux,

Un trait d'union

Ensanglanté.

 

*          *

 

Elles sonnent les trompes de fête ; on bat le tambour dans la rue.

De loin on entend la gaieté qui ourle la foule apparue.

On crie des saluts aux amis qui sont arrivés un à un,

La maison s'emplit et la cour où monte la joie de chacun.

Venez ! Les voisins, les voisines ; venez tous les autres qu'on aime :

Parents, frères soeurs ou alliés, les oncles, les tantes de même ;

Entrez les cousins éloignés vivant en des pays lointains !

Ce jour est jour de retrouvailles, riez ! Le plaisir est certain ;

L'union des familles se noue ; allons les enfants avancez !

Noblesse a la belle engagée ; limpide est le doux fiancé.

 

Les viandes qu'on cuit sur la braise embaument les airs du quartier ;

C'est un tourbillon qui envoie l'effluve vers le monde entier.

Des tables garnies de gâteaux, de mets aux couleurs savoureuses,

De fruits tout gorgés de soleil, de fioles emplies délicieuses,

Attendent les mains invitées qui flânent dans les plats d'émail.

Et tous les convives ravis, du fond du jardin au portail,

Guirlande de vie qui s'ébat, s'enroulent en promesse acquise.

Dans leur grand fauteuil, on embrasse, au front, les aïeules assises.

On se rassasie de douceur offerte en festin agencé

Noblesse a la belle engagée ; limpide est le doux fiancé.

 

On chante, on s'amuse partout ; tout s'orne, tout tourne et souvent,

L'aigu cri des femmes s'éveille, couvrant la rumeur, la mouvant;

Et les instruments, redoublant l'élan de la folle musique,

Emporte l'allant enfiévré jeté dans le cercle magique.

Les bras se soulèvent gracieux ; les foulards se nouent sur les reins ;

La danse s'emporte échauffée ; on vibre en des accents sereins.

La fête s'accélère sans fin. Les chants, les mouvements s'envolent;

C'est un roulement majoré qui ronfle amplifié, qui s'affole.

Courez, excités, sous les tables, enfants, en vos jeux dispersés

Noblesse a la belle engagée ; limpide est le doux fiancé.

 

Danseurs de la fête, ce soir, Danseurs d'autres lieux, de jours autres,

Offrez votre force sans fin ; la vie et la grâce sont vôtres...

La lune regardant là-haut porte au loin l'espoir annoncé...

Noblesse a la belle engagée ; limpide est le doux fiancé.

 

08 02 98

Commentaires: 1
  • #1

    NafissaJabroux (lundi, 10 février 2020 16:52)

    oui on peut dire ses illusions et désillusions par la plume, on peut hurler sa douleur physique et geindre sa souffrance psychique et être tout aussi efficace que dans ses textes philosophiques et engagés. Merci Monsieur, toujours le même plaisir à vous lire. Bien à vous.

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